Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des baux et loyers

1 resultats
C/25486/2021

ACJC/744/2024 du 11.06.2024 sur JTBL/1015/2023 ( OBL ) , CONFIRME

Normes : CO.257.letf
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/25486/2021 ACJC/744/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU MARDI 11 JUIN 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 30 novembre 2023, représenté par ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,

et

B______ SA, sise ______ [VD], intimée, représentée par [la régie immobilière] C______, ______ [GE].

 


EN FAIT

A. Par jugement du 30 novembre 2023, notifié aux parties le 6 décembre 2023, le Tribunal des baux et loyers a déclaré efficace le congé du 25 novembre 2021 notifié par B______ SA à A______ pour le 31 janvier 2022 portant sur l'appartement de deux pièces au rez-de-chaussée de l'immeuble sis 19, rue 1______ à D______ (Genève) (ch. 1 du dispositif), condamné A______ à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens ainsi que toute autre personne faisant ménage commun avec lui l'appartement susmentionné
(ch. 2), transmis la cause, à l'expiration du délai d'appel contre la décision, au Tribunal des baux et loyers, siégeant dans la composition prévue à l'art. 30 LaCC, pour statuer sur les mesures d'exécution sollicitées par la propriétaire (ch. 3), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4) et dit que la procédure était gratuite (ch. 5).

B. a. Par acte expédié le 22 janvier 2024 à la Cour de justice, A______ appelle de ce jugement, sollicitant son annulation. Il conclut à ce que la Cour, principalement, renvoie la cause au Tribunal pour compléter l’instruction, par notamment l’audition du témoin E______, subsidiairement, constate l’inefficacité du congé donné le 25 novembre 2021 pour le 31 janvier 2022 et, encore plus subsidiairement, annule ledit congé.

b. Dans sa réponse du 22 février 2024, B______ SA conclut à la confirmation du jugement entrepris.

c. A______ a renoncé à répliquer.

d. Les parties ont été avisées par plis du greffe du 27 mars 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Il résulte du dossier les éléments pertinents suivants :

a. B______ SA (ci-après la bailleresse) est propriétaire de l'immeuble sis 19, rue 1______ à D______ (Genève).

L'immeuble est géré par C______ (ci-après « la régie »).

L'immeuble comporte une allée commune avec le numéro 17.

b. Par contrat du 25 mai 2005, A______ a pris à bail un appartement de deux pièces au rez-de-chaussée dudit immeuble, pour un loyer annuel, charges comprises, fixé en dernier lieu à 8'280 fr.

Le contrat a été conclu pour une durée d'un an, du 1er avril 2005 au 31 mars 2006, renouvelable ensuite tacitement d'année en année. Le préavis de résiliation était de trois mois.

c. Le 1er avril 2020, le locataire a endommagé les interphones des allées 17-19 ainsi qu'une porte palière du rez-de-chaussée de l'allée 17.

Il a pris en charge les réparations de ces deux éléments.

d. Par pli du 24 juin 2021, la régie a informé le locataire qu'il lui avait été rapporté que celui-ci avait agressé physiquement F______, concierge des immeubles. Elle lui a rappelé son devoir de diligence et d'égards envers les voisins et l'a mis en demeure de cesser ces agissements dès réception du courrier, à défaut de quoi son bail serait résilié.

e. Le 19 août 2021, une altercation ayant opposé G______, habitant dans l'allée 17, et A______ a nécessité l'intervention de la police.

f. Courant septembre 2021, les époux E______/G______ ont relaté à la régie, par courrier signé par chacun d’entre eux, l'épisode du 19 août 2021 et se sont plaints du comportement agressif du locataire, notamment à l'égard d'autres voisins. Ils se sont également plaints de nuisances sonores (coups assourdissants) propres à réveiller leurs deux enfants de 10 mois et 2 ans pendant leurs siestes ou leurs nuits, provenant manifestement de l'appartement de A______.

g. Se référant à de nouvelles plaintes concernant son comportement violent et irrespectueux des voisins, la régie a mis en demeure A______, par pli du 17 septembre 2021, de respecter immédiatement son devoir de diligence et d'égards envers les voisins tel qu'il ressortait de l'art. 257f CO, à défaut de quoi son bail serait résilié avec effet immédiat conformément à l'alinéa 3 de cette disposition.

La régie a informé les époux E______/G______ de ce que A______ était mis en demeure de cesser les nuisances, faute de quoi son contrat de bail serait résilié avec effet immédiat.

h. Un courrier signé par une quinzaine d'habitants des allées 17-19 a été adressé à la régie le 20 octobre 2021 pour l'informer que, bien qu'aucune nouvelle altercation n'était à déplorer, la problématique des coups très violents portés contre les murs par le locataire persistait.

Les locataires affirmaient, dans cette correspondance, que la régie les avait avisés que A______ avait été mis en demeure. La fin de la phrase contenant cette indication était caviardée. Ce courrier a été versé à la procédure par la régie, qui a affirmé ne pas savoir pourquoi une partie du texte semblait caviardée. Elle allait se renseigner et produire la pièce originale si elle la trouvait. Elle n’a finalement pas versé de nouveau document à la procédure, ni donné davantage d’explication sur les motifs du caviardage.

i. L'informant avoir reçu une nouvelle plainte à son encontre concernant les nuisances sonores émanant de son logement, notamment des coups donnés contre les murs, la régie a mis en demeure A______, le 22 octobre 2021, de respecter les termes des art. 46 let. a et b des Conditions générales et règles et usages locatifs appliqués à Genève, ainsi que l'art. 257f CO, prévoyant l'interdiction d'incommoder les voisins, en particulier relativement au bruit, et, respectivement, le devoir de diligence et d'égards envers ceux-ci. Faute de mesures prises immédiatement, A______ s'exposait à une résiliation de son bail avec effet immédiat.

j. Par pli du 10 novembre 2021, H______, habitant de l'allée 17, a indiqué à la régie que, s'il avait constaté une légère diminution dans les fréquences, il avait noté une très forte augmentation dans la violence des coups, lesquels provoquaient parfois des vibrations dans les murs. Cette correspondance faisait suite à un entretien téléphonique du même jour avec la régie et à une demande de cette dernière.

k. Les époux E______/G______ ont fait les mêmes constatations à la régie, par courrier co-signé du 17 novembre 2021, relevant une diminution dans la fréquence des coups mais une augmentation de leur intensité. Ils ont indiqué à cette occasion, certificat médical à l'appui, que cette problématique avait engendré des troubles du sommeil chez leur fils aîné. Ce courrier faisait suite à une conversation téléphonique du 21 octobre 2021 avec la régie.

l. Par avis du 25 novembre 2021, la bailleresse a résilié le bail de façon anticipée pour le 31 janvier 2022 sur la base de l'art. 257f al. 3 CO.

A l'appui de ce congé, la régie s'est référée aux courriers des 24 juin, 17 septembre et 22 octobre 2021 et a indiqué avoir reçu une nouvelle plainte du voisinage relative à des nuisances sonores émanant du logement de A______ et à son comportement agressif et irrespectueux.

m. Par requête du 23 décembre 2021, déclarée non conciliée à l'audience de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers du 25 février 2022 et portée devant le Tribunal le 23 mars 2022, le locataire a conclu, principalement, à l'inefficacité du congé, subsidiairement à son annulation et, plus subsidiairement encore, à l'octroi d'une pleine et entière prolongation de bail de quatre ans, échéant au 31 janvier 2026.

n. Dans sa réponse du 25 mai 2022, la bailleresse a conclu à la validation de la résiliation et, sur demande reconventionnelle, à l'évacuation du locataire de l'appartement concerné, avec exécution directe.

Elle a notamment produit sept courriers de plainte reçus entre le 26 novembre 2021 et le 12 mai 2022 de la part de cinq voisins du locataire, se plaignant du comportement de ce dernier et des nuisances sonores générées par les coups portés aux murs.

o.a A______ a conclu à l’irrecevabilité de la demande reconventionnelle, subsidiairement à son rejet.

o.b Il s’est prévalu des correspondances produites par la régie pour affirmer que les plaintes des locataires avaient été incitées par la régie, qui les aurait tenus informés régulièrement de ses démarches et leur aurait adressé des conseils juridiques en vue d’une résiliation immédiate de son bail. Il a, plus précisément, invoqué les éléments suivants :

o.b.a Dans son courrier du 26 novembre 2021, I______ remercie la régie pour le temps qu’elle lui consacre.

o.b.b Dans celui du 8 décembre 2021, J______ remercie la régie pour les mesures prises à l’encontre de A______.

o.b.c Dans son courrier du 26 janvier 2022, H______ indique comprendre qu’une procédure puisse prendre du temps, espérant que celle-ci aboutisse avant « une escalade de la situation ».

o.b.d Dans celui du 12 mai 2022, J______ a écrit que « malgré la résiliation [du] bail » de A______, les nuisances ne cessaient pas.

p. Le 22 août 2022, les époux E______/G______ ont résilié leur bail pour le 1er octobre 2022, invoquant le comportement agressif du locataire et ses nuisances sonores.

q. Entendu par le Tribunal le 20 octobre 2022, A______ a contesté être à l'origine des coups donnés contre les murs, tout en admettant leur existence et leur caractère insupportable. A son sens, ils provenaient des bureaux situés à côté de son appartement et le concierge « était de mèche » avec les gens qui faisaient du bruit. A______ a reconnu avoir endommagé la porte de son voisin avec une chaîne de vélo, car ce voisin avait fait du bruit toute la nuit et qu'il ne le supportait plus. A______ avait également déconnecté l'interphone car quelqu'un avait sonné pendant plusieurs nuits à plusieurs reprises. Il avait eu une altercation avec G______ lors de laquelle il avait reçu un coup. G______ avait appelé la police, qui était intervenue et l’avait menotté alors qu’il n’était pas l’agresseur. A______ avait eu des discussions avec le concierge car celui-ci l'espionnait. Le concierge s'était plaint qu'il avait un couteau et qu'il lui avait donné des coups mais c'était faux. Il n'avait jamais insulté ni menacé un voisin.

r. Le 12 janvier 2023, le Tribunal a procédé à l'audition de six témoins.

F______, concierge des allées 1 à 15 rue 1______, a déclaré n'avoir jamais eu de problèmes avec A______ jusqu'au jour où ce dernier l'avait agressé sans raison, environ une année auparavant. Alors qu'il ramassait les tuyaux d'arrosage, le locataire était sorti de son immeuble avec son vélo et avait commencé à l'agresser verbalement en espagnol. Il lui disait qu'il était le complice de son collègue concierge de son immeuble. A______ avait sorti un petit couteau, comme un couteau suisse, que le témoin lui avait demandé de ranger. Le locataire l'avait alors menacé de lui « casser la gueule ». Alors qu'il essayait de le calmer, A______ lui avait donné un coup sur l'oreille. Le témoin avait directement déposé plainte au poste de police. Il avait ensuite reçu un courrier lui disant que le locataire avait reçu une amende. Selon lui, ce dernier avait « un petit problème ».

G______ a déclaré avoir entendu des bruits de coups dès son emménagement, en 2019. Le 19 août 2021, à 20h, alors qu'il y avait des bruits de coups, il était sorti pour voir d'où ils provenaient. Il avait entendu encore un coup en s'approchant de l'appartement de A______ et avait su que c'était lui. Ce dernier était venu « sur » lui et l'avait accusé de faire du bruit, depuis un appartement dans lequel il n'habitait pas. Il lui avait également dit qu'il faisait du bruit chez lui avec ses écrans. A______ l'avait insulté, menacé et saisi par le cou. G______ l'avait repoussé une première fois. A______ était revenu vers lui en essayant de le frapper, de sorte que le témoin l'avait repoussé à nouveau et A______ était tombé au sol. Pendant que le témoin le maintenait au sol jusqu'à l'arrivée de la police, A______ avait appuyé sur sa main avec une clé. Il tenait des propos incohérents et l'avait menacé de mort. A la suite de cette altercation et de la plainte pénale déposée, il avait été condamné à dix jours de prison, durant lesquels la situation avait été calme. Même si le témoin ne l’avait jamais vu donner des coups dans son appartement et qu’il n'était jamais rentré chez lui, il était certain que les nuisances provenaient de chez lui. A______ tapait extrêmement fort. Le témoin ne savait pas avec quoi et sur quoi il tapait, mais quand les policiers étaient sortis de son appartement après l'altercation susmentionnée, ils avaient dit que vu l'état de son appartement, ça ne devait pas être facile à vivre. A chaque fois que A______ était absent, c'était calme, mais quand il rentrait, il claquait la porte et recommençait à taper. Il tapait tous les jours, environ une cinquantaine de fois par jour, plusieurs coups, généralement trois, le jour et le soir. Le témoin avait consulté le pédiatre de ses enfants car ceux-ci avaient des terreurs nocturnes, qui étaient selon lui liées à ces bruits. Il avait déménagé avec sa famille notamment en raison du comportement de A______, pour la sécurité de cette dernière. Depuis leur déménagement, les enfants dormaient bien. Une autre voisine avait également déménagé à cause de A______. Celui-ci s'acharnait souvent sur la porte de celle-ci, pensant que le témoin y habitait. Il avait menacé sa femme de viol mais n'avait jamais été agressif envers ses enfants. Son épouse n'avait jamais déposé plainte pénale. A______ avait également agressé un autre voisin avec une chaîne de vélo et G______ avait dû les séparer. Le témoin avait eu des contacts réguliers avec K______, de la régie, laquelle lui avait conseillé d'écrire des lettres, ce que son avocat lui avait également conseillé de faire. Lorsqu'il écrivait des courriers à la régie, celle-ci lui disait qu'elle allait faire le nécessaire.

H______, habitant l'allée 17 depuis 1996, a confirmé l'existence de gros problèmes de tapage contre les murs depuis 2021. La situation était insoutenable. A______ tapait très fort contre les murs, peut-être avec un marteau ; le bruit raisonnait dans tout l'immeuble et était également perceptible depuis l'extérieur. H______ était absolument certain que le bruit provenait de chez A______, ce qu'il avait pu constater lorsqu'il était dans l'allée, devant sa porte, ou depuis sa cave située sous l'appartement de ce dernier. Il n'avait pour sa part été victime d'aucune violence, ni physique, ni verbale, et n'en avait pas non plus été témoin. Il avait en revanche constaté que la porte de l'appartement de sa voisine avait été endommagée par des coups de chaîne de vélo. Cette famille avait fini par déménager à cause des nuisances et de l'attaque. Il en allait de même de la famille E______/G______. Les bruits de coups perduraient, mais étaient moins fréquents. Auparavant, il y avait des coups toutes les 15-20 minutes. Pendant un temps, il y avait des séries de dix à douze coups, qui avaient diminué ensuite à cinq-six. Au moment de l'audience, la fréquence avait diminué et il y avait des coups environ deux fois par heure qui prenaient fin vers 22h30. Des lettres avaient été adressées à la régie à la demande de cette dernière, pour pouvoir les mettre au dossier, à la suite d’une plainte formulée par téléphone.

I______, habitant l'allée 17 depuis juin 2021, dans l'appartement voisin de A______, a déclaré que ce dernier tapait contre ses murs, probablement avec un marteau, une trentaine de coups par jour. Il s'agissait de séries de cinq à six coups se produisant environ cinq fois dans la journée. Cela arrivait la nuit, mais rarement. Elle s'était mise devant sa porte et était quasiment certaine que les bruits provenaient de son appartement. De plus, quand elle était chez elle, elle entendait le bruit de gravats qui tombaient après les coups, provenant de derrière le mur commun à son appartement. On lui avait dit, à son arrivée dans l'immeuble, que A______ était un peu fou, mais elle n'y avait pas prêté attention. Un jour cependant, alors qu'elle était dans l'immeuble depuis deux mois, A______ était venu vers elle quand elle rentrait et lui avait dit qu'elle habitait chez Frankenstein. Il voulait rentrer chez elle et elle en avait peur. Elle le craignait également car elle n'arrivait pas bien à le cerner et qu'il l'insultait toujours lorsqu'elle le croisait, en la traitant de « pute », en français ou espagnol. Au vu de la violence des coups, elle pensait qu'il pouvait être violent. Par chance, il n'avait jamais été agressif physiquement avec elle. Elle faisait tout pour l'éviter. Elle n'avait pas signalé les coups dès son emménagement car elle ne savait pas au départ ce que c'était. A part les événements précités, elle avait eu une fois de l'huile sur sa porte et une autre fois de l'eau de javel dans ses chaussures. Elle ne savait pas si c'était A______ qui avait fait ça, mais cela s'était en tout cas produit juste après qu'il y avait eu un problème dans l'immeuble avec lui.

J______, habitant au 4ème étage de l'allée 17, a confirmé l'existence de nuisances sonores provenant de l'appartement de A______, dont elle s'était aperçue durant son arrêt de travail pendant sa grossesse en avril 2021. Il s'agissait de bruits sourds, très forts, comme s'il tapait contre un mur avec un marteau ou une masse. Un jour, alors qu'elle était derrière lui quand il rentrait dans son appartement, il avait commencé à taper avant même d'avoir fermé sa porte et elle avait vu que c'était lui qui tapait. Elle ne l'avait pas vu taper directement, mais elle avait entendu que le bruit venait de son appartement, dont la porte était alors encore ouverte. Il tapait sur les murs tous les jours, toute la journée, et environ toutes les heures, toujours le même nombre de coups entre cinq et sept. C'était très régulier. Le soir précédent l’audition de la témoin, le fils de celle-ci, âgé de 18 mois, avait mis une heure et demie pour s'endormir car il y avait des coups toutes les demi-heures. Son mari avait voulu descendre se plaindre des bruits auprès de A______, mais elle lui avait demandé de ne pas le faire, car elle avait peur. Elle n'avait jamais eu d'autres problèmes avec ce voisin. Depuis qu'elle savait que c'était lui qui tapait, elle ne le saluait plus car elle avait un peu peur. Elle n'avait pas été témoin des altercations avec les voisins.

K______, gérante de l'immeuble concerné de mai 2021 à mars 2022, a déclaré ne pas avoir eu de souci particulier en lien avec celui-ci, hormis les plaintes reçues de cinq ou six locataires en relation avec A______ à compter de l'été 2021. Elle lui avait adressé des courriers relatifs aux plaintes reçues, mais n'avait pas eu d'autre contact avec lui et n'avait pas elle-même été témoin de difficultés avec lui dans l'immeuble. Comme les plaintes faisaient état de nuisances le soir, personne de la régie n'était allé les constater dans l'immeuble. Elle avait informé les plaignants des interpellations et mises en demeure de A______ mais ne les avait en revanche pas informés des conséquences juridiques d'une mise en demeure. Quand elle recevait des plaintes par téléphone, elle demandait aux locataires d'écrire.

s. A l’issue de l’audience du 12 janvier 2023, le locataire a notamment demandé l’audition de E______ en relation avec les accusations de menace de viol et afin de déterminer si son témoignage concordait avec celui de son époux. La bailleresse s’y est opposée, au motif que la procédure serait retardée inutilement.

Le locataire a par ailleurs produit un constat médical établi en sa faveur le 20 août 2021, à teneur duquel il avait alors consulté un médecin, alléguant avoir été "agressé par un homme dehors de chez lui" et avoir reçu de celui-ci de multiples coups de poings au niveau de la tête et des bras. L’examen médical mettait en évidence des « dermabrasions au niveau de la main droite et le front ».

t. Par ordonnance du 21 juin 2023, le Tribunal a rejeté la demande d'audition de E______ en qualité de témoin et a clos les débats principaux.

u. Les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1).

En l'espèce, le loyer annuel de l'objet litigieux, charges comprises, s'élève à
8'280 fr. de sorte que la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr.

La voie de l'appel est ainsi ouverte.

1.2 L'appel ayant été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 142 al. 3, 145 al. 1 let. c et 311 al. 1 CPC), il est ainsi recevable.

2. Le Tribunal a retenu que les conditions formelles d'une résiliation anticipée pour violation du devoir de diligence (art. 257f al. 3 CO) étaient remplies, les nuisances reprochées n'ayant, malgré trois mises en demeure, pas cessé. Le fait que la régie ait encouragé les voisins à lui adresser leurs plaintes par écrit n’était pas de nature à remettre en cause le contenu de ces dernières, lequel avait par ailleurs été confirmé par témoignages. Les comportements adoptés par le locataire rendaient la continuation du bail insupportable. Le congé notifié par la bailleresse était dès lors efficace. Ne disposant plus, depuis l'extinction du contrat, de titre juridique, il se justifiait de prononcer l'évacuation de l'appelant.

Celui-ci se plaint d’une violation de son droit d’être entendu, l’audition de E______ étant nécessaire pour établir l’exagération des propos tenus par son époux et le fait que des rumeurs soient largement colportées à son encontre, ce qui aurait incité certains voisins à sombrer dans une peur irrationnelle et à l’accuser sans preuve aucune.

2.1 Le droit à la preuve - qui découle tant du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. que, en droit privé fédéral, de l'art. 8 CC et qui est, depuis l'entrée en vigueur du CPC, également consacré à l'art. 152 CPC - octroie à toute personne à laquelle incombe le fardeau de la preuve le droit, pour établir un fait pertinent contesté, de faire administrer les moyens de preuve adéquats, pour autant qu'ils aient été proposés régulièrement et en temps utile (ATF 143 III 297 consid. 9.3.2; 133 III 295 consid. 7.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_453/2022 du 29 août 2023 consid. 3.1; 4A_226/2022 du 27 septembre 2022 consid. 4.1; 4A_263/2021 du 21 octobre 2021 consid. 3.1.1).

En revanche, le droit à la preuve n'est pas violé lorsque le juge, par une appréciation anticipée, arrive à la conclusion que la mesure requise n'apporterait pas la preuve attendue, ou ne modifierait pas la conviction acquise sur la base des preuves déjà recueillies (ATF 143 III 297 consid. 9.3.2; 140 I 285 consid. 6.3.1; 138 III 374 consid. 4.3.2; 129 III 18 consid. 2.6; arrêts du Tribunal fédéral 4A_453/2022 du 29 août 2023 consid. 3.1 ; 4A_226/2022 du 27 septembre 2022 consid. 4.1; 4A_263/2021 du 21 octobre 2021consid. 3.1.1).

2.2 En l’espèce, rien au dossier ne laisse supposer que le témoignage de E______, qui a co-signé les courriers de plaintes envoyés à la bailleresse, viendrait infirmer les déclarations de son époux. Au demeurant, comme il sera exposé ci-après (consid. 4.2), les éléments au dossier établissent la réalité des reproches formulés par la bailleresse à l’encontre du locataire, de sorte que la mesure probatoire sollicitée s’avère, en tout état de cause, infondée par appréciation anticipée des preuves.

La jugement entrepris ne consacre par conséquent aucune violation du droit d’être entendu de l’appelant.

3. L'appelant se plaint d'une constatation incomplète des faits opérée par le Tribunal.

Ses critiques ont été prises en compte et l'état de fait complété dans la partie "EN FAIT" ci-dessus, dans la mesure utile à la solution du litige.

4. L’appelant conteste être l’auteur des perturbations reprochées. Il nie avoir agressé le témoin G______ en août 2021 et se prévaut du fait que les enquêtes n’auraient pas démontré qu’il était à l’origine des nuisances sonores litigieuses, ces dernières provenant d’un appartement voisin au sien. Il conteste par ailleurs avoir violé son devoir de diligence à la suite de la mise en demeure ayant précédé le congé. La régie avait incité les voisins à lui adresser des plaintes uniquement en vue de se débarrasser de lui.

4.1 Le bail à loyer est un contrat par lequel le bailleur s'oblige à céder l'usage d'une chose au locataire moyennant un loyer (art. 253 CO).

Le locataire est tenu d'user de la chose louée avec le soin nécessaire et d'avoir pour les personnes habitant la maison et les voisins les égards qui leur sont dus (art. 257f al. 1 et 2 CO).

L'art. 257f al. 3 CO sanctionne le non-respect de ce devoir et prévoit que lorsque le maintien du bail est devenu insupportable pour le bailleur ou les personnes habitant la maison parce que le locataire, nonobstant une protestation écrite du bailleur, persiste à enfreindre son devoir de diligence ou à manquer d'égards envers les voisins, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat; les baux d'habitations et de locaux commerciaux peuvent être résiliés moyennant un délai de congé minimum de 30 jours pour la fin d'un mois.

De plus, nonobstant l'avertissement écrit, le locataire doit avoir continué ou recommencé à enfreindre son devoir de diligence, étant précisé que la nouvelle violation doit être en relation avec celle mentionnée dans l'avertissement écrit, et le maintien du contrat doit être insupportable pour le bailleur ou pour les autres habitants de l'immeuble (Lachat, Le bail à loyer, 2019, p. 889).

C'est au moment où la résiliation est donnée qu'il faut se replacer pour juger de sa validité (ATF 140 III 496 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4C.270/2001 du 26 novembre 2001).

4.2 En l’espèce, le Tribunal a retenu qu’à la suite de la première mise en demeure du 24 juin 2021, portant sur des reproches de comportements agressifs, un nouvel épisode violent avait eu lieu, de nature déjà à justifier une résiliation anticipée.

Sur ce point, l’appelant conteste avoir agressé le témoin G______ le 19 août 2021, se prévalant du constat médical du 20 août 2021, produit en première instance. A teneur de ce document, l’appelant, qui avait alors déclaré au médecin avoir été agressé, présentait des dermabrasions au niveau de la main droite et du front. Les lésions ainsi constatées ne sont toutefois pas incompatibles avec la version des faits donnée par le témoin G______, ce dernier ayant expliqué avoir été contraint de repousser l’appelant, qui était tombé au sol, et l’avoir immobilisé jusqu’à la venue de la police. Lors de son audition du 20 octobre 2022, l’appelant a par ailleurs confirmé que le témoin avait appelé la police et que celle-ci avait considéré que l’appelant était l’auteur de l’agression en le menottant. Les témoignages de F______, qui avait été agressé sans raison par l’appelant, et de I______, qui se faisait régulièrement insulter sans motif par lui, attestent au surplus du caractère querelleur de ce dernier. L’appelant a en outre admis avoir intentionnellement endommagé la porte de son voisin avec une chaîne de vélo. Dans ces conditions, le constat médical invoqué n’est pas suffisant pour remettre en cause la crédibilité des déclarations du témoin G______. L’appelant a donc eu un comportement violent à l’égard de son voisin le 19 août 2021.

A la suite de cet événement, la bailleresse a envoyé deux autres mises en demeure les 17 septembre et 22 octobre 2021, la première reprochant à l’appelant son comportement agressif, la deuxième concernant des nuisances sonores. A cet égard, s’il est vrai qu’aucun témoin n’a vu l’appelant taper contre les murs de son appartement, les témoins G______, H______, I______ et J______ ont tous confirmé que les nuisances sonores provenaient de chez lui. I______, qui occupe l’appartement voisin, a en outre précisé entendre des bruits de gravats qui tombaient après les coups, provenant de derrière le mur commun aux deux logements. J______ s’était par ailleurs trouvée devant la porte ouverte de l’appartement de l’appelant et avait pu entendre distinctement que le bruit des coups provenait de l’intérieur de celui-ci.

Au vu de ces éléments, le Tribunal a à juste titre retenu que l’appelant était également à l’origine des nuisances sonores qui lui sont reprochées.

Les témoignages de H______, I______ et J______ attestent en outre de ce que les perturbations sonores n’ont jamais cessé et ont perduré à tout le moins jusqu’à l’audition de ces personnes par le Tribunal le 12 janvier 2023. Ils viennent confirmer la réalité des plaintes des 10 et 17 novembre 2021 adressées à la régie par H______ et les époux E______/G______, ainsi que celles émises par d’autres voisins après la notification du congé, du 26 novembre 2021 au 12 mai 2022. Les nuisances, dont le caractère insupportable n’est pas remis en cause, ont ainsi continué entre l’avertissement du 22 octobre 2021 et la résiliation du bail.

C’est enfin en vain que l’appelant se prévaut des contacts fréquents entre la régie et ses voisins pour mettre en doute la réalité des plaintes que ceux-ci ont adressés à la bailleresse. Aucun élément au dossier, y compris le courrier dont certains termes ont été caviardés pour des raisons inconnues, ne laisse penser que la régie aurait incité ces derniers à exagérer leurs reproches à l’encontre de l’appelant.

5. Pour ces mêmes motifs, l’argument de l’appelant sur un prétendu comportement déloyal de la régie - qui justifierait l’annulation du congé - est infondé. Cette dernière est intervenue conformément à son devoir de faire respecter les égards dus au voisinage. Le congé a été donné en raison des nuisances excessives causées par l’appelant, qui ont rendu la continuation du bail insupportable pour ses voisins. Les motifs donnés au congé sont conformes aux reproches formulés. Ils ont été établis, de sorte qu’ils ne sont ni abusifs ni chicaniers. Le congé n’apparaît ainsi pas contraire à la bonne foi (art. 271 al. 1 CO), étant au demeurant précisé que l’annulation d’un congé anticipé remplissant les conditions de l'art. 257f al. 3 CO présuppose des circonstances particulières et ne peut être que très rarement admise (arrêt du Tribunal fédéral 4A_87/2012 du 10 avril 2012 consid. 6.2).

L’appel est donc rejeté et le jugement entrepris entièrement confirmé.

6. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 22 janvier 2024 par A______ contre le jugement JTBL/1015/2023 rendu le 30 novembre 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/25486/2021‑OSB.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Mesdames Pauline ERARD et Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ, Monsieur Damien TOURNAIRE, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.