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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/17609/2019

CAPH/185/2021 du 23.09.2021 sur JTPH/376/2020 ( OO ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 05.11.2021, rendu le 20.12.2022, REJETE, 4A_561/2021
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17609/2019-5 CAPH/185/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 23 septembre 2021

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 18 novembre 2020 (JTPH/376/2020), comparant par Me Manuel BOLIVAR, avocat, rue des Pâquis 35, 1201 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Madame B______, domiciliée ______, France, intimée, comparant par Me Michel BOSSHARD, avocat, rue De-Candolle 16, 1205 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.


EN FAIT

A.Par jugement JTPH/376/2020 du 18 novembre 2020, reçu par les parties le 23 novembre 2020, le Tribunal des prud'hommes a notammentdébouté A______ des fins de sa demande en tant qu’elle était est dirigée contre C______ (ch. 2 du dispositif), condamné B______ à verser à A______ la somme nette de 10'870 fr.10 avec intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 26 août 2016 (ch. 3), débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 4) et statué sur les frais de la procédure (ch. 5 à 10).

B. a. Le 8 janvier 2021, A______ a formé appel de ce jugement, concluant à ce que la Cour annule les ch. 3, 4, 6 et 7 de son dispositif et condamne B______ à lui verser 143'730 fr. bruts, sous déduction de 69'584 fr. plus intérêts à 5% dès le 1er avril 2015 et 4'834 fr. 80 bruts plus intérêts à 5% dès le 25 août 2016 à titre de paiement du salaire, 4'029 fr. bruts avec intérêts à 5% dès le 25 août 2016 à titre d'indemnité pour licenciement immédiat injustifié, 6'052 fr. 10 avec intérêts à 5% dès le 25 août 2016 à titre de remboursement de la quote-part et de la franchise de l'assurance-maladie et confirme le jugement querellé pour le surplus, le tout avec suite de frais et dépens.

b. Par ordonnance reçue par B______ le 13 avril 2021, la Cour a imparti à cette dernière un délai de 30 jours pour répondre à l'appel.

La demande de prolongation de délai déposée par celle-ci a été rejetée, au motif que les délais légaux ne pouvaient pas être prolongés.

c. Le 14 mai 2021, B______ a conclu à ce que la Cour déclare l'appel irrecevable, subsidiairement le rejette, avec suite de frais et dépens. Elle a formé un appel-joint, concluant à ce que la Cour annule les chiffres 3, 6 et 7 du dispositif du jugement querellé et déboute sa partie adverse de toutes ses conclusions.

Ni la réponse à l'appel, ni l'appel-joint ne comportent de motivation.

d. Le 31 mai 2021, B______ a déposé un mémoire complémentaire sur appel et appel-joint.

Cette écriture a été déclarée irrecevable par arrêt de la Cour du 10 juin 2021.

e. Le 4 juin 2021, A______ a conclu à ce que la Cour déclare irrecevable la réponse et l'appel-joint déposés par sa partie adverse.

f. Les parties ont été informées le 13 juillet 2021 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. B______, fonctionnaire ______ auprès de la Mission permanente du D______ à Genève, a engagé A______, ressortissante ______, en qualité de domestique privée au sens de l’ordonnance sur les domestiques privés du 6 juin 2011 (ODPr), à partir du 1er août 2013.

A______ travaillait déjà pour B______ lorsque celle-ci habitait à E______ [France], avant de venir résider à Genève.

Le contrat a été établi sur la base du formulaire modèle fourni par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).

Le salaire mensuel convenu était de 1’200 fr. net, versé treize fois par an (article 5) pour 45 heures de travail hebdomadaire maximum (article 10.1).

L’employée devait s’occuper des tâches ménagères, de la cuisine, de la garde des enfants et du blanchissage (article 2).

L’employeur fournissait une nourriture saine et suffisante représentant trois repas par jour et dont la valeur AVS était de 645 fr. (article 6) ainsi qu’une chambre privée à son domicile (valeur AVS 345 fr., article 7). Il prenait en charge l’ensemble des primes et frais éventuels, ainsi que les frais de participation pour l’assurance-maladie de l’employé (article 8.3).

Les parties tenaient un décompte des heures de travail effectuées signé. Les heures supplémentaires étaient en principe compensées par un congé et, à défaut, payées avec une majoration de 25% (article 10.4).

Le contrat pouvait être résilié par écrit, après la période d’essai, pour la fin d’un mois moyennant un délai de congé d’un mois pendant la première année de service, de deux mois après la deuxième année de service (article 12.2.2).

Le lieu de travail était à Genève.

b. Suite à la signature de ce contrat, A______ a été mise au bénéfice d’une carte de légitimation de type F, délivrée par la Confédération suisse.

c. Par courrier du 15 juillet 2016, A______ a démissionné de son poste avec effet au 30 septembre 2016.

d. A compter du 4 août 2016, elle a été en incapacité de travail pour cause de maladie, d’abord jusqu’au 22 août 2016, puis prolongée régulièrement jusqu’au 10 février 2017.

e. L’employée a retiré sa démission par courrier du 10 août 2016 faisant valoir qu'au moment de sa notification, elle se trouvait dans un état de détresse et en incapacité de travail, ce qui ne lui permettait pas de se rendre compte des conséquences de son acte.

f. Le 25 août 2016, B______ a résilié avec effet immédiat le contrat de travail de son employée dès lors que son certificat d’arrêt de travail arrivait à échéance le 22 août 2016, qu’elle n’avait présenté aucun nouveau certificat médical ni donné de nouvelles alors qu’elle était attendue le 23 août 2016 et que rien ne justifiait son absence sur son lieu de travail.

g. Le 16 octobre 2019, suite à l'échec de la tentative de conciliation du 26 septembre 2019, A______ a notamment assigné B______, en paiement de 172'304 fr. sous déduction de la somme nette de 69'584 fr. avec intérêts moratoires moyens à 5% l’an dès le 1er avril 2015. Ladite somme se décompose comme suit : 143'730 fr. brut, à titre de salaire minimum, sous déduction de 69'584 fr.; 27'911 fr. 70 brut, à titre de salaire en nature; 20'145 fr. brut, à titre de salaire pour la période du 25 août 2016 au 31 janvier 2017; 4'400 fr. brut, à titre de paiement des heures supplémentaires et 4'029 fr. net, à titre d’indemnité pour licenciement immédiat injustifié.

A______ a notamment fait valoir que l'art. 43 ODPr, prévoyant un salaire minimum en espèces de 1'200 fr. était inapplicable en l'espèce, car il violait le principe de l'égalité de traitement (art. 8 Cst), dans la mesure où ce salaire était inférieur au salaire prévu par le contrat-type genevois de travail pour l'économie domestique (CTT-Edom). Les domestiques privés étrangers et non-européens étaient ainsi placés dans une situation financière différente de celle des domestiques privés suisses et européens, alors qu'aucun motif ne justifiait cette différence de traitement. A______ avait dès lors droit à une rémunération mensuelle calculée sur la base du salaire prévu par la CTT-Edom, variant entre 3'900 fr. par mois en janvier 2013 et 4'029 fr. par mois dès le 1er janvier 2016.

B______ a conclu au déboutement de A______ de toutes ses conclusions.

h. Le 25 août 2020, à l’issue de l’administration des preuves, les parties ont plaidé et le Tribunal a gardé la cause à juger.

 

EN DROIT

1. 1.1 L'appel, écrit et motivé, formé dans les trente jours, est recevable contre les décisions finales de première instance, lorsque la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308, 311 CPC).

La motivation de l'appel doit indiquer en quoi la décision de première instance est tenue pour erronée. La partie appelante ne peut pas simplement renvoyer à ses moyens de défense soumis aux juges du premier degré, ni limiter son exposé à des critiques globales et superficielles de la décision attaquée. Elle doit plutôt développer une argumentation suffisamment explicite et intelligible, en désignant précisément les passages qu'elle attaque dans la décision dont est appel, et les moyens de preuve auxquels elle se réfère (arrêt du Tribunal fédéral 4A_274/2020 du 1er septembre 2020 consid. 4)

Les exigences susmentionnées quant à la motivation de l’appel sont applicables par analogie à la réponse à l’appel. L'intimé n'est pas obligé de se déterminer sur l’appel. S’il ne dépose pas de réponse, l’instance d’appel peut en principe statuer sur la base du dossier ou assigner des débats (ATF 144 III 394 consid. 4.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_659/2011 du 7 décembre 2011 consid. 3).

1.2 En l'espèce, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. de sorte que la voie de l'appel est ouverte. L'appel a été en outre interjeté dans le délai et selon les formes prévues par la loi (art. 311 CPC), de sorte qu'il est recevable.

La réponse à l'appel ne contient aucune motivation, de sorte que la Cour statuera sur la base du dossier.

L'appel-joint a quant à lui été déclaré irrecevable par arrêt du 10 juin 2021, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'y revenir.

1.3 La Chambre de céans revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

2. Le Tribunal a considéré qu'il était douteux qu'il puisse examiner à titre préjudiciel la constitutionnalité de l'art. 43 ODPr. Il a néanmoins relevé que cette ordonnance avait été adoptée par le Conseil fédéral conformément à la compétence qui lui avait été déléguée par la Loi fédérale sur l'Etat hôte du 22 juin 2007 (LEH). La lecture des travaux préparatoires permettait de comprendre que le législateur avait pris en compte les différences et particularités des situations des employés de maison engagés par les fonctionnaires internationaux par rapport aux employés de maison "ordinaires". L'ODPr, subsidiairement le CO, étaient donc bien applicables aux rapports de travail entre les parties, de sorte que les prétentions de l'appelante en lien avec le CTT-Edom devaient être rejetées.

Le Tribunal a par ailleurs retenu que l'appelante, qui avait été licenciée avec effet immédiat de manière injustifiée, avait droit à 2'628 fr. à titre de salaire pour la période du 25 août 2015 au 30 septembre 2016 et à 2'190 fr. à titre d'indemnité pour licenciement immédiat injustifié. A ces montant s'ajoutaient 6'052 fr. 10 dus au titre de participation aux primes et coûts d'assurance maladie.

L'appelante fait valoir que le Tribunal a violé son droit d'être entendue dans la mesure où il n'a pas suffisamment motivé sa décision d'appliquer l'art. 43 ODPr aux relations de travail entre les parties, en dépit du fait qu'elle avait relevé le caractère discriminatoire et inconstitutionnel de ladite disposition légale. Sur le fond, elle relève que, en raison de son origine, elle recevait un salaire nettement inférieur à celui perçu par les employés domestiques de nationalité suisse ou d'un Etat membre de l'Union européenne, sans que cette différence de traitement ne soit justifiée par des motifs objectifs suffisants. Il ressortait des statistiques du DFAE que seule une petite minorité de domestiques privés auxquels avaient été délivrée une carte de légitimation provenaient de pays européens. Ainsi, l'ODPr, qui prévoyait un salaire minimum inférieur à celui prévu par la CTT-Edom était applicable quasi exclusivement à des ressortissants de pays extra-européen. Il en résultait que l'appelante, était, en raison de son origine et de sa nationalité, payée moins que les employés domestiques suisses ou européens, ce qui était contraire au principe de l'égalité de traitement prévu par l'art. 8 al. 1 Cst ainsi qu'aux articles 14 et 4 CEDH. Le Tribunal aurait dû refuser d'appliquer l'art. 43 ODPr à l'appelante et appliquer, en lieu et place, la CTT-Edom.

2.1.1 La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu, consacré par l'art. 29 al. 2 Cst., le devoir pour le juge de motiver sa décision, afin que le justiciable puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et exercer son droit de recours à bon escient. Pour répondre à ces exigences, le juge doit mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 138 IV 81 consid. 2.2). Les parties doivent pouvoir connaître les éléments de fait et de droit retenus par le juge pour arriver au dispositif. Une motivation insuffisante constitue une violation du droit d'être entendu (ATF 139 IV 179 consid. 2.2; 138 IV 81 consid. 2.2; 133 III 235 consid. 5.2).

Une violation du droit d'être entendu qui n'est pas particulièrement grave peut être exceptionnellement réparée devant l'autorité de recours lorsque l'intéressé jouit de la possibilité de s'exprimer librement devant une telle autorité disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité précédente sur les questions qui demeurent litigieuses (ATF 136 III 174 consid. 5.1.2; 133 I 201 consid. 2.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_126/2018 du 14 septembre 2018 consid. 5 et 6; 5A_897/2015 du 1er février 2016 consid. 3.2.2), et qu'il n'en résulte aucun préjudice pour le justiciable (ATF 136 III 174 consid. 5.1.2 a contrario).

2.1.2 La juridiction constitutionnelle suisse consacre de façon générale le système diffus de contrôle de constitutionnalité. Toute autorité chargée de l'application des normes doit examiner si celles-ci sont conformes au droit supérieur et, si tel n'est pas le cas, refuser de les mettre en œuvre. Concernant les ordonnances fédérales, le contrôle se fait à l'occasion d'un recours dirigé contre un acte d'application individuel et concret. En cas d'admission du recours, le juge ne pourra pas annuler l'ordonnance qu'il estime inconstitutionnelle ou non conforme à la loi. Il refusera simplement de l'appliquer et cassera la décision fondée sur elle. Il appartiendra ensuite à l'auteur de l'ordonnance, soit au Conseil fédéral, de la modifier pour rétablir une situation conforme (Auer, Malinverni, Hottelier, Droit constitutionnel suisse, 2013, tome I, n. 1956 p. 665 et n. 1967 p. 668).

2.1.3 Selon l'art. 8 al. 1 Cst, tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique (al. 2).

L'art. 14 CEDH consacre le principe de non-discrimination. Son champ d'application est réduit par rapport à l'art. 8 Cst., dans la mesure où il n'a pas de portée indépendante mais se limite à interdire toute discrimination dans la jouissance des droits et libertés garantis par la CEDH. Cette disposition est autonome, dans le sens où elle peut être violée, si elle est combinée avec un article de la CEDH consacrant un droit (Auer, Malinverni, Hottelier, op. cit., tome II, n. 1018 à 1020 p. 476). L'art. 4 CEDH prévoit quant à lui que nul ne peut être tenu en esclavage ni contraint à effectuer un travail forcé.

La protection de l'égalité (art 8 Cst.) et celle contre l'arbitraire (art. 9 Cst.) sont étroitement liées. Une décision est arbitraire lorsqu'elle ne repose pas sur des motifs sérieux et objectifs ou n'a ni sens ni but. Elle viole le principe de l'égalité de traitement lorsqu'elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu'elle omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce qui est semblable n'est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l'est pas de manière différente. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 129 I 113 consid. 5.1, 346 consid. 6). L'inégalité de traitement apparaît ainsi comme une forme particulière d'arbitraire consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l'être de manière semblable ou inversement (ATF 129 I 346 consid. 6). 

Même si le droit à l'égalité appartient à toute personne, cela ne signifie cependant pas que le critère de la nationalité ne puisse pas fonder objectivement certaines différences de traitement. Selon la jurisprudence, la qualité d'étranger ne peut toutefois justifier de telles différences que si la nationalité suisse joue un rôle capital dans la réglementation en cause (Auer, Malinverni, Hottelier, op. cit., tome II, n. 1029 p. 479).

Le Tribunal fédéral a en particulier jugé que des différences de conditions d'engagement de travailleurs étrangers, fondées sur des différences de provenance des personnes intéressées et résultant des dispositions du droit fédéral en matière de police des étrangers, trouvant leur source dans un intérêt public prépondérant, étaient admissibles (arrêt du Tribunal fédéral 2P.183/2004 du 2 février 2005 consid. 5).

2.1.4 Selon l'art. 49 Cst, le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire.

A teneur de la jurisprudence, ce principe implique que la législation fédérale l'emporte sur la réglementation cantonale, quel que soit leur niveau respectif, que les cantons ne peuvent pas édicter de règle contraire au droit fédéral et qu'ils ne sont pas habilités à légiférer dans les domaines réglés exclusivement dans la législation fédérale ou à intervenir dans les matières que le législateur fédéral a entendu réglementer de façon exhaustive (Auer, Malinverni, Hottelier, op. cit., tome I, n. 1083 p. 371).

2.1.5 Selon un principe bien établi du droit international, il revient au droit interne d'accorder à un ressortissant étranger le droit d'entrer, de séjourner ou de s'établir sur le territoire national tout comme le droit de ne pas en être éloigné. Cette faculté qu'ont les Etats de réglementer l'immigration constitue l'un des attributs premiers de leur souveraineté (Auer, Malinverni, Hottelier, op. cit., tome I, n. 421 p. 137).

L'art. 121 al. 1 Cst prévoit ainsi que la législation sur l’entrée en Suisse, la sortie, le séjour et l’établissement des étrangers relève de la compétence de la Confédération. Edictée en application de cette disposition, la Loi sur les étrangers et l'intégration (LEI) règle les conditions applicables à l’entrée en Suisse, à la sortie de Suisse, au séjour des étrangers et au regroupement familial.

La souveraineté de la Confédération en matière de droit des étrangers est limitée par les relations internationales de la Suisse, comme par exemple l'Accord passé avec la Communauté européenne et ses Etats membres (ALCP) (Auer, Malinverni, Hottelier, op. cit., tome I, n. 422 p. 138).

Les membres des représentations diplomatiques et des organisations internationales ne sont pas soumis au droit ordinaire des étrangers. Ce sont les règles issues du droit international diplomatique et consulaire ainsi que des accords de siège conclus entre le Conseil fédéral et les différentes organisations internationales qui réglementent la matière (Auer, Malinverni, Hottelier, op. cit., tome I, n. 502 p. 162).

D'après le Message du Conseil fédéral, la LEH a pour objectif de donner au Conseil fédéral les moyens d’une politique d’Etat hôte cohérente, transparente et prospective, visant au maintien de la «Genève internationale» – comprise au sens large, au-delà de la région lémanique proprement dite, c’est-à-dire y compris Berne (UPU et OTIF) et Bâle (BRI) – et à un développement harmonieux du rôle de la Suisse en tant qu’Etat hôte, en tenant compte des obligations découlant pour la Suisse des conventions internationales. Il n’est en effet pas possible de soumettre une organisation internationale, dont sont membres des Etats, à toutes les dispositions du droit national de l’Etat où elle a son siège. S’il en était autrement, cet Etat serait en mesure d’intervenir de façon directe ou indirecte dans l’activité de l’organisation. A l’honneur qu’un Etat a d’accueillir sur son territoire une organisation internationale, correspond donc l’obligation, consacrée par le droit des gens, de la mettre en mesure d’exercer son activité avec toute l’indépendance nécessaire. La communauté internationale a ainsi, au cours des décennies, mis en place une pratique constante visant à accorder aux organisations intergouvernementales et autres structures internationales établies sur leur territoire des privilèges, immunités et facilités destinés à leur permettre d’exercer le mandat international qui leur a été attribué sans que l’Etat hôte ne puisse l’influencer d’une quelconque manière (Message du Conseil fédéral relatif à la loi fédérale sur les privilèges, les immunités et les facilités, ainsi que sur les aides financières accordés par la Suisse en tant qu’Etat hôte, FF 2006 p. 7615 (ci-après "Message 2006")).

La LEH prévoit ainsi, dans le domaine de la politique d'Etat hôte, l'octroi de privilèges, d'immunités et de facilités aux membres de différents organismes internationaux ainsi qu'aux personnes autorisées à les accompagner, y compris les domestiques privés (art. 2 LEH). Ces privilèges comprennent notamment l'exemption des prescriptions relatives à l'accès et au séjour en Suisse (art. 3 al. 1 let. i LEH) et les facilités comprennent les modalités d'accès au marché du travail pour les domestiques privés autorisés à accompagner les membre des organismes internationaux (art. 3 al. 1 let. i et al. 2 let. a LEH).

Il incombe au Conseil fédéral de régler l’entrée en Suisse, la sortie de Suisse, l’admission et le séjour des personnes bénéficiaires de privilèges, d’immunités et de facilités visées à l’art. 2 al. 2 de la LEH (art. 98 al. 2 LEI). Le Conseil fédéral a notamment la compétence de régler les conditions de travail en Suisse des personnes bénéficiaires précitées, notamment en fixant des salaires minimaux (art. 27 LEH).

Les conditions d'entrée, de séjour et de travail des domestiques privés des personnes bénéficiaires de privilèges, d'immunités et de facilités sont régie par l'ODPr.

Cette ordonnance n'est pas applicable aux domestiques privés de nationalité suisse, ni aux étrangers titulaires d'une autorisation de séjour ou d'établissement. Elle n'est applicable aux ressortissants d'un état membre de l'Union européenne que si l'ALCP n'en dispose pas autrement ou si l'ODPr prévoit des dispositions plus favorables pour le domestique (art. 1 al. 3 et 4 ODPr).

Si les conditions prévues par l'ODPr sont réalisées, le DFAE délivre au domestique privé un titre de séjour (carte de légitimation de "type F") (art. 23 ODPr).

Conformément à l'art. 2 al. 2 ODPr, le domestique privé est engagé par l'employeur sur la base d'un contrat de travail de droit privé. L'art. 28 ODPr précise que les relations de travail sont régies par le droit suisse, en particulier par l'ODPr et le CO (al. 1) et que le contrat de travail ne peut déroger aux dispositions de l'ODPr au détriment du domestique privé (al. 2; cf. également art. 10 al. 2 3ème phrase ODPr). Il doit s'agir d'un contrat écrit, établi selon le modèle rédigé par le DFAE, dont la signature conditionne la délivrance de l'autorisation d'entrée et de la carte de légitimation du domestique privé. Les conditions de travail et de salaire font l'objet des art. 28 à 53 ODPr. L'art. 43 al. 1 ODPr prescrit un salaire mensuel net en espèces de 1'200 fr. au minimum, le salaire en nature et les autres éléments à charge de l'employeur étant décrits à l'art. 44 ODPr. L'art. 45 ODPr prévoit l'exonération fiscale du domestique privé.  

Le Tribunal fédéral a récemment confirmé que les conditions de travail d'un domestique privé au sens de l'OPDr sont exclusivement régies par cette ordonnance, à l'exclusion de la CTT-Edom. En effet ce sont précisément les difficultés occasionnées par la pluralité de réglementations cantonales qui ont conduit le Conseil fédéral à proposer une solution permettant un régime uniforme en Suisse, que le canton de Genève en particulier appelait de ses voeux: donner au Conseil fédéral la compétence exclusive d'édicter des contrats-types de travail ou de régler d'une autre manière les conditions de travail des domestiques privés relevant du droit spécial des étrangers (Message 2006, p. 7659). L'ODPr est ainsi une norme spéciale qui prévaut sur les CTT que les cantons sont tenus d'édicter pour le personnel de maison en vertu de la règle générale de l'art. 359 al. 2 CO (arrêt du Tribunal fédéral 4A_526/2020 du 26 juillet 2021 consid. 4.2).

Selon le Message 2006, les dispositions de l'ODPr visent notamment à assurer aux domestiques privés des conditions correctes de travail, de logement, de salaire et de sécurité sociale. Il est relevé à titre d'exemple que, si le contrat-type du canton de Genève prévoit un salaire minimum obligatoire, il ne tient pas compte d'éventuelles prestations supplémentaires que l'employeur pourrait verser au domestique privé, telles que la prise en charge des frais de retour au pays à l'occasion des vacances ou à la fin de l'engagement, ou le paiement des frais médicaux (Message 2006, p. 7659).

2.2 En l’espèce, contrairement à ce que soutient l'appelante, le Tribunal a examiné à son considérant 3 son argument selon lequel l'art. 43 ODPr ne devait pas être appliqué in casu car il était contraire au principe de l'égalité.

Il est vrai que cet argument a été écarté au terme d'un examen particulièrement concis, mais, à supposer que cet état de fait constitue une violation du droit d'être entendu de l'appelante, celle-ci peut être réparée devant la Cour, qui dispose d'un pouvoir d'examen complet. Il n'y a par conséquent pas lieu de renvoyer la cause au Tribunal pour ce motif.

Sur le fond, l'appelante fait valoir que l'article 43 ODPr ne devrait pas lui être appliqué du fait de sa contrariété au principe d'égalité, car les employés soumis à la CTT-Edom touchent une rémunération plus élevée que celle prévue par l'ordonnance précitée, pour un travail identique. Ce faisant, l'appelante perd de vue que, selon l'art. 49 Cst, c'est le droit fédéral qui prime le droit cantonal, et non l'inverse.

Le Tribunal a récemment confirmé que les conditions de travail des domestiques privés engagés par les membres des représentations diplomatiques, tels que l'intimée, étaient exhaustivement régies par le droit fédéral, et qu'il n'y avait pas de place pour une législation cantonale divergente. Les dispositions de la CTT-Edom ne sauraient ainsi être invoquées dans la présente cause pour faire échec à la réglementation fédérale.

En vertu du principe de la primauté du droit fédéral, les dispositions de la CTT-Edom qui divergent des règles fédérales ne peuvent subsister que pour les rapports de travail qui ne sont pas régis par l'ODPr.

Cet état de fait, conforme au principe du fédéralisme, ne consacre pas une inégalité de traitement inadmissible au regard de l'art. 8 Cst.

En effet, il est constant que, dans le domaine du droit des étrangers, il peut exister des différences de statuts en fonction de la nationalité de la personne concernée, différences qui découlent notamment de considérations d'intérêt public résultant des obligations internationales contractées par la Suisse et de ses objectifs de politique migratoire.

L'appelante, en tant que ressortissante ______ employée d'une fonctionnaire diplomatique ______, a bénéficié, en application des dispositions de la LEH et de l'ODPr, de conditions d'entrée en Suisse facilitées par rapport aux autres ressortissants ______, du fait des privilèges octroyés par la Suisse aux diplomates, conformément à la politique d'Etat hôte.

Dans ce cadre, le fait que les conditions de rémunérations prévue par l'art. 43 ODPr, lui soient applicables, à l'instar des autres dispositions de cette ordonnance autorisant son séjour en Suisse, ne constitue pas une inégalité de traitement. Le statut juridique auquel l'appelante est soumise, lequel résulte des dispositions de droit fédéral en matière de police des étrangers et de relations diplomatiques, trouve sa source dans les considérations d'intérêt public prépondérant qui ont motivé l'adoption de la LEH et de l'ODPr, lesquelles ont été exposées ci-dessus. Des différences de traitement fondées sur des considérations de ce type sont admissibles, selon le Tribunal fédéral.

Le fait que les ressortissants suisses et ceux de l'Union européenne ne soient pas soumis aux mêmes conditions de travail que l'appelante, ressortissante d'un Etat tiers, ne constitue par une discrimination inadmissible, car leur situation du point de vue du droit des étrangers est différente. Les ressortissants suisses n'ont pas besoin d'obtenir une autorisation pour séjourner et travailler dans leur pays et les ressortissants de l'Union européenne peuvent invoquer les dispositions de l'ALCP qui leur confèrent des droits particuliers, dont ne bénéficie pas l'appelante.

L'appelante ne soutient par ailleurs pas qu'elle aurait été traitée différemment des autres employés de diplomates ressortissant d'Etats tiers.

Le fait que, selon les statistiques produites par l'appelante, seule une minorité des domestiques privés auxquels une carte de légitimation a été délivrée provienne de pays de l'Union européenne est quant à lui dénué de pertinence.

A cela s'ajoute que les buts ayant justifié l'adoption de l'ODPr ne sont ni inconstitutionnels, ni discriminatoires. Cette ordonnance vise à garantir aux domestiques des membres des représentations diplomatiques étrangères des conditions de travail appropriées, tout en veillant à conserver un cadre favorable permettant de développer le rôle de la Suisse en tant qu'Etat hôte.

Le fait que le montant du salaire minimum retenu pour l'ensemble de la Suisse diffère du salaire minimum fixé par les autorités genevoises se justifie au regard des impératifs de politique législative dont le Conseil fédéral a tenu compte. Ces impératifs sont différents de ceux pris en compte par les autorités cantonales dans le cadre de l'adoption de la CTT-Edom, étant souligné que, contrairement au Conseil fédéral, les autorités cantonales ne sont pas chargées de mener à bien la politique étrangère de la Suisse (art. 54 Cst).

L'appelante ne conteste d'ailleurs pas qu'il est nécessaire, comme le précise le Message du Conseil fédéral, de prévoir une réglementation unifiée pour tous les domestiques de diplomates en Suisse. Elle ne saurait cependant prétendre à ce que le salaire fixé par les autorités genevoises soit imposé dans toute la Suisse, en lieu et place de celui fixé par le Conseil fédéral, ce qui serait contraire au principe de la primauté du droit fédéral.

Enfin, contrairement à ce que fait valoir l'appelante, l'on ne saurait considérer que ses conditions de travail, telles que prévues par l'ODPr, contreviennent à l'interdiction de l'esclavage et du travail forcé au sens de l'art. 4 CEDH.

Il résulte de ce qui précède que le Tribunal a à juste titre examiné les prétentions de l'appelante au regard des dispositions de l'ODPr, puisque la CTT-Edom ne lui était pas applicable.

L'appelante ne formant par ailleurs aucun autre grief motivé à l'encontre des considérants du Tribunal, le jugement querellé sera confirmé.

3. Les frais judiciaires d'appel, arrêtés à 1'000 fr., seront mis à la charge de l'appelante qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Dans la mesure où elle bénéficie de l'assistance judiciaire, ces frais seront provisoirement pris en charge par l'Etat de Genève, qui pourra en réclamer le remboursement ultérieurement (art. 123 CPC).

Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 5 :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé par A______ contre le jugement JTPH/376/2020 du 18 novembre 2020 du Tribunal des prud'hommes dans la cause C/17609/2019.

Au fond :

Confirme le jugement querellé.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Met provisoirement à la charge de l'Etat de Genève les frais judiciaires d'appel, arrêtés à 1'000 fr.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Madame Anne-Christine GERMAIER, juge employeur; Monsieur Willy KNOPFEL, juge salarié; Madame Chloé RAMAT, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.