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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/12275/2023

ACJC/136/2024 du 12.02.2024 sur JTBL/854/2023 ( SBL ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/12275/2023 ACJC/136/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 12 FEVRIER 2024

 

Entre

1) A______ SA, sise ______ [GE],
2) B______ SA, sise ______ [GE], appelantes et recourantes d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 16 octobre 2023, représentées par Me Renato CAJAS, avocat, avenue de Champel 29, case postale , 1211 Genève 12,

et

Monsieur C______, domicilié ______ [GE], intimé, représenté par D______ SA, ______ [GE].

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/854/2023 du 16 octobre 2023, le Tribunal des baux et loyers a, préalablement, rejeté la requête de restitution formée par A______ SA et B______ SA des 24 et 25 août 2023 tendant à ce qu'une nouvelle audience soit convoquée, et, cela fait, a condamné A______ SA et B______ SA à évacuer immédiatement de leur personne et de leurs biens ainsi que de tout tiers les bureaux n° 11 situés au 1er étage de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève (ch. 1 du dispositif), a autorisé C______ à requérir l'évacuation par la force publique de A______ SA et B______ SA dès le 10ème jour après l'entrée en force du jugement (ch. 2), a condamné A______ SA et B______ SA, conjointement et solidairement, à verser à C______ la somme de 180'198 fr., avec intérêts à 5% dès le 1er mai 2023 (ch. 3), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4) et a rappelé que la procédure était gratuite (ch. 5).

En substance, le Tribunal a retenu que A______ SA et B______ SA devaient s'attendre à ce qu'une procédure en évacuation soit introduite à leur encontre, à la suite de la résiliation du bail pour défaut de paiement et à l'accumulation d'un retard de plus d'une année dans le paiement des loyers. La fiction de notification de la convocation à une audience au Tribunal était ainsi applicable. A______ SA n'avait pas justifié avoir été dans l'impossibilité de recevoir le pli recommandé contenant la citation à l'audience et B______ SA n'avait pas réceptionné son pli. La demande de restitution formée par les précitées devait dès lors être rejetée.

La demande de motivation du jugement avait été formée dans le délai légal, de sorte qu'il se justifiait d'y donner suite.

Les conditions d'une résiliation pour défaut de paiement étaient réunies et C______ était fondé à notifier un congé de ce fait. Dans la mesure où A______ SA et B______ SA occupaient sans droit les locaux en cause, leur évacuation devait être prononcée et les mesures d'exécution ordonnées.

B. a. Par acte expédié le 27 octobre 2023 à la Cour de justice, A______ SA et B______ SA ont formé appel de ce jugement, sollicitant son annulation. Elles ont conclu, principalement à l'octroi d'une "prolongation de bail de huit mois", et, subsidiairement, à la constatation de la violation de leur droit d'être entendues, à l'admission de leur demande de restitution et à la fixation d'une nouvelle audience devant la Cour.

Elles ont déposé une nouvelle pièce (n. 2).

b. Dans sa réponse du 6 novembre 2023, C______ a conclu au rejet du recours quant à la restitution du délai, sous suite de frais et dépens.

c. A______ SA et B______ SA n'ayant pas fait usage de leur droit de réplique, les parties ont été avisées par plis du greffe du 18 décembre 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. E______ SA, société inscrite au Registre du commerce genevois, dont la raison sociale s'est modifiée le 3 novembre 2021 en B______ SA, a notamment pour but la création et la gestion d'établissement hôtelier et d'hébergement.

A______ SA, également sise à Genève, a pour but la fourniture de services et de conseils dans le domaine de la finance, de l'économie et du commerce.

Ces deux sociétés ont leur siège social sis rue 2______ no. ______, [code postal] Genève.

b. Le 21 janvier 2021, C______ a remis à bail à A______ SA, F______ et E______ SA un bureau n° 11 d'environ 417 m2 situé au 1er étage de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève.

Le bail a débuté le 1er février 2021, sa première échéance étant fixée au 31 janvier 2026.

Le montant du loyer et des charges a été fixé à 8'826 fr. par mois, provisions pour charges de 450 fr. par mois en sus, du 1er février 2021 au 31 janvier 2022, et à 10'494 fr. du 1er février 2022 au 31 janvier 2026.

c. Par avis comminatoires du 16 décembre 2022, C______ a mis en demeure A______ SA et E______ SA de lui régler dans les 30 jours le montant de 114'800 fr., à titre d'arriéré de loyer et de charges dus au 31 décembre 2022 et les a informées de son intention, à défaut du paiement intégral de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le bail conformément à l'art. 257d CO.

Ces avis font mention d'un loyer mensuel de 9'500 fr. et d'un acompte de charges de 400 fr. par mois, en sus de l'arriéré accumulé au 31 octobre 2022.

Ces mises en demeure ont été réceptionnées par A______ SA et E______ SA le 22 décembre 2022.

d. Considérant que la somme susmentionnée n'avait pas été intégralement réglée dans le délai imparti, C______ a, par avis officiels du ______ 2023 à A______ SA et E______ SA, résilié le bail pour le 28 février 2023.

Ces résiliation, expédiées le 25 janvier 2023, ont été reçues le lendemain par A______ SA et E______ SA.

e. Par requête expédiée le 7 juin 2023, C______ a introduit action en évacuation devant le Tribunal et a en outre sollicité l'exécution directe du jugement d'évacuation des locataires et le paiement de la somme de 220'913 fr. (recte : 181'313 fr. 55), avec intérêts à 5% l'an dès le 1er avril 2023.

f. Le 24 juillet 2023, le Tribunal a adressé par plis recommandés à A______ SA et B______ SA une citation à une audience fixée le 17 août 2023.

Tant A______ SA que B______ SA ont demandé à la Poste une prolongation du délai de garde.

A______ SA a réceptionné le pli recommandé le 22 août 2023.

B______ SA n'a pas réclamé le pli recommandé à l'issue du délai de garde prolongé.

g. A l'audience du Tribunal du 17 août 2023, A______ SA et B______ SA n'étaient ni présentes ni représentées.

C______ a persisté dans ses conclusions, actualisant ses conclusions en paiement à hauteur de 180'198 fr.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.

h. Par jugement non motivé JTBL/678/2023 du 17 août 2023, expédié le lendemain, reçu par A______ SA et B______ SA le 28 août 2023 à la suite d'une prolongation du délai de garde à la Poste, le Tribunal a prononcé l'évacuation des précitées, a autorisé le bailleur à procéder à leur évacuation par la force publique et les a condamnées à verser au précité le montant de l'arriéré de loyer.

i. Le 24 août 2023, A______ SA a requis du Tribunal la restitution de l'audience. Elle s'est plainte d'une violation de son droit d'être entendue.

j. Le 25 août 2023, B______ SA en a fait de même. Elle a par ailleurs sollicité la motivation du jugement.

k. Début septembre 2023, A______ SA et B______ SA ont initié des discussions avec C______ en vue de la conclusion d'un arrangement de paiement et de la remise en vigueur du contrat de bail, un investisseur s'étant déclaré prêt à financer les travaux qu'elles envisageaient d'entreprendre dans les locaux, une autorisation de construire ayant été délivrée par le Département compétent.

l. Par déterminations du 15 septembre 2023, C______ a conclu au rejet de la requête de restitution de délai.

m. Sur quoi, le Tribunal a rendu un jugement motivé et statué sur la demande de restitution.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Si en procédure de protection des cas clairs, seule l'expulsion est contestée, la valeur litigieuse correspond aux loyers à échoir depuis le dépôt de la requête jusqu'à la fin prévisible de la procédure sommaire d'expulsion, soit pendant une durée que le Tribunal fédéral estime à six mois (arrêt du Tribunal fédéral 4A_565/2017 du 11 juillet 2018 consid. 1.2.1).

En l'espèce, la valeur litigieuse est de 65'664 fr. (6 mois x 10'494 fr. + 450 fr. de charges selon le contrat de bail; même à considérer un loyer de 9'000 fr. et 400 fr. de charges, la valeur litigieuse serait de 56'400 fr.), de sorte que seule la voie de l'appel est ouverte contre le prononcé de l'évacuation.

1.2 Interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi, l'appel est recevable (art. 311 al. 1 CPC).

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC; Hohl, Procédure civile, tome II, 2010, n. 2314 et 2416; Rétornaz, in : Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 349 ss, n. 121).

1.4 La voie du recours est ouverte contre la décision du Tribunal relative à l'exécution de l'évacuation. Le recours formé est également recevable.

1.5 Le recours est recevable pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

1.6 L'appel et le recours, formés contre la même décision, seront traités ensemble dans le présent arrêt (art. 125 CPC).

2. Les appelantes se plaignent de la violation de leur droit d'être entendues, dès lors qu'elles n'ont pas pu se rendre à l'audience du Tribunal, l'une d'elles ayant reçu la convocation après l'audience et l'autre n'ayant pas réceptionné de convocation, et sollicitent la fixation d'une nouvelle audience par la Cour.

2.1.
2.1.1
Aux termes de l'art. 138 al. 3 let. a CPC, un acte du tribunal est réputé notifié, en cas d'envoi recommandé, lorsque celui-ci n'a pas été retiré à l'expiration d'un délai de sept jours à compter de l'échec de la remise, si le destinataire devait s'attendre à recevoir la notification. Ainsi, un acte judiciaire (comme la citation; art. 136 let. a CPC) ne peut être réputé notifié que si son destinataire devait s'attendre à le recevoir. Un rapport procédural, qui impose aux parties de se comporter conformément aux règles de la bonne foi, soit, notamment, de se préoccuper de ce que les actes judiciaires concernant la procédure puissent leur être notifiés, ne prend toutefois naissance qu'à partir de la litispendance
(ATF 138 III 225 consid. 3.1; 130 III 396 consid. 1.2.3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_466/2012 du 4 septembre 2012 consid. 4.1.1; 5D_130/2011 du 22 septembre 2011 consid. 2.1; cf. également arrêts de la Chambre d'appel des baux et loyers ACJC/273/2013 du 1er mars 2013 et ACJC/79/2013 du 21 janvier 2013 consid. 4.2 et 4.4).

En cas de demande de garde du courrier, le pli est considéré comme communiqué le dernier jour d'un délai de sept jours dès la réception du pli à l'office de poste du domicile du destinataire; en d'autres termes, le délai n'est pas prolongé lorsque la poste permet de retirer le courrier dans un délai plus long, suite à une demande de garde (ATF 127 I 31, JdT 2001 I 727, Bohnet, CR-CPC, 2019, p. 23 ad art. 138 CPC).

2.1.2 La procédure sommaire s'applique aux cas clairs (art. 248 let. b et 257 CPC). Le tribunal doit donner à la partie citée l'occasion de se déterminer oralement ou par écrit (art. 253 CPC). S'il décide de citer les parties à une audience, il le fait en conformité des art. 133 ss CPC.

Le droit d'être entendu protégé par l'art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit d'être cité régulièrement aux débats. Cette garantie a pour but d'assurer à chaque partie le droit de ne pas être condamnée sans avoir été mise en mesure de défendre ses intérêts (ATF 131 I 185 consid. 2.1; 117 Ib 347 consid. 2b/bb). L'atteinte causée par le défaut d'une citation valablement notifiée est d'une gravité telle qu'elle ne peut pas être réparée devant l'instance de recours; si cette atteinte est réalisée, la cause doit être renvoyée à l'autorité de première instance
(ATF 138 III 225 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_466/2012 du 4 septembre 2012 consid. 4.1.2).

2.2 En l'espèce, faute de rapport procédural, la fiction de la notification de l'art. 138 al. 3 let. a CPC ne s'appliquait pas, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal. En effet, la procédure en protection du cas clair n'est pendante qu'à partir de la requête et le devoir des parties de se comporter selon la bonne foi ne naît qu'après la création du rapport de procédure en découlant. Le fait que les appelantes aient reçu un congé pour défaut de paiement et qu'elles aient accumulé plus d'un an de retard dans le versement des loyers n'y change rien. Il en résulte que les appelantes, qui n'ont pas été régulièrement avisées de la tenue de l'audience du 17 août 2023, ont été privées de la possibilité de défendre leurs intérêts, notamment de contester l'état de fait ou d'opposer à l'action des objections ou exceptions pouvant conduire à l'irrecevabilité de la requête en protection du cas clair.

Le droit d'être entendues des appelantes ayant été violé, le jugement attaqué sera annulé et la cause sera renvoyée au Tribunal pour qu'il donne aux appelantes l'occasion de se déterminer par écrit ou oralement conformément à l'art. 253 CPC, puis rende une nouvelle décision.

Il n'est dès lors pas nécessaire d'examiner les autres griefs des appelantes.

3. La procédure est gratuite (art. 22 al. 1 LaCC; ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevables l'appel et le recours interjetés le 27 octobre 2023 par A______ SA et B______ SA contre le jugement JTBL/854/2023 rendu le 16 octobre 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/12275/2023‑24-SE.

Au fond :

Annule ce jugement.

Renvoie la cause au Tribunal des baux et loyers pour instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions d'appel et de recours.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Nicolas DAUDIN, Madame Zoé SEILER, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.