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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/13885/2021

ACJC/1587/2022 du 05.12.2022 sur JTBL/509/2022 ( OBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/13885/2021 ACJC/1587/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 5 DECEMBRE 2022

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 28 juin 2022, comparant par Me Sophie GUIGNARD, avocate, rue de l'Athénée 35, 1206 Genève, en l'étude de laquelle elle fait élection de domicile,

et

1) B______, sise ______ [BS], intimée, comparant par Me Bettina NAVRATIL, avocate, avenue de Champel 8C, case postale 385, 1211 Genève 12, en l'étude de laquelle elle fait élection de domicile,

2) C______, sise ______ [GE], autre intimée, comparant en personne.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/509/2022 du 28 juin 2022, reçu par les parties le 15 juillet 2022, le Tribunal des baux et loyers a constaté le défaut de légitimation passive de [la régie immobilière] C______ (chiffre 1 du dispositif), rejeté la demande en tant qu'elle était dirigée contre cette dernière, réservé la suite de la procédure (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

En substance, les premiers juges ont retenu que C______ n'était intervenue qu'en qualité de représentante de la bailleresse et que le contrat avait été conclu avec D______ SA. L'action en dommages et intérêts pour acte illicite intentée par la locataire contre C______, au motif que celle-ci avait requis son évacuation, devait être rejetée, faute de légitimation passive de la précitée.

B. a. Par acte expédié le 28 juillet 2022 à la Cour de justice, A______ (ci-après : la locataire ou l'appelante) forme appel contre ce jugement. Elle conclut à l'admission de l'appel et à la condamnation de C______ à lui verser le montant de 256'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 19 mai 2021.

b. Dans sa réponse du 9 août 2022, C______ (ci-après : l'intimée ou la régie) conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

[La caisse de prévoyance professionnelle] B______ a conclu au rejet de l'appel par courrier 10 août 2022.

c. Les parties ont été avisées le 21 septembre 2022 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Le 14 décembre 2004, D______ SA, bailleresse, représentée par F______, devenue par la suite C______ (ci-après "la régie"), et A______, locataire, ont conclu un contrat de bail pour une durée de six ans et huit mois, du 1er janvier 2005 au 31 août 2011, portant sur la location d'une arcade d'environ 69 m2 située au rez-de-chaussée de l'immeuble sis boulevard 1______ no. ______ à Genève.

Le contrat a été signé par la locataire sous son nom et par C______ sous l'intitulé "bailleur".

Les locaux étaient destinés à l'exploitation d'un restaurant.

b. Un nouveau contrat a été conclu entre les mêmes parties le 7 juillet 2011 pour une durée de dix ans, du 1er septembre 2011 au 31 août 2021.

Les signatures figurant sur ce contrat sont les mêmes que celles apposées sur le contrat précédent.

Le montant du loyer a été échelonné et fixé en dernier lieu à 25'560 fr. par an, indexé sur la base de l'ISPC dès le 1er septembre 2016.

c. Par jugement JTBL/1048/2019 du 31 octobre 2019, rendu entre D______ SA, représentée par C______, et A______, le Tribunal des baux et loyers a condamné la locataire à évacuer les locaux et a autorisé la bailleresse à requérir son évacuation par la force publique dès l'entrée en force du jugement.

Le bail avait été résilié pour défaut de paiement du loyer.

Ce jugement est entré en force le 13 décembre 2019.

La bailleresse a toutefois accepté de surseoir à l'exécution immédiate du jugement d'évacuation à condition que la locataire rembourse sa dette et s'acquitte à temps des indemnités pour occupation illicite.

d. La régie a adressé plusieurs mises en demeure à la locataire en date des 24 mars, 19 mai, 15 juin, 22 septembre, 1er et 17 décembre 2020.

Ces mises en demeure font référence au non-paiement des indemnités pour occupation illicite et mentionnent qu'à défaut de paiement dans les délais impartis, il sera procédé à l'exécution du jugement d'évacuation.

e. Par courrier du 23 décembre 2020, C______ a informé A______ que B______ était devenue propriétaire de l'immeuble en lieu et place de D______ SA à compter du 1er décembre 2020. De nouveaux bulletins de versements avec les nouvelles coordonnées lui parviendraient pour le paiement des indemnités pour occupation illicite.

f. Le 15 février 2021, la régie a fait parvenir à la locataire des factures du loyer pour les mois d'avril à juin 2021.

g. Une ultime mise en demeure a été envoyée à la locataire le 22 février 2021 pour des arriérés d'indemnités pour occupation illicite se montant à 6'388 fr. 30 pour la période du 1er décembre 2020 au 28 février 2021.

h. La locataire ne s'étant pas acquittée des indemnités pour occupation illicite de décembre 2020 à fin avril 2021, C______ a, par courrier du 16 avril 2021, mandaté E______, huissier judiciaire, en vue de procéder à l'exécution du jugement d'évacuation du 31 octobre 2019.

i. Il a été procédé à un état des lieux de sortie le 7 juin 2021. C______ y est désignée en qualité de gérant.

j. L'arcade a été relouée à partir du 15 août 2021.

k. Par demande déposée le 15 juillet 2021 par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, déclarée non conciliée lors de l'audience de conciliation du 30 septembre 2021 et portée devant le Tribunal des baux et loyers le 29 octobre 2021, dirigée contre B______ et C______, A______ a conclu à la condamnation des précitées à lui verser la somme de 256'0000 fr., avec intérêts à 5% dès le 19 mai 2021, à la constatation qu'il existait un contrat de bail entre elle et B______, portant sur la location de l'arcade sise no. ______, boulevard 1______, [code postal] Genève, à la constatation que son expulsion en date du 19 mai 2021 était illicite, et au déboutement de ses parties adverses de toutes autres conclusions.

Elle a fait valoir que plus de dix-huit mois s'étaient écoulés entre le jugement d'évacuation et son expulsion, qu'un nouveau bail avait été conclu par actes concluants entre les parties et qu'en conséquence son expulsion "effectuée par le bailleur et son représentant" était illicite. Ceux-ci étaient tenu à réparation du dommage causé tant sur la base de l'art. 41 CO que sur celle du contrat de bail. Le montant réclamé correspondait à celui qu'elle aurait pu obtenir en remettant son fonds de commerce.

l. Par mémoire réponse du 16 décembre 2021, la bailleresse et la régie ont conclu au déboutement de la locataire de ses conclusions. Elles ont contesté l'existence d'un bail tacite et soutenu qu'en tout état A______ n'avait pas démontré le dommage prétendument subi.

Les parties ont répliqué et dupliqué en date des 31 janvier et 1er mars 2022, la locataire sollicitant une expertise judiciaire pour établir son dommage, mesure à laquelle ses parties adverses se sont opposées.

m. Lors de l'audience du 10 juin 2022, la représentante de la régie et le conseil de la bailleresse ont demandé à ce que la régie soit "retirée" de la procédure car elle avait agi uniquement comme mandataire de la bailleresse.

La locataire s'y est opposée, au motif que la régie avait fait exécuter l'évacuation.

A l'issue de l'audience, la cause a été gardée à juger sur la question de la légitimation passive de la régie.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

1.2 En l'espèce, compte tenu du montant réclamé par l'appelante, la voie de l'appel est ouverte.

L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. L'appelante reproche aux premiers juges d'avoir considéré que C______, à qui elle reprochait d'avoir commis un acte illicite en faisant exécuter son expulsion sans disposer d'un fondement juridique valable, n'avait pas la légitimation passive.

2.1 Seule la personne qui possède personnellement un droit (légitimation active) ou contre laquelle un droit est personnellement exercé (légitimation passive) est légitimée comme partie au procès. La légitimation active ou passive est l'aspect subjectif du rapport juridique invoqué en justice. Elle est une question de droit matériel et s'examine d'office, de sorte que son absence entraîne le rejet de la demande, et non pas son irrecevabilité (ATF 130 III 417 et réf. citées).

En droit civil, la représentation peut être directe ou indirecte. Dans la première hypothèse, le représentant agit au nom et pour le compte du représenté avec la conséquence que les droits et obligations dérivant de l'acte accompli par le représentant passent directement au représenté (art. 32 al. 1 CO), alors que dans la seconde, le représentant indirect conclut le contrat en son propre nom, mais avec l'intention d'en transférer ultérieurement les effets au représenté (art. 32 al. 3 CO) (Chappuis, in : THEVENOZ/WERRO, Commentaire du Code des obligations I, 2ème édition, n° 4, ad. art. 32 CO).

En droit du bail, la représentation indirecte peut par exemple être le cas du propriétaire qui laisse à un gérant d'immeubles le soin de procéder à la location du logement, celui-ci concluant les baux en son nom propre, et donc avec sur ses épaules toutes les obligations du bailleur. Le locataire qui agit devant l'autorité de conciliation ou le tribunal doit diriger sa requête contre le bailleur et non contre le gérant d'immeubles (sauf en cas de représentation indirecte), qui ne dispose ainsi pas de la légitimation passive, n'étant pas partie au contrat (Bohnet/Carron/Montini, Droit du bail à loyer et à ferme, 2017, n° 20 et 21, ad art. 253 CO).

Une régie, par définition lorsqu'elle effectue les prestations caractéristiques d'une régie, n'agit pas pour elle-même mais en qualité de représentante (ATF 4A_317/2010).

2.2 En l'espèce, c'est à bon droit que le Tribunal a retenu que l'intimée n'avait pas la légitimation passive. En effet, celle-ci apparaît expressément tant sur le bail initial que sur celui du 7 juillet 2011 en qualité de représentante de la bailleresse. Il en va de même sur l'état des lieux de sortie. C'est en sa qualité de représentante de la bailleresse, et à la demande de celle-ci, qu'elle a sollicité l'exécution du jugement d'évacuation, tâche qui rentrait dans les attributions normales d'une régie. Même à supposer qu'elle n'était pas fondée à requérir l'évacuation, motif pris de l'existence d'un nouveau bail qui aurait été conclu entre la locataire et la bailleresse, on ne saurait pour autant lui imputer la commission d'un acte illicite.

L'appelante frise la témérité en prétendant autre chose.

L'appel sera rejeté et le jugement entrepris confirmé.

3. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 28 juillet 2022 par A______ contre le jugement JTBL/509/2022 rendu le 28 juin 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/13885/2021-6-OOD.

Au fond :

Confirme le jugement attaqué.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD et Monsieur
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Nevena PULJIC et Monsieur Stéphane PENET, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.