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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/22413/2019

CAPH/196/2021 du 18.10.2021 sur JTPH/118/2021 ( OO ) , PARTIELMNT CONFIRME

En fait
En droit

arépublique et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

C/22413/2019-2 CAPH/196/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 18 OCTOBRE 2021

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 1er avril 2021 (JTPH/118/2021), représentée par [l'assurance de protection juridique] B______, ______, en les bureaux de laquelle elle fait élection de domicile,

et

Monsieur C______, domicilié ______, intimé, comparant par Me Daniel MEYER, avocat, rue Ferdinand-Hodler 7, 1207 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.


EN FAIT

A. Par jugement JTPH/118/2021 du 1er avril 2021, reçu par A______ le 6 avril 2021,le Tribunal des prud'hommes anotammentcondamné celle-ci à verser à C______ la somme brute de 31'731 fr. 60, avec intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 31 mai 2016 (ch. 3), invité la partie en ayant la charge à opérer les déductions sociales et légales usuelles (ch. 4), dit qu'il n'était pas perçu de frais ni alloué de dépens (ch. 5) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch.6).

B. a. Le 10 mai 2021, A______ a formé appel de ce jugement, concluant principalement à ce que la Cour l'annule et déclare irrecevable la demande en paiement de C______, subsidiairement la rejette, plus subsidiairement ordonne la compensation de la créance de sa partie adverse avec la sienne à concurrence du montant le moins élevé et dise que les créances relatives à la période antérieure au 24 septembre 2014 sont prescrites, avec suite de frais et dépens.

b. Le 6 juillet 2021, C______ a conclu à la confirmation du jugement querellé, avec suite de frais et dépens.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

A______ a produit une pièce nouvelle.

d. Elles ont été informées le 31 août 2021 de ce que la cause était gardée à juger.

C. a. A______ a été la titulaire de l'entreprise individuelle D______, A______ inscrite au Registre du commerce en date du ______ 2013 et a exploité une buvette et une épicerie à E______, Genève.

L'entreprise individuelle a été radiée le ______ 2021 par suite de cessation de l'exploitation.

b. A______ et C______, qui entretenaient une relation sentimentale, ont emménagé ensemble en 2013 dans l'appartement de A______. Durant leur vie commune, A______ a réglé les dépenses de loyer et de nourriture de C______ ainsi que ses primes d’assurance-maladie et ses frais de téléphone.

c.a C______ allègue avoir été engagé comme employé pour l’épicerie-buvette, à partir du 1er juin 2014, à plein temps, pour un salaire de 3'900 fr. par mois, précisant qu'il tenait la buvette et servait les consommations.

c.b A______ conteste que C______ ait été engagé comme employé. Elle allègue qu'il gérait avec lui l'entreprise en qualité de propriétaire et qu'il n'y avait pas de rapport hiérarchique entre eux.

Elle a fait valoir que C______ disposait d’une procuration individuelle sur son compte F______ depuis octobre 2013, soit bien avant son prétendu engagement et se servait de celui-ci pour régler ses factures personnelles telles que les primes d’assurance maladie (556 fr. 35), son abonnement téléphonique (17 fr. 75). Il n’avait pas été inscrit au Registre du commerce car il entendait obtenir des indemnités de chômage après son départ de son emploi précédent auprès de l’EMS G______.

En janvier 2015, un contrat de travail écrit avait été établi pour permettre à C______ de renouveler son permis de séjour. Sa fonction était celle de vendeur et un salaire de 3'900 fr. brut par mois avait été convenu. Elle ne pouvait pas produire ce contrat de travail car C______ avait emporté en partant le seul exemplaire en sa possession.

d. Il ressort de l'extrait de compte de C______ auprès de la Caisse genevoise de compensation que celui-ci a travaillé de 2011 jusqu'en mai 2014 pour l'EMS G______, puis pour A______ du 1er janvier au 31 décembre 2015, pour un salaire de 46'800 fr. et du 1er janvier au 31 décembre 2016 pour un salaire de 15'600 fr.

Selon les certificats établis par A______, le salaire de C______ a été de 46'800 fr. bruts en 2015 et de 16'900 fr. bruts de janvier à avril 2016. Des cotisations sociales ont été prélevées sur ces montants.

e. Le 1er mars 2016, A______ a remis à C______ une lettre ayant la teneur suivante : "Par ces lignes je vous informe que D______ se voit contrainte de mettre un terme à votre contrat de travail. Votre délai de congé étant de deux mois, les rapports de travail prendront fin le 1er mai 2016. Tout solde de vacance devra être pris d'ici au 1er mai 2016. Je vous remercie de votre engagement au cours des dernières années pour le magasin". C______ a apposé sa signature sur ce document, sous la mention "Je soussigné confirme avoir reçu la présente".

f. Le ______ 2016, C______ a été inscrit comme exploitant de l'entreprise individuelle H______, C______, avant comme but social l'exploitation d'une sandwicherie et service traiteur.

Dans ce cadre, C______ et A______, agissant conjointement et solidairement, ont conclu un contrat de bail portant sur la location, dès le 1er mai 2016, d'une arcade sise 1______, à Genève.

g. La relation intime des parties a pris fin mi-juin 2016 et C______ a quitté le logement de A______.

h.a L'inscription de C______ comme exploitant de la sandwicherie H______ a été radiée du registre du commerce le ______ 2016, suite à la cessation de l'exploitation.

h.b Une partie des loyers de l'arcade de la rue 1______ est demeurée impayée et la bailleresse de cette arcade, la I______, a engagé des poursuites à l'encontre de A______ a ce titre pour un montant de 24'500 fr., intérêts en sus.

Suite au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée par A______ au commandement de payer notifié par la bailleresse, celle-ci a requis, le 3 décembre 2018, le prononcé de la faillite de celle-ci.

Selon l'extrait du Registre du commerce, la faillite de A______ a été prononcée le 24 janvier 2019 par le Tribunal de première instance.

Le 12 février 2019, une convention extra-judiciaire a été conclue entre A______ et la bailleresse, suite à laquelle la première allègue avoir versé 20'000 fr. à la seconde, pour solde de tous comptes. Il résulte du timbre humide figurant sur la première page de cette convention produite par A______ qu'elle a été déposée le 13 février 2019 à la Cour de justice.

La faillite de A______ a été annulée le 14 février 2019 par la Cour de justice.

h.c Le 18 mai 2020, A______ a fait notifier à C______ un commandement de payer portant sur 20'000 fr., au titre de frais de loyer, plus 4'828 fr. 60 au titre de frais de caution, poursuites et faillite, intérêts en sus. Opposition a été formée à ce commandement de payer.

i. Le 24 septembre 2019, C______ a déposé aux fins de conciliation une demande en paiement à l'encontre de A______. Il a obtenu l'autorisation de procéder le 2 décembre 2019.

Le 2 mars 2020, il a assigné A______ en paiement de 48'240 fr., avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 31 mai 2016 par devant le Tribunal des Prud'hommes.

Il a notamment allégué que le montant de son salaire tel qu’il figurait sur ses fiches de salaires ne lui avait jamais été versé. Il n’avait perçu qu’une somme de 1'000 fr. net par mois.

j. Le 8 juin 2020, A______ a conclu au déboutement de C______ de toutes ses conclusions.

Elle a notamment fait valoir que C______ se servait librement dans la caisse et dans les comptes de l’entreprise et se versait ainsi lui-même sa rémunération.

k.a Lors de son interrogatoire par le Tribunal, C______ a expliqué qu’il était chargé d’effectuer les achats de l’épicerie-buvette, de gérer le stock et les caisses en fin de soirée. Son horaire de travail était de 9h00 à 21h00 la semaine et de 16h00 à 20h00 le samedi. A______ lui donnait les instructions pour les courses et les autres tâches, effectuait les démarches administratives et s’occupait de la comptabilité. Il y avait une relation hiérarchique entre eux. C'était A______ qui avait effectué les démarches pour obtenir son permis de travail.

Il recevait 1'000 fr. par mois. Il ne s’était ni servi dans la caisse, ni n'avait utilisé la carte de retrait auprès de F______, car le compte ne contenait pas suffisamment d’argent.

k.b A______ a pour sa part expliqué lors de son interrogatoire par le Tribunal qu’elle avait repris l’épicerie en 2013 avec C______ et qu’à l’époque ils formaient déjà un couple. Au départ il avait un horaire réduit car il travaillait encore à l'EMS. Il n'était pas employé et n'avait pas d'horaire précis. L’épicerie était ouverte 7 jours sur 7, de 9h00 à 21h00 la semaine et de 16h00 à 21h00 le week-end.

l. Le témoin J______ a déclaré avoir remis son épicerie à A______ en 2012. Il avait vu C______ travailler en cuisine peu après la remise du commerce. Il n'était plus retourné sur place depuis 2014. Au début, C______ lui remettait les loyers en espèces car il ne voyait pas A______.

Le témoin K______, ami de C______ depuis 2015 et client de l’épicerie, a déclaré qu'il avait vu celui-ci travailler à l’épicerie où il se rendait une à deux fois par semaine. C______ s’était toujours plaint du fait qu’il n’avait pas de contrat de travail écrit, qu’il ne recevait pas ses fiches de salaire et qu’il ne touchait que 600 fr. par mois.

Selon le témoin L______, client de l'épicerie, C______ était le patron mais c’est A______ qui donnait les instructions, rangeait le stock et nettoyait l’épicerie-buvette. C______ lui avait dit une fois qu'il avait des problèmes avec son permis de travail.

Selon le témoin M______, client de l'épicerie, A______ et C______ géraient ensemble l’épicerie mais celui-ci ne réalisait pas un véritable travail, il prenait beaucoup l'apéro. Il avait le comportement d'un homme qui mettait les pieds sous la table et attendait d'être servi. C’était plutôt A______ qui s’occupait d'assurer le service de la clientèle, de mettre en place la marchandise sur les rayons et de nettoyer l’épicerie. C______ se comportait comme le patron. Il avait vu celui-ci récupérer la caisse à la fermeture de l’épicerie et prélever des montants pour lui, comme s'il était le patron. Il donnait l'impression de ne pas manquer d'argent. C______ ne lui avait jamais parlé de problèmes avec son salaire ou son contrat de travail.

Le témoin N______, client de l’épicerie, a indiqué qu'il voyait souvent C______ parler avec les clients et prendre des cafés, mais qu'il ne l'avait pas vu travailler. Il n'avait pas l'impression que C______ prenait des décisions au sujet de l’épicerie; c'était A______ qui offrait les consommations et travaillait, avec son frère. C______ avait l'air d'avoir un bon train de vie.

Le témoin O______, fournisseur de l’épicerie où il se rendait deux à trois fois par mois, a indiqué qu'il présentait ses produits principalement à A______ qui était la patronne. C______ réceptionnait la marchandise et s’occupait des clients. Lorsque A______ était absente, il se comportait comme le patron. Lorsque ses factures étaient payées en espèces, il recevait l’argent de A______ ou de C______.

Le témoin P______, ex-épouse du frère de A______, avait connu C______ au printemps 2016 à l’épicerie. Elle l’avait vu travailler, soit exécuter des tâches de vente, de nettoyage et de rangement. Il lui semblait qu'il était plutôt un employé et non le gérant de l’épicerie.

m. Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience du 17 décembre 2020, lors de laquelle les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions.

EN DROIT

1. En l'espèce, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. de sorte que la voie de l'appel est ouverte (art. 308 CPC). L'appel a été en outre interjeté dans le délai et selon les formes prévues par la loi (art. 311 CPC), de sorte qu'il est recevable.

2. L'appelante a produit une pièce nouvelle, à savoir l'intégralité de la convention du 12 février 2019 qu'elle a conclu avec la I______ et dont elle n'avait produit devant le Tribunal que la première page.

Elle explique qu'elle n'a pas produit un exemplaire complet de cette convention plus tôt car celle-ci contient une clause de confidentialité. En lui reprochant de n'avoir produit que la première page de la convention, l'intimé avait prouvé qu'il renonçait à cette confidentialité, ce qui l'autorisait à produire l'entier de ladite convention.

2.1 Selon l'article 317 al 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte que s'ils sont invoqués ou produits sans retard et s'ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise.

2.2 En l'espèce, l'appelante aurait pu produire l'intégralité de la convention du 12 février 2019 devant le Tribunal. Ses explications relatives à la renonciation par l'intimé à la clause de confidentialité ne sont pas déterminantes, dans la mesure où l'intimé n'est pas partie à cette convention.

La pièce nouvelle produite par l'appelante est par conséquent irrecevable.

3. Le Tribunal a retenu que l'appelante avait admis que l'intimé avait travaillé dès juin 2014 et qu'un contrat de travail avait été conclu en janvier 2015 pour un salaire mensuel brut de 3'900 fr. Il ne résultait pas du dossier que les parties étaient copropriétaires de l'épicerie. Les enquêtes avaient établi que l'appelante donnait des instructions à l'intimé et prenait des décisions concernant l'exploitation du commerce, de sorte que l'existence d'un rapport de subordination était avérée. Il n'était pas contesté que l'intimé avait mis son temps à disposition de l'appelante. Les parties étaient donc bien liées par un contrat de travail dès juin 2014, régi par la Convention collective nationale de travail pour les hôtels, restaurants et cafés du 6 juillet 1998 (ci-après CCNT 98). Le délai de congé d'un mois prévu par cette convention avait été prolongé à deux mois par l'appelante. Il n'était pas établi que les parties avaient convenu d'un autre terme que la fin d'un mois, de sorte que le contrat expirait le 31 mai 2016.

L'appelante fait valoir que les parties étaient liées par un contrat de société simple puisque l'intimé exerçait dans les faits une activité de gérant, ce qui avait été confirmé par les témoins L______ et M______. L'intimé avait contribué financièrement à hauteur de 2'000 fr. pour la reprise de l'entreprise et bénéficiait d'un pouvoir de signature individuelle sur le compte de l'entreprise depuis 2013. Il avait lui-même payé des créanciers en espèces. Le contrat de travail et l'annonce aux assurances sociales n'avaient été faits que pour permettre à l'intimé d'obtenir un permis de séjour et les parties étaient d'accord pour qu'aucun salaire supplémentaire ne soit versé à l'intimée, en plus des montants qu'il prélevait lui-même. En tout état de cause, si l'existence d'un contrat de travail devait être retenue, ce contrat ne devait prendre effet qu'au 1er janvier 2015. Les créances de l'intimé pour 2014 étaient prescrites.

3.1.1 Selon l'art. 319 al. 1 CO, par le contrat individuel de travail, le travailleur s’engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l’employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d’après le temps ou le travail fourni.

Sauf disposition contraire de la loi, le contrat individuel de travail n’est soumis à aucune forme spéciale (art. 320 al. 1 CO).

Comme tout contrat, la conclusion d'un contrat de travail est soumise à la condition d'un échange réciproque et concordant de volontés (art. 1 CO).

En application de l'art. 8 CC, il incombe à la partie qui entend déduire des droits de l'existence d'un contrat de travail d'alléguer et de fournir la preuve de celle-ci. Il lui incombe donc de prouver l'existence d'un contrat de travail – par des déclarations de volonté explicites des parties ou par les circonstances de fait (art. 320 al. 2 CO) – de même que le montant du salaire convenu ou usuel (art. 322 al. 1 CO) ou toute autre obligation convenue dans le contrat (Wyler/ Heinzer, Droit du travail, 2019, p. 73).

3.1.2 Selon l'art. 320 al. 2 CO, le contrat est réputé conclu lorsque l'employeur accepte pour un temps donné l'exécution d'un travail qui, d'après les circonstances, ne doit être fourni que contre un salaire.

Pour que la conclusion tacite d'un contrat de travail puisse être admise, il convient que soient réunis, au regard des circonstances de fait, les éléments caractéristiques essentiels du contrat de travail que sont le motif de la rémunération, le lien de subordination, l'élément de durée et la prestation de travail ou de service. Si ces éléments font défaut, faute de pouvoir qualifier la relation envisagée de contrat de travail, la présomption est inapplicable (arrêt du Tribunal fédéral 4A_504/2015 du 28 janvier 2016, consid. 2.1.2; 4A_641/2012 du 6 mars 2013, consid. 2).

La présomption ne porte pas sur les circonstances de fait justifiant la conclusion tacite du contrat, lesquelles doivent être prouvées par la partie qui s'en prévaut conformément à l'art. 8 CC. Elle porte exclusivement sur la conclusion d'un contrat de travail, mais non sur son contenu (Wyler/ Heinzer, op. cit., p. 61 et 62).

3.1.3 En relation avec la contribution d'un concubin à l'entreprise de l'autre, la jurisprudence prévoit qu'il y a lieu d'appliquer l'art. 320 al. 2 CO si, selon les circonstances concrètes, la fourniture de travail n'était escomptée que contre une rémunération et qu'un rapport de subordination était donné; à défaut les règles de la société simple sont applicables (Wyler/ Heinzer, op. cit., p. 69).

3.2 En l'espèce, les parties s'accordent à dire qu'elles ont signé un contrat de travail dès le 1er janvier 2015, prévoyant que l'appelante verserait à l'intimé un salaire de 3'900 fr. bruts par mois pour son travail dans le cadre de la buvette/épicerie D______. Suite à la signature de ce contrat, l'intimé a été déclaré aux assurance sociales comme employé de l'appelante et les charges sociales ont régulièrement été versées.

L'appelante n'a pas démontré la réalité de ses allégations selon lesquelles ce contrat de travail aurait été simulé, aux seules fins d'obtenir un permis de séjour pour l'intimé.

Le fait que les témoins L______ et M______ aient indiqué qu'ils pensaient que l'intimé était le patron n'est pas déterminant car, de par leur position de clients de l'épicerie, qui ne s'y rendaient que ponctuellement, ils n'avaient aucune raison d'avoir une connaissance précise et complète des rapports contractuels liés entre les parties dans le cadre de leur activité professionnelle.

Le fait que les témoins J______ et O______ aient déclaré que l'intimé leur avait donné à quelques reprises de l'argent en espèces pour payer des frais relatifs à l'exploitation et le fait que l'intimé disposait d'une procuration sur le compte de l'appelante ne sont pas plus décisifs car ces éléments ne sont pas incompatibles avec une position d'employé.

Aucun élément du dossier ne permet par ailleurs de retenir que l'intimé aurait renoncé à être inscrit au Registre du commerce comme exploitant de l'entreprise pour toucher des prestations de chômage après son départ de son emploi précédent comme l'allègue l'appelante.

Compte tenu de ce qui précède, l'intimé a apporté la preuve que les parties ont été liées par un contrat de travail dès le 1er janvier 2015.

L'intimé n'a par contre pas établi que la relation de travail avait débuté antérieurement à cette date, soit le 1er juin 2014. Ces allégations sur ce point, qui est contesté par l'appelante, ne sont corroborées par aucun élément probant du dossier.

L'extraits du compte de l'intimé fourni par la Caisse cantonale de compensation indique, comme le contrat de travail, que l'activité de l'intimé pour le compte de l'appelante a débuté le 1er janvier 2015.

Il ne ressort pas non plus des témoignages recueillis par le Tribunal que l'intimé aurait fourni à la demanderesse, dès juin 2014, un travail qui, d'après les circonstances, ne devait être fourni que contre un salaire. Sa présence à l'épicerie de l'intimée avant janvier 2015, dont il n'est pas établi qu'elle était effective à plein temps, s'explique par sa position de concubin de l'intimée et ne suffit pas à retenir l'existence d'une relation de travail.

Les témoins N______ et M______ ont d'ailleurs relevé que l'intimé ne travaillait pas vraiment au commerce, mais passait beaucoup de temps à prendre des consommations avec les clients.

Il convient par conséquent de retenir que les rapports de travail entre les parties ont débuté le 1er janvier 2015, conformément aux termes du contrat de travail qu'elles reconnaissent avoir signé et aux déclaration qui ont été faites aux assurances sociales.

4. Le Tribunal a considéré que le délai de congé d'un mois prévu par l'art. 6 al. 1 CCNT avait été modifié et porté à deux mois pour la fin d'un mois par les parties, de sorte que le contrat expirait le 31 mai 2016.

L'appelante fait valoir que les parties s'étaient mises d'accord pour que le contrat prenne fin au 1er mai 2016, conformément à la lettre de licenciement du 1er mars 2016, laquelle mentionnait un délai net. La résiliation du contrat était motivée par le fait que l'intimé entendait créer sa propre entreprise, ce qu'il avait fait dès le 9 mai 2016.

4.1 Selon l'art. 335c al. 1 CO, le contrat peut être résilié pour la fin d’un mois moyennant un délai de congé d’un mois pendant la première année de service, de deux mois de la deuxième à la neuvième année de service, de trois mois ultérieurement. Ces délais peuvent être modifiés par accord écrit, contrat-type de travail ou convention collective; des délais inférieurs à un mois ne peuvent toutefois être fixés que par convention collective et pour la première année de service (al. 2).

Selon l'art. 6 al. 1 CCNT 98, après le temps d’essai, le contrat peut être résilié pour la fin d’un mois moyennant un délai de congé d’un mois de la première à la cinquième année de travail, de deux mois à partir de la sixième année de travail. La notification du congé doit être portée à la connaissance de la partie contractante au plus tard la veille du jour où le délai de congé commence à courir (al. 2).

4.2 En l'espèce, il n'est pas contesté que les rapports de travail des parties sont régis par la CCNT 98.

Le délai de congé applicable est dès lors d'un mois pour la fin d'un mois, conformément à l'art. 6 al. 1 CCNT 98.

Le congé notifié le 1er mars 2016 ne pouvait pas prendre effet le 1er avril 2016 puisqu'il n'a pas été notifié la veille du jour où le délai a commencé à courir, contrairement à ce que prévoit l'art. 6 al. 2 CCNT 98.

Les effets du congé ont donc été reportés d'un mois, soit au 30 avril 2016.

Le fait que l'appelante ait indiqué dans la lettre de résiliation qu'elle accordait à son employé un délai arrivant à échéance le 1er mai 2016 n'implique pas, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, que les deux parties avaient convenu de déroger au délai prévu par la CCNT et de prévoir un délai de deux mois pour la fin d'un mois.

Les rapports de travail ont par conséquent pris fin au 1er mai 2016.

5. Le Tribunal a considéré que l'intimé avait droit à 93'000 fr. de salaire brut (3'900 fr. x 24 mois), sous déduction de 61'868 fr. 40 à titre de salaire perçu sous diverses formes, à savoir 24’000 fr. (1'000 fr. reconnus par l'intimé x 24 mois), 24'090 fr. à titre de frais de logement et de nourriture (365 jours x 2 x 33 fr.), 13'352 fr. 40 (556 fr. 35 x 24 mois) à titre d'assurance maladie et 426 fr. (17 fr. 75 x 24 mois) à titre de frais de téléphone privé. Le montant que l'appelante devait encore lui verser était dès lors de 31'731 fr. 60.

L'appelante ne conteste ni le montant du salaire brut de 3'900 fr. par mois, ni la méthode de calcul utilisée par le Tribunal pour calculer les déductions au titre de salaire déjà versé, mais fait valoir qu'une rémunération est due uniquement pour la période du 1er janvier 2015 au 1er mai 2016, soit 16 mois au lieu de 24 mois. Le salaire encore dû était ainsi de 21'374 fr. 40, soit 62'400 fr. (3'900 fr. x 16 mois) sous déduction de 41'025 fr. 60 soit 16’000 fr. (1'000 fr. x 16 mois), 15'840 fr. à titre de frais de logement et de nourriture (990 fr. x 16 mois), 8'901 fr. 60 (556 fr. 35 x 16 mois) à titre d'assurance maladie et 284 fr. (17 fr. 75 x 16 mois) à titre de frais de téléphone privé.

Dans la mesure où il a été retenu ci-dessus que les rapports de travail avaient effectivement duré 16 mois et non 24, le grief de l'appelante est fondé.

Le montant dû à l'intimé par l'appelante à titre de solde de salaire est ainsi de 21'374 fr. 40.

6. L'appelante fait valoir que ce montant doit être compensé avec la créance en 24'918 fr. 60 qu'elle détient envers l'intimé en raison du fait qu'elle a dû acquitter l'intégralité des arriérés de loyer relatifs à l'arcade de la rue 1______, dont les parties étaient codébitrices.

L'intimé conteste quant à lui être débiteur de quelque montant que ce soit à ce titre envers sa partie adverse.

6.1.1 Selon l'art. 120 al. 1 CO, lorsque deux personnes sont débitrices l’une envers l’autre de sommes d’argent ou d’autres prestations de même espèce, chacune des parties peut compenser sa dette avec sa créance, si les deux dettes sont exigibles. Le débiteur peut opposer la compensation même si sa créance est contestée (al. 2).

A teneur de l'art. 125 ch. 2 CO, les créances dont la nature spéciale exige le paiement effectif entre les mains du débiteur, telles que le salaire absolument nécessaire à l’entretien du débiteur et de sa famille ne peuvent être éteintes par compensation contre la volonté du créancier.

L'application de cette disposition implique que le créancier en salaire qui entend s’opposer à la compensation établisse que ces prestations sont absolument nécessaires à son entretien et à celui de sa famille (CR CO I-Jeandin/Hulliger, art. 125 N 8).

6.1.2 Selon l'art. 144 al. 1 CO, le créancier peut, à son choix, exiger de tous les débiteurs solidaires ou de l’un d’eux l’exécution intégrale ou partielle de l’obligation.

Celui des débiteurs solidaires dont le paiement ou la compensation éteint la dette en totalité ou en partie libère les autres jusqu’à concurrence de la portion éteinte (art. 147 al. 1 CO).

Si le contraire ne résulte de leurs obligations, chacun des débiteurs solidaires doit prendre à sa charge une part égale du paiement fait au créancier (art. 148 al. 1 CO). Celui qui paie au-delà de sa part a, pour l’excédent, un recours contre les autres (al. 2).

Le débiteur solidaire qui jouit d’un recours est subrogé aux droits du créancier jusqu’à concurrence de ce qu’il lui a payé (art. 149 al. 1 CO).

6.2 En l'espèce, il résulte du contrat de bail conclu dès le 1er mai 2016 pour l'arcade de la rue 1______ que les parties étaient débitrices solidaires du loyer de cette arcade.

Il est également établi que la bailleresse, à savoir la I______, a poursuivi l'appelante pour le paiement des arriérés de loyer de cette arcade en 24'500 fr., intérêts en sus, et que cette poursuite a abouti au prononcé de la faillite de l'appelante, en date du 24 janvier 2019.

Le fait que la faillite de l'appelante ait été annulée par la Cour le 14 février 2019 atteste de la véracité de ses allégations selon lesquelles a été contrainte de désintéresser la bailleresse en lui versant le montant de 20'000 fr., conformément à la convention déposée à la Cour le 13 février 2019.

En effet, sa faillite n'aurait pas été annulée par la Cour si ce montant n'avait pas été versé.

Par conséquent, puisque l'appelante a payé l'intégralité d'une dette dont l'intimé répondait solidairement avec elle, elle bénéficie d'un recours contre celui-ci.

Conformément à l'art. 148 al. 1 CO, il convient de retenir que la part de l'intimé à la dette commune est de la moitié du montant versé à l'ancienne bailleresse des parties, soit 10'000 fr.

L'appelante dispose ainsi envers l'intimé d'une créance de 10'000 fr.

Elle est en droit de l'opposer en compensation à sa partie adverse. En effet, l'intimé n'a ni allégué, ni démontré que la compensation était exclue en application de l'art. 125 ch. 2 CO au motif que le solde de salaire qui lui était dû est absolument nécessaire à son entretien.

Il résulte de ce qui précède qu'un montant de 11'374 fr. 40 reste dû à l'intimé, soit 21'374 fr. 40 sous déduction de 10'000 fr.

Cette somme portera intérêts moratoires à 5% l'an dès le 24 septembre 2019, date à laquelle l'intimé a déposé sa requête en conciliation. Il ne résulte en effet pas du dossier que celui-ci aurait interpellé l'appelante, conformément à l'art. 102 al. CO, avant cette date, le seul courrier en ce sens ayant été adressé à Q______ et non à l'appelante.

Le jugement querellé sera dès lors modifié conformément à ce qui précède.

7. La valeur litigieuse étant inférieure à 50'000 fr., il ne sera pas prélevé de frais judiciaires, ni alloué de dépens (art. 71 RTFMC et 22 al. 2 LaCC).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 2 :

 


A la forme
:

Déclare recevable l'appel formé par A______ contre le jugement JTPH/118/2021 rendu le 1er avril 2021 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/22413/2019-2.

Au fond :

Annule le chiffre 3 du dispositif de ce jugement et, statuant à nouveau :

Condamne A______ à verser à C______ la somme brute de 11'374 fr. 40 avec intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 24 septembre 2019.

Confirme le jugement querellé pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Dit qu'il n'est pas prélevé de frais judiciaires ni alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Madame
Fiona MAC PHAIL, juge employeur; Monsieur Kasum VELII, juge salarié;
Madame Chloé RAMAT, greffière.

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.