Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/680/2025 du 12.09.2025 ( CHOMAG ) , REJETE
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/283/2025 ATAS/680/2025 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 12 septembre 2025 Chambre 9 |
En la cause
A______,
| recourant |
contre
CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE CHÔMAGE
| intimée |
A. a. La société B______SA (ci-après : la société ou l’employeur), en liquidation, inscrite au registre du commerce le 26 novembre 2018 et radiée le 5 décembre 2024, avait notamment pour but l'exploitation d'une entreprise générale du bâtiment, exécution des travaux de construction, gros œuvre, terrassement ainsi que prestations de services et conseils en matière de peinture, plâtrerie, cloisons, faux plafonds, isolation extérieure et travaux de second œuvre.
b. C______en était administrateur président avec signature individuelle.
Son fils, D______, travaillait également dans l’entreprise.
c. Par jugement du Tribunal de première instance du 23 mai 2024, la société a été dissoute par suite de faillite.
d. La procédure de faillite a été suspendue faute d’actifs par jugement du Tribunal de première instance du 28 octobre 2024, avant d’être clôturée par jugement du
28 novembre 2024.
e. A______ (ci-après : l’assuré), né le ______ 1996, a été engagé pour le compte de la société en qualité de peintre et de plâtrier le 13 septembre 2021.
f. Il a démissionné le 30 mai 2022 et a quitté l’entreprise le 17 juin 2022.
B. a. Le 7 mars 2023, l’assuré, représenté par le syndicat SIT, a réclamé à son ancien employeur le montant de CHF 50'328.55 bruts et CHF 3'348.- nets, sous déduction de CHF 17'843.35 nets reçus en mains propres, à titre de complément de salaire pour la période du 13 septembre 2021 au 30 juin 2022. Il avait été engagé en qualité de peintre et plâtrier à plein temps. Or, ses fiches de salaire pour la période considérée étaient calculées sur la base d’un taux de 50%.
b. Par courrier du 9 mars 2023, l’employeur a nié l’avoir employé à 100%, a contesté la totalité de ses conclusions et a produit un contrat de travail à 50% contenant la signature de l’assuré, ainsi que ses relevés d’heures mensuels signés par ce dernier.
c. Le 14 août 2023, l’assuré a formé une demande en paiement devant le Tribunal des Prud’hommes, pour un montant total de CHF 35'843.20. Malgré le fait qu’il travaillait à 100%, il ressortait de ses fiches de salaire qu’il avait été déclaré à temps partiel. Il niait avoir signé un contrat portant sur un taux de travail de 50% et ne reconnaissait pas sa signature.
Il a notamment produit un contrat de travail signé daté du 10 septembre 2021, faisant état d’un horaire plein temps et d’une rémunération horaire de CHF 25.25.
d. Par courrier du 10 mai 2024, la société, soit pour elle C______, a formé une plainte pénale contre l’assuré pour faux dans les titres et escroquerie au procès. Le contrat de travail à plein temps, ainsi que les décomptes d’heures mensuels produits par l’assuré, étaient des faux.
e. Le 24 mai 2024, l’assuré a déposé, à son tour, une plainte pénale contre C______pour menaces, contrainte, usure, faux dans les titres et tentative de diminution d’actifs au préjudice des créanciers, qu’il a complétée le 25 juin 2024.
C. a. Le 13 juin 2024, l’assuré a adressé à la caisse cantonale genevoise de chômage (ci-après : la caisse) une « demande d'indemnité en cas d'insolvabilité » (ci-après : ICI) de l'assurance-chômage, à la suite de la faillite de son employeur. Il a indiqué que les rapports de travail avaient duré du 13 septembre 2021 au 30 juin 2022, son dernier jour de travail ayant été le 17 juin 2022. Pour la période comprise entre le 1er mars et le 30 juin 2022, il était titulaire de créances de salaire se montant à CHF 11'069.90. À l’appui de sa demande, il a notamment produit :
- le courrier du SIT daté du 7 mars 2023 ;
- le courrier du 9 mars 2023 par lequel l’employeur a indiqué qu’il estimait ne rien lui devoir ;
- le courrier du SIT du 28 mars 2023 informant l’employeur qu’il allait saisir le Tribunal des Prud’hommes d’une demande en conciliation ;
- la demande en paiement du 15 août 2023 déposée auprès du Tribunal des Prud’hommes.
b. Par décision du 7 août 2024, la caisse a rejeté la demande d’ICI de l’assuré, au motif que ce dernier n’avait effectué aucune démarche utile pour recouvrer ses prétentions salariales entre le 17 juin 2022, date de son dernier jour de travail effectif, et le 7 mars 2023, date de la mise en demeure.
c. Le 4 septembre 2024, l’assuré a formé opposition à l’encontre de cette décision, en expliquant s’être adressé directement à C______les 11 et 12 juillet 2022, pour lui demander de verser ses salaires impayés, tout en invoquant des problèmes de paiement de son loyer. Il n’avait toutefois jamais eu de réponse. Après la fin des rapports de travail le 17 juin 2022, il avait passé un certain nombre d’appels téléphoniques à C______pour réclamer le paiement de son salaire. Il était au courant que les employés de la société s’adressaient à D______, fils de C______, pour les affaires de la société, car son père avait l’habitude de ne pas répondre aux messages et appels téléphoniques. Il était en train de réunir les preuves correspondant à ces appels. Dans les jours qui ont suivi le 17 juin 2022, il avait également discuté de manière informelle avec E______, chef d’équipe, des contacts susmentionnés avec C______. Il pouvait être entendu par la caisse pour l’attester.
Il a produit des captures d’écran de messages Whatsapp, en albanais, adressés à C______les 11 et 12 juillet 2022, ainsi qu’à son fils les 16, 30 et 31 mai 2022, traduits par le SIT. Le message Whatsapp envoyé le 16 mai 2022 à D______ avait la teneur suivante : « Je voulais te demander pour l’argent est-ce que tu peux parler avec C______ parce que j’ai des factures assurance-maladie etc. que je n’ai pas payé j’ai un leasing de voiture j’ai besoin je te jure si il peut me trouver une solution pour mon argent qu’il me doit par ce que je suis mal ». Le message Whatsapp adressé à C______le 11 juillet 2022 avait la teneur suivante : « Bonjour C______ c’est A______ je voulais te demander j’ai pas reçu le salaire qu’est-ce qu’il se passe j’ai reçu beaucoup de factures que je n’ai pas payé est-ce qu’il y a un problème ou c’est quoi le problème ? ». Le message Whatsapp du 12 juillet 2022 avait la teneur suivante : « C______ j’ai parlé avec la régie de mon appartement ils peuvent m’attendre jusqu’à vendredi pour l’argent []. S’il-te-plaît vendredi il faut que je reçoive tout l’argent parce que l’appartement est resté impayé ».
d. Par courriel du 10 décembre 2024, l’assuré s’est enquis de l’avancement du traitement de son opposition.
e. Par décision sur opposition du 16 décembre 2024, la caisse a maintenu sa décision. Aucun des messages Whatsapp n’était propre à montrer, de manière non équivoque et reconnaissable pour son ex-employeur, le caractère sérieux de la prétention de salaire de l’assuré. Cela valait également pour les discussions informelles avec E______. De l’aveu de l’assuré, il n’avait jamais reçu de réponse. Pourtant, ce n’était que le 7 mars 2023, soit sept mois et 23 jours après son message Whatsapp du 12 juillet 2022 qu’il avait réclamé à son ancien employeur ses arriérés de salaire. Cette inactivité prolongée constituait une négligence grave, constitutive d’une violation de l’obligation de diminuer le dommage au sens de l’art. 55 LACI. À supposer que l’assuré soit à même de produire un relevé téléphonique, il était manifeste que cette pièce ne permettrait pas de connaitre la teneur des échanges téléphoniques qu’il aurait eus avec son ex-employeur. Quoi qu’il en soit, l’assuré n’aurait pas pu se contenter de réclamer son dû par téléphone jusqu’au courrier du 7 mars 2023.
D. a. Par acte expédié le 28 janvier 2025, l’assuré a interjeté recours devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice contre cette décision, concluant à son annulation. À titre préalable, il a sollicité la suspension de la procédure jusqu’à droit connu sur la procédure pénale l’opposant à son ancien employeur. Il a également requis son audition.
Il avait été mis dans une situation de précarité en raison de son absence de statut légal en Suisse, se retrouvant à la merci d’employeurs peu scrupuleux. C’était en raison de sa vulnérabilité qu’il n’avait pas pu se battre contre son ancien employeur tant qu’il n’était pas soutenu par un organisme comme un syndicat. Lorsqu’il avait essayé de se faire rembourser l’argent dû pour les heures travaillées, son ancien employeur lui avait proféré des menaces très sérieuses. Depuis qu’il avait tenté de faire valoir ses droits, son employeur s’était volontairement mis en faillite. C______avait ouvert une autre société au nom de F______Sàrl, ayant exactement les mêmes buts que B______SA. Les créanciers de la faillite de B______SA n’étaient donc pas à l’abri que leur argent ait été sciemment transféré dans d’autres comptes bancaires avant la mise en faillite, éludant le versement des sommes dues. Il informerait la chambre de céans de la procédure pénale en cours.
Il avait interpellé son employeur, sans délai, durant l’été 2022. En octobre 2022, il avait rencontré son ancien employeur dans un café. Lors de cet entretien, il avait reçu des menaces verbales sérieuses de sa part. Cinq mois plus tard, soit en mars 2023, il lui avait écrit une mise en demeure formelle.
b. Par réponse du 11 mars 2025, l’intimée a conclu au rejet du recours. La suspension n’était pas utile, le sort de la procédure pénale n’influençant pas celui de la procédure administrative. L’assuré aurait dû effectuer des démarches démontrant le caractère sérieux de sa prétention de salaire dès la fin des rapports contractuels en juin 2022 à tout le moins. Il invoquait certes que son ancien employeur avait proféré des menaces à son encontre en octobre 2022, alors qu’il réclamait le solde du salaire prétendu. Il aurait néanmoins dû s’adresser au syndicat bien plus tôt. Son comportement résultait d’une négligence grave.
c. Par réplique du 14 avril 2025, le recourant a persisté dans ses conclusions. Son comportement était remarquable, empreint de bonne foi et de rigueur. Le temps écoulé entre ses réclamations n’était objectivement pas long et pouvait être compris à la lumière de l’ensemble des circonstances du cas.
d. Lors de l’audience de comparution personnelle du 22 août 2025, le recourant a confirmé qu’il avait été engagé par la société par contrat du 10 septembre 2021 pour une activité à 100%. Il n’avait jamais reçu de fiches de salaire durant la période de travail. Ces fiches lui avaient été remises en octobre 2022 et il ne les avait pas signées. Les salaires lui avaient été versés, chaque mois, parfois en retard, sur son compte bancaire. Il avait demandé à plusieurs reprises au fils de son employeur à être payé en totalité mais on lui avait répondu que la société n’avait pas assez de liquidités et qu’elle paierait plus tard. Il avait effectivement signé les décomptes des heures, mais il ne savait pas ce que c’était. Son patron l’avait mis sous pression pour qu’il signe ces documents, étant précisé qu’il ne savait pas bien lire le français. Les horaires de travail figurant au dossier avaient été remplis sur demande du SIT sur la base de photographies de chantiers.
La procédure devant le Tribunal des prud’hommes avait été rayée du rôle à la suite de la faillite de la société. La procédure pénale était en cours.
Il avait réclamé ses salaires pour la première fois par écrit par messages Whatsapp des 11 et 12 juillet 2022. Il n’avait pas reçu de réponse, étant précisé qu’il était dur d’atteindre son employeur. En octobre 2022, il avait réussi à joindre D______ par téléphone pour lui demander ses fiches de salaire, en lien avec sa demande de permis de séjour, et le solde de ses salaires. Ils s’étaient retrouvés aux alentours d’un café dans lequel se trouvaient C______et une tierce personne. D______ lui avait remis ses fiches de salaire. Il avait remarqué qu’il manquait la moitié. D______ l’avait alors invité dans le café pour discuter avec son père, ce qu’il avait refusé. C______était ensuite sorti du café et l’avait menacé. Il était tétanisé. Il était ensuite rentré chez lui et n’avait plus pris contact avec eux par peur de représailles. Dans les semaines qui ont suivi, il avait expliqué sa situation à une représentante de CARITAS, qui l’avait adressé au SIT.
Il a ajouté qu’en octobre 2023, sur demande d’un représentant du SIT, il avait rassuré un ancien jeune employé de C______, qui avait été menacé par ce dernier. Par la suite, la famille de C______se trouvant au Kosovo avait menacé la famille de ce jeune se trouvant également au Kosovo. Ce dernier avait ensuite retiré sa demande auprès du SIT et n’avait plus donné de nouvelles.
e. La cause a été gardée à juger à l’issue de l’audience.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, l’acte de recours est recevable (art. 56ss LPGA et 38 al. 4 let. c LPGA).
2. Le recourant sollicite en premier lieu la suspension de la procédure jusqu’à droit jugé dans la procédure pénale l’opposant à son ancien employeur.
2.1 Aux termes de l’art. 14 al. 1 LPA (applicable par renvoi de l'art. 89A LPA), lorsque le sort d’une procédure administrative dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d’une autre autorité faisant l’objet d’une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu’à droit connu sur ces questions.
L'art. 14 al. 1 LPA est une norme potestative et son texte ne prévoit pas la suspension systématique de la procédure chaque fois qu'une autorité civile, pénale ou administrative est parallèlement saisie. La suspension de la procédure ne peut pas être ordonnée chaque fois que la connaissance du jugement ou de la décision d'une autre autorité serait utile à l'autorité saisie, mais seulement lorsque cette connaissance est nécessaire parce que le sort de la procédure en dépend. Une procédure ne saurait dès lors être suspendue sans que l'autorité saisie n'ait examiné les moyens de droit qui justifieraient une solution du litige sans attendre la fin d'une autre procédure. Cette approche est imposée par l'interdiction du déni de justice et l'obligation de respecter le principe de célérité (art. 29 al. 1 Cst.).
2.2 En l’espèce, le recourant a produit deux plaintes pénales déposées devant le Ministère public : la première a été formée le 10 mai 2024 par la société, soit pour elle C______, à l’encontre du recourant pour faux dans les titres et la deuxième, non datée mais complétée le 25 juin 2024, a été formée par le recourant à l’encontre de C______pour menaces, contrainte, usure, faux dans les titres et tentative de diminution d’actifs au préjudice des créanciers. Le recourant soutient que la condamnation de son ancien employeur pour menaces lui permettra de démontrer « l’inextricable situation au moment où il aurait dû envoyer une mise en demeure formelle à son ancien employeur ». Il explique n’avoir jamais été négligent dans ses démarches, mais n’avoir pas eu d’autre choix pour éviter des dommages sérieux à lui ou sa famille. Ce n’était qu’en mars 2023 que le SIT l’avait rassuré dans ses droits et fourni l’aide nécessaire pour déposer une mise en demeure formelle, puis une demande en paiement auprès du Tribunal des prud’hommes.
Son argumentation ne saurait être suivie. Outre le fait que l’intéressé n’a pas informé la chambre de céans de l’état d’avancement de la procédure pénale, étant rappelé que les plaintes ont été déposées il y a plus d’un an, il n’apparait pas que la connaissance de l’issue de cette procédure soit nécessaire à la solution du présent litige. En effet, même à supposer que C______soit condamné pour les faits décrits dans la plainte pénale, cela ne permettrait pas encore d’expliquer l’inaction du recourant entre la fin des rapports de travail, le 17 juin 2022, la mise en demeure du 7 mars 2023 et la demande en paiement du 14 août 2023. Comme on le verra, le recourant a attendu plus de quatre mois, sans démarches concrètes, avant de solliciter un rendez-vous pour recevoir ses fiches de salaire dans la cadre de sa demande de régularisation de permis de séjour. Il a ensuite attendu plus de cinq mois avant d’adresser une mise en demeure formelle à son employeur, puis à nouveau cinq mois avant de déposer une demande en paiement. Or, comme il sera exposé ci-après, s’il n’est pas exclu que le recourant ait eu peur de représailles de la part de son ancien employeur, les éléments au dossier ne permettent pas de justifier de telles périodes d’inaction.
Il ne se justifie en conséquence pas de suspendre la présente procédure comme dépendante de l’issue pénale.
3. Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de l’intimée de dénier au recourant le droit à une ICI à la suite de la faillite de son ancien employeur.
3.1 Aux termes de l'art. 51 al. 1 LACI, les travailleurs assujettis au paiement des cotisations, qui sont au service d'un employeur insolvable sujet à une procédure d'exécution forcée en Suisse ou employant des travailleurs en Suisse, ont droit à une indemnité pour insolvabilité lorsqu'une procédure de faillite est engagée contre leur employeur et qu'ils ont, à ce moment-là, des créances de salaire envers lui (let. a), ou lorsque la procédure de faillite n'est pas engagée pour la seule raison qu'aucun créancier n'est prêt, à cause de l'endettement notoire de l'employeur, à faire l'avance des frais (let. b), ou lorsqu'ils ont présenté une demande de saisie pour créance de salaire envers leur employeur (let. c).
L’art. 74 de l’ordonnance sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 31 août 1983 (ordonnance sur l’assurance-chômage, OACI ‑ RS 837.02 ; intitulé « vraisemblance des créances de salaire ») précise que la caisse – de chômage – n’est autorisée à verser une indemnité en cas d’insolvabilité que lorsque le travailleur rend plausible sa créance de salaire envers l’employeur. Cette disposition consacre une atténuation du degré de la preuve en ce qui concerne le point de savoir si et dans quelle mesure il existe une créance de salaire contre l'employeur insolvable. L'assuré ne doit pas forcément l'établir au degré de la vraisemblance prépondérante. Il suffit qu'il existe des indices qu'une telle créance existe et que l'administration et le juge puissent être convaincus que les faits allégués se sont vraisemblablement produits, quand bien même on ne peut pas exclure qu'ils soient démentis lors d'un examen successif. En revanche, les autres conditions du droit à la prestation, comme en particulier l'existence d'un rapport de travail portant sur une activité en Suisse ou la survenance d'un cas d'insolvabilité, doivent être établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 144 V 427 consid. 3.3 et 4; JEAN MÉTRAL/JULIA LAURENCZY, Le degré de la preuve et l'allégement de son fardeau en droit des assurances sociales, Annales SDRCA 2019, p. 62 et 65; BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l'assurance-chômage, 2014, n° 15 ad art. 51 LACI).
3.2 Conformément à l’art. 52 al. 1 LACI, l’indemnité couvre les créances de salaire portant sur les quatre derniers mois au plus d’un même rapport de travail, jusqu’à concurrence, pour chaque mois, du montant maximal visé à
l’art. 3 al. 2 LACI. Les allocations dues aux travailleurs font partie intégrante du salaire.
La durée de la période couverte par l’indemnité pour insolvabilité est de quatre mois d'un même rapport de travail, indépendamment de la survenance de plusieurs éléments déclencheurs du droit, par exemple un sursis concordataire suivi d’un prononcé de faillite (Message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi sur l’assurance‑chômage du 3 septembre 2008, FF 2008 7029 ss, spéc. 7051).
3.3 Selon l'art. 55 LACI, dans la procédure de faillite ou de saisie, le travailleur est tenu de prendre toutes les mesures propres à sauvegarder son droit envers l’employeur, jusqu’à ce que la caisse l’informe de la subrogation dans ladite procédure. Une fois que la caisse est devenue partie à la procédure, le travailleur est tenu de l’assister utilement dans la défense de ses droits (al. 1). Le travailleur est tenu de rembourser l’indemnité, en dérogation à l’art. 25 al. 1 LPGA, lorsque sa créance de salaire n’est pas admise lors de la faillite ou de la saisie ou n’est pas couverte à la suite d’une faute intentionnelle ou d’une négligence grave de sa part ou encore que l’employeur a honoré la créance ultérieurement (al. 2).
L’obligation de diminuer le dommage de l’art. 55 al. 1 LACI est fondée notamment sur l’idée que le comportement de l'assuré durant les rapports de travail, après la résiliation de ceux-ci, avant et après l'apparition du motif de versement de l'indemnité pour insolvabilité, peut influencer directement l'étendue de l'indemnisation (Boris RUBIN, Commentaire de la loi sur l'assurance-chômage, 2014, n° 1 ad art. 55 LACI).
L'obligation pour l'assuré de réduire le dommage selon l'art. 55 al. 1 LACI s'applique même lorsque le rapport de travail est dissous avant l'ouverture de la procédure de faillite. Dans ce cas de figure, le travailleur qui n'a pas reçu son salaire, en raison de difficultés économiques rencontrées par l'employeur, a l'obligation d'entreprendre à l'encontre de ce dernier les démarches utiles en vue de récupérer sa créance, sous peine de perdre son droit à l'indemnité en cas d'insolvabilité (ATF 114 V 56 consid. 4 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_386/2023 du 6 décembre 2023 consid. 3.2 ; 8C_367/2022 du 7 octobre 2022 consid. 3.2 ; 8C_814/2021 du 21 avril 2022 consid. 2.2 ; 8C_408/2020 du 7 octobre 2020 consid. 3). Après la résiliation, l'assuré ne peut pas attendre plusieurs mois avant d'intenter une action judiciaire contre son ex-employeur. Il doit en effet compter avec une éventuelle péjoration de la situation financière de l'employeur et donc avec une augmentation des difficultés, pour l'assurance-chômage, de récupérer les créances issues de la subrogation prévue par l'art. 54 LACI (arrêts du Tribunal fédéral 8C_386/2023 précité consid. 3.2 ; 8C_367/2022 précité consid. 3.2 ; 8C_749/2016 du 22 novembre 2017 consid. 3.5.3 et les références). Il s'agit d'éviter que l'assuré reste inactif en attendant le prononcé de la faillite de son ex‑employeur (arrêts du Tribunal fédéral 8C_386/2023 précité consid. 3.2 ; 8C_367/2022 précité consid. 3.2 ; 8C_956/2012 du 19 août 2013 consid. 3).
Pour qu'il y ait droit à une indemnité pour insolvabilité pour des créances de salaires en souffrance, il est exigé de l'assuré une poursuite systématique et continue des démarches engagées contre l'employeur, qui doivent déboucher sur une des étapes du droit d'exécution forcée exigées par la loi. Les salariés doivent en effet se comporter vis-à-vis de l'employeur comme si l'institution de l’indemnité en cas d'insolvabilité n'existait pas du tout. Cet impératif n'admet aucune inactivité prolongée. La violation de l'obligation de diminuer le dommage implique que l'on puisse reprocher à l'assuré d'avoir commis une faute intentionnelle ou une négligence grave (arrêts du Tribunal fédéral 8C_386/2023 précité consid. 3.2 ; 8C_367/2022 précité consid. 3.2 ; 8C_814/2021 précité consid. 2.2 ; 8C_408/2020 précité consid. 3).
Un assuré qui sait que son employeur n’est pas en mesure de le rémunérer et qui s’en accommode sans prendre de mesures contraignantes, se contentant de réclamations orales ou écrites qui n’offrent aucune garantie, viole son obligation de diminuer le dommage (arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 367/01 du 12 avril 2002 consid. 2b et 2c ; ATAS/380/2022 du 27 avril 2022 consid. 3.6, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_367/2022 précité).
Selon le Tribunal fédéral, de manière générale, l’assuré ne se conforme pas à son obligation de diminuer le dommage lorsqu’il n’a pas obtenu l’exécution du contrat par l’employeur pendant une période de plus de deux à trois mois, sans versement d’un acompte ou d’un paiement partiel, et qu’il ne peut pas tabler sur une amélioration de la situation, et qu’il n’existe pas de raisons objectives justifiant son attente (arrêt du Tribunal fédéral 8C_66/2011 du 29 août 2011 consid. 4.2 ; ATAS/380/2022 précité consid. 3.6, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_367/2022 précité). En effet, on peut notamment considérer que, la période maximale couverte par l'indemnité en cas d'insolvabilité étant de quatre mois
(art. 52 al. 1 LACI), l'assuré qui omettra de mettre son employeur en demeure de lui verser les arriérés de salaire, voire de lui demander des sûretés, après le troisième mois sans salaire complet prendra le risque de devoir rester auprès de son employeur, sans être payé, durant une période plus longue que celle couverte par l'indemnité en cas d'insolvabilité. Dès lors, il prendra par la même occasion le risque de ne jamais être désintéressé totalement (cf. Boris RUBIN, op. cit., n° 12 ad art. 55 LACI).
En revanche, dans le cas d’un assuré ayant attendu près de six mois pour mettre en demeure son employeur par écrit après des sommations orales, le Tribunal fédéral a nié une violation de l’obligation de diminuer le dommage, dès lors que des pourparlers avaient amené l’employeur à s’acquitter d’une partie des salaires (arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 235/04 du 23 décembre 2005 consid. 3.4 et 3.5).
3.4 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b ; 125 V 193 consid. 2 et les références ; 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).
4. Devant la chambre de céans, le recourant soutient avoir interpellé son ancien employeur durant l’été 2022 afin de réclamer son dû. Lors d’un entretien avec lui en octobre 2022, ce dernier l’avait sérieusement menacé. Compte tenu de la précarité de sa situation, de son jeune âge et de son manque d’expérience, il ne pouvait pas persister, sans aide, contre son ancien employeur. L’intimée estime pour sa part que le recourant a été inactif pendant plus de sept mois, ce qui constitue une violation fautive de son obligation de diminuer le dommage, raison pour laquelle son droit à l’ICI doit lui être dénié.
En l’occurrence, conformément aux considérants développés supra, le versement d’une indemnité en cas d’insolvabilité implique que le travailleur ait rendu plausible sa créance de salaire envers l’employeur insolvable, y compris le montant de celle-ci. Dans sa demande en paiement devant le Tribunal des prud’hommes, le recourant a expliqué que, dès le début des relations de travail, son employeur lui avait versé un salaire sur la base d’un taux d’activité de 50%, alors qu’il avait été engagé à un taux de 100%. Pour fonder sa prétention, il a produit un contrat de travail, contenant sa signature ainsi que celle de son employeur, mentionnant un taux d’activité à 100%. Dans son courrier du 9 mars 2023, l’employeur a toutefois contesté avoir engagé le recourant à 100%. Il a également produit un contrat de travail, contenant les deux signatures, mais non daté, prévoyant un taux d’activité de 50%. Il a produit des décomptes d’heures, signés par l’assuré, et correspondant aux heures figurant dans les fiches de salaire. Dans sa plainte pénale, l’assuré a expliqué que ces fiches avaient été signées sous « pression » : il n’avait pas de permis de travail et une charge de famille. Sur la base de ces pièces – contradictoires – la question de savoir si le recourant a rendu sa créance salariale plausible ne trouve pas de réponse évidente. Une procédure pénale est en cours afin d’éclaircir ces éléments. La question peut toutefois demeurer indécise pour les motifs qui suivent.
Il ressort des pièces du dossier qu’entre la fin des rapports de travail, le 17 juin 2022, et la mise en demeure du 7 mars 2023, le recourant n’a effectué aucune démarche concrète en vue de recouvrer le montant qu’il estimait dû par la société, soit pendant plus de sept mois. Ainsi que le relève l’intimée, les échanges Whatsapp datés des 11 et 12 juillet 2022 ne suffisent pas à retenir que le recourant aurait procédé à des démarches contraignantes envers son ancien employeur, lui montrant de manière non équivoque et reconnaissable le caractère sérieux de sa prétention de salaire. On ne comprend d’ailleurs pas, sur la base de ces messages – traduits par le recourant – à quelle prétention salariale le recourant fait référence. Il fait certes mention d’un salaire non payé et des difficultés de liquidités de la société. À aucun moment, ne mentionne-t-il que les salaires qui lui avaient été versés depuis septembre 2021 ne correspondaient pas aux heures de travail effectivement réalisées. À suivre le recourant, les salaires auraient été insuffisants depuis le 13 septembre 2021. Or, il ne ressort pas du dossier que le recourant aurait interpellé son employeur sur ce point avant la mise en demeure du 7 mars 2023.
S’ajoute à cela que le dernier message Whatsapp remonte au mois de juillet 2022 et qu’aucune démarche contraignante à l’endroit de son employeur n’a été effectuée jusqu’au 7 mars 2023. Le recourant indique certes avoir rencontré son employeur en octobre 2022. Il apparait toutefois, au vu des déclarations du recourant, que la rencontre avait surtout pour but de recevoir des documents utiles à sa demande de permis de séjour. Le recourant explique avoir fait l’objet de « menaces verbales sérieuses » durant cet entretien. Or, outre que cet élément n’est pas établi, une plainte pénale pour menaces ayant été déposée, le recourant ne saurait s’en prévaloir pour justifier son inaction jusqu’au mois de mars 2023. Il lui appartenait en effet de se renseigner sur les démarches nécessaires en vue de recouvrer sa créance. Ni son jeune âge, ni son manque d’expérience ne justifient son inaction durant cinq mois. Il soutient certes avoir eu peur des représailles de la part de son ancien employeur. Or, cet élément ne l’a pas empêché de solliciter l’aide du SIT afin d’engager une procédure au mois de mars 2023. Ce faisant, le recourant est toutefois resté inactif durant une période excédant la durée maximale généralement admise par la jurisprudence du Tribunal fédéral, à savoir trois mois.
Par conséquent, le recourant ne pouvait pas rester inactif pendant plus de sept mois jusqu’à la mise en demeure, voire cinq mois si l’on tient compte de l’entretien du mois d’octobre 2022, puis encore cinq mois jusqu’à la demande en paiement, alors que les problèmes financiers de son ancien employeur lui étaient connus à tout le moins depuis juillet 2022, date des échanges Whatsapp produits au dossier, d’où il ressort que son salaire n’avait pas été payé et que la société traversait des problèmes de liquidités.
C’est partant à juste titre que l’intimée a nié son droit à l’ICI.
5. Compte tenu de ce qui précède, la décision sur opposition querellée est conforme au droit, de sorte que le recours sera rejeté.
La procédure est gratuite (art. 89H al. 1 LPA et vu l'art. 61 let. fbis LPGA
a contrario).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. Le rejette.
3. Dit que la procédure est gratuite.
4. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Sylvie CARDINAUX |
| La présidente
Eleanor McGREGOR |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d'État à l'économie par le greffe le