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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/19209/2023

ACJC/502/2024 du 16.04.2024 sur JTBL/1084/2023 ( SBL ) , CONFIRME

Normes : CPC.257
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19209/2023 ACJC/502/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU MARDI 16 AVRIL 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, et

Madame B______, domiciliée ______,

tous deux recourants contre un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 14 décembre 2023,

et

HOIRIE de feu C______, soit pour elle: D______, E______ et F______, intimée, représentée par Me Zena GOOSSENS-BADRAN, avocate, MING HALPERIN BURGER INAUDI, avenue Léon-Gaud 5, case postale, 1211 Genève 12.

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/1084/2023 non motivé du 14 décembre 2023, reçu le 19 du même mois par les parties, le Tribunal des baux et loyers a condamné A______ et B______ à évacuer immédiatement de leurs personnes et de leurs biens ainsi que de toute autre personne faisant ménage commun avec eux l'appartement de 5 pièces au rez-de-chaussée de l'immeuble sis route 1______ nos. ______ à I______ [GE] (ch. 1 du dispositif), autorisé l'hoirie de feu C______ (ci-après: l'hoirie) à requérir leur évacuation par la force publique dès le 90ème jour après l'entrée en force du jugement (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite.

A______ et B______ ont requis la motivation de ce jugement, qu'ils ont reçue le 16 janvier 2024.

B. a. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 26 janvier 2024, A______ et B______ ont formé recours contre ce jugement, concluant à ce que la Cour l'annule et leur accorde un délai supplémentaire pour l'exécution de l'évacuation ("le temps nécessaire de trouver un appartement afin de quitter ce logement").

Ils ont produit des pièces nouvelles.

b. Le 9 février 2024, l'hoirie a conclu à ce que la Cour confirme le jugement querellé.

c. Par pli du greffe de la Cour du 8 mars 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier:

a. A______ et B______, locataires, et feu C______, bailleur, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 5 pièces au rez-de chaussée de l'immeuble sis route 1______ nos. ______ à I______. Le montant du loyer ne ressort pas du dossier.

b. Par avis notifié le 28 mai 2021, le bailleur a résilié ledit bail pour le 30 septembre 2021.

c. Cette résiliation a été contestée par les locataires.

d. Lors de l'audience de conciliation du 16 septembre 2021, les parties sont parvenues à un accord, aux termes duquel le congé a été accepté par les locataires, une unique prolongation de bail échéant au 30 juin 2023 leur étant octroyée. Cet engagement a été protocolé dans le procès-verbal de conciliation, qui précise que la transaction vaut décision entrée en force (art. 208 al. 2 CPC) et jugement d'évacuation dès le 1er juillet 2023.

e. L'appartement n'a pas été restitué par A______ et B______.

f. C______ est décédé à une date qui ne ressort pas du dossier.

g. Par requête du 6 septembre 2023, l'hoirie a conclu à ce que le Tribunal prononce l'évacuation des locataires et en ordonne l'exécution directe. Elle a fait valoir que ces derniers n'avaient pas respecté le procès-verbal transactionnel valant jugement d'évacuation.

h. Lors de l'audience du Tribunal du 16 novembre 2023, l'hoirie a persisté dans ses conclusions. A______ et B______ n'étaient ni présents ni représentés.

i. Lors de l'audience du Tribunal du 14 décembre 2023, l'hoirie a persisté dans ses conclusions. A______ et B______ ont expliqué que les circonstances avaient changé depuis l'audience de conciliation du 16 septembre 2021. Au moment où l'accord avait été trouvé avec feu C______, la fille de ce dernier devait venir s'installer dans l'appartement litigieux afin de s'occuper de lui, car il était malade. Le précité était, entre temps, décédé, de sorte que sa fille n'avait plus besoin d'emménager dans ledit appartement. Les locataires ont aussi évoqué des problèmes fiscaux. Ils versaient leur loyer en espèces au bailleur, qui leur remettait des reçus ne correspondant pas aux montants payés. Cette procédure était une vengeance. Ils étaient malades et avaient, dans un premier temps, eu le projet de rester dans cet appartement jusqu'à la fin de leurs jours. L'hoirie a expliqué qu'il s'agissait d'une ferme avec plusieurs appartements où vivaient certains membres de la famille; la fille de feu C______ voulait se rapprocher d'eux.

j.a Selon une attestation du 20 avril 2023, la Dresse G______, psychiatre et psychothérapeute, a indiqué que l'état de santé (psychologique et somatique) de B______ s'était dégradé à la suite des conflits liés à son logement. Pour que la situation psychologique de la précitée ne s'aggrave pas, elle devait bénéficier du temps nécessaire pour trouver un nouveau logement.

j.b Le 4 décembre 2023, la même praticienne a établi une nouvelle attestation similaire en tous points à celle susmentionnée, où était ajouté que B______ ne pouvait être expulsée sans avoir de logement stable.

j.c Par certificat médical du 21 avril 2023, la Dresse H______ a certifié que A______ souffrait de plusieurs "affections médicales" qui l'avaient empêché de faire des recherches d'appartement, de sorte que son bail devrait être prolongé.

j.d Selon un certificat médical du 28 avril 2023 de la Dresse H______, spécialiste en médecine interne, B______ avait récemment été hospitalisée en raison de problèmes cardiaques et pulmonaires. Il était, en l'état, contre-indiqué de la forcer à déménager dans un court délai au risque de mettre sa santé en danger.

k. La cause a été gardée à juger par le Tribunal à l'issue de l'audience précitée.

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre des baux et loyers de la Cour connaît des appels et des recours dirigés contre les jugements du Tribunal des baux et loyers (art. 122 let. a LOJ).

1.2 Seule la voie du recours est ouverte contre les décisions du tribunal de l'exécution (art. 309 let. a et 319 let. a CPC).

En l'espèce, les recourants contestent les mesures d'exécution prononcées par le Tribunal, de sorte que la voie du recours est ouverte.

1.3 Le recours est recevable pour avoir été interjeté dans le délai de 10 jours dès réception de la motivation du jugement (art. 321 al. 2 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 321 al. 1 CPC).

1.4 Le recours peut être formé pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

2. Les recourants ont produit des pièces nouvelles devant la Cour.

2.1 Selon l'art. 326 al. 1 CPC, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables en matière de recours.

2.2 En l'espèce, excepté les certificats médicaux de la Dresse G______ des 20 avril et 4 décembre 2023 et de la Dresse H______ des 21 et 28 avril 2023, qui ont déjà été produits en première instance, les autres pièces produites par les recourants devant la Cour sont nouvelles et donc irrecevables, tout comme les allégués qui s'y rapportent.

3. Le Tribunal a retenu que selon l'accord, intervenu le 16 septembre 2021 par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, les locataires s'étaient engagés à restituer le logement au plus tard le 30 juin 2023. Cette transaction judiciaire valait jugement d'évacuation à compter du 1er juillet 2023. Depuis cette date, les locataires ne disposaient plus d'un titre juridique les autorisant à rester dans les locaux, de sorte qu'il se justifiait de prononcer leur évacuation. Un sursis de 90 jours était accordé pour l'exécution du jugement d'évacuation.

Les recourants reprochent au Tribunal d'avoir autorisé l'exécution directe de l'évacuation. Ils soutiennent que leurs âges et états de santé respectifs commandent de leur accorder "le temps nécessaire" afin de trouver un autre logement.

3.1 L'exécution forcée d'un jugement ordonnant l'expulsion d'un locataire est réglée par le droit fédéral (cf. art. 335 et ss CPC).

En procédant à l'exécution forcée d'une décision judiciaire, l'autorité doit tenir compte du principe de la proportionnalité. Lorsque l'évacuation d'une habitation est en jeu, il s'agit d'éviter que des personnes concernées ne soient soudainement privées de tout abri. L'expulsion ne saurait être conduite sans ménagement, notamment si des motifs humanitaires exigent un sursis, ou lorsque des indices sérieux et concrets font prévoir que l'occupant se soumettra spontanément au jugement d'évacuation dans un délai raisonnable. En tout état de cause, l'ajournement ne peut être que relativement bref et ne doit pas équivaloir en fait à une nouvelle prolongation de bail (ATF 117 Ia 336 consid. 2b; arrêts du Tribunal fédéral 4A_232/2018 du 23 mai 2018 consid. 7; 4A_207/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.1).

L'art. 30 al. 4 LaCC concrétise le principe de la proportionnalité en prévoyant que le Tribunal peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution du jugement d'évacuation dans la mesure nécessaire pour permettre le relogement du locataire.

S'agissant des motifs de sursis, différents de cas en cas, ils doivent être dictés par des "raisons élémentaires d'humanité". Sont notamment des motifs de ce genre la maladie grave ou le décès de l'expulsé ou d'un membre de sa famille, le grand âge ou la situation modeste de l'expulsé. En revanche, la pénurie de logements n'est pas un motif d'octroi d'un sursis (ACJC/269/2019 du 25 février 2019 consid. 3.1; ACJC/247/2017 du 6 mars 2017 consid. 2.1; ACJC/422/2014 du 7 avril 2014 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral du 20 septembre 1990, in Droit du bail 3/1991 p. 30 et les références citées).

3.2 En l'espèce, le Tribunal a pris en considération de manière appropriée la situation des recourants, soit en particulier leur état de santé, en leur accordant un sursis de 90 jours avant que l'évacuation ne soit exécutée.

Les recourants ne critiquent pas de manière motivée la durée dudit sursis accordé par le premier juge. En particulier, ils n'expliquent pas concrètement pourquoi les trois mois de délai de départ accordés par le Tribunal seraient insuffisants. Ils n'indiquent pas non plus la durée du sursis qui serait, selon eux, nécessaire pour leur permettre de trouver une solution de relogement. Les certificats médicaux produits ne permettent, à cet égard, pas de conclure que le délai accordé par le premier juge serait excessivement bref.

Il convient également de relever que les recourants ont disposé d'un temps suffisant pour organiser leur déménagement puisque le congé leur a été adressé en mai 2021 et qu'ils savent depuis mi-septembre 2021 qu'ils doivent quitter leur logement fin juin 2023. Ils ont ainsi bénéficié de presque deux ans pour planifier leur déménagement. Or, ils n'ont fait état d'aucune recherche de logement, étant relevé qu'aucun des certificats médicaux produits n'atteste que les recourants auraient tous les deux été empêchés pour des raisons de santé de procéder à des recherches d'appartement pendant l'ensemble de la période de deux ans précitée.

Compte tenu de ce qui précède, le sursis de 90 jours octroyé par le Tribunal aux recourants est équitable au sens des principes sus-rappelés et conforme au principe de proportionnalité. Aucun des arguments soulevés par les recourants ne justifie de retarder leur évacuation plus longtemps.

Le recours sera dès lors rejeté.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 26 janvier 2024 par A______ et B______ contre le jugement JTBL/1084/2023 rendu le 14 décembre 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/19209/2023‑8-SD.

Au fond :

Le rejette.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Pauline ERARD, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ, Monsieur Damien TOURNAIRE, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires indéterminée.