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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/22956/2021

ACJC/790/2022 du 13.06.2022 sur JTBL/37/2022 ( SBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/22956/2021 ACJC/790/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

du LUNDI 13 JUIN 2022

Entre

Madame A______, domiciliée ______, recourante contre un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 18 janvier 2022, représentée par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en les bureaux de laquelle elle fait élection de domicile,

Et

1) Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représenté par [la régie immobilière] C______, ______,
2) L'OFFICE DES FAILLITES EN CHARGE DE LA LIQUIDATION DE LA SUCCESSION REPUDIEE DE FEU D______, sis route de Chêne 54, 1208 Genève, autre intimé, comparant en personne.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/37/2022, reçu par A______ le 25 janvier 2022, le Tribunal des baux et loyers a condamné celle-ci et l'Office des faillites en charge de la liquidation de la succession répudiée de feu D______ à évacuer immédiatement l'appartement n° 1______ de 6 pièces au 4ème étage de l'immeuble sis 2______ à Genève ainsi que la cave n° 3______ (ch. 1 du dispositif), autorisé B______ à requérir leur évacuation par la force publique dès le 61ème jour après l'entrée en force du jugement (ch. 2), condamné A______ à verser à B______ 16'125 fr. 85, avec intérêts à 5% l'an dès le 16 novembre 2021 (ch. 3), déclaré irrecevables les conclusions en paiement dirigées contre l'Office des faillites (ch. 4), autorisé la libération de la garantie loyer n° 4______ constituée auprès de [la banque] E______ en faveur de B______, le montant ainsi libéré venant en déduction de la somme due figurant sous chiffre 3 du dispositif (ch. 5), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6) et dit que la procédure était gratuite (ch. 7).

B. a. Le 4 février 2022, A______ a formé recours contre le chiffre 2 du dispositif de ce jugement, concluant à ce que la Cour l'annule et autorise B______ à requérir son évacuation et celle de l'Office des faillites en charge de la liquidation de la succession répudiée de D______ dès le 1er janvier 2023.

b. Le 15 février 2022, B______ a conclu à la confirmation du jugement querellé.

c. L'Office des faillites a fait savoir à la Cour que la succession répudiée de D______ ne disposait de plus aucun bien saisissable dans l'appartement litigieux de sorte qu'elle avait d'ores et déjà "évacué" les lieux. Elle s'en rapportait à justice concernant l'issue du recours.

d. Les parties ont été informées le 22 mars 2022 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. B______, bailleur, d'une part, et D______ et A______, locataires, d'autre part, ont conclu le 9 juillet 2014 un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 6 pièces n° 1______ au 4ème étage de l'immeuble sis 2______ à Genève.

Le montant du loyer et des charges a été fixé en dernier lieu à 3'280 fr. par mois.

Un dépôt de garantie n° 4______ a été effectué auprès de E______ à hauteur de  9'000 fr.

b. D______ est décédé le ______ 2021.

c. Par avis comminatoires du 8 juin 2021, le bailleur a mis en demeure la succession de feu D______ et A______ de lui régler dans les 30 jours le montant de 6'610 fr., à titre d'arriéré de loyer et de charges pour la période du 1er mai au 30 juin 2021, et les a informés de son intention, à défaut du paiement intégral de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le bail conformément à l'art. 257d CO.

d. Par courrier du 15 juin 2021, l'Office des faillites a informé le bailleur que le Tribunal de première instance avait ordonné la liquidation de la succession répudiée de feu D______ par jugement du 10 juin 2021 et que l'administration de la faillite n'entendait pas entrer dans le contrat de bail ni fournir des sûretés selon l'art. 266h al. 2 CO.

e. Par courriel du 17 juin 2021, A______ a informé le bailleur que son époux était décédé dans des circonstances tragiques, dès lors qu'il avait mis fin à ses jours. Elle se retrouvait dans une situation très difficile et sollicitait un délai au 8 juillet 2021 pour le paiement des loyers dus, une résiliation étant catastrophique pour elle-même et sa fille mineure.

Le bailleur a répondu le 22 juin 2021 ne pas pouvoir donner suite à la demande de délai.

f. Considérant que la somme susmentionnée n'avait pas été intégralement réglée dans le délai imparti, le bailleur a, par avis officiels du 21 juillet 2021, résilié le bail pour le 31 août 2021.

g. Le 25 novembre 2021, il a formé une action en évacuation et en paiement devant le Tribunal, sollicitant en outre le prononcé de mesures d'exécution directes.

h. Lors de l'audience du Tribunal du 18 janvier 2022, la locataire a sollicité un sursis humanitaire de 12 mois, relevant que le retard de paiement était dû au décès de son époux, dans des circonstances dramatiques. La succession ayant été répudiée, elle disposait d'une rente, d'allocations familiales et d'une aide de l'Hospice général, de sorte qu'elle pouvait verser un loyer maximum de 1'800 fr. dont elle s'acquittait régulièrement. Elle vivait avec sa fille de 16 ans qui étudiait en première année au Collège F______. Elle avait fait au bailleur une proposition d'arrangement sur la base d'une colocation jusqu'à la fin des études de sa fille, proposition refusée par celui-ci. La locataire a sollicité un délai humanitaire de 12 mois, précisant qu'elle recherchait une solution de relogement.

Le bailleur a persisté dans ses conclusions, relevant que le montant du loyer, de plus de 3'000 fr. pour un six pièces, était inadapté par rapport à la situation financière de la locataire, et que l'octroi d'un sursis ne ferait qu'augmenter la dette de celle-ci. Il ne souhaitait pas entrer en matière pour une colocation.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. Le recours, déposé dans les formes et délais légaux contre une décision susceptible de recours est recevable (art. 309 let. 4, 319 let. a et 321 CPC).

2. Le Tribunal a retenu que s'il était établi que la situation de la recourante, suite au décès tragique de son époux, était difficile, un sursis à l'évacuation supérieur à 60 jours ne pouvait pas être accordé. Le bail avait pris fin en août 2021 et la recourante ne pouvait pas payer plus de 1'800 fr. d'indemnités par mois, de sorte que la dette à l'égard du bailleur augmentait de 1'720 fr. par mois; aucune solution de rattrapage des arriérés n'était envisageable au vu de la situation financière de la recourante. L'intimé était légitimé à refuser de se voir imposer un nouveau colocataire, même pour une durée déterminée, la période proposée par la recourante devant se prolonger sur plus de trois ans jusqu'à l'achèvement des études de sa fille.

La recourante fait valoir que l'octroi d'un sursis de 12 mois se justifierait au regard de la jurisprudence de la Cour. L'Hospice général avait demandé à une fondation de prendre en charge le paiement du solde de l'arriéré et le montant de 1'480 fr. par mois – et non de 1'720 fr. comme l'avait retenu à tort le Tribunal – qu'elle ne pouvait pas payer. Le décès de D______ avait eu d'importantes répercussions sur sa santé physique et mentale ainsi que sur celle de sa fille. Elle faisait des recherches de logement et quitterait son appartement dès que possible.

L'intimé fait quant à lui valoir que l'Hospice général verse 1'800 fr. par mois d'indemnités depuis septembre 2021, alors que le loyer, charges comprises, est de 3'280 fr. La dette de la recourante, en 17'605 fr. 85 au 28 février 2022, augmentait ainsi chaque mois de 1'480 fr. La recourante n'avait produit que trois justificatifs de recherche de logement.

2.1 L'exécution forcée d'un jugement ordonnant l'exécution d'un locataire est régie par le droit fédéral (art. 355 ss CPC).

En autorisant l'exécution forcée d'une décision judiciaire, l'autorité doit tenir compte du principe de la proportionnalité. Dans le cas de l'évacuation d'une habitation, il s'agit d'éviter que des personnes concernées soient ainsi privées de tout abri. De ce fait, l'expulsion ne saurait être exécutée sans un ménagement particulier, notamment si des motifs humanitaires exigent un sursis, ou lorsque des indices sérieux et concrets font prévoir que l'occupant se soumettra spontanément au jugement d'évacuation dans un délai raisonnable. Dans tous les cas, le sursis doit être relativement bref et ne doit pas équivaloir à une prolongation de bail (ATF 117 Ia 336 consid. 2b p. 339; arrêt du Tribunal fédéral 4A_207/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.1).

L'art. 30 al. 4 LaCC prévoit également que le Tribunal peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution du jugement d'évacuation dans la mesure nécessaire pour permettre le relogement du locataire.

S'agissant des motifs de sursis, différents de cas en cas, ils doivent être dictés par des "raisons élémentaires d'humanité". Sont notamment des motifs de ce genre la maladie grave ou le décès de l'expulsé ou d'un membre de sa famille, le grand âge ou la situation modeste de l'expulsé. En revanche, la pénurie de logements n'est pas un motif d'octroi d'un sursis (ACJC/269/2019 du 25 février 2019 consid. 3.1; ACJC/247/2017 du 6 mars 2017 consid. 2.1; ACJC/422/2014 du 7 avril 2014 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral du 20 septembre 1990, in Droit du bail 3/1991 p. 30 et les références citées).

2.2 En l'espèce, en accordant à la recourante un sursis humanitaire de 60 jours, le Tribunal a fait un usage correct de son pouvoir d'appréciation.

L'arriéré de loyer, en 17'605 fr. au 28 février 2022, augmente de 1'480 fr. chaque mois et, comme l'a relevé à juste titre le Tribunal, la recourante n'a proposé aucune solution concrète et crédible pour le rattrapage des sommes dues.

Le loyer de l'appartement de six pièces en Vieille-ville de Genève occupé par la recourante avec sa fille excède largement les moyens de celle-ci, ce qui n'est pas contesté, et il serait inéquitable envers le bailleur de laisser perdurer cette situation pendant douze mois supplémentaires, comme le demande la recourante.

A cela s'ajoute que, de par la procédure de recours, la recourante a de facto obtenu un sursis supplémentaire de plusieurs mois à l'évacuation.

Compte tenu de ce qui précède, l'on ne saurait demander au bailleur de patienter plus longtemps, en dépit des circonstances personnelles et financières incontestablement difficiles auxquelles la recourante se trouve confrontée.

Le jugement querellé sera dès lors confirmé.

3. Il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens, s'agissant d'une cause soumise à la juridiction des baux et loyers (art. 22 al. 1 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 4 février 2022 par A______ contre le chiffre 2 du dispositif du jugement JTBL/37/2022 rendu le 18 janvier 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/22956/2021.

Au fond :

Rejette ce recours.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Pauline ERARD, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ, Monsieur Grégoire CHAMBAZ, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.