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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/15149/2022

ACJC/1389/2024 du 28.10.2024 sur JTBL/1034/2023 ( OBL ) , CONFIRME

Normes : CO.1
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15149/2022 ACJC/1389/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 28 OCTOBRE 2024

 

Entre

1) A______ SA, sise ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 8 novembre 2023, représentée d’abord par Me Daniel MEYER, avocat, puis par Me Diana ZEHNDER, avocate, rue Ferdinand-Hodler 7, 1207 Genève,

2) Monsieur B______, domicilié ______, également appelant du même jugement,

et

C______ SA, sise ______, intimée, représentée par Me Michael ANDERS, avocat, boulevard des Tranchées 36, 1206 Genève.


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/1034/2023 du 8 novembre 2023, communiqué aux parties par pli du 6 décembre 2023, le Tribunal des baux et loyers a déclaré irrecevables les pièces produites par B______ le 23 mai 2023 (ch. 1 du dispositif), a déclaré irrecevables les conclusions nouvelles prises par B______ le 28 juillet 2023 (ch. 2), a débouté A______ SA et B______ de leurs conclusions (ch. 2) [recte: ch. 3], a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) [recte : ch. 4] et a dit que la procédure était gratuite (ch. 4) [recte : ch. 5].

B. a. Par acte expédié le 8 janvier 2024 au greffe de la Cour de justice, A______ SA (ci-après également : l’appelante ou la locataire) forme appel contre ce jugement, dont elle sollicite l’annulation. Cela fait, elle conclut à ce qu’il soit constaté qu’elle et B______ sont liés depuis le 1er mai 2020 par un contrat de bail à loyer pour des locaux commerciaux avec C______ SA, portant sur l’hôtel particulier et ses dépendances sis no. ______, avenue 1______ à Genève à destination de bureaux et cabinets médicaux, pour un loyer annuel de 240'000 fr., charges non comprises, à ce qu’il soit fait interdiction à C______ SA de requérir son évacuation ainsi que celle de B______, de leurs biens et de tout autre occupant desdits locaux et dépendances.

b. Par acte expédié le 11 janvier 2024 au greffe de la Cour de justice, B______ (ci-après également : l’appelant ou le locataire) forme appel contre ce jugement. Il conclut à ce que « la propriétaire » soit contrainte de respecter le contrat de bail qu’elle a accepté le 21 octobre 2019 selon le code des obligations suisse et d’accepter et de signer le projet de bloc opératoire. Il conclut également à ce que « la propriétaire » soit condamnée à indemniser le préjudice financier à hauteur de 720'000 fr. en lien avec le retard de la réalisation du projet du bloc opératoire et à payer la somme de 500'000 fr. à titre d’indemnité et de préjudice moral qu’il a subi pour toutes les procédures ayant eu une répercussion sur sa vie familiale, sociale, professionnelle et sa propre santé.

c. C______ SA (ci-après également : la bailleresse) conclut à l’irrecevabilité des conclusions de B______ et à la confirmation du jugement entrepris.

d. Sur appel de B______, A______ SA conclut à l’admission de l’appel, à l’annulation du jugement entrepris, et à ce qu’il soit dit et constaté qu’elle et B______ sont liés depuis le 1er mai 2020 par un contrat de bail à loyer pour locaux commerciaux avec C______ SA, portant sur l’hôtel particulier et ses dépendances sis no. ______, avenue 1______ à Genève à destination de bureaux et cabinets médicaux, pour un loyer annuel de 240'000 fr., charges non comprises, et à ce qu’il soit fait interdiction à C______ SA de requérir son évacuation ainsi que celle de B______, de leurs biens et de tout autre occupant, desdits locaux et dépendances.

Par réplique du 24 mai 2024, le locataire a requis l’audition personnelle « des deux parties » et l’annulation du jugement querellé et a persisté dans ses conclusions pour le surplus.

Par dupliques du 28 juin 2024, la bailleresse et la locataire ont persisté dans leurs conclusions.

e. Les parties ont été avisées le 23 août 2024 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Il résulte du dossier les faits pertinents suivants :

a. Le 8 avril 2015, A______ SA, B______ et D______, d’une part, et C______ SA (bailleresse et propriétaire), d’autre part, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur des locaux commerciaux sis no. ______ avenue 1______ à Genève.

b. Le loyer annuel, charges non comprises, a été fixé par le contrat à 162'000 fr. durant la première année, puis à 360'000 fr. dès le 1er avril 2019.

c. Le contrat a été conclu pour une durée de 5 ans, renouvelable de 5 ans en 5 ans, sauf résiliation respectant un préavis de 12 mois avant l’échéance du bail.

d. Le 7 janvier 2016, les parties au bail ont signé un avenant au contrat, D______ étant remplacé par E______.

e. En 2016, les locataires ont décidé de modifier l’affectation des locaux et d’y construire un bloc opératoire.

f. Par courrier du 19 octobre 2016, la régie en charge de l’immeuble (ci-après également : l’ancienne régie) a refusé de donner son accord au vu du manque d’informations en sa possession.

g. Le 6 décembre 2016, une demande d’autorisation de construire en procédure accélérée visant le changement d’affectation, signée par la régie, a été déposée à l’Office des autorisations de construire.

h. Par courrier du 15 avril 2019, les locataires ont signifié à la régie qu’ils souhaitaient résilier le bail pour son échéance du 30 avril 2020, suite à l’absence de réponse à leur proposition concernant le bail, précisant que toute négociation ultérieure serait la bienvenue et ferait l’objet d’un nouveau bail.

Cette résiliation était motivée par la charge locative trop élevée à laquelle les locataires ne parvenaient pas à faire face, un important arriéré de loyer s’étant accumulé au 30 avril 2019.

i. Par courrier du 23 mai 2019, la régie a informé les locataires qu’elle acceptait la résiliation pour le 30 avril 2020, précisant que compte tenu des démarches administratives qu’elle allait entreprendre pour relouer les locaux, une annulation de la résiliation ou une éventuelle prolongation du bail n’était malheureusement pas possible. Les locaux devaient ainsi être restitués le 30 avril 2020.

j. Les parties ont entamé des discussions en vue notamment de trouver une solution permettant aux locataires de résorber l’arriéré de loyer et de se maintenir dans les locaux à de nouvelles conditions.

k. Par courrier du 29 avril 2020, le conseil de B______ a indiqué à celui de la bailleresse être en pourparlers avancés avec une société disposée à investir dans A______ SA, ce qui permettrait aux locataires de régler l’arriéré de loyers dû. Il sollicitait un délai de deux mois pour signer le nouveau bail.

l. Par pli du 30 avril 2020, la bailleresse a pris note du contenu de ce courrier et a indiqué qu’elle considérait que les locataires étaient obligés, dès le 1er mai 2020, par le versement mensuel, au titre d’indemnité pour occupation illicite, d’une somme égale au loyer du bail.

m. Depuis mai 2020, B______ et A______ SA se sont acquittés d’un montant mensuel de 25'000 fr.

n. Le 7 juillet 2020, la bailleresse a à nouveau informé les locataires qu’ils occupaient les locaux sans droit et qu’ils étaient débiteurs d’un important arriéré de loyer.

o. En parallèle, B______ a avancé dans le projet d’installation d’un bloc opératoire dans les locaux loués.

Il a obtenu plusieurs devis de diverses entreprises entre mars et octobre 2021.

La phase d’étude, d’élaboration des plans et des autorisations de construire a engendré des coûts de 43'861 fr. 95 entre le 9 mars et le 14 novembre 2022.

En août 2021 et janvier 2022, B______ a acquis du matériel et des équipements permettant la réalisation du bloc opératoire pour des montants de 83'776 USD et 1'446 fr. 20.

p. Par courriers des 22 juin et 8 juillet 2022, C______ SA a invité B______ et A______ SA à libérer les locaux, illicitement occupés, avant le 31 août 2022. Elle sollicitait que lui soit communiquée l’identité de toutes les personnes/entités qui occupaient les locaux sans l’autorisation de la bailleresse.

Elle a fait de même à l’endroit de E______ par pli du 11 juillet 2022.

q. Par réponse du 14 juillet 2022, B______ et A______ SA ont contesté l’occupation illicite des locaux.

r. Le 21 juillet 2022, la nouvelle régie en charge de la gestion des locaux (ci-après également : la nouvelle régie) a fixé un état des lieux préliminaire le 16 août 2022 auquel B______ a refusé de participer.

s. En parallèle, par courriel du 29 juillet 2022, E______ a indiqué qu’à la suite de la résiliation du contrat de bail intervenue en avril 2019, il avait quitté les locaux et considérait ne plus être concerné.

t. Par requête du 5 août 2022 devant le Tribunal, B______ et A______ SA ont formé contre C______ SA une action en constatation de droit (existence d’un contrat de bail à loyer), assortie d’une requête de mesures provisionnelles et superprovisionnelles.

Sur mesures superprovisionnelles, ils ont conclu à ce qu’il soit fait interdiction à la bailleresse de requérir leur évacuation et, sur mesures provisionnelles et au fond, à ce qu’il soit constaté qu’ils sont liés par un contrat de bail à loyer pour locaux commerciaux avec C______ SA portant sur les locaux litigieux pour un loyer annuel de 240'000 fr. et à ce qu’il soit fait interdiction à cette dernière de requérir leur évacuation.

u. Par ordonnances rendues les 8 août et 18 octobre 2022, le Tribunal a rejeté les requêtes sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles.

v. Par mémoire réponse du 3 octobre 2022, C______ SA a conclu au déboutement de B______ et A______ SA de toutes leurs conclusions.

w. Le 2 décembre 2022, les précités ont déposé des déterminations devant le Tribunal.

x. Deux audiences ont eu lieu les 2 décembre 2022 et 31 mars 2023 devant le Tribunal.

B______ a déclaré que suite à la résiliation, E______ avait quitté les locaux tout en restant garant des arriérés. Lui-même avait cherché de nouveaux locaux jusqu’à ce que F______, représentant de la nouvelle régie, lui propose un loyer mensuel inférieur à 25'000 fr. pour les locaux litigieux. Il avait refusé l’offre et proposé un loyer mensuel de 20'000 fr., proposition acceptée. Il avait reçu une confirmation par courriel, couverte par les réserves d’usage, mais le contrat de bail n’avait pas pu être signé en raison de la période COVID et des congés, ce qui avait tout retardé. Il appartenait à F______ de lui adresser en mai 2020 un contrat signé avec les nouvelles conditions. Il avait informé le conseil de la bailleresse en 2022 de l’achat du matériel relatif au bloc opératoire.

G______, directrice de C______ SA, a déclaré que cette dernière n’avait pas d’intention de conclure un nouveau bail et que la somme de 25'000 fr. versée chaque mois était considérée comme un remboursement d’arriérés de loyers, de sorte que tout l’arriéré était résorbé.

F______, gérant d’immeubles auprès de la nouvelle régie, a indiqué qu’il y avait eu des discussions en vue d’établir un nouveau contrat de bail entre les parties suite au congé. La régie n’avait toutefois pas fait de proposition et il ignorait les discussions qui avaient pu avoir eu lieu avec la propriétaire directement. Malgré l’important arriéré de loyer, le bail n’avait pas été résilié pour défaut de paiement et depuis que la régie avait repris le mandat, elle n’avait jamais encaissé le montant du loyer contractuel, tout en ignorant s’il y avait eu un accord de paiement. Après la résiliation du bail, B______ avait soumis une proposition d’aménagement des locaux. Dès lors qu’il n’y avait pas de nouveau contrat de bail signé, il avait sollicité des garanties au vu de l’importance des travaux envisagés. A sa connaissance, aucune suite n’avait été donnée.

E______ a déclaré qu’il n’était plus concerné par les locaux litigieux. Il avait rencontré F______ et le conseil de la propriétaire afin de discuter d’une potentielle réduction du loyer et d’une reconduction du contrat. Le conseil de la propriétaire avait alors dit que celle-ci n’accepterait très vraisemblablement pas de réduction de loyer ni de reconduction du bail. Par la suite, B______ lui avait dit qu’il avait trouvé un accord avec la propriétaire et que le bail avait été reconduit, pour une durée de 10 ans.

H______, architecte mandaté par A______ SA et B______ pour les travaux relatifs au bloc opératoire, a confirmé qu’il avait été contacté par ce dernier en 2020, qu’il avait établi les devis pour la création d’un bloc opératoire et qu’il avait été payé pour le travail réalisé, étant précisé que la propriétaire n’avait jamais accepté de signer les documents pour déposer une demande d’autorisation de construire qu’il n’avait ainsi pas obtenue. Il avait eu des contacts avec le conseil de la propriétaire qui lui avait demandé s’il avait une assurance travaux. Il lui avait transmis les documents et il n’avait par la suite pas reçu de nouvelles. Il avait appris que le dossier était en mains d’avocats et il avait été surpris de l’apprendre au vu de l’avancement du dossier travaux, étant précisé que le projet ne pouvait pas être adapté à de nouveaux locaux. B______ lui avait soumis le projet du nouveau contrat de bail qui faisait état d’arriérés de loyer à rattraper et un loyer de 240'000 fr. par an avec une durée de 5 ans. Le document, établi par la nouvelle régie, précisait clairement qu’il s’agissait d’un projet.

y. Le 10 mai 2023, B______ a averti le Tribunal que son conseil ne défendait plus ses intérêts et qu’il assurerait sa propre défense.

z. Par mémoires de plaidoiries finales des 22 et 23 mai 2023, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

B______ a produit plusieurs pièces nouvelles, dont des échanges de courriels datant de 2019 et 2022.

aa. Les parties ont déposé des observations les 1er et 26 juin 2023, notamment au sujet de la recevabilité des pièces nouvelles déposées par B______ et sur la question du défaut de légitimation active de ce dernier et de A______ SA, en l’absence de E______.

ab. Le 28 juillet 2023, B______ a déposé un nouveau courrier aux termes duquel il a conclu au déboutement de C______ SA de ses conclusions, à contraindre cette dernière à respecter le contrat de bail qu’elle avait accepté le 21 octobre 2019 et à accepter de signer le projet de bloc opératoire, à condamner celle-ci à l’indemniser du préjudice financier de 720'000 fr. découlant de la réalisation du projet et de son tort moral d’un montant de 500'000 fr.

ac. Par ordonnance du 17 août 2023, le Tribunal a gardé la cause à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

La valeur litigieuse est déterminée par les dernières conclusions de première instance (art. 91 al. 1 CPC ; JEANDIN, Commentaire Romand, Code de procédure civile 2ème éd., 2019, n. 13 ad art. 308 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_594/2012 du 28 février 2013).

1.2 En l'espèce, A______ SA et B______ ont conclu devant le Tribunal à l’existence d’un contrat de bail d’un loyer annuel de 240'000 fr. B______ a également conclu à son indemnisation d’un montant de 1'220'000 fr.

La valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr.

La voie de l’appel est ainsi ouverte.

1.3 Selon l’art. 311 CPC, l’appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l’instance d’appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision, laquelle doit être jointe au dossier d’appel.

L’appel de A______ SA interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC) est recevable.

1.4 A l’appui de son appel, le locataire a pris des conclusions nouvelles et a produit de nombreuses pièces également nouvelles. En outre, dans sa réplique du 24 mai 2024, il a conclu nouvellement à l’audition personnelle « des deux parties ».

1.4.1 Selon l’art. 317 al. 2 CPC, la demande ne peut être modifiée que si les conditions fixées à l’art. 227, al. 1 sont remplies (let. a) et si la modification repose sur des faits ou des moyens de preuve nouveaux (let. b).

Selon l’art. 227 al. 1 CPC, la demande peut être modifiée si la prétention nouvelle ou modifiée relève de la même procédure et que la prétention nouvelle ou modifiée présente un lien de connexité avec la dernière prétention (let. a) ou que la partie adverse consent à la modification de la demande.

Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, op. cit., n. 6 ad art. 317 CPC).

1.4.2 En l’espèce, les conclusions de B______ à l’appui de son mémoire d’appel sont les mêmes que celles qu’il avait prises devant le Tribunal le 28 juillet 2023 et qui ont été déclarées irrecevables. Le Tribunal a jugé à juste titre que ces conclusions étaient irrecevables car elles avaient été prises après la clôture des débats principaux et ne se fondaient pas sur des faits et moyens de preuve nouveaux au sens de l’art. 229 CPC. Les conclusions prises en appel par B______ sont dès lors irrecevables.

Son appel devra également être déclaré irrecevable, faute de conclusions prises valablement. Quoi qu’il en soit, eut-il été recevable, il n’aurait pas changé l’issue du litige (cf. ci-après ch. 2).

1.5 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC; Hohl, Procédure civile, tome II, 2ème éd., 2010, n. 2314 et 2416; Rétornaz in : Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 349 ss, n. 121).

2. La locataire fait grief aux premiers juges de n’avoir pas retenu la conclusion d’un nouveau bail entre les parties. Les locataires avaient résilié le bail en raison du loyer trop élevé et ils s'étaient acquittés dès l’échéance du bail originaire au mois d’avril 2020 de 20'000 fr. plus 5'000 fr. correspondant au loyer, respectivement au rattrapage de l’arriéré, de sorte que seules de nouvelles conditions locatives pouvaient être envisagées pour se maintenir dans les locaux. La bailleresse n’ayant pas exigé la restitution des locaux à la fin du bail, avait consenti à des dépenses pour la phase de l’élaboration des plans et de l’autorisation de construire pour un projet coûteux, E______ avait participé aux échanges entre les parties, uniquement en ce qui concernait l’arriéré de loyer, élément essentiel pour la conclusion d’un nouveau bail.

Le locataire quant à lui fait grief aux premiers juges d’avoir établi inexactement les faits et de n’avoir pas retenu la conclusion d’un nouveau bail entre les parties. L’offre de conclure n’avait pas été refusée par la bailleresse, il avait avancé dans son projet de d’installation d’un bloc opératoire dans les locaux et les locataires n’étaient pas en occupation illicite.

2.1 Les éléments caractéristiques du contrat conclu entre un bailleur et un locataire sont la cession de l'usage d'une chose, pendant une certaine durée, moyennant le paiement d'un loyer (LACHAT, Le bail à loyer, 2019, p. 54).

La conclusion par actes concluants d'un nouveau bail consécutif à une résiliation suppose que durant une période assez longue, le bailleur se soit abstenu de faire valoir le congé, d'exiger la restitution de la chose louée et qu'il ait continué à encaisser régulièrement le loyer sans formuler aucune réserve. L'élément temporel n'est pas déterminant pour décider s'il y a bail tacite; il faut prendre en compte l'ensemble des circonstances du cas. La conclusion tacite d'un bail ne doit être admise qu'avec prudence (arrêts du Tribunal fédéral 4A_499/2013 du 4 février 2014 consid. 3.3.1 et les arrêts cités; 4A_247/2008 du 19 août 2008 consid. 3.2.1, rés. in CdB 2008 p. 117/DB 2008 p. 54; 4C_441/2004 du 27 avril 2005 consid. 2.1, rés. in DB 2005 p. 15).

La conclusion d'un contrat de bail et sa modification ultérieure ne sont en principe soumises à aucune exigence de forme, et ce même si les parties étaient convenues de la forme écrite pour sa conclusion. Demeurent réservés les cas où la loi exige expressément la forme écrite ou l'utilisation d'une formule officielle, essentiellement par le bailleur (ACJC/116/2023 du 23 janvier 2023 consid. 4.1).

Cependant, le silence opposé par l'une des parties à réception d'une offre de l'autre partie, ne vaut, en principe, pas acceptation et n'entraîne pas la conclusion tacite d'un contrat (arrêt du Tribunal fédéral 4A_188/2012 du 1er mai 2012 consid. 3.1; ACJC/864/2020 du 22 juin 2020 consid. 3.1; ACJC/765/2016 du 6 juin 2016 consid. 4.1; LACHAT, op. cit., p. 210 N 4.5.2).

2.2 Aux termes de l'art. 1 CO, le contrat est parfait lorsque les parties ont réciproquement et d'une manière concordante manifesté leur volonté (al. 1). Cette manifestation peut être expresse ou tacite (al. 2).

Une manifestation de volonté est faite par actes concluants lorsqu'elle n'exprime pas directement une certaine volonté mais qu'elle permet néanmoins à son destinataire de déduire l'existence de cette volonté. Une telle manifestation de volonté ressort le plus souvent d'un comportement actif. Par exemple, une acheteuse dépose de la marchandise sur le tapis roulant à la caisse d'un magasin; la banque priée de donner un renseignement ne répond pas expressément qu'elle accepte de le faire, mais se contente de délivrer ce renseignement (MORIN, in Commentaire romand, Code des Obligations, 3e éd. 2021, N 10 ad art. 1 CO).

Contrairement à ce qu'indique l'art. 1 al. 2 CO, en opposant manifestation de volonté expresse et tacite, le silence vaut comme manifestation de volonté expresse lorsque les parties ont décidé conventionnellement de lui donner une telle portée, par exemple en s'entendant sur le fait que l'offre de l'une d'elles sera considérée comme acceptée si l'autre ne le conteste pas dans les 24 heures. En l'absence d'une convention sur la portée du silence d'une des parties, un comportement purement passif ne vaut en principe pas comme manifestation de volonté par acte concluant, sauf si le principe de la confiance permet exceptionnellement de lui donner un tel sens et d'imputer ainsi une manifestation de volonté à son auteur (MORIN, op. cit., N 11 ad art. 1 CO).

2.3 En cas de contestation entre les parties sur l’existence ou le contenu de l’accord, il appartient à celle qui prétend en déduire des droits de convaincre le juge de la réalité de l’accord (ACJC/1165/2007 du 8 octobre 2007 et les références citées).

2.4 En l’espèce, les premiers juges ont retenu à juste titre qu’à la suite de la résiliation du bail par les locataires, les parties étaient entrées en pourparlers pour négocier les termes d’un nouveau contrat.

Le Tribunal a ensuite considéré à raison que ces pourparlers n’avaient pas abouti à la conclusion d’un contrat de bail, étant précisé qu’une telle conclusion ne peut être retenue que restrictivement par la jurisprudence.

En effet, les éléments allégués par les locataires, qui supportent le fardeau de la preuve, ne suffisent pas à démontrer la conclusion d’un bail par actes concluants. Le fait qu’ils aient réglé 25'000 fr. par mois dès mai 2020 pendant plus de deux ans n’est en particulier pas déterminant, dès lors que la bailleresse a toujours indiqué qu’ils occupaient les locaux de manière illicite et que les sommes payées étaient comptabilisées à titre d’indemnité pour occupation illicite.

La procédure a également démontré que les négociations ont été retardées en raison de la période COVID, ce qu’a confirmé B______.

Le seul écoulement du temps entre l’échéance du contrat de bail et la demande de la bailleresse de restituer les locaux litigieux, ainsi que le fait que cette dernière n’a pas immédiatement réclamé la différence entre le montant acquitté et le loyer contractuel, ne permettent pas d’établir que les pourparlers ont abouti, l’attitude de l’intimée étant justifiée par les négociations en cours. En outre, aucun élément ne permet de retenir un abus de droit de la bailleresse.

Plusieurs autres points n’ont pas fait l’objet d’un accord empêchant la conclusion d’un nouveau bail, comme la durée du bail, des parties au contrat et des arriérés de loyer.

De plus, la procédure a démontré que les parties entendaient, le cas échéant, conclure un bail écrit, ce qu’elles n’ont pas fait. Le projet de contrat dont se prévaut l’appelante n’est pas décisif, parce qu’il n’a pas été signé par les deux parties. Aucun élément du dossier ne permet de retenir que les parties se sont mises d’accord pour finaliser ce projet.

Contrairement à ce que soutient l’appelant, les locataires n’ont pas obtenu l’accord de la bailleresse pour réaliser les travaux du bloc opératoire, seule une demande d’autorisation de construire visant le changement d’affectation des locaux ayant été signée par l’ancienne régie le 6 décembre 2016, de toute autre. A l’appui de son appel, B______ a d’ailleurs déclaré que les travaux en lien avec cette autorisation de construire n’avaient pas pu être réalisés pour des raisons financières.

Par conséquent, la Cour retiendra que les parties n’ont pas conclu un nouveau contrat de bail à loyer, de sorte qu’elle peut laisser ouvertes les autres questions. Ainsi, le jugement querellé sera confirmé.

3. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l’appel interjeté le 8 janvier 2024 par A______ SA contre le jugement JTBL/1034/2023 rendu le 8 novembre 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/15149/2022.

Déclare irrecevable l’appel interjeté le 11 janvier 2024 par B______ contre le même jugement.

Au fond :

Confirme le jugement attaqué.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD et Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Zoé SEILER et Monsieur Nicolas DAUDIN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.