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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/11840/2023

ACJC/1625/2023 du 11.12.2023 sur JTBL/740/2023 ( SBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/11840/2023 ACJC/1625/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 11 DECEMBRE 2023

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [GE], recourante contre un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 18 septembre 2023, représentée par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,

et

B______ SA, sise c/o C______ SA, succursale de ______, ______ [FR], intimée, représentée par Me Stéphanie FONTANET, avocate, Fontanet & Associés, Grand-Rue 25, case postale 3200, 1211 Genève 3.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/740/2023 du 18 septembre 2023, reçu par les parties le 22 septembre 2023, le Tribunal de baux et loyers, statuant par voie de procédure sommaire, a condamné A______ à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens ainsi que toute autre personne faisant ménage commun avec elle l'appartement de 4 pièces au 1er étage de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève (chiffre 1 du dispositif), autorisé B______ SA à requérir l'évacuation par la force publique de A______ dès le 30ème jour après l'entrée en force du jugement (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

B. a. Par acte déposé le 28 septembre 2023 à la Cour de justice, A______ recourt contre ledit jugement, en concluant, principalement, à ce qu'il soit dit qu'elle ne pourra être évacuée tant qu'elle n'aura pas trouvé une solution de relogement et, subsidiairement, à ce que B______ SA soit autorisée à requérir son évacuation dès le 9ème mois à partir du 18 septembre 2023.

b. Par arrêt du 10 octobre 2023, la Cour a suspendu le caractère exécutoire du chiffre 2 du dispositif du jugement attaqué.

c. Par acte du 12 octobre 2023, B______ SA conclut au rejet du recours.

d. Les parties ont été informées le 7 novembre 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier de première instance :

a. En date du 26 octobre 1982, D______, alors propriétaire, et E______, locataire, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 4 pièces au 1er étage de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève.

b. Par courrier du 15 janvier 2020, la fille du locataire a informé la régie de la présence dans l'appartement de A______, qui s'occupait de E______.

c. Un contrat de sous-location a été conclu entre E______ et A______ le 24 avril 2021.

Le sous-loyer, charges comprises, a été fixé en dernier lieu à 1'128 fr. par mois, montant correspondant au loyer du bail principal.

d. Par avis de résiliation du 27 mai 2021, la bailleresse a résilié le bail du locataire pour le 31 juillet 2021 après une vaine mise en demeure du 15 avril 2021 en raison de la sous-location non autorisée.

e. Le même jour, un congé ordinaire a été donné pour le 31 janvier 2022.

f. E______ ayant contesté les congés, un accord a été trouvé le 1er février 2022 par devant le Tribunal : une unique prolongation de bail a été accordée au locataire, l'accord valant jugement d'évacuation dès le 1er février 2023, la bailleresse étant autorisée à en requérir l'exécution dès cette date.

g. En date du 26 mai 2023, la nouvelle bailleresse, B______ SA, a introduit une requête en protection du cas clair devant le Tribunal, sollicitant l'évacuation avec exécution directe de A______, avec une demande en paiement.

h. Lors de l'audience du Tribunal du 18 septembre 2023, la bailleresse a retiré la demande en paiement, la situation étant à jour.

La sous-locataire a produit différentes pièces relatives à sa situation personnelle et financière. Titulaire d'un permis B, elle vivait seule et réalisait un revenu mensuel net de l'ordre de 3'600 fr., impôt à la source déduit, pour une activité d'aide-soignante dans un EMS à 80%. Elle s'était inscrite auprès de la Gérance immobilière de la Ville de Genève le 1er décembre 2022 et avait reçu le 11 janvier 2023 du Secrétariat des Fondations Immobilières de Droit Public (SFIDP) la confirmation de l'enregistrement de sa demande de logement.

Elle a invoqué le droit constitutionnel au logement, en soutenant qu'elle ne pouvait pas être évacuée s'il n'existait pas une solution de relogement. Subsidiairement, elle a sollicité un sursis humanitaire d'une année, car la situation était "extrêmement pénible" pour elle.

La bailleresse s'est opposée au délai sollicité et a persisté dans ses conclusions.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

i. Le Tribunal a considéré que A______ invoquait le droit au logement garanti par l'art. 41 de la Constitution fédérale et l'art. 38 de la Constitution genevoise (RS/GE A 2 00). Les rapports entre particuliers relevaient toutefois directement des seules lois civiles et pénales et c'était donc par celles-ci que l'individu était protégé contre les atteintes que d'autres sujets de droit privé pourraient porter à ses droits constitutionnels (ATF 107 Ia 277 consid. 3a; arrêts du Tribunal fédéral 5A_506/2014 du 23 octobre 2014 consid. 4.3.2; 4A_265/2011 du 8 juillet 2011 consid. 3.2.1). Le droit constitutionnel invoqué par la sous-locataire n'était dès lors pas de nature à permettre de renoncer à son évacuation à la suite de la fin du bail qui était intervenue conformément aux dispositions du Code des obligations en la matière. Le moyen soulevé par la sous-locataire s'avérait ainsi infondé.

Par ailleurs, les premiers juges ont retenu que la requérante, qui vivait seule, faisait valoir des difficultés à se reloger en raison de son salaire peu élevé en 3'600 fr. et son permis B. Elle établissait s'être inscrite auprès de la Gérance immobilière de la Ville de Genève le 1er décembre 2022 et avait reçu une confirmation du SFIDP le 11 janvier 2023 pour une demande de logement. Toutefois, la sous-locataire connaissait la date d'échéance du bail, avait tardé à s'inscrire auprès des entités pour une demande de logement et avait, dans les faits, déjà bénéficié de 8 mois supplémentaires. Pour ces motifs, les difficultés pour se reloger invoquées ne justifiaient pas d'accorder le délai humanitaire d'une année sollicité; un ultime délai de 30 jours serait accordé pour permettre à la sous-locataire de quitter le logement.

EN DROIT

1. La sous-locataire ne conteste le jugement du 18 septembre 2023 qu'en tant qu'il autorise la bailleresse à requérir son évacuation dès le 30ème jour après l'entrée en force du jugement (ch. 2 du dispositif). Elle ne critique pas le prononcé de l'évacuation.

1.1 Seule la voie du recours est ouverte contre les décisions du tribunal de l'exécution (art. 309 let. a et 319 let. a CPC).

Le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de la deuxième instance dans les trente jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 et 321 al. 1 CPC). Le délai est de dix jours pour les décisions prises en procédure sommaire (art. 314 al. 1 et 321 al. 2 CPC), ce qui est le cas des procédures en protection des cas clairs (art. 248 let. b et 257 CPC).

En l'espèce, le recours a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi et est ainsi recevable.

1.2 Le recours est recevable pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

2. La recourante invoque en premier lieu le droit au logement et fait valoir qu'elle ne pourrait pas être évacuée de son logement sans avoir été relogée.

Son grief est irrecevable, dans la mesure où elle ne tente même pas de démontrer le caractère erroné de la motivation de la décision attaquée relative au droit au logement (cf. "En fait", let. i, premier paragraphe; arrêts du Tribunal fédéral 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 3.1; 5A_438/2012 du 27 août 2012 consid. 2.2).

3. La recourante fait grief au Tribunal d'avoir violé le principe de la proportionnalité en autorisant la bailleresse à requérir son évacuation dès le 30ème jour après l'entrée en force du jugement.

3.1 L'exécution forcée d'un jugement ordonnant l'expulsion d'un locataire est réglée par le droit fédéral (cf. art. 335 et ss CPC).

En procédant à l'exécution forcée d'une décision judiciaire, l'autorité doit tenir compte du principe de la proportionnalité. Lorsque l'évacuation d'une habitation est en jeu, il s'agit d'éviter que des personnes concernées ne soient soudainement privées de tout abri. L'expulsion ne saurait être conduite sans ménagement, notamment si des motifs humanitaires exigent un sursis, ou lorsque des indices sérieux et concrets font prévoir que l'occupant se soumettra spontanément au jugement d'évacuation dans un délai raisonnable (ATF 117 Ia 336 consid. 2b; arrêts du Tribunal fédéral 4A_232/2018 du 23 mai 2018 consid. 7; 4A_207/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.1).

L'art. 30 al. 4 LaCC concrétise le principe de la proportionnalité en prévoyant que le Tribunal peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution du jugement d'évacuation dans la mesure nécessaire pour permettre le relogement du locataire ou du fermier lorsqu'il est appelé à statuer sur l'exécution d'un jugement d'évacuation d'un logement, après audition des représentants du département chargé du logement et des représentants des services sociaux ainsi que des parties.

S'agissant des motifs de sursis, différents de cas en cas, ils doivent être dictés par des "raisons élémentaires d'humanité". Sont notamment des motifs de ce genre la maladie grave ou le décès de l'expulsé ou d'un membre de sa famille, le grand âge ou la situation modeste de l'expulsé. En revanche, la pénurie de logements ou le fait que l'expulsé entretient de bons rapports avec ses voisins ne sont pas des motifs d'octroi d'un sursis (ACJC/269/2019 du 25 février 2019 consid. 3.1; ACJC/247/2017 du 6 mars 2017 consid. 2.1; ACJC/422/2014 du 7 avril 2014 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral du 20 septembre 1990, in Droit du bail 3/1991 p. 30 et les références citées).

Le juge ne peut pas différer longuement l'exécution forcée et, ainsi, au détriment de la partie obtenant gain de cause, éluder le droit qui a déterminé l'issue du procès. Le délai d'exécution ne doit notamment pas remplacer la prolongation d'un contrat de bail à loyer lorsque cette prolongation ne peut pas être légalement accordée à la partie condamnée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_232/2018 du 23 mai 2018 consid. 7; 4A_389/2017 du 26 septembre 2017 consid. 8; 4A_207/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.1).

3.2 En l'espèce, la recourante vit seule et réalise un revenu (net, impôt déduit) lui permettant de retrouver un logement. Ses recherches d'une solution de relogement sont insuffisantes. De plus, le bail principal du logement a pris fin le 31 janvier 2023, de sorte que la recourante occupe le logement litigieux sans titre juridique en tout cas depuis dix mois. En outre, en raison de la présente procédure, elle a obtenu dans les faits un sursis de deux mois et demi à compter du prononcé du jugement attaqué, ce qui constitue un délai équitable au sens des principes sus-rappelés.

Il apparaît en définitive qu'en autorisant la bailleresse à requérir l'évacuation forcée de la sous-locataire dès le 30ème jour après l'entrée en force du jugement d'évacuation, le Tribunal n'a pas violé le principe de proportionnalité et n'a pas mésusé de son pouvoir d'appréciation.

Le recours sera donc rejeté.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 28 septembre 2023 par A______ contre le jugement JTBL/740/2023 rendu le 18 septembre 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/11840/2023-24-SD.

Au fond :

Rejette le recours.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD et Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Zoé SEILER et Monsieur Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119
et 90 ss LTF. Le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.