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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/8537/2019

CAPH/137/2021 du 27.07.2021 sur JTPH/10/2021 ( OS ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/8537/2019-4 CAPH/137/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 27 JUILLET 2021

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 13 janvier 2021 (JTPH/10/2021), comparant par Me Robert HENSLER, avocat, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, France, intimé, comparant par le Syndicat C______, ______ [GE], au sein duquel il fait élection de domicile.


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/10/2021 rendu le 13 janvier 2021, notifié aux parties le lendemain, le Tribunal des prud'hommes a, statuant par voie de procédure simplifiée, déclaré recevable la demande en paiement formée le 23 septembre 2019 par B______ contre A______ SA et condamné celle-ci à lui verser la somme brute de 15'537 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er novembre 2016.

B.            a. Par acte expédié le 17 février 2021, A______ SA a formé appel de ce jugement dont elle sollicite l'annulation. Elle conclut à l’irrecevabilité de la demande, formée contre sa succursale et, subsidiairement, à son rejet.

b. B______ a conclu à la confirmation de la décision entreprise.

c. L’appelante a répliqué et l’intimé n'a pas dupliqué.

d. Par avis du 10 mai 2021, les parties ont été informées de ce que la cause avait été gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. A______ SA est une société anonyme de droit suisse inscrite au registre du commerce de D______, lieu de son siège, dont le but est d’organiser et d’effectuer, à son siège et dans d'autres localités, des services de surveillance. Elle dispose de nombreuses succursales en Suisse, dont une à Genève, sise 1______.

b. B______, ressortissant français domicilié en France, et A______ SA, direction générale de Genève, ont signé un premier contrat de travail pour le personnel en uniforme rétribué à l'heure le 28 décembre 2011, avec entrée en fonction le 1er janvier 2012, lequel a été renouvelé en juin 2012.

c. Par contrat de travail pour le personnel en uniforme rétribué au mois, du 19 décembre 2014, intégrant la convention collective de travail GAV-VSSU, A______ SA, direction régionale de Genève, a engagé B______ pour une durée indéterminée dès le 1er février 2015, en qualité d’agent de sécurité, pour un salaire mensuel de base de 3'276 fr. 91. Ce contrat stipulait que, dans certains cantons dont Genève fait partie, les agents de sécurité devaient avoir une autorisation cantonale et que, s’ils ne remplissaient plus les conditions nécessaires à son obtention, ils ne pouvaient plus travailler et leur contrat était suspendu, y compris le droit au salaire, jusqu’à la délivrance d'une nouvelle autorisation ou la résiliation des rapports de travail (art. 13).

d. Par courrier du 20 octobre 2015, A______ SA a informé B______ que sa carte d’agent, qui arrivait à échéance au 9 janvier 2016, devait être renouvelée. Il devait en conséquence remettre à son employeur les documents nécessaires à cette fin, au plus tard le 11 novembre suivant.

e. La Brigade des armes, de la sécurité privée et des explosifs (ci-après, BASPE) a informé A______ SA, le 19 janvier 2016, que l’original de l’acte de naissance intégral de B______ manquait à son dossier. Le même jour, E______, employé des ressources humaines (ci-après, RH) de A______ SA en charge du renouvellement des cartes d’agent, l’a invité à lui transmettre une copie intégrale de son acte de naissance avant le 29 janvier 2016, l'extrait produit étant insuffisant. Il a renouvelé cette requête à cette dernière date, en précisant à B______ que A______ SA serait contrainte de prendre des mesures disciplinaires à son encontre si les pièces nécessaires n'étaient pas transmises, et d’arrêter de le faire travailler dès le 2 février 2016 si sa carte ne pouvait être renouvelée.

f. Par courriel du samedi 30 janvier 2016, B______ a précisé avoir remis son acte de naissance dix jours après l'ensemble du dossier, lequel était donc complet dès le 15 novembre 2015. Il l'avait déposé dans la boîte aux lettres des RH, en les prévenant par téléphone. F______, stagiaire, lui avait demandé la raison de ce dépôt, puisque son dossier avait déjà été expédié. B______ a ajouté qu'il détenait un second acte de naissance, à disposition de son employeur, et a brièvement communiqué ces renseignements à E______, par message téléphonique du même jour.

g. E______ lui a répondu par courriel du 1er février 2016 que "C'est en ordre".

h. Par courriels des 27 janvier et 11 février 2016, la BASPE a relancé A______ SA en indiquant que l’absence de l’acte de naissance de B______ ne l'autorisait pas à poursuivre son emploi. E______ a informé la BASPE, le 12 février 2016, que cette pièce avait été transmise par courrier du 1er février et qu’il disposait d'une copie si elle avait été perdue, sollicitant en conséquence l’autorisation de continuer à travailler avec B______.

i. Le 18 mars 2016, la Commission concordataire concernant les entreprises de sécurité a émis une circulaire relative au changement de pratique pour la délivrance des cartes d’agent. Pour les agents demeurant en France, les autorités françaises ne délivreraient plus d’informations complètes directement aux autorités cantonales suisses compétentes et il appartenait auxdits agents d’en faire la demande auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (ci-après, CNIL), ce qui accroissait considérablement le temps de traitement des dossiers. La Commission concordataire conseillait aux entreprises de requérir le renouvellement des autorisations au moins six mois à l’avance, contre deux auparavant.

j. Le 24 mars 2016, le Service des armes, explosifs et autorisations de la Police de Genève a informé A______ SA que B______ était "connu des autorités françaises compétentes", lui impartissant un délai d’un mois pour lui faire savoir si elle maintenait ou retirait sa requête en renouvellement de la carte d’agent de ce collaborateur. Dans l’affirmative, elle devait l'inviter à s’adresser directement à la CNIL pour obtenir des renseignements complets à son sujet.

k. Le 31 mars suivant, A______ SA, représentée par G______, responsable RH, et H______, chef des agents, a convoqué B______ pour l’informer qu’il avait été déclaré "connu" des autorités françaises, ce qui bloquait le processus de renouvellement de sa carte, lui demander les raisons de cette inscription et l’informer qu’après les attentats survenus en France, les protocoles avaient changé, les autorités françaises ne transmettant plus d’informations au service cantonal de la police. B______ devait donc s’adresser directement à la CNIL pour obtenir les informations le concernant et les leur transmettre. Pour ces motifs, A______ SA a signifié à B______ qu’il était suspendu jusqu’au 4 avril 2016 inclus, avec salaire, et qu’il serait tenu informé de la suite après cette date.

l. Du 4 avril au 14 juin 2016, B______ s’est trouvé en incapacité totale de travail pour maladie et a perçu les indemnités journalières pour lesquelles il était assuré.

m. Le 14 avril 2016, A______ SA a indiqué au Service des armes qu’elle maintenait sa demande de renouvellement d’accréditation pour B______, lequel avait entamé les démarches nécessaires à l’obtention des documents requis auprès de la CNIL à Paris. Cette dernière a indiqué à B______, le 24 mai 2016, qu'il n'était pas enregistré dans le Traitement des Antécédents Judiciaires par la police nationale. Les investigations concernant ce même fichier pour la gendarmerie nationale étant en cours, les résultats de cette recherche lui seraient communiqués ultérieurement.

n. Les 10 et 24 mai 2016, les autorités françaises ont fait savoir à B______, d'une part, qu'il était connu pour "DETENTION NON AUTORISEE DE STUPEFIANTS", le 26 octobre 2008, inscription classée sans suite, et d'autre part qu'il n'était pas enregistré par la police nationale dans le Traitement des Antécédents Judiciaires.

o. I______ [compagnie d'assurances] a requis de B______ qu'il fasse évaluer sa capacité de travail. Selon un examen médical du 14 juin 2016, elle était entière dès le lendemain. L'assurance a, en conséquence, cessé de verser les indemnités journalières dès cette date. Par courriel du vendredi 17 juin 2016 à 17 heures 50, A______ SA a informé B______ que, en raison des constats de l’assurance et des circonstances liées au renouvellement de sa carte d’agent, son contrat était suspendu dès le 15 juin 2016, sans salaire, en application de l'art. 13 du contrat de travail, tout en proposant des solutions afin que le manque à gagner ne soit effectif qu’à compter du 1er juillet 2016 et l'invitant à planifier 10 jours de vacances auxquels il avait droit "au mois de juin".

p. Par arrêté du 20 octobre 2016, le Département de la sécurité et de l’économie a indiqué à A______ SA qu’elle était autorisée à engager B______ en qualité d’agent jusqu'au 19 octobre 2020. L'agent a été informé, par courriel du 26 octobre 2016, qu’il pouvait reprendre son service, ce qu’il a fait trois jours plus tard.

q. En mai 2017, B______ a émis différentes prétentions contre son employeur qui ont conduit à un échange soutenu de correspondances. Le 12 juillet 2017, G______ a convoqué B______ à un entretien devant se tenir le 3 août suivant. A cette date, B______, se présentant seul, et A______ SA, représentée par le chef du département RH & formation et la cheffe du service du personnel, ont signé une convention pour "régler toutes les prétentions précédentes au 03 août 2017" liée au contrat du 1er février 2015, passée pour solde de tout compte jusqu'au 3 août 2016, stipulant le versement de 1'614 fr. à B______ pour 60 heures de travail rémunérées au taux horaire 2017 de 26 fr. 90.

r. Par courrier du 15 janvier 2018, A______ SA a résilié le contrat de travail de B______ avec effet au 31 mars 2018.

s. Dûment interpellée, la BASPE a, par courriel du 14 juillet 2020, déclaré avoir reçu une copie de l'acte de naissance de B______ le 12 février 2016, "après que l’original semble-t-il envoyé le 1er février 2016 s’est perdu", et l’attestation de l'Attachée de sécurité intérieure française du 21 mars 2016. En conséquence, les renseignements transmis concernant B______ apparaissaient avoir été communiqués conformément à la nouvelle pratique décrite par la Commission concordataire dans sa circulaire du 18 mars 2016.

t. Par requête de conciliation formée le 10 avril 2019, B______ a assigné "A______ SA" sise 1______ à Genève, en paiement de 18'143 fr. À l’issue de l’audience de conciliation du 22 mai 2019, l’autorisation de procéder a été délivrée à B______.

u. Par demande simplifiée déposée le 23 septembre 2019, B______ a assigné A______ SA, toujours en son adresse à Genève, en paiement de 18'143 fr., soit 15'627 fr. à titre de salaire et 2'516 fr. à titre de dommage subi en raison de la suspension de son contrat de travail et du non-versement de ses salaires, le tout avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er octobre 2017. Il alléguait que A______ SA avait manqué à ses obligations en tardant à transmettre son dossier pour obtenir le renouvellement de sa carte d’agent, ce qui avait entrainé sa suspension sans salaire durant quatre mois et demi. A______ SA était tenue de lui verser son salaire durant cette suspension non fautive et de lui rembourser les intérêts du prêt bancaire qu’il avait dû contracter pour subvenir à ses besoins durant sa suspension. B______ a produit un formulaire de demande d'autorisation concordataire et un extrait du site internet du canton de Genève, à teneur desquels tout agent de sécurité devait être au bénéfice d’une carte d’agent, délivrée par la BASPE, et devait être renouvelée par l’employeur tous les quatre ans ; un certain nombre de pièces devaient être fournies à cet effet, notamment un extrait de l’acte de naissance intégral pour les agents frontaliers, dont le dossier complet devait être adressé à la BASPE au moins deux mois avant l’échéance de la carte.

v. Dans sa réponse, A______ SA a excipé de l’irrecevabilité de la demande, subsidiairement de l’irrecevabilité des conclusions en paiement de dommages et intérêts et a conclu au rejet des conclusions, toujours sous suite de frais, et en toutes circonstances au prononcé d’une amende disciplinaire de 1'000 fr. Selon elle, la demande, dirigée contre sa succursale à Genève, dépourvue de la personnalité juridique, était irrecevable. Dans le cas contraire, les conclusions en dommages-intérêts l’étaient en tout état, relevant d’une autre juridiction et étant prescrites.

Sur le fond, A______ SA était fondée à suspendre l’employé sans salaire puisque l’exercice de son activité requerrait une autorisation imposée par le droit public et qu’une telle suspension était prévue contractuellement en cas de défaut d’autorisation. Par ailleurs, B______ devait être débouté de toutes ses conclusions en raison de l’accord pour solde de tout compte. Enfin, l’empêchement de travailler était imputable à B______, qui avait tardé à remettre les documents pertinents. L'échec initial du renouvellement de sa carte résultait d'un antécédent pour infraction au Code de la route figurant dans ses données françaises.

w. Lors de l’audience du 10 mars 2020, B______ a confirmé qu’il agissait contre A______ SA, dont le siège social était à D______ et réduit ses prétentions en paiement de salaire à la moitié du mois de juin et aux mois de juillet à septembre, soit 15'537 fr. Pour le surplus, les parties ont confirmé leurs conclusions.

En octobre 2015, A______ SA lui avait demandé de produire, au plus tard le 11 novembre 2015, les pièces nécessaires au renouvellement de sa carte d'agent. Il avait déposé son dossier dans la boîte à lettres destinée aux RH, au premier étage, vers le 15 novembre, et remis directement au troisième étage son acte de naissance à F______, auquel il avait précisé que cette pièce manquait à son dossier, autour du 20 novembre. Il avait tenu les RH informées et leur avait régulièrement téléphoné, sans se souvenir de l’identité de son interlocuteur. Entre fin novembre 2015 et mi-janvier 2016, il n’avait plus eu de contacts avec les RH. Pendant cette période, à chaque fois qu’il devait présenter sa carte pour recevoir les clés d’un véhicule, la responsable, J______, s’étonnait qu’il ne soit en possession que d’une photocopie et demandait à son supérieur hiérarchique l’autorisation de les lui donner. À mi-janvier 2016, il s'était renseigné au sujet de sa carte et les RH, vraisemblablement E______, lui avaient répondu qu'il y avait du retard et qu'il ne devait pas s'inquiéter. Il n'avait pas reçu le courriel de E______ du 19 janvier 2016.

A______ SA a exposé avoir adressé un courrier à B______ en octobre 2015, pour le renouvellement de la carte d'agent, puisqu’elle devait remettre un dossier complet deux mois avant l’échéance. Les RH avaient transmis le dossier de B______, sans la copie intégrale de son acte de naissance, à la BASPE, pour respecter le délai en cause. Le 19 janvier 2016, la BASPE avait réclamé à A______ SA, par courriel, l’acte de naissance manquant et, le même jour, E______ avait transmis cette requête par courriel à B______, lui demandant une copie intégrale de son acte de naissance et non un simple extrait. Ce dernier a prétendu qu’il n’avait pas reçu ce courriel. E______, sans réponse à ce courriel, avait tenté en vain de joindre B______ par téléphone et lui avait adressé un nouveau courriel le 29 janvier 2016.

Selon A______ SA, B______ lui avait envoyé la copie intégrale de son acte de naissance par courriel du samedi 30 janvier 2016 en soirée et elle avait alors tous les documents en sa possession, raison pour laquelle elle lui avait dit, par courriel du 1er février 2016, que c’était en ordre.

B______ a contesté cette version, puisque A______ SA avait besoin de l’original de ce document, raison pour laquelle il avait proposé à E______ de le lui remettre le lundi suivant.

A______ SA a encore précisé qu’il n'y avait, dans ses locaux, qu’une boîte aux lettres pour les RH, au troisième étage, accessible 24h/24, le représentant de A______ SA ignorant s’il en existait une au premier étage en 2015/2016.

B______ a finalement déclaré qu’il n’avait jamais commis d’infraction au code de la route, de sorte qu’il ne pouvait lui être reproché d’avoir tu cela. Avec G______, ils avaient envisagé tous les cas de figure mais il n’avait pu penser à une infraction qu’il n’avait pas commise.

x. Le Tribunal a entendu 5 témoins dont l’essentiel des déclarations est repris ci-dessous.

xa. G______ a travaillé pour A______ SA d’abord à L______ [TI] (avril 2011 à fin mars 2013) puis à Genève, jusqu’à fin octobre 2018. Il dirigeait les RH et la formation. La succursale genevoise était soumise au Concordat romand sur les entreprises de sécurité, applicable à tous les cantons romands, qui dictait la procédure à suivre pour le renouvellement des cartes. En 2014-2015, le nouveau chef du bureau des armes avait amené plus de rigueur, notamment dans le respect des délais, ce que A______ SA avait critiqué à fin 2015. Cette période correspondait aussi au débat sur les fiches S en France. Ces circonstances avaient entrainé le durcissement du respect des délais, en application strict du concordat. Par ailleurs, la police suisse n’avait plus accès direct à certaines données du casier judiciaire français, à cause du débat sur la protection des données. Les entreprises devaient désormais se conformer aux nouvelles directives et passer par la CNIL.

G______, à qui la police venait de rappeler que A______ SA devait se plier à la loi, avait convoqué B______ en raison d’antécédents judiciaires mentionnés sur l’un des documents provenant de France et alors qu'il était suspendu sans traitement, n’ayant plus d'autorisation valable. Dès mars 2016, contrairement à la pratique antérieure, il n'était plus possible d'obtenir des délais supplémentaires lorsqu’il y avait un problème de production de pièces. En conséquence, un tableau Excel avait été établi pour suivre au quotidien la remise des documents. Il s’était occupé personnellement des cas les plus problématiques et des procédures avaient été mises en place courant 2016, début 2017, nécessitant le recours à plusieurs employés des RH, en raison du nombre de dossiers et de leur complexité. Il avait dû envoyer beaucoup d’avertissements pour des pièces manquantes. De manière générale, toutes les procédures avaient été rigidifiées et A______ SA devait demander à tous les frontaliers de se procurer et de garder leurs documents neuf mois à l’avance, pour être sûre elle-même de respecter les délais. Au regard de ces nouveaux délais, A______ SA s’y prenait trois ou quatre mois plus tôt. Elle avait reçu une menace de retrait d’autorisation d’exploitation pour un retard de quelques jours dans le dépôt d’un dossier de renouvellement.

Avec H______, remplaçant du directeur, il avait entendu B______, entre mars et mai 2016, pour tenter de comprendre la raison de l'inscription standard "connu des autorités françaises" dans ses documents, en l’absence d’autre information. Pour lui, B______ avait eu la malchance d'être l’un des premiers pour qui la police avait reçu un document avec une inscription. Cet entretien s’était déroulé en deux parties, la première pour mieux cerner cette inscription et la seconde car B______ avait enregistré à son insu leur entretien, ce qu’il avait admis, déclarant avoir agi de bonne foi, mais lui-même était mécontent.

Toujours avec H______, ils avaient demandé à B______ de leur fournir le document manquant, pour reprendre rapidement son activité, mais, à son souvenir, cela avait pris beaucoup de temps. Il avait aussi eu un entretien téléphonique avec une syndicaliste et une avocate parisienne pour faire avancer son dossier et appris que rien de particulier ne figurait dans son casier judiciaire. La situation s'étant détendue avec la police et il avait pu lui fournir une pièce sous format PDF, et obtenir finalement la carte de B______, mais cela avait été assez laborieux.

La nouvelle procédure ne s’appliquait pas à un dossier déposé en novembre 2015 pour le renouvellement d’une carte arrivant à échéance en janvier 2016. Avant mars 2016, les conditions étaient plus souples, la police l’appelait pour demander un document qui manquait dans un dossier. Avec la nouvelle procédure, la police renvoyait le dossier tel quel.

G______ pensait que A______ SA aurait dû suspendre le contrat de B______ en janvier 2016, dès lors qu’il n’était pas légal de travailler sans autorisation. A______ SA ne l’avait pas licencié à cette époque, craignant des sanctions policières pour l'avoir employé durant deux mois sans autorisation.

À sa connaissance, A______ SA n’avait pas proposé un autre poste à l’interne aux employés dans des situations semblables. Ce n’était pas une pratique courante simplement parce que cela n’était pas possible.

D’après lui, les résidents français devaient fournir le document de la CNIL et A______ SA avait décidé qu’ils devaient tous le demander s’ils étaient connus. Il ignorait s’il fallait disposer d’une copie ou de l’original de l’extrait intégral de l’acte de naissance pour le dossier de renouvellement sous l’ancienne procédure.

xb. Réentendu, B______ a maintenu avoir remis son certificat de naissance complet en novembre 2015 et avoir travaillé avec sa carte échue jusqu’à l’entretien de fin mars 2016, sans rencontrer d’autre problème que le questionnement systématique de la préposée à la remise des clés des véhicules.

Il avait été convoqué à l’entretien du 31 mars 2016 après que G______ avait reçu un courrier du Service des armes à Genève pour expliquer pourquoi il était connu des services de police français. On lui avait posé de nombreuses questions, intimes et parfois très dures, auxquelles il avait répondu le plus sincèrement possible. Il avait été étonné de devoir parler de démêlés avec la justice alors qu’il n’en avait jamais eus. En cours d’entretien, on lui avait expliqué que les exigences avaient changé et qu’il devait écrire personnellement à la CNIL pour obtenir des renseignements, étant précisé que son salaire serait maintenu jusqu’à la décision relative au renouvellement de sa carte d’agent mais qu’il ne pouvait plus travailler. G______ lui avait dit qu’il allait consulter sa hiérarchie et qu’il l’informerait de leur décision. Le lendemain de cet entretien, il avait dû consulter un médecin en raison de crises cutanées. Quand il avait appelé H______ le 4 avril 2016, aucune décision n’avait été prise à son sujet.

Il avait ensuite reçu un courrier de la CNIL selon lequel, en juin 2008, lors d’un contrôle de gendarmerie à la douane, l’ami qui l’accompagnait détenait un joint. L’affaire avait été classée sans suite, avec un rappel à l’ordre, ce qu’il avait fait savoir à son employeur. A______ SA avait trouvé ces informations insuffisantes et attendait que, via la CNIL, la gendarmerie nationale produise les détails de ses antécédents judiciaires et lui transmette sa réponse. Il avait mandaté une avocate pour obtenir ces renseignements, laquelle avait contacté G______.

B______ a produit des photos d’une une boîte aux lettres disponible pour le personnel du service de nuit au premier étage de A______ SA.

xc. H______, chef de différentes structures au sein de A______ SA de 2012 à fin 2016, a occupé la tête d’une brigade mobile dès novembre 2015. Il n’était pas le supérieur direct de B______, qu’il avait rencontré lors d’un entretien avec G______ entre début novembre et fin 2015, à la période des attentats de Paris, afin d’évaluer les chances de voir sa carte d’agent renouvelée. B______ avait tenté d’enregistrer cet entretien à leur insu et l’ambiance, d’abord constructive, avait été affectée lorsqu’ils l’avaient remarqué.

Compte tenu des nouvelles directives édictées par le bureau des armes, il avait fallu remplacer B______ dès qu’il n’avait plus été autorisé à travailler. D’autres personnes étaient dans la même situation et il y avait eu une grande période durant laquelle des problèmes avec le renouvellement de cartes étaient ressortis.

H______ a été surpris de constater que sa signature ne figurait pas au bas des protocoles d'entretien du 31 mars 2016. La suspension pour des raisons administratives des employés qui travaillaient correctement l’avait mis très mal à l’aise. Il ignorait où se situaient les points de frictions dans toute la boucle entre les différents acteurs responsables du renouvellement de la carte, soit les autorités françaises, suisses, les ressources humaines ou le collaborateur de l’entreprise qui avait tardé à remettre les documents.

xd. E______, qui a quitté A______ SA à fin avril 2020, travaillait aux RH et, en 2015, s'occupait du renouvellement des cartes d’agent avec un apprenti, F______, et leur chef de département, G______. Un changement était intervenu à cette époque et il appartenait désormais aux collaborateurs de fournir les documents demandés au personnel frontalier. Un tableau EXCEL, établi par le service, mentionnait la nationalité de tous les collaborateurs et la date d’échéance de leur carte d’agent. Il fallait dorénavant entre cinq et neuf mois pour obtenir le document de la CNIL et que le délai précédent, de quatre mois, était insuffisant. Cette nouvelle procédure était déjà en vigueur en 2015.

Il ne se souvenait pas quand les RH avaient réclamé à B______ les documents nécessaires au renouvellement de sa carte d’agent mais le délai lui semblait court, à cause de ceux qui devaient être demandés à la CNIL. Il n'était pas totalement sûr d'avoir traité personnellement le dossier de B______. Il n’envoyait que des dossiers complets. Les frontaliers devaient fournir un acte de naissance daté de moins de trois mois. Le dossier de B______ était passé dans les mains de G______ après l’entretien du 31 mars 2016, lui-même n’étant qu’un exécutant. Les courriels des 30 janvier et 1er février 2016 ne lui rappelaient rien. Lorsque la police demandait des pièces, les RH lui retournaient le dossier dès leur obtention.

Il ne se souvenait pas de la circulaire du 18 mars 2016 de la Commission concordataire, ni de la période exacte de son application, qui ne pouvait être antérieure. Après avoir lu un échange de courriels entre la BASPE et lui-même, E______ a estimé possible qu’il ait envoyé un dossier incomplet afin de respecter les délais et le faire avancer. Il ne se souvenait pas particulièrement d’un autre échange de courriels avec la BASPE, entre le 19 janvier et le 12 février 2016. Il arrivait fréquemment que des dossiers soient incomplets. Les RH envoyaient alors des courriels et téléphonaient.

Seuls des documents originaux étaient demandés et, si la police les perdait, les RH lui adressaient la copie de leur dossier. Si la police l’exigeait, il fallait redemander l’original. Les RH ne retenaient pas de documents et avaient pour principe de n’en garder aucun, afin que tout soit classé rapidement pour gagner en efficacité.

Il était déjà arrivé que la police égare des documents. Depuis deux ou trois ans, les RH déposaient en personne les dossiers, contre quittance de réception. Dans le cas de B______, il ne se souvenait pas si, lors du renouvellement de sa carte d’agent, un document avait été perdu dans son service.

xe. F______ a suivi son apprentissage au sein de A______ SA de 2014 à 2017, principalement aux RH, puis est resté en qualité d’agent de sécurité jusqu’en 2019. En 2015, il avait participé au renouvellement des cartes d’agent du personnel, sans se souvenir du dossier de B______, de problèmes dans les dossiers de renouvellement de cartes ou de cas de suspension d’agent et de privation du droit au salaire pour cause de non renouvellement de la carte. Lorsque des dossiers étaient incomplets, ils appelaient le titulaire pour qu’il fournisse les pièces manquantes. Il y avait une boîte aux lettres "tout en bas" et l’assistante de direction relevait le courrier qui, généralement, était amené directement aux RH. Il ne se souvenait pas si B______ avait déposé un document dans son service car trop de monde y passait.

xf. K______, agent de sécurité A______ SA depuis avril 2008, ne s’est pas occupé du renouvellement des cartes ni n’a travaillé avec B______. En 2016, le renouvellement de sa carte avait été retardé après les nouvelles directives de la police mais il n’avait pas été suspendu de son poste. Il avait postulé en vain pour une activité qui ne nécessitait pas de carte mais on lui avait proposé un travail en soutien à la cellule "Alarme et intervention", qui ne requérait ni carte ni uniforme, et qu’il avait conservé jusqu’à l’obtention de son accréditation, obtenue après la réception d’un document de la CNIL, nécessaire au renouvellement de sa carte d’agent. Il pensait qu’elle était arrivée à échéance en avril 2016. Il n’avait pas été suspendu sans salaire.

Il ne se souvenait pas avoir reçu un papier avec la mention qu’il était connu des services de police étrangers, du bureau du service des armes.

y. À l’issue de l’administration des preuves, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions et le Tribunal a gardé la cause à juger.

D. À l’appui de sa décision, le Tribunal a admis la recevabilité de la demande de B______, qui avait confirmé en audience agir contre la société mère dont le siège social était à D______. La désignation initiale inexacte de son adresse ne pouvait prêter à confusion et il était possible de la corriger, ce qui avait été fait.

Appliquant l’art. 341 al. 1 CO, selon lequel le travailleur ne pouvait renoncer, pendant la durée du contrat et durant le mois qui suit la fin de celui-ci, aux créances résultant de dispositions impératives de la loi ou d’une convention collective de travail, et considérant que la quittance pour solde de tout compte en cause n'avait qu'une portée limitée, le Tribunal a admis les prétentions du travailleur. Pour la durée de sa suspension, courant de mi-juin à fin octobre 2016, il avait droit à 15'537 fr. brut, avec intérêts de droit. En continuant à faire travailler B______ sans autorisation de janvier à mars 2016, avant son arrêt-maladie, A______ SA avait démontré qu'elle disposait d'une large marge de manœuvre concernant les activités de ses employés et la suspension ultérieure du demandeur constituait une sanction lourde et soudaine, résultant de défauts dans les procédures internes de A______ SA, d’une perte de document au niveau de la BASPE et, plus encore, de démarches administratives excessivement lentes liées à un changement de procédures entre les autorités suisses et françaises, appliquées à l'employé à cause d’un retard initial dans le dépôt de son dossier dont il n'était pas responsable, contrairement à son employeur, à qui il appartenait de prévoir un délai suffisant à cette fin et d’assurer le suivi des dossiers.

L’empêchement de travailler relevait du risque économique lié à une décision d’autorité, à charge de l’employeur. Ce dernier devait donc payer le salaire de B______ durant sa suspension. Il en allait de même de ses vacances, A______ SA ne pouvant lui imposer de les prendre sans délai pour s'organiser.

Les conclusions en réparation du dommage subi en raison de la suspension de son contrat de travail et du non-versement de ses salaires ont été écartées et cette question n’est plus litigieuse en appel.

E. a. L'appelante fait valoir que l’assignation de sa succursale constituait un vice de forme irréparable dont la sanction était l’irrecevabilité de la demande, ce que le Tribunal avait à tort écarté. Elle se prévaut par ailleurs de la validité de la convention avec quittance pour solde de tout compte du 3 août 2017 et de ce qu’elle ne saurait être retenue responsable du non-renouvellement de la carte d’agent de B______, son défaut d’accréditation ne constituant pas un risque d’entreprise au sens de l’art. 324 CO, mais une responsabilité de l’employé. Enfin, l’accord donné par ce dernier pour prendre ses vacances du 15 au 28 juin 2016 ne contrevenait pas à l’art. 329c CO. Par conséquent, A______ SA avait rempli ses obligations et la demande devait être écartée en totalité. Enfin, à titre superfétatoire, elle excipe d’abus de droit, B______ ayant tardé à agir après la fin des relations de travail pour réclamer des montants auxquels il savait ne pas avoir droit.

b. L’intimé sollicite la confirmation de la décision entreprise. S’il était vrai qu’il devait produire les documents nécessaires au renouvellement de sa carte, l’appelante n’avait pas démontré qu’elle n’avait pas reçu son acte de naissance en novembre 2015. Sinon, elle ne serait pas restée sans mot dire jusqu’au 19 janvier 2016. Enfin, c’était le retard dans le traitement de son dossier par A______ SA qui avait permis l’application de la nouvelle directive du 1er mars 2016 à son cas et il n'avait pas à en supporter les conséquences.

c. L’appelante a répliqué, persistant dans ses arguments et insistant sur le fait que l’intimé n’avait pas démontré avoir adressé son acte de naissance complet avant fin janvier 2016 et que, même dans ce cas, le renouvellement demandé n’aurait pu être accordé plus tôt, car B______ était connu des autorités françaises, mention qui bloquait, jusqu’à sa résolution, le renouvellement de son accréditation. En tout état, le défaut d’accréditation de son agent n’entrait pas dans le cercle des événements visés par le risque d’entreprise au sens de l’art. 324 CO.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et incidentes de première instance lorsque, dans les affaires patrimoniales, la valeur litigieuse au dernier état des conclusions devant l'autorité inférieure est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 let. a et 2 CPC).

L'appel, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance d'appel dans les trente jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 CPC).

1.2 En l'occurrence, l'acte d'appel respecte la forme écrite, comporte une motivation et a été déposé dans le délai prévu par la loi. Il est donc recevable.

1.3 La valeur litigieuse étant inférieure à 30'000 fr., les dispositions de la procédure simplifiée s'appliquent (art. 243 al. 1 CPC), soit en particulier la maxime inquisitoire sociale (art. 247 al. 2 let. b ch. 1 CPC).

1.4 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 310 CPC). Elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_238/2015 du 22 septembre 2015 consid. 2.2). Par ailleurs, elle applique le droit d'office (art. 57 CPC), sans être liée par les arguments de droit des parties, en particulier s'agissant de la recevabilité (art. 60 CPC), mais dans les limites des faits allégués et établis, dans la mesure où, comme indiqué, le litige est soumis à la maxime des débats

2.             L’appelante conteste d’abord la recevabilité de la demande au motif que l’intimé aurait assigné sa succursale.

2.1 La succursale n'a pas la personnalit é juridique (ATF 120 III 11 consid. 1a p. 13). Comme la qualité pour agir, la qualité pour défendre est une condition de fond du droit exercé (ATF 126 III 59 consid. 1a; 114 II 345 consid. 3a). L'action doit être ouverte contre celui qui est l'obligé du droit appartenant au demandeur (ATF 114 II 345 consid. 3a; 125 III 82 consid. 1a). Il n'est pas possible de rectifier une erreur touchant à la qualité pour défendre (arrêt 4A_560/2015 du 20 mai 2016 consid. 4.1), mais il ne faut pas confondre le défaut de qualité pour défendre avec la désignation inexacte d'une partie.

La désignation inexacte d'une partie - que ce soit de son nom ou de son siège - ne vise que l'inexactitude purement formelle qui affecte sa capacité d'être partie, laquelle peut être rectifiée lorsqu'il n'existe dans l'esprit du juge et des parties aucun doute raisonnable sur son identité, notamment lorsque l'identité résulte de l'objet du litige (arrêt 4A_560/2015 cité ci-dessus, consid. 4.2).

2.2 En l’occurrence, l’intimé n’a pas assigné la succursale, dont la dénomination ne figure nulle part dans ses écritures, mais la société-mère, avec toutefois l’adresse de sa succursale à Genève. Cette erreur formelle, reconnaissable par chacun, a été rectifiée dès la première comparution des parties. Ne pas l’admettre, comme le souhaite l’appelante, constituerait un formalisme excessif. Le grief d’irrecevabilité de la demande a par conséquent été justement écarté par le Tribunal et sa décision doit être confirmée.  

3.             L’appelante considère que la validité de l’accord du 3 août 2017 doit être admise, n’étant pas dépourvu de concessions réciproques, et qu’elle ne doit en conséquence rien à l’intimé.

3.1 À teneur de l'art. 341 al. 1 CO, le travailleur ne peut pas renoncer, pendant la durée du contrat et durant le mois qui suit la fin de celui-ci, aux créances résultant de dispositions impératives de la loi ou d'une convention collective. La portée d'une quittance pour solde de tout compte signée par l'employé est donc restreinte par cette disposition (cf. ATF 107 II 430 consid. 3a in fine p. 434; arrêt 4A_452/2012 du 3 décembre 2012 consid. 2.3; Bohnet/Diestchy, in Commentaire du contrat de travail, 2013, n° 18 ad art. 341 CO; Wyler/Heinzer, Droit du travail, 3e éd. 2014, p. 268 s.). Une renonciation unilatérale à un droit impératif n'est donc pas possible, sauf si elle s'accompagne de concessions réciproques (ATF 118 II 58 consid. 2b p. 61; 110 II 168 consid. 3b p. 171). Le salaire minimum prévu par une conventio n collective revêt un caractère impératif et ne peut pas faire l'objet, en vertu de l'art. 341 al. 1 CO, d'une renonciation de la part du travailleur (Streiff/Von Kaenel/Rudolph, Arbeitsvertrag, 7e éd. 2012, n° 5 ad art. 341 CO p. 1290 s.).

3.2 In casu, la renonciation en cause a été signée alors que l'intimé était encore l'employé de l'appelante, ce qui le plaçait en situation précaire et constitue déjà un argument en faveur de son inefficacité. De plus, elle n'est rédigée qu’au détriment de l’intimé, sans concession de l’appelante. Par conséquent, cette quittance est a priori dépourvue de portée juridique.

L’appelante argue cependant qu’elle ne doit pas être examinée au regard de l’art. 341 CO mais de l’art. 119 CO, l’exécution de la prestation de l’intimé étant devenue impossible en raison de son défaut d’accréditation, dont il était responsable. De ce fait, aucun risque d’entreprise n’était imputable à l’appelante, ce qu’il convient d’examiner.

3.2.1 Le canton de Genève, comme les cantons de Fribourg, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura, est partie au Concordat sur les entreprises de sécurité, dont les buts sont de fixer des règles communes régissant l'activité des entreprises de sécurité et de leurs agents et d'assurer la validité intercantonale des autorisations accordées par les cantons (art. 2 du Concordat). Au sens de cette convention intercantonale, une entreprise de sécurité qui a son siège ou une succursale dans l'un des cantons concordataires doit ainsi obtenir, entre autres, une autorisation d'engager du personnel, laquelle est en pri ncipe délivrée par l'autorité compétente du canton où elle a son siège (art. 7 al. 1 let. a et b et 7 al. 2 du Concordat). Une telle autorisation doit être demandée pour chacun des agents de sécurité dont l'engagement est envisagé. Lorsqu'une telle autorisation est délivrée, l'agent qu'elle concerne reçoit une carte de légitimation, qui vaut autorisation d'exercer dans les cantons concordataires (cf. art. 8 à 10 et 18 du Concordat). Aux termes de l’art. 15 du Concordat, les entreprises de sécurité et leur personnel administratif ou opérationnel doivent exercer leur activité dans le respect de la législation.

3.2.2 Il résulte de l'art. 324 al. 1 CO que le risque de l'entreprise incombe à l'employeur. Lorsque, pour des motifs économiques, il refuse la prestation de travail dûment offerte, l'employeur tombe en demeure et reste devoir le salaire. Cette règle est impérative (ATF 125 III 65 consid. 5 p. 69; 124 III 346 consid. 2a p. 349; arrêt 4A_291/2008 du 2 décembre 2008 consid. 3.2; sur le risque d'entreprise, cf. aussi David Aubert, Le contrat de travail des voyageurs de commerce, 2010, nos 242-246; Wyler/Heinzer, Droit du travail, 4e éd. 2019, p. 270 ss).

3.2.3 Il n’est pas contesté qu’il appartenait à l’appelante d’accomplir les démarches nécessaires afin que l’autorisation de travailler de son agent soit renouvelée avant son échéance, le 9 janvier 2016, et c’est à cette fin qu’elle lui a écrit le 20 octobre 2015 afin qu’il lui remette les documents indispensables avant le 11 novembre 2015. L’intimé affirme avoir satisfait cette requête en deux temps, courant novembre 2015, et rien ne permet de le contredire, notamment pas les témoignages recueillis, le préposé à son dossier ayant affirmé qu'il n'envoyait en principe que des dossiers complets. Or, à aucun moment l’appelante n’a relancé l'intimé après novembre 2015. Dès lors, compte tenu de son obligation d’obtenir l’accréditation de son agent avant le 9 janv ier 2016, et il peut en être déduit que le dossier de l'intimé était complet, sans quoi il lui appartenait d'intervenir pour que ledit délai puisse être respecté. Ayant permis à son agent de travailler au-delà de cette date, son absence de réaction permet de considérer qu’elle attendait la délivrance du sésame et qu’elle s’était affranchie du retard mis par l’administration, à une période où, selon les propos de ses témoins, celle-ci n’était pas strict s’agissant des délais. Elle a ainsi, hors toute considération liée au risque d’entreprise ou à une impossibilité découlant de l’art. 119 CO, peu vraisemblable, accepté un fait négatif dont elle avait la responsabilité et elle doit en assumer les conséquences. C’est en raison de sa passivité que la carte de l'intimé n'a pas été délivrée à la date du 9 janvier 2016. Dès lors que les circonstances internationales n'ont changé qu'en mars 2016, et qu'elle était fautivement en retard, l'appelante ne saurait se prévaloir de ces modifications réglementaires pour se libérer de ses obligations. À l'inverse, la responsabilité de l’intimé n'est pas engagée dans cette situation et c'est sans sa faute qu’il n’a pu travailler dès février 2016. Par conséquent, c’est à juste titre que le Tribunal a retenu que son salaire ne pouvait lui être retenu entre la fin de son incapacité de travail et l’obtention d’une nouvelle accréditation.

Il s’ensuit que les griefs de l’appelante doivent être écartés, la décision du Tribunal concernant le salaire à verser à l’intimé devant être confirmées.

4.             L’appelante considère enfin que l’intimé avait valablement accepté de prendre ses vacances en nature et qu’elle ne pouvait être condamnée à verser un deuxième fois ce montant en espèce. Elle invoque à ce sujet une violation de l’art. 329c CO et un abus de droit au regard de l’accord signé par l’intimé et de la tardiveté de sa réclamation.

4.1.1 L’art. 329c CO prescrit qu’en règle générale les vacances sont accordées pendant l’année de service correspondante et comprennent au moins deux semaines consécutives (al. 1). La date des vacances est fixée par l’employeur en tenant compte des désirs du travailleur dans la mesure compatible avec les intérêts de l’entreprise (al. 2).

En cas d’impossibilité de faire coïncider les souhaits de l’employeur et de l’employé, ce dernier doit se conformer aux vacances fixées par le premier (Wyler/Heinzer, Droit du travail, 3e éd. 2014, p. 388 s. et les références doctrinales citées). L’impossibilité doit être réelle, en ce sens que la bonne marche de l’entreprise ne permette pas à l’employeur d’accorder les vacances aux dates souhaitées, même en procédant aux efforts et aménagements qu’un employeur diligent doit fournir. L’employeur doit également respecter un délai de préavis suffisant pour permettre au travailleur de s’organiser et de préparer ses vacances. En règle générale, les dates des vacances doivent être communiquées aux travailleurs trois mois avant qu’elles ne soient prises (Wyler/Heinzer, op. cit., p. 389).

4 .1.2 À teneur de l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi. La règle prohibant l'abus de droit permet au juge de corriger les effets de la loi dans certains cas où l'exercice d'un droit allégué créerait une injustice manifeste (ATF 134 III 52 consid. 2.1). L'existence d'un abus de droit se détermine selon les circonstances concrètes du cas, en s'inspirant des diverses catégories mises en évidence par la jurisprudence et la doctrine (ATF 129 III 493 consid. 5.1). L'emploi dans le texte légal du qualificatif "manifeste" démontre que l'abus de droit doit être admis restrictivement. Les cas typiques en sont l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique contrairement à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement ou l'attitude contradictoire (ATF
129 III 493 consid. 5.1; ATF 127 III 357 consid. 4c/bb). Il incombe à la partie qui se prévaut d'un abus de droit d'établir les circonstances particulières qui autorisent à retenir cette exception (ATF 135 III 162 consid. 3.3.1; ATF 133 III 61 consid. 5.1).56

4.2. En l’espèce, les vacances ont été imposées au travailleur pratiquement sans aucun délai lui permettant de s’organiser, la requête de l'appelante ayant été formulée le vendredi 17 juin 2016, en fin de journée, par courriel, avec un délai de réponse échéant le mardi suivant pour prendre 10 jours de vacances sur le mois en cours. L’accord de l'intimé fut-il dans un délai si bref qu'il serait sans portée, étant mis devant le fait accompli de l'employeur et il pouvait s'en départir. Invoquer dans de telles circonstances un abus de droit de sa part est particulièrement audacieux et cet argument doit être écarté sans autre considération.

5. 5.1 L'appelante argue enfin que l'intimé a tardé pour agir, ayant renoncé à son salaire en août 2017, quitté son emploi en mars 2018 et attendu 2019 pour déposer sa demande.

Les actions des travailleurs pour leurs services se prescrivent par cinq ans (art. 128 ch. 3 CO).

5.2 En l’occurrence, alors qu’il avait admis, par convention écrite du 3 août 2017, ne pas avoir de prétentions salariales pour la période de juin à octobre 2016, l’intimé est revenu sur cet accord et a actionné l’appelante en 2019, alors que les rapports de travail avaient cessé le 31 mars 2018. On ne saurait dans ces circonstances considérer que l’intimé a tardé à agir et il n’y a aucun abus de droit de ce fait. Il n’y en a pas non plus au regard du fait qu’il est revenu sur une discussion commune à la suite de laquelle il avait renoncé à ses droits. En effet, ainsi que cela a été établi ci-dessus, cet accord, qui ne lui procurait aucun avantage, était entaché de nullité. Cet argument doit donc être écarté.

Contrairement à ce que prétend l’appelante, il ne saurait être reproché à l’intimé de ne pas l’avoir averti de ses prétentions dès la fin des relations de travail et il ne se justifie pas non plus retenir que l’intimé aurait commis un abus de droit en réclamant l’indemnisation à laquelle il avait renoncé, puisque cette renonciation n’était pas valable.

Le jugement entrepris sera donc intégralement confirmé.

6. La procédure étant gratuite, il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 71 RTFMC) ni alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 4 :


A la forme
:

Déclare recevable l'appel formé le 17 février 2021 par A______ SA SOCIETE SUISSE DE SURVEILLANCE contre le jugement JTPH/10/2021 rendu par le Tribunal des prud'hommes le 13 janvier 2021 dans la cause C/8537/2019-4.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Dit qu'il n'est pas perçu de frais judiciaires ni alloué de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Louis PEILA, président; Monsieur Olivier GROMETTO, juge employeur; Monsieur Thierry ZEHNDER, juge salarié; Madame Chloé RAMAT, greffière.

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.