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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/14373/2022

ACJC/1501/2023 du 13.11.2023 sur JTBL/311/2023 ( SBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/14373/2022 ACJC/1501/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 13 NOVEMBRE 2023

 

Entre

Monsieur A______, p.a. Etude B______, ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 24 avril 2023, représenté par
Me Sidonie MORVAN et Yoann LAMBERT, avocats, esplanade de Pont-Rouge 9, case postale 1875, 1211 Genève 26,

et

1) C______ SA, sise ______ [GE],

2) Madame D______, intimées, toutes deux représentées par
Me Jacqueline MOTTARD, avocate, rue Pedro-Meylan 1, case postale 6203, 1211 Genève 6,

3) VILLE DE GENEVE, autre intimée, représentée par Me Boris LACHAT, avocat, rue des Deux-Ponts 14, case postale 219, 1211 Genève 8.

 

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTBL/311/2023 du 24 avril 2023, expédié pour notification aux parties le 3 mai 2023, le Tribunal des baux et loyers, statuant sur requête d'intervention accessoire, a déclaré irrecevable la requête formée par A______ (ch. 1), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et rappelé que la procédure était gratuite (ch. 3).

Il a retenu que A______ ne disposait d'aucun intérêt juridique à intervenir, les droits de celui-ci ne pouvant être lésés ou compromis par le jugement à rendre.

B.            Par acte du 11 mai 2023 à Cour de justice, A______ a formé un recours contre cette décision. Il a conclu à l'annulation de celle-ci, cela fait à ce que soit admise sa requête en intervention accessoire, subsidiairement à ce que la cause soit retournée au Tribunal pour nouvelle décision.

La VILLE DE GENEVE a conclu au rejet du recours.

C______ SA et D______ s'en sont rapportées à justice.

A______ a répliqué, produit une pièce nouvelle et persisté dans ses conclusions. La VILLE DE GENEVE a conclu à l'irrecevabilité de cette pièce.

Par avis du 29 août 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants :

a. Le 15 juillet 2022, C______ SA et D______ ont saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers d'une requête dirigée contre la VILLE DE GENEVE.

Au bénéfice d'une autorisation de procéder, elles ont, le 24 octobre 2022, adressé leur requête au Tribunal. Elles ont conclu à l'annulation de la résiliation, notifiée le 16 juin 2022 par la VILLE DE GENEVE, du contrat de bail portant sur l'arcade commerciale de 766 m2 comprenant le café-restaurant E______, sise rue 1______ no. ______ à Genève.

b. Le 24 novembre 2022, A______ a formé une requête en intervention accessoire en faveur de C______ SA et de D______, valant "pour toutes les procédures judiciaires actuellement pendantes portant sur la résiliation du bail conclu entre la VILLE DE GENEVE d'une part et Mme D______ et C______ SA d'autre part".

Il a allégué qu'il avait appris par voie de presse l'existence de ces procédures, et qu'il avait interpellé à deux reprises le conseil de D______ au sujet des procédures pendantes, sans succès. Il avait conclu avec les parties précitées ainsi que F______, le 17 mai 2022, une convention de vente à terme, selon laquelle D______ s'était engagée à le désigner, dès le renouvellement du bail, en qualité d'administrateur de C______ SA, et à "transférer le contrat de bail" en sa faveur, aux côtés de la société précitée. Il a affirmé, sans autre développement, avoir un intérêt à la poursuite du bail à loyer, raison pour laquelle il formait sa requête d'intervention.

Le Tribunal a imparti un délai aux parties pour se déterminer sur la recevabilité de la requête en intervention accessoire.

La VILLE DE GENEVE a requis du Tribunal qu'il ordonne la production de la convention de vente évoquée par A______, avant ses déterminations.

A la suite de l'ordonnance du Tribunal du 5 décembre 2022, A______ a déposé un tirage de la convention. Celle-ci stipule une vente par D______ de ses actions de C______ SA à F______ au plus tard le 31 août 2022; elle comporte un article ainsi rédigé : "Dès le renouvellement (prolongation) du bail accordé et au même temps que la signature de la prolongation du bail à loyer […], Mme D______ démissionnera du poste de gérante officielle et désignera M. A______ en tant que nouvel administrateur ou la société C______ SA renommera le nouvel administrateur. Mme D______ sollicitera d'ajouter M. A______ au bail afin de le substituer en garantie de loyer-bail en personne. […], ainsi que des "notes importantes", dont l'une portant sur un "futur concept" à respecter "sous la supervision de M. A______, architecte responsable du projet".

La VILLE DE GENEVE a conclu à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet, de la requête d'intervention. Elle a fait valoir que le tirage de la convention produit n'était pas complet, que cette convention avait été conclue à son insu, qu'à supposer que celle-ci déploie des effet juridiques, elle ne fonderait pas des prétentions récursoires de C______ SA et D______ contre A______ et que d'éventuelles prétentions de ce dernier contre les précitées ne seraient pas influencées par la procédure, qu'enfin, A______ se voyait conférer essentiellement des obligations et non des droits.

C______ SA et D______ s'en sont rapportées à justice.

Les deux déterminations précitées n'ont pas été transmises à A______.

Par ordonnance du 27 mars 2023, notifiée aux parties ainsi qu'à A______, le Tribunal a gardé la cause à juger sur recevabilité de la requête en intervention.

 

 

EN DROIT

1.             1.1 L'art. 75 al. 2 CPC prévoit que la décision sur la requête en intervention peut faire l'objet d'un recours. Le délai est de dix jours (art. 321 al. 2 CPC).

Le présent recours est ainsi recevable.

1.2 Le recours est recevable pour violation du droit et constatation inexacte des faits (art. 320 CPC).

1.3 Les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).

La pièce nouvelle déposée par le recourant n'est ainsi pas recevable.

2. Le recourant reproche au Tribunal une violation du droit d'être entendu et une violation de l'art. 74 CPC.

2.1 Compris comme l'un des aspects de la notion générale de procès équitable au sens de l'art. 29 Cst., le droit d'être entendu garantit notamment au justiciable le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, d'avoir accès au dossier, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, dans la mesure où il l'estime nécessaire, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre
(ATF
138 I 154 consid. 2.3.3; 137 I 195 consid. 2.3.1; 135 II 286 consid. 5.1;
133 I 100 consid. 4.3; 132 I 42 consid. 3.3.2).

Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de nature formelle, dont la violation entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond. Le droit d'être entendu doit permettre d'éviter qu'une procédure judiciaire ne débouche sur un jugement vicié en raison de la violation du droit des parties de participer à la procédure, notamment à l'administration des preuves. Ce droit n'est cependant pas une fin en soi. Ainsi, lorsqu'on ne voit pas quelle influence la violation du droit d'être entendu a pu avoir sur la procédure, il n'y a pas lieu d'annuler la décision attaquée. Dans ce cas, en effet, le renvoi de la cause à l'autorité précédente en raison de cette seule violation constituerait une vaine formalité et conduirait seulement à prolonger inutilement la procédure (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1 et les références; arrêt du Tribunal fédéral 5A_381/2020 du 1er septembre 2020 consid. 3.1).

Une violation du droit d'être entendu qui n'est pas particulièrement grave peut être exceptionnellement réparée devant l'autorité de recours lorsque l'intéressé jouit de la possibilité de s'exprimer librement devant une telle autorité disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité précédente sur les questions qui demeurent litigieuses et qu'il n'en résulte aucun préjudice pour le justiciable
(ATF 136 III 174).

2.2 Aux termes de l'art. 74 CPC, qui règle l'intervention accessoire (Nebenintervention), quiconque rend vraisemblable un intérêt juridique à ce qu'un litige pendant soit jugé en faveur de l'une des parties peut en tout temps intervenir à titre accessoire et présenter au tribunal une requête d'intervention à cet effet.

Par définition, l'intervenant accessoire ne fait pas valoir des prétentions propres, mais soutient les conclusions d'une des parties principales, qu'il a intérêt à voir triompher. Il doit rendre vraisemblable un intérêt juridique à ce que la partie aux côtés de laquelle il veut intervenir ait gain de cause. La requête d'intervention accessoire doit toutefois comprendre un exposé du motif de l'intervention. Singulièrement, les faits fondant l'intérêt juridique à intervenir doivent être allégués, le cas échéant preuves à l'appui.

Hormis la capacité d'être partie (Parteifähigkeit) et d'ester en justice (Prozessfähigkeit), la condition essentielle requise pour intervenir est ainsi celle de rendre vraisemblable un intérêt juridique (rechtliches Interesse) à ce que le litige pendant soit jugé en faveur de l'une des parties. Un intérêt purement factuel ou économique ne suffit pas. L'intervenant a un intérêt juridique lorsqu'en cas de perte du procès, ses propres droits peuvent être lésés ou compromis; le jugement à intervenir doit donc influer sur les droits et obligations de l'intervenant. Il n'est en revanche pas nécessaire qu'il y ait une relation juridique entre l'intervenant et la partie à soutenir ou la partie adverse, et l'intérêt à l'intervention peut ainsi être immédiat ou médiat, selon que le jugement est automatiquement opposable à l'intervenant ou non.

Lorsqu'il contrôle l'admissibilité de l'intervention accessoire, le juge se borne à vérifier (d'office) que l'intervenant rend vraisemblable (glaubhaft) son intérêt juridique à intervenir. Pour admettre la vraisemblance de l'intérêt juridique, il suffit qu'il existe une certaine probabilité, fondée sur des indices objectifs qu'il appartient à l'intervenant de fournir, que ses droits sont susceptibles d'être lésés en cas de perte du procès, sans que la possibilité que tel ne puisse pas être le cas soit pour autant exclue (ATF 143 III 140 consid. 4).

2.3 De longue date, le Tribunal fédéral a jugé qu'un droit matériel aux renseignements et pièces doit faire l'objet d'une procédure permettant un examen complet de la cause en fait et en droit, puisque le juge règle alors définitivement le sort de ce droit, qui, par nature, "s'épuise" avec la communication des renseignements et pièces (ATF 120 II 352 consid. 2b). Tel est le cas du droit matériel, dit de reddition de compte, fondé sur l'art. 400 al. 1 CO, qui est donc de nature contractuelle (ATF 141 III 564 consid. 4.2.2; 138 III 728 consid. 2.7;
126 III 445 consid. 3b).

Ce droit matériel ne peut donc être invoqué, ni par la voie d'une procédure de mesures provisionnelles des art. 261 ss CPC (ATF 138 III 728 consid. 2.7), ni par celle d'une procédure de preuve à futur de l'art. 158 al. 1 let. b CPC
(ATF 141 III 564 consid. 4.2.2), puisque ces deux voies ne permettent pas un examen complet de l'existence du droit matériel.

A l'évidence, un tel droit ne peut pas l'être non plus par le biais d'une intervention accessoire des art. 74 ss CPC. En effet, puisque l'admission de l'intervention accessoire n'est subordonnée qu'à la simple vraisemblance (glaubhaft) de l'intérêt juridique de l'intervenant (art. 74 al. 1 CPC; ATF 143 III 140 consid. 4.1.3), lequel repose et présuppose l'existence d'un droit matériel aux renseignements et pièces, cette institution ne permet pas un examen complet de ce droit matériel (arrêt du Tribunal fédéral 4A_263/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.2.1.).

2.4 En l'espèce, il est constant que le Tribunal n'a pas transmis au recourant les déterminations des parties.

Dans la décision attaquée, en application de la jurisprudence rappelée ci-dessus, le Tribunal s'est limité à déterminer si le recourant avait ou non un intérêt juridique à ce que les parties demanderesses à la procédure aient gain de cause. Il s'agit d'une question de droit, qui est examinée par la Cour avec un plein pouvoir d'examen dans un recours. La réparation d'une éventuelle violation du droit d'être entendu est ainsi possible dans le cadre du présent recours.

Dans sa requête d'intervention, le recourant, affirmant qu'il avait un intérêt à la poursuite du bail à loyer liant les parties au fond, s'est limité à alléguer le contenu de la convention qu'il avait conclue le 17 mai 2022 et l'absence d'informations au sujet de la présente procédure.

Ce faisant, il s'est prévalu d'un droit aux renseignements, lequel ne peut pas être exercé par la voie d'une intervention.

Au surplus, il n'a pas exposé en quoi il disposerait d'un intérêt juridique à ce que le litige soit tranché en faveur des demanderesses au fond; la seule circonstance qu'il invoque, à savoir qu'il a convenu avec celles-ci d'entrer dans le bail (et non de reprendre le bail, au sens de l'art. 263 CO) ne fonde aucun droit, dans la mesure où il ne saurait être question d'imposer au bailleur une partie tierce au contrat de bail. Il est ainsi juridiquement indifférent au recourant, tiers au contrat de bail et dépourvu de prétention fondée et exécutable à en devenir partie, que la résiliation de ce contrat soit ou non annulée. Le recourant n'a dès lors rendu vraisemblable aucun intérêt juridique, de sorte que son grief est infondé.

Le recours sera donc rejeté.

3. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé le 11 mai 2023 par A______ contre le jugement JTBL/311/2023 rendu le 24 avril 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/14373/2022-22-OSB.

Au fond :

Rejette ce recours.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ et Monsieur Nicolas DAUDIN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.