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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/26489/2019

CAPH/195/2021 du 13.10.2021 sur JTPH/83/2021 ( OO ) , REFORME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/26489/2019-1 CAPH/195/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 13 OCTOBRE 2021

 

Entre

A______ SA, sise ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 9 mars 2021 (JTPH/83/2021), comparant par Me Mattia DEBERTI, avocat, avenue de la Roseraie 76A, 1205 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représenté par le Syndicat C______, _____.


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/83/2021 du 9 mars 2021, reçu par les parties le 10 mars 2021, le Tribunal de première instance acondamné A______ SA à verser à B______ 68'852 fr. 50 bruts, sous déduction de 42'000 fr. (ch. 2 du dispositif) et 14'255 fr. 45 bruts avec intérêts moratoires, le tout avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er octobre 2019 (ch. 2), invité A______ SA à opérer les déductions sociales et légales usuelles (ch. 3), l'a condamnée à établir des fiches de salaire pour les mois de juin 2018 à septembre 2019 (ch. 4) a débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 5), dit que la procédure était gratuite et qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 6).

B. a. Le 23 avril 2021, A______ SA a formé appel de ce jugement, concluant à ce que la Cour l'annule et déboute B______ de toutes ses conclusions, avec suite de frais et dépens.

b. Le 26 mai 2021, B______ a conclu à la confirmation du jugement querellé.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

d. Elles ont été informées le 1er juillet 2021 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. A______ SA a comme but social la création et la réalisation de jardins et espaces verts ainsi que l’achat et la vente de marchandises liées à ces activités.

D______ a été administrateur unique de cette société du 17 février 2011 au 18 décembre 2018, avant d'être remplacé en cette qualité par son frère, E______. A______ SA emploie également deux autres frères [de D______], à savoir F______ et G______.

F______, au bénéfice d'un contrat d'aide-jardinier signé avec A______ SA le 11 novembre 2011, se présente sur le réseau social Linkedin, comme directeur général de celle-ci depuis juin 2010. Il n'occupe cependant pas cette fonction et n'a pas le pouvoir de représenter cette société.

b. En 2018, la société comptait sept employés, soit les quatre D___/E___/F___/G______, ainsi que trois personnes prénommées H______, I______ et J______.

c.a B______ allègue avoir été engagé par A______ SA le 1er juin 2018 pour une durée indéterminée. Il avait réalisé divers travaux pour celle-ci, notamment de jardinage, peinture et carrelage.

Il a notamment produit à l'appui de ses allégations une photo d'habits de travail portant le logo de A______ SA et une autre photo le montrant en train de travailler dans un jardin avec lesdits habits de travail.

c.b A______ SA conteste ces allégations. Elle affirme que son employé, F______, a fait, pendant un certain temps, des travaux de maçonnerie et de jardinage en tant qu'indépendant à côté de son activité pour elle pour arrondir ses fins de mois.

F______ avait proposé à B______ de travailler avec lui comme indépendant et de se répartir les bénéfices en fonction du travail fourni par chacun et de l'origine du client, au cas par cas. Il avait accompagné à quelques occasions B______ au dépôt de la société et lui avait fourni, à l'insu que A______ SA, des outils et une tenue.

La collaboration entre F______ et B______ avait pris fin en été 2019, lorsque E______ avait découvert l'activité parallèle de son frère et lui avait demandé d'y mettre fin.

A______ SA a notamment produit à l'appui de ses allégations une copie de cartes de visites au nom de B______ et F______, avec leurs numéros de téléphones portables et la mention "Petits travaux de maçonnerie et jardin, Genève".

d. B______ allègue avoir été licencié avec effet immédiat par A______ SA le 5 juillet 2019 au motif que, puisqu'il n'avait pas de titre de séjour, elle ne pouvait plus l'employer.

e. Le 9 août 2019, B______ a réclamé à A______ SA 44'662 fr. 80, sous déduction de 19'050 fr. reçus en mains propres, à titre de salaires et diverses indemnités dues en application du contrat de travail conclu entre les parties. Il requérait en outre la production de ses fiches de paie, certificat d'assurance LPP, copie du contrat de travail et justificatifs AVS.

f. Le 23 septembre 2019, A______ SA lui a répondu qu'elle contestait ses prétentions et n'avait pas conclu de contrat de travail avec lui.

g. Le 9 avril 2020, suite à l'échec de la tentative de conciliation du 16 janvier 2020, B______ a conclu à ce que le Tribunal des prud'hommes condamne A______ SA à lui payer 93'912 fr., sous déduction de 42'000 fr. et à lui remettre des fiches de salaire pour la période de juin 2018 à septembre 2019. Ladite somme se décompose comme suit :

- 60'316 fr. 30 bruts, à titre de salaire pour la période du 1er juin 2018 au 5 juillet 2019, sous déduction de 42'000 fr. reçus en mains propres, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er août 2019 ;

- 1'788 fr. bruts, à titre d’indemnité pour les jours fériés, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er août 2019;

- 6'417 fr. 65 bruts, à titre de salaire-vacances, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er août 2019 ;

- 5'024 fr. 35 bruts, à titre de treizième salaire, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er août 2019 ;

- 11'752 fr. 80 bruts, à titre de salaire pendant le délai de congé entre le 6 juillet et le 30 septembre 2019, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er octobre 2019 ;

- 398 fr. 40 bruts, à titre d’indemnité pour les jours fériés afférent au délai de congé, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er octobre 2019 ;

- 1'250 fr. 50 bruts, à titre de salaire-vacances afférent au délai de congé, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er octobre 2019 ;

- 979 fr. bruts, à titre de treizième salaire afférent au délai de congé, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er octobre 2019 ;

- 5'985 fr. nets, à titre d’indemnité forfaitaire pour 285 jours de travail effectués, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er août 2019.

B______ a fait valoir qu'il travaillait en moyenne 8 heures par jour de 7h à 16h pour un salaire journalier de 150 fr. Il avait travaillé pour A______ SA 2’324 heures pendant 285 jours entre juin 2018 et juillet 2019. Il a produit à l'appui de ses allégations des décomptes d’heures manuscrits établis par ses soins, indiquant le jour, le lieu de travail et le nombre d’heures effectuées. Il avait touché 42'000 fr. net, payés de la main à la main.

h. Le 25 juin 2020 A______ SA a conclu à l'irrecevabilité de la demande, subsidiairement à son rejet.

Elle a fait valoir qu'aucun contrat de travail n'avait été conclu entre elle et B______. Elle a précisé que F______ n'avait pas le pouvoir de la représenter.

i.a Lors de ses deux auditions par le Tribunal, B______ a indiqué avoir été engagé par F______ en juin 2018, après avoir fait sa connaissance sur un chantier à M______. A l’époque, il travaillait pour un autre employeur et il avait demandé à F______ s’il avait du travail pour lui. En juillet 2018, il avait rencontré E______ au dépôt de l’entreprise, et ils s’étaient rendu ensemble ce jour-là sur un chantier à L______. Il ignorait l'adresse de ce chantier et le nom du propriétaire. E______ travaillait avec ses employés sur les chantiers environ deux semaines par mois.

B______ travaillait du lundi au vendredi, parfois le samedi. Il était payé 20 fr. par heure et recevait son salaire chaque fin de mois de la main à la main de la part de F______. Les clients ne le payaient jamais directement.

Il se rendait tous les jours au domicile de E______, lequel se situait à proximité du dépôt de la société à M______, et y rejoignait un autre employé de la société dénommé I______. Tous les trois, ils prenaient des outils et se rendaient avec la camionnette de l’entreprise sur un chantier. Le soir, ils rapportaient généralement la camionnette et les outils au dépôt.

Il recevait ses instructions de F______, lorsqu’il arrivait le matin au dépôt de A______ SA. Sur les chantiers, il travaillait habituellement avec I______, lequel, en tant que chef d'équipe, lui donnait des instructions sur le chantier.

Il a affirmé avoir reçu les vêtements de travail de F______ lors de son premier jour sur un chantier à L______. Il devait porter ces vêtements tous les jours. La photo produite avait été prise par I______ sur un chantier à L______.

Le modèle de carte de visite produit par sa partie adverse correspondait à la carte de visite personnelle de F______; il n’avait lui-même jamais fait de cartes de visite ni ne s’était associé à ce dernier. Il n'était pas indépendant, mais employé de A______ SA.

i.b Lors de son interrogatoire, l’administrateur de A______ SA, E______ a indiqué être arrivé en Suisse en juillet 2018 et habiter à N______ [VD]. Il avait alors repris l’administration de la société, laquelle était auparavant gérée par son autre frère, D______.

En tant qu'administrateur, E______ ne travaillait pas sur les chantiers. Il engageait le personnel. F______ n'avait pas le droit de le faire.

Il avait rencontré B______ en juillet 2018 au dépôt de l'entreprise, alors qu'il se trouvait avec ce dernier. F______ lui avait dit que c'était un ami. E______ avait revu B______, toujours avec son frère, une fois au dépôt, une fois dans la camionnette et une fois près de L______, et ce sur une période de 3 à 5 mois.

Il avait dit à son frère qu'il ne voulait pas de personne extérieure à l'entreprise dans la voiture ou au dépôt. Lorsqu'il s'était aperçu qu'il faisait des travaux à côté de son travail pour A______ SA, E______ lui avait fait savoir qu'il n'était pas d'accord et lui avait donné un avertissement oral. Il ne l'avait pas licencié car c'était son frère et il avait une famille.

F______, qui habitait dans les locaux de l'entreprise au rez-de-chaussée, était chef de chantier et pouvait prendre du matériel au dépôt. Il organisait le travail de son équipe, en général I______ et H______.

Au sujet du profil Linkedin de F______ indiquant que celui-ci se présentait comme directeur général de A______ SA, E______ a indiqué que c'était une plaisanterie de mauvais goût et qu'il n'avait pas le droit de faire cela.

j. Etendu comme témoin par le Tribunal, F______ a indiqué qu'il se présentait sur Linkedin comme directeur général de A______ SA parce qu'il aurait voulu l'être, mais qu'il ne l'était pas.

Il avait rencontré B______ sur un chantier, étant précisé que celui-ci travaillait comme aide-jardinier pour une autre entreprise à l'époque. B______ lui avait dit qu'il gagnait peu et lui a demandé s'il pouvait lui donner un coup de main. F______ travaillait depuis des années au noir le soir et le week-end et ils avaient décidé de s'associer pour faire de petits boulots.

Lorsque B______ avait rencontré F______, il ne savait pas que celui-ci travaillait pour A______ SA, il l'avait appris plus tard; F______ n'avait pas le vêtements de travail de cette société, il ne les portait jamais. B______ lui avait demandé plusieurs fois d'intervenir auprès de ses frères pour le faire engager, mais cela n'était pas possible car il n'avait pas de papiers.

C'était B______ qui avait eu l'idée de faire des cartes de visites et c'était lui qui les avait réalisées. Ils avaient payé un employé de la poste pour les distribuer pour le prix de 250 fr. Quand B______ faisait le travail seul, il encaissait les clients et lui rétrocédait 10%. Quand il travaillait avec lui, F______ touchait toujours 10% car il l'amenait sur les chantiers et les deux se répartissaient le solde en fonction des heures effectuées. Ils ne faisaient pas de facture pour leurs clients, le tarif était de 20 fr. de l'heure. Comme B______ avait parfois des vêtements déchirés, il lui avait fourni une tenue de travail avec le logo de A______ SA.

Tout le personnel se rendait au dépôt le matin et F______ décidait, pour son équipe, du matériel utilisé et du travail à faire.

Le témoin déposait le matin les employés de A______ SA sur les différents chantiers et s'absentait pour acheter du matériel et livrer les autres chantiers qu'il avait organisés avec B______.

k. Le témoin K______, peintre, ami de longue date de B______, a indiqué avoir travaillé sur le chantier d’une villa à O______ [GE] de janvier à mai 2019, à proximité du chantier à L______ où travaillait B______, pour des travaux de jardinage. Il allait parfois le chercher à la fin de la journée de travail vers 17h00. Il ne l’avait pas vu avec l'uniforme de A______ SA car il se changeait avant. Le témoin ne connaissait pas le nom de l'employeur de B______; ce dernier lui avait juste dit que son patron était portugais.

l. Les parties ont persisté dans leurs conclusions dans leurs plaidoiries finales et la cause a été gardée à juger par le Tribunal le 30 octobre 2020.


 

EN DROIT

1. En l'espèce, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. de sorte que la voie de l'appel est ouverte (art. 308 CPC). L'appel a été en outre interjeté dans le délai et selon les formes prévues par la loi (art. 311 CPC), de sorte qu'il est recevable.

2. Le Tribunal a retenu que B______ avait noué avec F______ une relation contractuelle dans le cadre de laquelle il était subordonné à celui-ci : F______ fournissait à l'intimé du matériel est des vêtements et s'occupait du contact avec la clientèle. Les décomptes de l'intimé mentionnaient des chantiers à L______ et P______ [GE] qui correspondait tant à des chantiers de l'appelante qu'à ceux de F______. Ce dernier décidait sur quels chantiers l'intimé allait travailler et l'y amenait. Le fait que l'administrateur de l'appelante ait vu l'intimé sur un chantier contredisait ses allégations selon lesquelles l'intimé travaillait avec F______ sur des chantiers concurrents. Il était ainsi probable que l'intimé ignorait que F______ avait une activité concurrente de celle de l'appelante et qu'il travaillait indifféremment sur les chantiers de celle-ci et sur ceux de F______. Compte tenu du fait que ce dernier se présentait sur Linkedin comme directeur de l'appelante, qu'il avait libre accès au dépôt et au matériel de celle-ci et qu'il donnait des instructions à l'intimé, ce dernier pouvait en déduire de bonne foi qu'il avait les pouvoirs nécessaires pour l'engager comme employé de l'appelante, en tant qu'organe apparent au sens de l'art. 55 CC. En tout état de cause, même si F______ n'avait pas engagé l'appelante en tant qu'organe apparent, celle-ci était responsable des actes de celui-ci, en application de l'art. 55 CO. L'appelante devait ainsi "réparer le dommage causé" à l'intimé, lequel consistait "à payer le salaire pour le travail fourni sur la base d'un contrat de travail conclus par F______ pour le compte" de l'appelante. L'existence d'un contrat de travail étant établie, l'appelant avait droit au salaire prévu par les clauses étendues de la Convention collective secteur des parcs et jardins, pépinière et arboriculture. Sur la base des décomptes présentés par l'intimé, un montant de 68'852 fr. 50 devait lui être alloué à titre de salaire, indemnités pour jours fériés et vacances. La résiliation immédiate du contrat par l'appelante était injustifiée, de sorte l'intimé avait droit à une indemnité de 14'255 fr. 45 à ce titre.

L'appelante fait valoir que les conditions de l'art 55 CC ne sont pas réalisées. F______ n'avait aucun pouvoir d'engager un employé pour elle. L'intimé n'avait pas allégué s'être fondé sur le profil Linkedin de F______ pour considérer que celui-ci agissait comme organe de l'appelante ni que ce dernier s'était présenté comme organe de l'appelante. F______ n'avait pas l'uniforme de l'appelante au moment où il a rencontré l'intimé de sorte que celui-ci ne pouvait pas déduire de pouvoir de représentation de ce fait. L'appelante faisait essentiellement des travaux de jardinage, alors que l'intimé alléguait avoir été engagé également pour des travaux de peinture et pose de carrelage. Les conditions de l'art. 55 CO n'étaient pas réalisée car F______ n'avait pas commis d'acte illicite, ni causé de dommage à l'intimé. F______ n'avait pas non plus engagé l'appelante en application de l'art. 32 CO car il ne s'était jamais présenté comme son représentant auprès de l'intimé. En tout état de cause, l'intimé n'avait pas démontré que les éléments constitutifs d'un contrat de travail étaient réalisés, puisqu'il n'avait pas établi pour quels travaux il aurait été engagé, ni le montant du salaire convenu, pas plus que les horaires, étant relevé que les décomptes établis par ces soins n'avaient aucune force probante. Aucun témoin n'avait confirmé les allégations de l'intimé, contestées par l'appelante.

2.1.1 Selon l'art. 319 al. 1 CO, par le contrat individuel de travail, le travailleur s’engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l’employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d’après le temps ou le travail fourni.

Sauf disposition contraire de la loi, le contrat individuel de travail n’est soumis à aucune forme spéciale (art. 320 al. 1 CO).

Comme tout contrat, la conclusion d'un contrat de travail est soumise à la condition d'un échange réciproque et concordant de volonté (art. 1 CO).

En application de l'art. 8 CC, il incombe à la partie qui entend déduire des droits de l'existence d'un contrat de travail d'alléguer et de fournir la preuve de celle-ci. Il lui incombe donc de prouver l'existence d'un contrat de travail – par des déclarations de volonté explicites des parties ou par les circonstances de fait (art. 320 al. 2 CO) – de même que le montant du salaire convenu ou usuel (art. 322 al. 1 CO) ou toute autre obligation convenue dans le contrat (Wyler/Heinzer, Droit du travail, 2019, p. 73).

2.1.2 Selon l'art. 320 al. 2 CO, le contrat est réputé conclu lorsque l'employeur accepte pour un temps donné l'exécution d'un travail qui, d'après les circonstances, ne doit être fourni que contre un salaire.

Pour que la conclusion tacite d'un contrat de travail puisse être admise, il convient que soient réunis, au regard des circonstances de fait, les éléments caractéristiques essentiels du contrat de travail que sont le motif de la rémunération, le lien de subordination, l'élément de durée et la prestation de travail ou de service. Si ces éléments font défaut, faute de pouvoir qualifier la relation envisagée de contrat de travail, la présomption est inapplicable (arrêt du Tribunal fédéral 4A_504/2015 du 28 janvier 2016, consid. 2.1.2; 4A_641/2012 du 6 mars 2013, consid. 2).

L'art. 320 al. 2 CO pose deux conditions à son application : la fourniture effective de travail par le travailleur et son acceptation par l'employeur. L'acceptation doit émaner de l'employeur, conformément aux règles usuelles relatives aux pouvoirs de l'organe (formel, de fait ou apparent) (art. 55 CC) et aux règles relatives à la représentation (art. 32 CO). Ainsi, l'acceptation fait défaut lorsque l'administrateur unique d'une société anonyme ignore l'activité déployée, alors même que cette activité était connue d'autres employés ne disposant d'aucune procuration inscrite au registre du commerce et qu'ils n'ont pas porté ce fait à la connaissance de l'administrateur unique. Une acceptation tacite ne peut émaner d'une personne ne disposant d'aucun pouvoir à cet effet. Lorsque les conditions de fait, objectives, sont réalisées, le contrat de travail est conclu, sans égard à la volonté des parties (Wyler/Heinzer, op. cit, p. 60 et 61).

La présomption ne porte pas sur les circonstances de fait justifiant la conclusion tacite du contrat, lesquelles doivent être prouvées par la partie qui s'en prévaut conformément à l'art. 8 CC. Elle porte exclusivement sur la conclusion d'un contrat de travail, mais non sur son contenu. S'agissant en particulier du salaire, l'art. 322 al. 1 CO s'applique, de sorte que le salaire est fixé en tenant compte de ce qui est habituel dans la région et la branche considérée pour des travaux comparables, compte tenu de la situation personnelle des intéressés et de la période durant laquelle l'activité est développée. Le cas échéant, il y a lieu de tenir compte des prescriptions cantonales relatives au salaire minimum (Wyler/Heinzer, op. cit., p. 61 et 62).

2.1.3 A teneur de l'art. 55 al. 1 CC, la volonté d’une personne morale s’exprime par ses organes. Ceux-ci obligent la personne morale par leurs actes juridiques et par tous autres faits (al. 2).

Lorsque le représentant qui conclut le contrat manifeste agir au nom du représenté, le représenté (i.e. la SA) est lié en l'absence de pouvoirs internes conférés au représentant par le représenté, lorsque le tiers pouvait déduire l'existence de tels pouvoirs du fait du comportement du représenté dans leurs rapports externes (procuration apparente; art. 33 al. 3 CO) et en l'absence de pouvoirs internes conférés au représentant par le représenté, lorsque celui-ci a ratifié le contrat. Pour que l'art. 33 al. 3 CO soit applicable, il faut que le représentant ait agi au nom de la SA, sans avoir pour cela de pouvoirs de représentation internes (représentation sans pouvoirs), et que le tiers ait cru de bonne foi à l'existence de pouvoirs internes du représentant parce que la SA (i.e. la représentée) avait porté à sa connaissance des pouvoirs qui vont au-delà des pouvoirs qu'elle avait effectivement conférés au représentant à titre interne. L'idée est que celui qui laisse créer l'apparence d'un pouvoir de représentation est lié par les actes accomplis en son nom (ATF 146 III 37 consid. 7).

2.1.4 Selon l'art. 55 al. 1 CO, l’employeur est responsable du dommage causé par ses travailleurs ou ses autres auxiliaires dans l’accomplissement de leur travail, s’il ne prouve qu’il a pris tous les soins commandés par les circonstances pour détourner un dommage de ce genre ou que sa diligence n’eût pas empêché le dommage de se produire.

L'application de cette disposition suppose que les conditions générales de la responsabilité soient réunies. Il faut également un employeur et un auxiliaire, un acte illicite de celui-ci dans l'accomplissement de son travail et l'absence de preuve libératoire (Werrro, Commentaire romand, n. 5 – 6, ad art. 55 CO).

2.2 En l'espèce, l'intimé n'a pas établi l'existence d'un échange explicite de volonté entre lui et l'appelante portant sur la conclusion d'un contrat de travail au sens de l'art. 319 al. 1 CO. En effet, l'administrateur unique de l'appelante assure que celle-ci n'a jamais engagé l'intimé et aucun témoin ni aucune pièce produite au dossier n'attestent de ce que les parties se sont expressément mises d'accord sur tous les éléments essentiels d'un contrat de travail.

Il convient dès lors de rechercher si, en application de l'art. 320 al. 2 CO, un contrat de travail a été tacitement conclu entre les parties, ce qui implique que l'intimé établisse que l'appelante a accepté, pour un temps donné, l'exécution d'un travail qui, d'après les circonstances, ne devait être fourni que contre un salaire.

Or, la Cour constate que l'intimé n'a pas établi avoir effectivement fourni du travail à l'appelante.

En effet, les décomptes d'heures produits par l'intimé, lesquels ne sont pas signés par l'appelante, n'ont pas valeur de preuve, puisqu'il s'agit de simples allégations de sa part. Aucun témoin n'a confirmé que l'intimé avait réellement effectué, comme il l'allègue, des travaux de peinture, carrelage et jardinage pour le compte de l'appelante.

Contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, aucun élément probant n'établit notamment que les chantiers mentionnés par les décomptes de l'intimé "correspondent tant à des chantiers de" l'appelante "qu'à des chantiers personnels de F______". Aucun nom de client, ni adresse de chantier ne figure d'ailleurs sur ces décomptes.

Le témoin K______, cité par l'intimé, a déclaré avoir vu celui-ci travailler sur un chantier à L______, mais il n'est pas prouvé que ce travail était effectué pour le compte de l'appelante. L'intimé n'a en particulier pas dit au témoin qu'il travaillait pour celle-ci, mais uniquement que son patron était portugais, ce qui permet plutôt de retenir qu'il estimait que son patron était F______, et non l'appelante.

Ce qui précède est corroboré par le fait que le nom de l'intimé figure, avec celui de F______, sur les cartes de visite dont l'appelante a produit un exemplaire et qui indiquent que ce dernier et l'intimé offraient de services de petits travaux de maçonnerie et jardin, sans qu'il ne soit fait mention de la raison sociale de l'appelante.

Au sujet de ces cartes de visites, qui ne mentionnent pas le nom de l'appelante, l'intimé a déclaré qu'il ne les avait pas faites, mais il n'a pas allégué que son nom y figurait sans son accord. Il a d'ailleurs précisé lors de son audition par le Tribunal que la carte de visite correspondait à la carte "personnelle" de F______, ce qui implique qu'il a vu celle-ci, et qu'elle ne mentionne pas non plus le nom de l'appelante. Cela constitue un indice tendant à confirmer le fait que F______ et l'intimé ont entrepris une activité telle que décrite sur la carte de visite en question et ce sans que l'appelante ne soit concernée par cette activité.

Le seul élément un tant soit peu probant fourni par l'intimé à l'appui de ses allégations est la photographie le montrant en train de jardiner, revêtu d'un habit de travail portant le logo de l'appelante. Cependant, au vu de autres circonstances du cas, ce seul élément ne suffit pas à établir que l'intimé a réellement effectué pour le compte de l'appelante, l'activité dont il se prévaut.

En effet, les explications de celle-ci, selon lesquelles cette tenue lui a été fournie par F______, à son insu, dans le cadre de son activité parallèle - dont l'existence est rendue vraisemblable par la production de la carte de visite - sont plausibles. Au vu de cette contestation motivée de la part de l'appelante, il incombait à l'intimé, qui a la charge de la preuve de l'existence d'un contrat de travail, d'apporter des éléments concrets permettant de retenir que la tenue de travail figurant sur la photo avait réellement été portée dans le cadre d'une activité suivie, effectuée pour le compte de l'appelante. Dans ce cadre, il aurait notamment pu requérir l'audition de "I______", la personne ayant pris la photographie d'après ses affirmations, ce qu'il n'a pas fait.

Il résulte de ce qui précède que l'intimé n'a pas apporté la preuve qui lui incombait qu'il a effectivement fourni une activité pour le compte de l'appelante.

Même à supposer que l'intimé ait établi avoir exercé une activité pour le compte de l'appelante, ce qui n'est pas le cas, l'intimé n'a pas démontré que l'appelante était au courant de cette activité et l'a accepté, au sens de l'art. 320 al. 2 CO.

Rien ne prouve en effet que l'administrateur unique de l'appelante était au courant de l'éventuelle présence de l'intimé sur les chantiers de celle-ci. Le seul fait que E______, soit le frère de F______, qui, selon l'intimé, avait connaissance de son activité, n'est, en l'absence d'autre élément de preuve, pas déterminant, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal. Aucun élément du dossier n'établit la réalité de la constatation du Tribunal selon laquelle l'administrateur de l'appelante a vu l'intimé sur un chantier, étant souligné que ledit administrateur a affirmé qu'il ne travaillait pas personnellement sur les chantiers.

Aucun élément du dossier n'atteste par ailleurs de ce que F______ se serait présenté à l'intimé comme ayant le pouvoir de l'engager comme employé de l'appelante.

L'intimé n'a jamais allégué avoir consulté LinkedIn avant son prétendu engagement ni avoir été induit en erreur de ce fait. Le fait que F______ se soit présenté, à tort, sur LinkedIn comme étant directeur de l'appelante, n'est ainsi pas déterminant.

Par ailleurs, les conditions d'application de l'art. 55 CO ne sont pas réalisées en l'espèce, dans la mesure notamment où l'intimé pas allégué, ni démontré, avoir subi un dommage en raison d'un acte illicite qui aurait été commis par un auxiliaire de l'appelante.

Il résulte de ce qui précède que l'intimé n'a pas établi avoir exercé une activité pour le compte de l'intimée et n'a pas, a fortiori, démontré que cette activité avait été fournie sur la base d'un contrat de travail.

Le jugement querellé sera par conséquent annulé et l'intimé sera débouté de toutes ses prétentions.

3. Au regard de la valeur litigieuse, il n'y a pas lieu à perception de frais judiciaires (art. 69 RTFMC) ni à l'allocation de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 1 :


A la forme
:

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ SA contre le jugement JTPH/83/2021 rendu le 9 mars 2021 dans la cause C/26489/2019.

Au fond :

Annule le jugement précité et, statuant à nouveau:

Déboute B______ de toutes ses conclusions à l'encontre de A______ SA.

Dit que la procédure est gratuite et qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur
Pierre-Alain L'HÔTE, juge employeur; Monsieur Yves DUPRE, juge salarié;
Madame Chloé RAMAT, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.