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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/3980/2022

ACJC/1400/2022 du 24.10.2022 sur JTBL/445/2022 ( SBL ) , CONFIRME

Normes : CPC.257; CO.257.letd
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3980/2022 ACJC/1400/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

du LUNDI 24 OCTOBRE 2022

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______[GE], appelant et recourant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 7 juin 2022, comparant par Me Ghita DINSFRIEND-DJEDIDI, avocate, rue Robert-Céard 6, 1204 Genève, en l'étude de laquelle il fait élection de domicile,

et

Madame B______, intimée, représentée par C______ SA, ______, Genève, en les bureaux de laquelle elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/445/2022 du 7 juin 2022, le Tribunal des baux et loyers a condamné A______ à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens ainsi que toute autre personne faisant ménage commun avec lui l'appartement de 4 pièces au 4ème étage de l'immeuble sis 1______ à Genève ainsi que la cave n° 41 (ch. 1 du dispositif), autorisé B______ à requérir l'évacuation par la force publique de A______ dès l'entrée en force du jugement (ch. 2), condamné A______ à verser à B______ la somme de 14'402 fr. 35 (ch. 3), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4) et dit que la procédure était gratuite (ch. 5).

B. a. Par actes expédiés le 20 juin 2022 à la Cour de justice, A______ a formé appel et recours contre ce jugement. Il a conclu, sur appel, à son annulation et à ce que la requête en évacuation soit déclarée irrecevable. Sur recours, il a conclu, principalement, à l'annulation du jugement attaqué et au déboutement de B______ de toutes autres conclusions, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal et plus subsidiairement, à ce que B______ soit autorisée à requérir son évacuation par la force publique à compter de six mois "après l'entrée en force du jugement".

b. Dans sa réponse du 4 juillet 2022, B______ a conclu au rejet du recours et à la confirmation du jugement entrepris.

c. Les parties ont été avisées le 9 août 2022 par la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Les parties ont conclu le 5 mai 2020 un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 4 pièces au 4ème étage de l'immeuble sis 1______ à Genève avec une cave n° 41.

A______ était déjà locataire de l'appartement depuis une vingtaine d'années.

Le montant du loyer et des charges a été fixé en dernier lieu à 1'700 fr. par mois, charges comprises.

b. Par avis comminatoire du 16 novembre 2021, B______ a mis en demeure A______, qui a été avisé pour retrait le lendemain, de lui régler dans les 30 jours le montant de 3'400 fr. à titre d'arriéré de loyer et de charges pour la période du 1er octobre au 30 novembre 2021 et l'a informé de son intention, à défaut du paiement intégral de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le bail conformément à l'art. 257d CO.

c. Par courriel du 7 décembre 2021, A______ a sollicité un arrangement de paiement pour les mois de novembre et décembre 2021, ce qui lui a été refusé par courriel du même jour, la bailleresse relevant que le retard était de trois mois de loyer et que de très nombreux arrangements avaient déjà été accordés.

d. Un seul versement de 1'700 fr. est intervenu le 20 décembre 2021.

e. Le pli recommandé contenant la mise en demeure n'ayant pas été réclamé par A______, celle-ci lui a été adressée par courriel le 22 décembre 2021.

f. Considérant que la somme réclamée n'avait pas été intégralement réglée dans le délai imparti, B______ a, par avis officiel du 5 janvier 2022, résilié le bail pour le 28 février 2022.

g. Par requête expédiée au Tribunal des baux et loyers le 2 mars 2022, B______ a requis l'évacuation du locataire et a en outre sollicité l'exécution directe de l'évacuation et le paiement de la somme de 8'612 fr. 35.

h. Lors de l'audience du 5 avril 2022, A______ a proposé un arrangement de paiement, soit des versements mensuels de 3'500 fr. dès fin avril 2022 jusqu'au 31 août 2022, de sorte que le Tribunal a décidé de convoquer ultérieurement une nouvelle audience.

i. A l'audience du 7 juin 2022, A______ a expliqué ne pas avoir pu tenir l'arrangement proposé car il avait dû financer son local professionnel à hauteur de 11'000 fr. Seul un montant de 2'700 fr. avait été versé juste avant l'audience. Il n'avait eu connaissance de l'avis comminatoire que le 22 décembre 2021.

B______ a exposé pour sa part que cela faisait dix ans qu'elle avait des problèmes récurrents de paiement du loyer et qu'elle ne souhaitait pas revenir sur sa décision de requérir l'évacuation de son locataire.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. La voie de l'appel est ouverte contre les décisions d'évacuation, lorsque la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), alors que la voie du recours est ouverte contre les décisions du Tribunal de l'exécution (art. 309 let. a CPC; art. 319 let. a CPC).

1.1 Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle.

S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire elle-même, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche la résiliation des rapports de bail est également contestée, la valeur litigieuse est égale au loyer pour la période minimale pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle une nouvelle résiliation peut être signifiée; comme il faut prendre en considération la période de protection de trois ans prévue à l'art. 271a al. 1 let. e CO, la valeur litigieuse correspondra en principe au montant du loyer brut (charges et frais accessoires compris) pendant trois ans (ATF 144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3, JdT 2019 II 235 pp. 236 et 239; arrêt du Tribunal fédéral 4A_376/2021 du 7 janvier 2022 consid.1; Lachat, Procédure civile en matière de baux et loyers, 2019, pp. 69-70).

1.2 En l'espèce, il ressort des explications du locataire qu'il conteste que l'intimée pouvait résilier son bail. Au vu du montant du loyer de 1'700 fr., la valeur litigieuse de 61'200 fr., est supérieure à 10'000 fr. La voie du recours est dès lors ouverte en ce qui concerne le prononcé de l'évacuation.

Interjeté dans le délai et la forme prescrits par la loi (art. 130, 131 CPC), l'appel est ainsi recevable.

Dans ce cadre, la Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

1.3 Le recours, ouvert contre l'exécution de l'évacuation, a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 321 al. 1 et 2 CPC), de sorte qu'il est recevable.

Le recours est recevable pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

1.4 L'appel et le recours seront traités dans le présent arrêt (art. 124 CPC).

2. Dans son appel, le locataire soutient que le cas ne serait pas clair.

2.1
2.1.1
La procédure de protection dans les cas clairs prévue par l'art. 257 CPC permet à la partie demanderesse d'obtenir rapidement une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire, lorsque la situation de fait et de droit n'est pas équivoque (ATF 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 620 consid. 5.1.1). En vertu de l'art. 257 al. 1 CPC, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé (let. a) et que la situation juridique est claire (let. b). Le tribunal n'entre pas en matière sur la requête lorsque cette procédure ne peut pas être appliquée (art. 257 al. 3 CPC).

Selon la jurisprudence, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur; il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais. En règle générale, la preuve est rapportée par la production de titres, conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. La preuve n'est pas facilitée : le demandeur doit apporter la preuve certaine ("voller Beweis") des faits justifiant sa prétention; la simple vraisemblance ("Glaubhaftmachen") ne suffit pas. Si le défendeur fait valoir des objections motivées et concluantes ("substanziiert und schlüssig"), qui ne peuvent être écartées immédiatement et qui sont de nature à ébranler la conviction du juge, la procédure du cas clair est irrecevable (ATF 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 620 consid. 5.1.1 et les arrêts cités).

La situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvées (ATF 138 III 123 consid. 2.1.2 p. 126, 620 consid. 5.1.1 p. 621, 728 consid. 3.3 p. 734). En règle générale, la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite l'exercice d'un certain pouvoir d'appréciation de la part du juge ou que celui-ci doit rendre une décision en équité, en tenant compte des circonstances concrètes de l'espèce (ATF 141 III 23 consid. 3.2 p. 26; 138 III 123 consid. 2.1.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_273/2012 du 30 octobre 2012 consid. 5.1.2, non publié in ATF 138 III 620).

2.1.2 Dans deux cas en matière de bail, la jurisprudence du Tribunal fédéral a dérogé à la théorie de la réception absolue. Il s'agit de la communication, par pli recommandé, de l'avis de majoration de loyer au sens de l'art. 269d CO (ATF 107 II 189 consid. 2) et de celle de la sommation de payer instituée par l'art. 257d al. 1 CO (ATF 119 II 147 consid. 2). Pour ces deux éventualités, à l'instar de ce qui prévaut pour les délais de procédure (cf. art. 138 al. 3 du CPC; ATF 130 III 396 consid. 1.2.3; ATF 111 V 99 consid. 2b p. 101), si le courrier recommandé ne peut pas être remis directement au destinataire (ou à une personne autorisée par celui-ci) et qu'un avis de retrait mentionnant le délai de garde postal a été mis dans sa boîte aux lettres ou sa case postale, l'acte est reçu au moment où le destinataire le retire effectivement au guichet de la poste ou, à supposer qu'il ne soit pas retiré dans le délai de garde de sept jours, le septième et dernier jour de ce délai. Cette théorie de la réception est dite relative (ATF 137 III 208, consid. 3.1.3).

2.2 En l'espèce, outre le fait qu'il habite l'appartement depuis 22 ans, qui n'est pas pertinent pour déterminer si l'état de fait ou la situation juridique sont clairs, le locataire soutient qu'étant absent de Suisse lorsque l'avis comminatoire lui a été adressé, il n'aurait été informé de celui-ci que le 22 décembre 2021, ce qui ne lui aurait pas laissé de temps pour s'acquitter du montant réclamé.

Le locataire ne conteste cependant pas que l'avis comminatoire lui a été valablement notifié à l'échéance du délai de garde le 24 novembre 2021. Il ne rend par ailleurs pas vraisemblable que l'intimée savait lorsqu'elle lui a envoyé l'avis comminatoire qu'il se trouvait à l'étranger, comme il l'allègue désormais – sans toutefois l'étayer – ce qu'il n'avait pas fait lors de l'audience devant le Tribunal des 5 avril et 7 juin 2022, ayant lors de cette dernière audience uniquement indiqué, sans autre explication, qu'il n'avait été "mis au courant de l'avis comminatoire que le 22 décembre 2021". L'envoi dudit avis ne peut donc être considéré comme contraire à la bonne foi.

Le locataire ne conteste enfin pas le montant qui lui a été réclamé, ni qu'il ne s'en est pas acquitté dans le délai imparti.

Au vu de ce qui précède, le cas doit être considéré comme clair, de sorte que le jugement sera confirmé à cet égard.

3. Le locataire sollicite dans son recours l'annulation du chiffre 2 du dispositif du jugement attaqué, subsidiairement le renvoi de la cause au Tribunal et plus subsidiairement encore, l'octroi d'un sursis de six mois "après l'entrée en force du jugement". Il invoque une violation du principe de proportionnalité.

3.1 En procédant à l'exécution forcée d'une décision judiciaire, l'autorité doit tenir compte du principe de la proportionnalité. Lorsque l'évacuation d'une habitation est en jeu, il s'agit d'éviter que des personnes concernées ne soient soudainement privées de tout abri. L'expulsion ne saurait être conduite sans ménagement, notamment si des motifs humanitaires exigent un sursis, ou lorsque des indices sérieux et concrets font prévoir que l'occupant se soumettra spontanément au jugement d'évacuation dans un délai raisonnable. En tout état de cause, l'ajournement ne peut être que relativement bref et ne doit pas équivaloir en fait à une nouvelle prolongation de bail (ATF 117 Ia 336 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 4A_207/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.1).

L'art. 30 al. 4 LaCC concrétise le principe de la proportionnalité en cas d'évacuation d'un logement, en prévoyant que le Tribunal des baux et loyers peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution du jugement dans la mesure nécessaire pour permettre le relogement du locataire ou du fermier lorsqu'il est appelé à statuer sur l'exécution d'un jugement d'évacuation d'un logement, après audition des représentants du département chargé du logement et des représentants des services sociaux ainsi que des parties.

S'agissant des motifs de sursis, différents de cas en cas, ils doivent être dictés par des "raisons élémentaires d'humanité"; sont notamment des motifs de ce genre la maladie grave ou le décès de l'expulsé ou d'un membre de sa famille, le grand âge ou la situation modeste de l'expulsé; en revanche, la pénurie de logements ou le fait que l'expulsé entretient de bons rapports avec ses voisins ne sont pas des motifs d'octroi d'un sursis (ACJC/422/2014 du 7 avril 2014 consid. 4.2; ACJC/187/2014 du 10 février 2014 consid. 5.2.1; arrêt du Tribunal fédéral du 20 septembre 1990, in Droit du bail 3/1990 p. 30 et réf. cit.).

3.2 En l'espèce, en concluant, principalement, sur recours, à l'annulation du jugement attaqué et au déboutement de l'intimée de ses conclusions, le locataire sollicite implicitement le report sine die de l'exécution du jugement d'évacuation, ce qui n'est pas admissible (cf. ATF 117 Ia 336, consid. 3). Le locataire conclut subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal, sans expliquer en quoi un tel renvoi serait nécessaire, alors même que dans l'hypothèse où la Cour admet un recours, elle rend une nouvelle décision, si la cause est en état d’être jugée (art. 327 al. 3 let. b CPC). Enfin, plus subsidiairement, le locataire réclame l'octroi d'un sursis de six mois à l'exécution de l'évacuation. Il n'avait pas pris devant le Tribunal de conclusion tendant à l'octroi d'un tel sursis, de sorte que sa conclusion à cet égard est nouvelle et, partant, irrecevable (art. 326 al. 1 CPC).

En tout état, le locataire indique qu'il a régulièrement payé son loyer jusqu'à la crise sanitaire, qu'il dispose désormais d'un bureau, que ses activités professionnelles de photographe ont repris et que la brièveté du délai entraîne le risque qu'il se retrouve à la rue. Or, la bailleresse a déclaré devant le Tribunal qu'elle avait de la peine à obtenir le paiement du loyer depuis dix ans. Le locataire ne fait par ailleurs aucune proposition de rattrapage de l'arriéré et ne rend par vraisemblable qu'il sera désormais en mesure de régulièrement payer son loyer courant, son allégation selon laquelle ses activités professionnelles ont repris n'étant pas étayées. Il n'a par ailleurs pas fait état de recherches de logement qui seraient restées vaines. Enfin, le locataire occupe sans droit l'appartement depuis plus de six mois et il a obtenu, de fait, un délai de plus de trois mois depuis que le jugement attaqué a été rendu.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevables l'appel et le recours interjetés le 20 juin 2022 par A______ contre le jugement JTBL/445/2022 rendu le 7 juin 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/3980/2022.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Serge PATEK, Madame Nevena PULJIC, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.