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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/18733/2022

ACJC/343/2023 du 13.03.2023 sur JTBL/955/2022 ( SBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18733/2022 ACJC/343/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 13 MARS 2023

 

Entre

1) Madame A______, domiciliée c/o M. B______, ______,

2) C______ SA, sise ______, toutes deux appelantes d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 8 décembre 2022, comparant par Me Catarina MONTEIRO SANTOS, avocate, boulevard des Tranchées 4, 1205 Genève, en l'étude de laquelle elles font élection de domicile,

et

D______ SA, c/o E______ SA, sise ______, intimée, représentée par [la régie immobilière] G______, ______, en les bureaux de laquelle elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/955/2022 du 8 décembre 2022, reçu par les parties le 14 décembre 2022, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure sommaire, a condamné A______ et C______ SA à évacuer immédiatement de leurs personnes et de leurs biens, ainsi que toute autre personne faisant ménage commun avec elles, l'appartement de 6 pièces n° 1______ situé au 6ème étage de l'immeuble sis rue 2______ no. ______ à Genève (ch. 1 du dispositif), autorisé D______ SA à requérir l'évacuation par la force publique de A______ et C______ SA, dès l'entrée en force du jugement (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

En substance, les premiers juges ont retenu que la mise en demeure prenait en compte le paiement du loyer de mois de janvier et ne concernait que les mois de février et mars 2022. Le loyer du mois de février avait été payé dans le délai comminatoire mais pas celui du mois de mars, versé le 10 mai 2022. La bailleresse était fondée à donner congé, ce qu'elle avait fait en respectant les conditions de l'art. 257d CO. Les locataires ne disposaient plus d'aucun titre les autorisant à demeurer dans les locaux, de sorte que leur évacuation devait être prononcée, ainsi que son exécution, avec la précision que celle-ci devait être précédée de l'intervention d'un huissier judiciaire.

B. a. Par acte expédié le 26 décembre 2022 à la Cour de justice, A______ et C______ SA (ci-après : les locataires ou les appelantes) forment appel et recours contre ce jugement, dont elles sollicitent l'annulation. Cela fait, elles concluent à ce que la requête en évacuation du 19 septembre 2022 soit déclarée irrecevable, sous suite de frais et dépens, subsidiairement à l'octroi d'un délai d'une année pour évacuer l'appartement loué.

Elles allèguent des faits nouveaux.

b. Par réponse du 10 janvier 2023, D______ SA a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

c. Les parties ont été informées par pli du greffe du 2 février 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer du 24 août 2018 et avenant du 4 août 2020, portant sur la location d'un appartement de 6 pièces n° 1______ situé au 6ème étage de l'immeuble sis rue 2______ no. ______ à Genève.

Le montant du loyer et des charges a été fixé en dernier lieu à 2'650 fr. par mois, plus 50 fr. de forfait mensuel de chauffage.

b. Le 7 mars 2022, les locataires ont versé la mensualité du mois de janvier 2022.

c. Par avis comminatoires du 16 mars 2022, la bailleresse a mis en demeure les locataires de lui régler dans les 30 jours le montant de 7'950 fr. à titre d'arriéré de loyer et de charges pour les mois de janvier, février et mars 2022, dont à déduire le versement du 7 mars 2022 en 2'650 fr., soit un solde de 5'350 fr. y compris 50 fr. de frais de rappel, et les a informées de son intention, à défaut du paiement intégral de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le bail conformément à l'art. 257d CO.

d. Un versement de 2'650 fr. (loyer février 2022) est intervenu dans le délai comminatoire, en date du 11 avril 2022.

e. Le 10 mai 2022, les locataires ont versé le loyer du mois de mars 2022.

f. Considérant que seul le loyer du mois de février avait été réglé dans le délai imparti, le loyer du mois de mars n'ayant été réceptionné que le 10 mai 2022, soit après l'échéance du délai comminatoire, la bailleresse a, par avis officiels du 27 juin 2022, résilié le bail pour le 31 juillet 2022.

g. Par requête en protection du cas clair expédiée le 22 septembre 2022 au Tribunal, la bailleresse a sollicité l'évacuation des locataires, avec mesures d'exécution directe.

h. Lors de l'audience du 8 décembre 2022, la bailleresse a déclaré que l'arriéré se montait à 7'950 fr. Le dernier versement en 2'650 fr. avait été effectué en date du 10 octobre 2022.

F______, nouvel administrateur depuis le 6 novembre 2022, A______ n'étant plus administratrice depuis cette date, ses pouvoirs ayant été radiés, et représentant de C______ SA, a déclaré que l'appartement était utilisé surtout pour les employés de celle-ci.

Le Conseil des locataires a contesté le montant réclamé et produit les preuves de paiement, le dernier étant intervenu en date du 6 décembre 2022. L'indemnité du mois de décembre allait être payée le lendemain. Par ailleurs, la requête devait être déclarée irrecevable du fait que lors de la mise en demeure du 16 mars 2022 pour les mois de janvier, février et mars 2022, le loyer du mois de janvier avait déjà été payé (le 7 mars 2022). Quant au loyer de février, il avait été payé dans le délai comminatoire, à savoir le 11 avril 2022. Ainsi, lors de la notification de l'avis de résiliation, seul le loyer de mars n'avait pas été payé. Or, les locataires n'avaient reçu aucun rappel pour le loyer du mois de mars avant de se voir notifier la mise en demeure. Le loyer de mars avait été payé le 10 mai 2022. Il n'y avait plus de retard. Il a sollicité un délai d'épreuve.

La bailleresse a persisté dans ses conclusions et le Tribunal a gardé la cause à juger.

EN DROIT

1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle. S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire elle-même, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche la résiliation des rapports de bail est également contestée, la valeur litigieuse est égale au loyer pour la période minimale pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle une nouvelle résiliation peut être signifiée; comme il faut prendre en considération la période de protection de trois ans prévue à l'art. 271a al. 1 let. e CO, la valeur litigieuse correspondra en principe au montant du loyer brut (charges et frais accessoires compris) pendant trois ans (ATF
144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3 = JdT 2019 II 235; arrêt du Tribunal fédéral 4A_376/2021 du 7 janvier 2022 consid.1; Lachat, Procédure civile en matière de baux et loyers, Lausanne 2019, pp. 69-70).

1.2 En l'espèce, la validité de la résiliation du bail est contestée de sorte que la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. La voie de l'appel est dès lors ouverte.

L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 314 al. 1 CPC), étant rappelé que la procédure sommaire s'applique à la procédure de cas clairs (art. 248 let. b CPC). Il est ainsi recevable.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

1.4 La voie du recours est ouverte contre la décision du Tribunal relative à l'exécution de l'évacuation. Le recours formé est également recevable.

1.5 Le recours est recevable pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

1.6 L'appel et le recours, formés contre la même décision, seront traités ensemble dans le présent arrêt (art. 125 CPC).

2. Les appelantes ont allégués nouvellement des faits.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuves nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile 2ème éd., 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).

2.2 En l'espèce, les faits nouvellement allégués sont antérieurs à la date à laquelle la cause a été gardée à juger, et les appelantes n'exposent pas pour quelles raisons elles n'en ont pas fait état devant les premiers juges. Ces faits sont, partant, irrecevables. Ils ne sont en tout état pas pertinents pour la solution du litige.

3. Les appelantes font grief aux premiers juges d'avoir prononcé leur évacuation, alors qu'elles n'avaient reçu aucun rappel pour le paiement du loyer du mois de mars 2022, avant l'envoi de la résiliation. Elles soutiennent que l'intimée a agi avec précipitation et serait de mauvaise foi.

3.1 Aux termes de l'art. 257 al. 1 et 3 CPC, relatif à la procédure de protection dans les cas clairs, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque les conditions suivantes sont remplies : (a) l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé et (b) la situation juridique est claire (al. 1); le tribunal n'entre pas en matière sur la requête lorsque cette procédure ne peut pas être appliquée (al. 3).

Selon l'art. 257d al. 1 et 2 CO, lorsque le locataire a reçu la chose louée et qu'il tarde à s'acquitter d'un terme ou de frais accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai de paiement et lui signifier qu'à défaut de paiement dans ce délai, il résiliera le bail. Le délai doit être d'au moins trente jours pour les baux d'habitations ou de locaux commerciaux (al. 1). A défaut de paiement dans le délai fixé, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat; les baux d'habitations ou de locaux commerciaux peuvent être résiliés avec un délai de congé minimum de trente jours pour la fin d'un mois (al. 2).

Selon la jurisprudence, la résiliation fondée sur l'art. 257d al. 2 CO n'est contraire aux règles de la bonne foi, et donc annulable sur la base de l'art. 271 al. 1 CO, que dans des circonstances particulières. L'annulation entre en considération lorsque le bailleur a réclamé une somme largement supérieure à celle en souffrance, alors qu'il n'était pas certain du montant effectivement dû (ATF 120 II 31 consid. 4b). L'annulation entre aussi en considération lorsque l'arriéré est insignifiant, ou lorsque ce montant a été réglé très peu de temps après l'expiration du délai comminatoire, alors que, auparavant, le locataire s'était toujours acquitté à temps du loyer, ou encore lorsque le bailleur ne résilie le contrat que longtemps après l'expiration de ce même délai (arrêts du Tribunal fédéral 4A_472/2008 du 26 janvier 2009 consid. 5.3.1, RtiD 2009 II 681; 4C_430/2004 du 8 février 2005 consid. 3.1, SJ 2005 I p. 310/311).

3.2 En l'espèce, les appelantes ne soutiennent pas que le cas ne serait pas clair, ni que les conditions d'une résiliation selon l'art. 257d CO ne seraient pas réalisées.

Elles affirment qu'il serait de coutume d'envoyer un rappel avant de procéder à la résiliation, sans fournir aucun élément probant à cet égard. Cette condition ne ressort en tout état pas de la loi.

Aucun élément ne permet de retenir que l'intimée aurait fait preuve de mauvaise foi en résiliant le bail. Le montant visé par la mise en demeure du 16 mars 2022 était conforme à la situation, puisqu'il tenait compte du versement intervenu le 7 mars 2022 en paiement du mois de janvier, et que le loyer du mois de mars 2022 était alors dû.

A l'échéance du délai comminatoire un loyer restait dû, et non pas seulement une somme dérisoire. Le versement relatif à ce loyer a été effectué le 10 mai 2022, soit près d'un mois après l'échéance du délai comminatoire.

C'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont retenu que la résiliation était valable. Pour le surplus le cas est clair.

Le jugement entrepris sera ainsi confirmé.

4. Les locataires contestent l'appréciation du Tribunal s'agissant des mesures d'exécution.

4.1 L'exécution forcée d'un jugement ordonnant l'expulsion d'un locataire est réglée par le droit fédéral (cf. art. 335 et ss CPC).

En procédant à l'exécution forcée d'une décision judiciaire, l'autorité doit tenir compte du principe de la proportionnalité. Lorsque l'évacuation d'une habitation est en jeu, il s'agit d'éviter que des personnes concernées ne soient soudainement privées de tout abri. L'expulsion ne saurait être conduite sans ménagement, notamment si des motifs humanitaires exigent un sursis, ou lorsque des indices sérieux et concrets font prévoir que l'occupant se soumettra spontanément au jugement d'évacuation dans un délai raisonnable. En tout état de cause, l'ajournement ne peut être que relativement bref et ne doit pas équivaloir en fait à une nouvelle prolongation de bail (ATF 117 Ia 336 consid. 2b p. 339; arrêt du Tribunal fédéral 4A_207/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.1).

Selon l'art. 30 al. 4 LaCC, le Tribunal peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution du jugement d'évacuation dans la mesure nécessaire pour permettre le relogement du locataire ou du fermier lorsqu'il est appelé à statuer sur l'exécution d'un jugement d'évacuation d'un logement, après audition des représentants du département chargé du logement et des représentants des services sociaux ainsi que des parties.

4.2 En l'espèce, les appelantes ne logent pas dans l'appartement litigieux. Ce sont des employés de la société qui y résident. Le dossier ne contient aucun élément concret qui justifierait qu'un délai humanitaire soit octroyé. De plus, du fait de la procédure, les appelantes ont déjà bénéficié de fait d'une prolongation de plusieurs mois.

Le recours contre les mesures d'exécution n'est pas fondé et sera donc rejeté.

5. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevables l'appel et le recours interjetés le 26 décembre 2022 par C______ SA et A______ contre le jugement JTBL/955/2022 rendu le 8 décembre 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/18733/2022.

Au fond :

Les rejette.

Confirme ledit jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.