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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3520/2023

ATAS/673/2025 du 09.09.2025 ( AI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3520/2023 ATAS/673/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 9 septembre 2025

Chambre 10

 

En la cause

A______

Représentée par Me Fernando Henrique FERNANDES DE OLIVEIRA

 

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. A______ (ci-après: l’assurée), née le ______ 1981, originaire du Brésil, a travaillé en tant que manutentionnaire, employée administrative, serveuse et aide de cuisine, puis dans les domaines de la coiffure, de la manucure et de la pédicure. Elle s’est mariée au Portugal en 2011 et s’est installée avec son mari en Suisse au mois d’août 2013. Elle s’est inscrite à divers cours de français entre 2015 et février 2019, et a travaillé en qualité de nettoyeuse à temps partiel, en dernier lieu pour l’entreprise B______ SA, du
11 novembre 2015 au 31 janvier 2018. Elle a également suivi des cours de coiffure entre janvier 2016 et août 2017, de maquillage en 2018 et d’onglerie en septembre 2018. Séparée depuis 2016, elle est aidée par l’Hospice général depuis le 1er novembre 2017.

b. À la suite de plusieurs entorses de la cheville gauche, l’assurée a été en incapacité de travail depuis le 23 août 2017 et opérée le 25 janvier 2018. La SUVA, assureur-accidents de son employeur, a pris en charge le cas. L’évolution a été défavorable, marquée par un syndrome douloureux régional complexe
(ci-après : SDRC).

c. L’assurée, en capacité de travail à 50%, s’est inscrite auprès de l’office cantonal de l’emploi (ci-après : OCE), mentionnant chercher un travail à 100%. Un délai-cadre d’indemnisation a été ouvert en sa faveur du 17 septembre 2018 au 16 septembre 2020.

d. Le 2 novembre 2018, l’assurée a déposé une demande de prestations auprès de l’office de l’assurance-invalidité (ci-après : OAI), indiquant être en incapacité de travail à 50% depuis l’accident du 23 août 2017.

e. Le 18 janvier 2019, l’intéressée a annoncé à la SUVA, assureur-accidents pour les personnes au chômage, une nouvelle torsion de la cheville gauche ayant entrainé des douleurs au niveau de cette articulation et de la colonne lombaire.

f. Par décision sur opposition du 13 mai 2019, la SUVA a mis fin aux prestations, au motif que l’assurée était apte à travailler à plein temps dès le 1er mars 2019, conformément à l’appréciation de son médecin d’arrondissement.

g. Du 6 au 31 mai 2019, l’assurée a effectué un stage d’évaluation professionnelle auprès de l’entreprise sociale privée PRO, mis en œuvre par l’OCE.

h. Le 7 juin 2019, elle a déclaré un nouveau sinistre. Elle avait chuté dans sa baignoire et s’était blessée à la jambe et au bras le 16 mai 2019.

i. Par avis du 11 juin 2019, le docteur C______, médecin auprès du service médical régional de l’OAI (ci-après : SMR), a retenu que l’assurée présentait une raideur et des douleurs persistantes de la cheville gauche, ainsi que des lombalgies, et que la poursuite de l’activité de nettoyeuse n’était plus raisonnablement exigible depuis le 22 août 2017. En revanche, la capacité de travail dans une activité sédentaire était entière. À titre de limitations fonctionnelles, il a noté que l’intéressée ne devait pas porter des charges, se déplacer en terrain accidenté, utiliser des escaliers, escabeaux et échelles, et rester en position debout prolongée.

j. Dans un rapport du 26 juin 2019, le docteur D______, rhumatologue, a notamment signalé une hyperlordose lombaire avec des douleurs média-dorsales et de la charnière lombo-sacrée.

k. Par certificats des 28 juin et 30 juillet 2019, la docteure E______, spécialiste en médecine interne, a attesté d’une capacité de travail de 100% en position assise et de 50% en position debout.

l. Dans un avis du 17 septembre 2019, le Dr C______ a modifié ses précédentes conclusions, retenant que la capacité de travail dans une activité adaptée était de 50% en cas de station debout sans port de charge et de 100% dans une activité sédentaire en position assise. Le début de l’aptitude à la réadaptation était fixé au 1er juillet 2019.

m. Par décision du 30 septembre 2019, l’OAI a octroyé à l’assurée une rente d’invalidité entière du 1er mai au 30 septembre 2019, sur la base d’un degré d’invalidité de 100%. Il a notamment retenu que l’intéressée présentait une incapacité totale de travail dans son activité habituelle depuis le 22 août 2017, mais qu’elle avait récupéré une pleine capacité de travail dans une activité sédentaire assise dès le 1er juillet 2019. Ainsi, après comparaison des revenus avec invalidité (CHF 49'540.-) et sans invalidité (CHF 47'538.-), la perte de gain était nulle. Le droit à la rente était ainsi supprimé trois mois après l’amélioration de sa capacité de travail, soit dès le 1er octobre 2019.

Cette décision est entrée en force.

B. a. Le 25 novembre 2020, l’assurée a déposé une seconde demande de prestations évoquant une dépression profonde et des angoisses suite à l’accident de la cheville de 2018.

b. Par rapport du 17 décembre 2020, le docteur F______, médecin généraliste, a mentionné un état dépressif d’intensité sévère, une fibromyalgie, des lombalgies chroniques invalidantes et des séquelles au niveau du pied gauche.

c. Le 22 décembre 2020, le docteur G______, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, a diagnostiqué un épisode dépressif léger en bonne voie d’amélioration et un léger trouble de la personnalité, à traits histrioniques et anxieux. Ces atteintes n’avaient aucun impact sur la capacité de travail, entière depuis le début de sa prise en charge le 21 octobre 2020.

d. Par rapport du 5 janvier 2021, le docteur H______, spécialiste en neurologie, a considéré que la patiente était apte à travailler sur le pan neurologique, mais pas sur le plan psychologique, en raison de sa détresse.

e. Le 1er juin 2021, le Dr C______ a conclu que l’assurée avait présenté un épisode dépressif responsable d’une incapacité de travail de 50% à partir du
27 avril 2020, de 100% dès le 6 octobre 2020 et de 0% à compter du
21 octobre 2020.

f. Par décision du 7 septembre 2021, l’OAI a rejeté la demande, faute de perte de gain suffisante, au vu des gains d’invalide (CHF 50'150.-) et de valide
(CHF 48'854.-) retenus. Il a notamment considéré que l’assurée avait présenté une incapacité de travail dans l’activité habituelle du 27 avril au 20 octobre 2020, et une capacité de travail entière dans une activité adaptée dès le 27 avril 2020.

g. L’intéressée a interjeté recours auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice contre cette décision. Dans ce cadre, elle a notamment produit :

-          un rapport du 22 février 2021 de la docteure I______, spécialiste en anesthésiologie, indiquant suivre la patiente pour des douleurs diffuses de l'hémicorps gauche depuis février 2021 ; une hospitalisation pour une prise en charge globale était évoquée, l’intéressée étant épuisée tant physiquement que psychiquement ;

-          un rapport du 20 mai 2021 du docteur J______, médecin adjoint agrégé au service de rhumatologie des Hôpitaux Universitaires de Genève (ci‑après : HUG), mentionnant qu’elle souffrait d’une affection somatique, soit des lombosciatalgies communes chroniques invalidantes avec de nombreux facteurs de risque de chronicité et des douleurs persistantes et invalidantes de la cheville gauche après une chirurgie pour une entorse complexe, ainsi que de troubles psychiatriques consistant en une dépression majeure et des éléments cliniques pour des attaques de panique ; ces troubles s’inscrivaient dans un contexte social particulièrement difficile et l’état de santé s’aggravait de semaine en semaine, les différentes comorbidités s’amplifiant mutuellement ; une hospitalisation à la clinique de Montana était préconisée pour rompre le cercle vicieux ;

-          un rapport du 3 août 2021 relatif au séjour à la clinique de Montana du
13 juillet au 1er août 2021, en vue d’un reconditionnement, d’un soutien psychologique, de l’éloignement des facteurs de stress et d’une prise en charge de la douleur ; le diagnostic principal consistait en des douleurs chroniques accutisées dans un contexte de fibromyalgie, de SDRC et
d’anxio-dépression.

h. Dans sa réponse du 21 décembre 2021, l’OAI a conclu qu’une reprise de l’instruction s’imposait.

i. Par arrêt du 1er février 2022, la chambre des assurances sociales a annulé la décision litigieuse et renvoyé la cause à l’OAI pour instruction complémentaire (ATAS/68/2022).

j. L’OAI a reçu de nombreuses pièces médicales émanant notamment du
Dr J______ (rapports des 13 novembre 2019, 21 janvier, 2 septembre et
18 décembre 2020, 23 février, 22 juin et 8 novembre 2021, 23 mars 2022), du
Dr D______ (rapports des 20 février 2019 et 21 octobre 2020), de la Dre I______ (rapport du 27 septembre 2021), du docteur K______, médecin à la Clinique de la douleur (rapports des 17 novembre 2021 et
31 mai 2022), du docteur L______spécialiste en médecine interne (rapports des 21 mars et 31 mai 2022), du docteur M______, spécialiste en médecine interne et rhumatologie (rapport du 21 novembre 2022), du docteur N______, psychiatre (rapport du 3 avril 2023), du Centre O______ de médecine et de chirurgie du pied (rapports des 3 juillet et
29 septembre 2020, 28 janvier et 19 octobre 2021, 25 avril, 21 et 23 juin,
10 novembre 2022) du département de médecine de premier recours des HUG (rapports des 18 janvier 2021 et 1er juillet 2022), un questionnaire du Centre de la douleur rempli par l’assurée le 30 juin 2022, un rapport du 27 juin 2022 suite à une infiltration L3, L4 et L5 droites.

k. L’OAI a confié une expertise bidisciplinaire à Swiss Expertises Médicales Sàrl, réalisée le 6 avril 2023 par les docteurs P______, spécialiste en psychiatrie, et Q______, spécialiste en rhumatologie, lesquels ont rendu leur rapport le 23 mai 2023.

L'expert rhumatologue a diagnostiqué un status post ligamentoplastie en
janvier 2018, un status post lombalgies rachidiennes chroniques sur des discopathies, des douleurs chroniques de la cheville gauche non retrouvées au jour de l’examen, stabilisées, des discopathies rachidiennes stabilisées et une fibromyalgie. Il a considéré que, d'un point de vue de sa spécialisation, la capacité de travail était de 0% dans l’activité de nettoyeuse depuis l'accident de mars 2017 et de 100% dans une activité adaptée dès la fin de la prise en charge par la SUVA, soit à partir du 1er mars 2019, en respectant les limitations fonctionnelles qui comprenaient la nécessité de pouvoir alterner les différentes positions
assis-debout, de ne pas rester assise plus d’une heure et debout plus de 30 minutes, d’éviter la marche sur des terrains accidentés, de monter et descendre des échelles et des échafaudages, et de surcharger le rachis dans sa totalité. La performance pouvait être réduite de 10% en raison de la fatigue et des douleurs dégénératives, de sorte que la capacité de travail retenue était de 90% sur le plan somatique.

L'expert psychiatre a retenu le diagnostic de trouble anxieux et dépressif mixte (F41.2), sans incidence sur la capacité de travail, laquelle était de 100% depuis au moins le 21 octobre 2021, soit la date du début de la prise en charge par le
Dr G______ qui avait alors attesté d'une capacité de travail entière. L’expert a noté que l'examen clinique ne retrouvait ni ralentissement psychomoteur, ni tristesse pathologique, ni trouble de la concentration ou de l'attention, ni trouble significatif de la mémoire. Aucune pathologie psychiatrique incapacitante n'était mise en évidence.

Les experts ont notamment joint des pièces apportées par l’expertisée, dont un rapport de consultation du 15 février 2023 du docteur R______, neurochirurgien.

l. Dans un avis du 5 juin 2023, le Dr C______ a constaté que l’expert rhumatologue avait conclu à une capacité de travail de 90% dans une activité adaptée depuis le 1er mars 2019 et que l’expert psychiatre avait retenu une capacité de travail de 100% dans toute activité depuis le 21 octobre 2021, sans se prononcer pour la période antérieure depuis le 1er mars 2019. Il convenait donc de l’interpeller à ce sujet.

m. Le 22 juin 2023, l’expert psychiatre a répondu que l’assurée avait débuté un suivi psychiatrique le 21 octobre 2020 et qu’un diagnostic d'épisode dépressif léger en voie d'amélioration était retenu, ainsi que des troubles légers de la personnalité. Son psychiatre avait décrit un comportement histrionique, prescrit un traitement de Paroxétine à 20 mg par jour et de Xanax Retard 0.5 mg par jour, et estimé que la capacité de travail était totale dès le début de sa prise en charge. L’assurée avait rapporté un suivi psychiatrique antérieur qui aurait duré environ une année, auprès d’une femme, suite aux maltraitances subies par son mari, mais il ne disposait d’aucun document concernant ce suivi. Il a expliqué qu’un diagnostic d'épisode dépressif léger, soit le trouble retenu en octobre 2020, n'entrainait habituellement pas d'incapacité de travail, appréciation partagée par le psychiatre. Ainsi, selon toute vraisemblance, la capacité de travail était entière depuis le mois de mars 2019 d'un point de vue psychiatrique.

n. Dans un avis du 27 juin 2023, le Dr C______ a proposé de suivre les conclusions de l'expertise. Ainsi, en raison des lombalgies communes chroniques et des douleurs persistantes de la cheville gauche, la capacité de travail était de 0% dans l’activité de nettoyeuse depuis le 22 août 2017 et de 90% dans une activité adaptée depuis le 1er mars 2019. Les limitations fonctionnelles consistaient en la fatigue, les douleurs dégénératives, la nécessité d’alterner les positions assis et debout, de ne pas rester assise plus d’une heure et debout plus de 30 minutes, d’éviter de marcher sur des terrains accidentés, de monter et descendre les échelles, échafaudages, et de surcharger le rachis dans sa totalité.

o. En date du 3 juillet 2023, l’OAI a informé l’assurée qu’il envisageait de rejeter sa demande. Compte tenu de la capacité de travail de 90% retenue dès le
1er mars 2019 dans une activité adaptée aux restrictions, il avait procédé à une comparaison des revenus avec et sans invalidité, laquelle révélait l’absence de toute perte de gain.

p. Le 7 mai 2023, l’intéressée a écrit à l’OAI que sa santé était de plus en plus fragile et qu’elle était épuisée, en raison notamment de sa situation sociale. Elle a joint un courrier qu’elle avait adressé le 5 mai 2023 à la Police, suite à un conflit survenu dans l’hôtel où elle logeait.

q. Par décision du 25 septembre 2023, l’OAI a rejeté la demande de rente et de mesures professionnelles. Il a maintenu que l’assurée, totalement incapable d’exercer son activité habituelle depuis le 22 août 2017, disposait d’une capacité de travail de 90% dans une activité adaptée depuis le 1er mars 2019. La comparaison des gains sans invalidité (CHF 51'175.-) et avec invalidité
(CHF 61'949.-) révélait l’absence de perte de gain.

C. a. Par acte du 26 octobre 2023, l’assurée, représentée par un avocat, a interjeté recours contre cette décision par-devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice. Elle a conclu, sous suite de frais et dépens, préalablement, à l’octroi d'un délai pour compléter son recours et, principalement, à l’annulation de la décision entreprise et à l’octroi d’une rente et de mesures professionnelles. En substance, la recourante a soutenu être en incapacité totale de travail en raison de ses troubles cognitifs et psychiatriques.

La recourante a produit un rapport du 22 août 2023 du Dr N______, psychiatre traitant depuis le mois de septembre 2022, lequel a noté les codes diagnostics F43.1 (état de stress post-traumatique), F32.3 (épisode dépressif sévère avec symptômes psychotiques), F45.0 (somatisation) et F60.3 (personnalité émotionnellement labile) et TNF selon DSM (troubles neurologiques fonctionnels). Malgré de courtes périodes de stabilisation du tableau clinique depuis le début du traitement, l’état de santé psychique s’était aggravé. La patiente présentait une énorme instabilité émotionnelle et une agressivité au niveau de son comportement et de ses émotions, vu le traumatisme de violences domestiques, de la mort de ses jumelles à leur naissance, d’abandon, de plusieurs ruptures de liens, ainsi que l’accident de 2018. Il existait un risque de décompensation psychique, d’auto-agression et de suicide.

b. Le conseil de la recourante a sollicité à réitérées reprises la prolongation des délais accordés pour compléter son recours, au motif que sa cliente n’était pas en mesure de se déterminer sereinement, car elle était extrêmement fragilisée sur le plan psychiatrique, étant ajouté qu’elle avait été hospitalisée dans le cadre d’une importante décompensation.

c. Sans nouvelles de la recourante à l’échéance de la dernière prolongation de délai sollicitée, la chambre de céans a invité l’intimé à produire son dossier et à se déterminer.

d. Par écriture du 26 mars 2024, l’intimé a conclu au rejet du recours. Le rapport du psychiatre traitant du 22 août 2023 n’était pas susceptible de remettre en question son appréciation.

Il a joint un avis du 6 mars 2024 du Dr C______, concluant que le rapport du
22 août 2023 du Dr N______ ne modifiait pas sa dernière appréciation. Il a rappelé que lors de l'expertise psychiatrique réalisée le 6 avril 2023, les troubles anxieux et l'angoisse étaient décrits par plusieurs médecins et depuis plusieurs années, dans le cadre d'un épisode dépressif léger secondaire à l’atteinte somatique ou un trouble de l'adaptation dans les suites de sa séparation avec son ex-mari. Le psychiatre traitant avait déjà attesté d'une incapacité totale de travail dès le 30 novembre 2022, mais n’indiquait pas depuis quelle date il retenait une aggravation et en quoi consistait cette dernière. La symptomatologie décrite par le psychiatre était superposable à celle mentionnée dans son rapport du 3 avril 2023 qui avait été pris en compte dans le cadre de l'expertise. L'expert psychiatre avait alors analysé les indicateurs standards de gravité afin d'apporter ses conclusions.

e. Par réplique du 22 mai 2024, la recourante a maintenu ses conclusions et sollicité l’audition du Dr N______. Elle a rappelé que ses épisodes de détresse et de crises de dépression avaient été documentés. Contrairement à l’avis de l’expert psychiatre, le Dr N______ retenait un état de dépression sévère accompagné de pensées suicidaires. Elle avait été admise aux HUG les 12 mai et 22 et 23 août 2023, puis s’y était rendue les 4 et 10 septembre 2023, toujours pour des crises de dépression avec des idées suicidaires, ce qui témoignait de la sévérité de son état de santé. Ces occurrences répétées, qui nécessitaient des interventions médicales et des soins spécialisés, démontraient son incapacité à mener une vie professionnelle normale et stable. Elle a en outre rappelé qu’elle souffrait de fibromyalgie, maladie caractérisée par des douleurs musculo‑squelettiques diffuses et une fatigue persistante, souvent associée à des symptômes dépressifs significatifs. Les douleurs chroniques et la détresse physique pouvaient aggraver les symptômes de la dépression et entrainer un état émotionnel précaire. Elle avait besoin d’un soutien financier et médical pour faire face à cette double charge. Elle avait en outre de grandes difficultés à gérer ses démarches administratives, raison pour laquelle elle remerciait la chambre de céans d’admettre sa réplique sous l’angle de la maxime d’office.

La recourante a produit plusieurs rapports des HUG, relatifs à ses admissions les 12 mai, 22 août, 4 et 10 septembre 2023 (rapports des 28 mai, 29 août, 10 et
20 septembre 2023).

f. Dans sa duplique du 18 juin 2024, l’intimé a persisté dans ses conclusions.

Il a annexé un avis du 5 juin 2024 du Dr C______, lequel a considéré que les derniers rapports concernaient des hospitalisations en lien avec un trouble de l’adaptation avec des caractéristiques émotionnelles mixtes, qui se manifestaient par un tentamen ou des alcoolisations aiguës, avec la nécessité de prise en charge psychiatrique, mais sans constituer une atteinte psychiatrique durablement incapacitante. Les conclusions précédentes étaient ainsi maintenues.

g. Par ordonnance du 3 décembre 2024, la chambre de céans a mis en œuvre une expertise rhumatologique et psychiatrique, laquelle a été confiée aux
docteurs S______, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, et T______, spécialiste en rhumatologie (ATAS/959/2024).

h. Dans son rapport daté du 16 février 2025, l’expert psychiatre a retenu, à titre de diagnostics ayant des répercussions fonctionnelles durables sur la capacité de travail, des troubles mixtes de la personnalité (F61), gravité légère à moyenne, un syndrome douloureux somatoforme persistant (F45.4), gravité légère à moyenne, une dysthymie (F34.1), gravité légère, et, sans effet durable sur la capacité de travail, un abus d’alcool nocif pour la santé (F10.1), gravité légère. Il a indiqué qu’aucun des trois premiers diagnostics n’impactaient durablement la capacité de travail, mais qu’il fallait admettre que la combinaison des trois atteintes, qui se renforçaient réciproquement, était à même d’altérer la performance professionnelle dans une certaine mesure. La diminution globale de rendement était estimée à 25%, en raison de l’action conjuguée des troubles, et était assimilable à une baisse équivalente de la capacité de travail, durable. Il estimait qu’elle était présente depuis octobre 2020, ce qui correspondait au moment où l’atteinte psychiatrique était documentée, selon le rapport du 22 décembre 2020 du Dr G______. Les pathologies présentées étaient connues pour leur tendance à la chronicité et pour la difficulté de traitement, de sorte qu’il ne voyait pas de changement significatif dans un avenir prévisible.

L’expert a joint son appréciation consensuelle co-rédigée avec le
Dr T______ et datée du 3 mars 2025. Les spécialistes y ont indiqué que les atteintes somatiques et psychiatriques avaient des interactions sous la forme d’un renforcement réciproque des gênes occasionnées, qui avait un impact sur le rendement professionnel, qu’ils estimaient à 25%, depuis octobre 2020. Ce taux pouvait être converti en une diminution de la capacité de travail, considérée comme durable depuis cette date. De façon consensuelle, ils considéraient que la capacité de travail avait été de 0% dans toute activité entre août 2017 et
mai 2019, de 50% dans une activité adaptée au mois de mai 2019, de 90% dans une activité adaptée de juin 2019 à septembre 2020 en raison de l’impact du syndrome douloureux chronique, et de 75% dans une activité adaptée depuis octobre 2020, date du début de l’impact des problèmes psychiques qui s’ajoutaient au syndrome douloureux chronique, pour une durée indéterminée. L’activité de nettoyeuse était contre-indiquée depuis l’été 2017, car elle ne respectait pas les limitations fonctionnelles.

i. L’expert rhumatologue a établi son rapport le 3 mars 2025. Il a diagnostiqué, avec répercussion sur la capacité de travail, des lombalgies communes chroniques, un syndrome douloureux chronique et des lésions dégénératives post entorses et opération de la cheville gauche. Le premier trouble était un syndrome sans corrélation anatomo-pathologique qui était par nature non évolutif et de bon pronostic, qu’il a qualifié de gravité faible. Il avait rendu impossible l’activité de nettoyeuse depuis sa survenance en janvier 2019. Concernant le diagnostic de fibromyalgie, il a expliqué préférer retenir le terme plus générique de syndrome douloureux chronique, dont la terminologie variait selon les spécialités (fibromyalgie, phénomène de sensibilisation centrale). Il a relevé que les douleurs alléguées dépassaient le substrat organique objectivable, qui se limitait actuellement à des troubles dégénératifs du rachis, par ailleurs fréquents dans la population générale et pas forcément symptomatique. La gravité de cette atteinte était difficile à quantifier de par sa nature subjective et elle avait été évaluée de manière consensuelle entre les experts. Le troisième diagnostic était apparu probablement progressivement après les entorses et avait été compliqué d’une algodystrophie qui avait évolué en mars-avril 2019. La présence de lésions dégénératives expliquait en partie les douleurs de la cheville gauche. La gravité était faible et le pronostic bon chez l’intéressée qui ne sollicitait pas sa cheville. Cette atteinte avait rendu impossible l’activité de nettoyeuse depuis sa survenance le 22 août 2017. L’expert a également signalé une obésité, sans effets sur la capacité de travail. S’agissant des limitations fonctionnelles, l’activité adaptée devrait être un poste en position assise, permettant de changer de position toutes les heures, sans port de charge fréquent de plus de 5 kg et occasionnel de plus de 10 kg, sans mouvement de rotation du tronc, sans position penchée en avant ou en arrière, sans marche en terrain accidenté et en évitant les escaliers, échelles et échafaudages. L’exercice de l’activité habituelle de nettoyeuse n’était pas compatible avec ces restrictions. La capacité de travail avait été de 0% dans toute activité entre août 2017 et le 5 mai 2019 en raison de l’entorse de la cheville gauche et des complications, de 50% dans une activité adaptée du 6 au
31 mai 2019, puis de 90% depuis le 1er juin 2019 sur le plan somatique compte tenu de la baisse de rendement estimée à 10%.

Ce rapport contient également une appréciation consensuelle du cas, précisant que les experts s’étaient rencontrés le 13 février 2025 et avaient par la suite eu des contacts téléphoniques et écrits. Il en ressort notamment que le syndrome douloureux chronique, diagnostic retenu consensuellement plutôt que celui de fibromyalgie en raison de la présence des comorbidités psychiatriques, était englobé dans les atteintes psychiatriques, y compris dans la baisse de rendement qu’il entrainait, estimée à 10% sur le plan rhumatologique, puis à 25% au plan global depuis le mois d’octobre 2020, sans perspective de changement significatif dans un avenir prévisible.

j. Dans ses observations du 31 mars 2025, l’intimé a persisté dans ses conclusions en rejet du recours, considérant que le rapport d’expertise ne pouvait être suivi, dès lors que les status psychiatriques tels que mentionnés dans les deux expertises administrative et judiciaire étaient superposables, de sorte qu’il s’agissait d’une analyse différente du même état de fait.

Il a joint un avis du 26 mars 2025 du Dr C______, soulignant que l’expert psychiatre avait considéré qu’aucune des atteintes diagnostiquées n’impactait durablement la capacité de travail. Pour suivre l’appréciation du Dr S______, il faudrait supposer que les trois atteintes soient toujours présentes de façon concomitante, ce qui n’était pas le cas si l’on se référait aux status psychiatriques des expertises du Dr S______ et du Dr P______. La comparaison entre ces deux expertises relevait des examens cliniques superposables, avec un état anxio-dépressif fluctuant sans atteinte cognitive, sans désorientation, sans ralentissement psychomoteur, sans tristesse pathologique, sans syndrome neurovégétatif en faveur d’un état anxieux, sans comportement d’évitement en dehors d’une méfiance quand l’intéressée était dans le bus et avait peur qu’on la touche, et ne rapportait « pas d’attaque de panique dans ces circonstances, histrionisme, une dysthymie, non incapacitante ».

k. Par écriture du 13 mai 2025, la recourante a maintenu qu’elle se trouvait en « incapacité totale de travail ou, à tous les moins, en incapacité sévère ». Au vu « des différences entre les préconisations de l’expertise et les considérants du rapport » du Dr N______, elle sollicitait la convocation de ce dernier en audience et la possibilité pour ce médecin de soumettre des observations à l’expertise après son audition.

l. Le 14 mai 2025, la chambre de céans a imparti un délai au 4 juin 2025 à la recourante pour produire un éventuel rapport du Dr N______, ainsi que ses conclusions après expertise.

m. Sur demande de la recourante, la chambre de céans a prolongé au 18 juin 2025 le délai précité.

n. Sans nouvelles de la recourante, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.             La compétence de la chambre de céans et la recevabilité du recours ont déjà été examinées dans l'ordonnance d'expertise. Il suffit d'y renvoyer.

2.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision du 25 septembre 2023 par laquelle l’intimé a nié le droit de la recourante à une rente d’invalidité suite à sa demande du 25 novembre 2020, étant rappelé que par décision du 30 septembre 2019, entrée en force, une rente entière lui avait été octroyée pour une durée limitée du
1er mai au 30 septembre 2019.

3.              

3.1 Le 1er janvier 2022, les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du
3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961
(RAI - RS 831.201 ; RO 2021 706) sont entrées en vigueur.

En l’absence de disposition transitoire spéciale, ce sont les principes généraux de droit intertemporel qui prévalent, à savoir l’application du droit en vigueur lorsque les faits déterminants se sont produits (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et la référence). Lors de l’examen d’une demande d’octroi de rente d’invalidité, est déterminant le moment de la naissance du droit éventuel à la rente. Si cette date est antérieure au 1er janvier 2022, la situation demeure régie par les anciennes dispositions légales et réglementaires en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. Si elle est postérieure au 31 décembre 2021, le nouveau droit s’applique (arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2023 du 20 juillet 2023 consid. 2.2 et les références).

Si un droit à la rente a pris naissance jusqu’au 31 décembre 2021, un éventuel passage au nouveau système de rentes linéaire s'effectue, selon l'âge du bénéficiaire de rente, conformément aux let. b et c des dispositions transitoires de la LAI relatives à la modification du 19 juin 2020. Selon la let. b al. 1, les bénéficiaires de rente dont le droit à la rente a pris naissance avant l'entrée en vigueur de cette modification et qui, à l'entrée en vigueur de la modification, ont certes 30 ans révolus, mais pas encore 55 ans, conservent la quotité de la rente tant que leur taux d'invalidité ne subit pas de modification au sens de l'art. 17
al. 1 LPGA (arrêt du Tribunal fédéral 9C _499/2022 du 29 juin 2023 consid. 4.1).

3.2 En l’occurrence, la décision querellée a certes été rendue postérieurement au 1er janvier 2022. Toutefois, la demande de prestations ayant été déposée en novembre 2020 et le délai d’attente d’une année venant à échéance en
octobre 2021, un éventuel droit à une rente d’invalidité naîtrait antérieurement au 1er janvier 2022 (cf. art. 28 al. 1 let. b et 29 al. 1 LAI), de sorte que les dispositions applicables seront citées dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. En outre, dans la mesure où la recourante avait, au 1er janvier 2022, 30 ans révolus mais moins de 55 ans, la quotité éventuelle de sa rente subsisterait tant que son taux d’invalidité ne subit pas de modification au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA.

4.             Lorsque l’administration entre en matière sur une nouvelle demande, après avoir nié le droit à une prestation (cf. art. 87 al. 3 du règlement sur l’assurance‑invalidité du 17 janvier 1961 [RAI – RS 831.201]), l’examen matériel doit être effectué de manière analogue à celui d'un cas de révision au sens de
l'art. 17 al. 1 LPGA (ATF 133 V 108 consid. 5 et les références ; 130 V 343 consid. 3.5.2 et les références ; 130 V 71 consid. 3.2 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_899/2015 du 4 mars 2016 consid. 4.1 et les références).

Selon l’art. 17 al. 1 LPGA, si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée.

Tout changement important des circonstances propre à influencer le degré d’invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision selon
l’art. 17 LPGA. La rente peut être révisée non seulement en cas de modification sensible de l’état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important (ATF 144 I 103 consid. 2.1 ; 134 V 131 consid. 3 ; 130 V 343
consid. 3.5). Il n'y a pas matière à révision lorsque les circonstances sont demeurées inchangées et que le motif de la suppression ou de la diminution de la rente réside uniquement dans une nouvelle appréciation du cas (ATF 141 V 9 consid. 2.3 ; 112 V 371 consid. 2b ; 112 V 387 consid. 1b). Un motif de révision au sens de l'art. 17 LPGA doit clairement ressortir du dossier. La réglementation sur la révision ne saurait en effet constituer un fondement juridique à un réexamen sans condition du droit à la rente (arrêt du Tribunal fédéral I 111/07 du
17 décembre 2007 consid. 3 et les références). Un changement de jurisprudence n'est pas un motif de révision (ATF 129 V 200 consid. 1.2).

Le point de savoir si un changement notable des circonstances s’est produit doit être tranché en comparant les faits tels qu’ils se présentaient au moment de la dernière révision de la rente entrée en force et les circonstances qui régnaient à l’époque de la décision litigieuse. En effet, la base de comparaison déterminante dans le temps pour l'examen d'une modification du degré d'invalidité lors d'une révision de la rente est constituée par la dernière décision entrée en force qui repose sur un examen matériel du droit à la rente avec une constatation des faits pertinents, une appréciation des preuves et une comparaison des revenus conformes au droit (ATF 147 V 167 consid. 4.1 et la référence).

Lorsque les faits déterminants pour le droit à la rente se sont modifiés au point de faire apparaître un changement important de l'état de santé motivant une révision, le degré d'invalidité doit être fixé à nouveau sur la base d'un état de fait établi de manière correcte et complète, sans référence à des évaluations antérieures de l'invalidité (ATF 141 V 9).

5.             Conformément aux art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI, est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident.

Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).

L’art. 6 LPGA définit l’incapacité de travail comme toute perte, totale ou partielle, de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique. En cas d’incapacité de travail de longue durée, l’activité qui peut être exigée de l’assuré peut aussi relever d’une autre profession ou d’un autre domaine d’activité.

6.             En vertu des art. 28 al. 1 et 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à la date dès laquelle l’assuré a présenté une incapacité de travail
(art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne pendant une année sans interruption notable et qu’au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins, mais au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à
l’art. 29 al. 1 LPGA. Selon l’art. 29 al. 3 LAI, la rente est versée dès le début du mois au cours duquel le droit prend naissance.

Selon l’art. 28 al. 2 LAI (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021), l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et 28 al. 2 LAI).

Selon une jurisprudence constante, une aggravation de l'état de santé ne justifie pas, en principe, un nouveau cas d'assurance. Toutefois, si les causes de l'invalidité sont matériellement différentes, un nouvel événement assuré survient (arrêts du Tribunal fédéral 8C_93/2017 du 30 mai 2017 consid. 4.2 et 9C_592/2015 du 2 mai 2015 consid 3.2). La jurisprudence a également admis qu'un nouveau cas d'assurance pouvait survenir même si une première atteinte à la santé était toujours présente et causait une incapacité de travail lorsqu'une nouvelle atteinte à la santé totalement distincte apparaissait (arrêt du Tribunal fédéral 9C_697/2015 du 9 mai 2016 consid. 5).

7.             Le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d'évaluation de la capacité de travail, respectivement de l'incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d'affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d'évaluation au moyen d'un catalogue d'indicateurs
(ATF 141 V 281 consid. 4). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d'évaluation aux autres affections psychiques ou psychosomatiques et aux syndromes de dépendance (ATF 148 V 49 ; 145 V 215 ; 143 V 418 ; 143 V 409). Aussi, le caractère invalidant d'atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d'un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, au sein desquels figurent notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l'art (ATF 143 V 409 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_265/2023 du 19 août 2024 consid. 3.2).

Le point de départ de l'évaluation prévue pour les troubles somatoformes douloureux (ATF 141 V 281), les troubles dépressifs (ATF 143 V 409), les autres troubles psychiques (ATF 143 V 418) et les troubles mentaux du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives (ATF 145 V 215) est l'ensemble des éléments médicaux et constatations y relatives. Les experts doivent motiver le diagnostic psychique de telle manière que l'organe d'application du droit puisse comprendre non seulement si les critères de classification sont remplis, mais également si la pathologie diagnostiquée présente un degré de gravité susceptible d'occasionner des limitations dans les fonctions de la vie courante. À ce stade, ladite autorité doit encore s'assurer que l'atteinte à la santé résiste aux motifs d'exclusion, tels que l'exagération des symptômes ou d'autres manifestations analogues, qui conduiraient d'emblée à nier le droit à la rente (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1, 2.1.2, 2.2 et 2.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du
16 mars 2020 consid. 8.1.1).

Selon la jurisprudence, l'organe chargé de l'application du droit doit, avant de procéder à l'examen des indicateurs, analyser si les troubles psychiques dûment diagnostiqués conduisent à la constatation d'une atteinte à la santé importante et pertinente en droit de l'assurance-invalidité, c'est-à-dire qui résiste aux motifs dits d'exclusion tels qu'une exagération ou d'autres manifestations d'un profit secondaire tiré de la maladie (cf. ATF 141 V 281 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 consid. 5.2.2). Il y a ainsi lieu de conclure à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit aux prestations d'assurance, si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, et ce même si les caractéristiques d'un trouble somatoforme douloureux au sens de la classification sont réalisées. Des indices d'une telle exagération apparaissent notamment en cas de discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, de grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psycho-social intact (ATF 141 V 281 consid. 2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_16/2016 du 14 juin 2016 consid. 3.2). À lui seul, un simple comportement ostensible ne permet pas de conclure à une exagération
(ATF 141 V 281 consid. 2.2.1 et la référence).

7.1 Une fois le diagnostic posé par un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2), la capacité de travail réellement exigible doit être examinée, sans résultat prédéfini, au moyen d’un catalogue d’indicateurs, appliqué en fonction des circonstances du cas particulier
(ATF 141 V 281 consid. 4.1.1). L'accent doit ainsi être mis sur les ressources qui peuvent compenser le poids de la douleur et favoriser la capacité d'exécuter une tâche ou une action (arrêt du Tribunal fédéral 9C_111/2016 du 19 juillet 2016 consid. 7 et la référence).

La grille d’évaluation de la capacité résiduelle de travail comprend tout d’abord un examen des indicateurs appartenant à la catégorie « degré de gravité fonctionnel », lesquels forment le socle de base pour l'évaluation des troubles psychiques. Les déductions qui en sont tirées devront, dans un second temps, résister à l’examen sous l’angle de la catégorie « cohérence ». Ces indicateurs comportent une analyse du complexe « atteinte à la santé », lequel comprend la prise en considération des éléments pertinents pour le diagnostic, du succès ou de l’échec d’un traitement effectué dans les règles de l’art, du succès ou de l’échec d’une éventuelle réadaptation, et enfin de l’existence d’une éventuelle comorbidité physique ou psychique. Il s’agit également d’effectuer une analyse du complexe « personnalité », soit un diagnostic de la personnalité de l’assuré et de ses ressources personnelles, et du complexe « contexte social » (ATF 141 V 281 consid. 4.3 et les références).

Il y a lieu ensuite d’effectuer un examen des indicateurs en lien avec la catégorie « cohérence », à savoir examiner notamment si l’atteinte à la santé se manifeste de la même manière dans l’activité professionnelle (pour les personnes sans activité lucrative, dans l’exercice des tâches habituelles) et dans les autres domaines de la vie ; si des traitements sont mis à profit ou, au contraire, négligés et prendre en compte le comportement de la personne assurée dans le cadre de sa réadaptation professionnelle (ATF 141 V 281 consid. 4.4 et les références).

7.2 La procédure d’administration des preuves qui prévaut en matière de troubles douloureux sans substrat organique et de troubles psychosomatiques analogues est notamment applicable à toutes les maladies psychiques (ATF 143 V 418).

Le Tribunal fédéral a récemment rappelé qu’en principe, seul un trouble psychique grave peut avoir un caractère invalidant. Un trouble dépressif de degré léger à moyen, sans interférence notable avec des comorbidités psychiatriques, ne peut généralement pas être défini comme une maladie mentale grave. S'il existe en outre un potentiel thérapeutique significatif, le caractère durable de l'atteinte à la santé est notamment remis en question. Dans ce cas, il doit exister des motifs importants pour que l'on puisse néanmoins conclure à une maladie invalidante. Si, dans une telle constellation, les spécialistes en psychiatrie attestent sans explication concluante (éventuellement ensuite d'une demande) une diminution considérable de la capacité de travail malgré l'absence de trouble psychique grave, l'assurance ou le tribunal sont fondés à nier la portée juridique de l'évaluation médico-psychiatrique de l'impact (ATF 148 V 49 consid. 6.2.2 et les références).

Selon la jurisprudence, une dysthymie (F34.1) est susceptible d'entraîner une diminution de la capacité de travail lorsqu'elle se présente avec d'autres affections, à l'instar d'un grave trouble de la personnalité. Pour en évaluer les éventuels effets limitatifs, ces atteintes doivent en principe faire l'objet d'une procédure probatoire structurée selon l'ATF 141 V 281 (arrêt du Tribunal fédéral 9C_599/2019 du
24 août 2020 consid. 5.1 et la référence).

7.3 Il appartient aux médecins d'évaluer l'état de santé d'une personne assurée (c'est-à-dire, de procéder aux constatations nécessaires en effectuant des examens médicaux appropriés, de tenir compte des plaintes de l'intéressé et de poser les diagnostics). En particulier, poser un diagnostic relève de la tâche exclusive des médecins. Il leur appartient aussi de décrire l'incidence de ou des atteintes à la santé constatées sur la capacité de travail. Leur compétence ne va cependant pas jusqu'à trancher définitivement cette question mais consiste à motiver aussi substantiellement que possible leur point de vue, qui constitue un élément important de l'appréciation juridique visant à évaluer quels travaux sont encore exigibles de l'assuré. Il revient en effet aux organes chargés de l'application du droit (soit à l'administration ou au tribunal en cas de litige) de procéder à l'appréciation définitive de la capacité de travail de l'intéressé. On ajoutera que l'évaluation de la capacité de travail par un médecin psychiatre est soumise à un contrôle (libre) des organes chargés de l'application du droit à la lumière de l’ATF 141 V 281. Si l’expert s'acquitte de sa tâche de manière convaincante et sur la base d'une expertise qui a été établie conformément au schéma d'évaluation de l’ATF 141 V 281, il n'y a pas lieu de s'écarter de ses conclusions. Dans le cas contraire, l'organe chargé de l'application du droit devra nier la portée juridique de l'évaluation médicale (ATF 148 V 49 consid. 6.2.1 ; 145 V 361 consid. 4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_177/2023 du 26 mars 2024 consid. 5.2 ; 9C_99/2022 du
6 février 2023 consid. 4.2 et les références).

8.             Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1). La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. Dans le cas des maladies psychiques, les indicateurs sont importants pour évaluer la capacité de travail, qui - en tenant compte des facteurs incapacitants externes d’une part et du potentiel de compensation (ressources) d’autre part -, permettent d’estimer la capacité de travail réellement réalisable (arrêt du Tribunal fédéral 8C_286/2020 du
6 août 2020 consid. 4 et la référence).

Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 133 V 450 consid. 11.1.3 ; 125 V 351 consid. 3). Il faut en outre que le médecin dispose de la formation spécialisée nécessaire et de compétences professionnelles dans le domaine d’investigation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_555/2017 du
22 novembre 2017 consid. 3.1 et les références).

8.1 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références ;
125 V 351 consid. 3b/bb).

Le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2 et les références ; 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).

Un rapport du SMR a pour fonction d'opérer la synthèse des renseignements médicaux versés au dossier, de prendre position à leur sujet et de prodiguer des recommandations quant à la suite à donner au dossier sur le plan médical. En tant qu'il ne contient aucune observation clinique, il se distingue d'une expertise médicale (art. 44 LPGA) ou d'un examen médical auquel il arrive au SMR de procéder (art. 49 al. 2 RAI ; 142 V 58 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_542/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1). De tels rapports ne sont cependant pas dénués de toute valeur probante, et il est admissible que l'office intimé, ou la juridiction cantonale, se fonde de manière déterminante sur leur contenu. Il convient toutefois de poser des exigences strictes en matière de preuve; une expertise devra être ordonnée si des doutes, même faibles, subsistent quant à la fiabilité ou à la pertinence des constatations effectuées par le SMR
(ATF 142 V 58 consid. 5 ; 135 V 465 consid. 4.4 et 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_371/2018 du 16 août 2018 consid. 4.3.1).

En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (ATF 125 V 351 consid. 3a ; 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du
4 mai 2012 consid. 3.2.1).

On ajoutera qu'en cas de divergence d’opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. À cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2008 du 5 mars 2009 consid. 2.2).

8.2 Le but des expertises multidisciplinaires est de recenser toutes les atteintes à la santé pertinentes et d'intégrer dans un résultat global les restrictions de la capacité de travail qui en découlent. L'évaluation globale et définitive de l'état de santé et de la capacité de travail revêt donc une grande importance lorsqu'elle se fonde sur une discussion consensuelle entre les médecins spécialistes participant à l'expertise. La question de savoir si, et dans quelle mesure, les différents taux liés aux limitations résultant de plusieurs atteintes à la santé s'additionnent, relève d’une appréciation spécifiquement médicale, dont le juge ne s'écarte pas, en principe (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_162/2023 du 9 octobre 2023 consid. 2.3 et les références).

En présence d'atteintes à la santé physique et psychique, le taux de l'incapacité de travail ne résulte pas de la simple addition de deux taux d'incapacité de travail (d'origine somatique et psychique) mais procède bien plutôt d'une évaluation globale (arrêt du Tribunal fédéral 9C_80/2024 du 27 août 2024 consid. 5.3 et la référence).

9.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références ; 126 V 353 consid. 5b et les références ; 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

Si l’administration ou le juge, se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves fournies par les investigations auxquelles ils doivent procéder d’office, sont convaincus que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation, il est superflu d’administrer d’autres preuves (appréciation anticipée des preuves ; ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les références). Une telle manière de procéder ne viole pas le droit d’être entendu selon l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (RS 101 – Cst. ; SVR 2001 IV n. 10 p. 28 consid. 4b), la jurisprudence rendue sous l’empire de l’art. 4 aCst. étant toujours valable
(ATF 124 V 90 consid. 4b ; 122 V 157 consid. 1d).

10.         En l’espèce, il est rappelé que par décision du 30 septembre 2019, l’intimé a reconnu le droit de la recourante à une rente d’invalidité entière pour la période limitée du 1er mai au 30 septembre 2019, sur la base d’un degré d’invalidité de 100%. Il a notamment retenu que l’intéressée présentait une incapacité totale de travail dans son activité habituelle depuis le 22 août 2017, mais qu’elle avait récupéré une pleine capacité de travail dans une activité sédentaire assise dès le
1er juillet 2019. La comparaison des revenus avec et sans invalidité ne révélait aucune perte de gain, de sorte que le droit à la rente était supprimé à compter du
1er octobre 2019. Cette décision est entrée en force.

Le 25 novembre 2020, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations évoquant une dépression profonde et des angoisses suite à l’accident de la cheville de 2018. L’intimé a rejeté cette demande le 7 septembre 2021, estimant que la recourante ne présentait aucune perte de gain. Par arrêt du 1er février 2022, la chambre de céans a annulé cette décision et renvoyé la cause à l’intimé pour instruction complémentaire. Après avoir mis en œuvre une expertise administrative réalisée par les Drs P______ et Q______, l’intimé a rendu une nouvelle décision, le 25 septembre 2023, rejetant la demande de rente et de mesures professionnelles. Il a conclu, sur la base de l’expertise rendue le
23 mai 2023, du complément du 22 juin 2023 et de l’avis du SMR du 27 juin 2023, que l’intéressée était totalement incapable d’exercer son activité habituelle depuis le 22 août 2017, mais pouvait travailler à 90% dans une activité adaptée depuis le 1er mars 2019, en tenant compte de l’aggravation de son état de santé.

Par ordonnance du 3 décembre 2024, la chambre de céans a confié une expertise judiciaire rhumatologique et psychiatrique aux Drs S______ et T______, considérant que les rapports d’expertise administrative et du SMR n’étaient pas probants.

Il convient donc d’examiner si l’expertise judiciaire peut être suivie.

10.1 L’expert psychiatre a rappelé le contexte de l’expertise (rapport p. 1) et énuméré ses sources, soit le dossier remis par la chambre de céans, les examens cliniques de l’intéressée des 17 janvier et 7 février 2025 en présence d’une interprète, le dosage sanguin des psychotropes prescrits, le résumé des rapports d’interventions du Département de psychiatrie des HUG, qui ne figuraient pas au dossier mais qu’il s’était procurés, un contact téléphonique avec le Dr N______ et des échanges avec son co-expert (rapport p. 2). Il a ensuite résumé les pièces pertinentes (rapport p. 2-6), procédé à l’anamnèse, en consignant l’histoire personnelle relatée par l’intéressée, ses antécédents psychiatriques, ses affections actuelles (rapport p. 6-9), puis a rapporté les plaintes spontanées et celles signalées sur demande (rapport p. 9-11). Il a ensuite livré le résultat de ses constatations objectives (rapport p. 11-13), commenté le traitement médicamenteux prescrit (rapport p. 14) et procédé à une appréciation du cas (rapport p. 14-16). Dans ce cadre, il a discuté les diagnostics envisagés en fonction du tableau clinique, justifiant ceux retenus et ceux écartés. Il s’est enfin déterminé sur les limitations fonctionnelles, la capacité de travail, les perspectives thérapeutiques, le pronostic et la réadaptation, et analysé ensuite les indicateurs développés par la jurisprudence (rapport p. 16-18), avant de répondre aux questions de la mission d’expertise (rapport p. 18-22).

10.1.1 Au niveau des diagnostics, le Dr S______ a retenu des troubles mixtes de la personnalité (F61), gravité légère à moyenne, un syndrome douloureux somatoforme persistant (F45.4), gravité légère à moyenne, une dysthymie (F34.1), gravité légère, et un abus d’alcool nocif pour la santé (F10.1), gravité légère sans effet durable sur la capacité de travail.

Il a expliqué que le tableau clinique de ces dernières années, plus précisément depuis l’entorse de la cheville gauche de 2017, était dominé par deux éléments, soit la survenue de « crises » à répétition se présentant sous la forme de bouffées aiguës de symptômes d'allure anxio-dépressive, souvent accompagnées d'abus d'alcool et/ou de médicaments, faisant suite à une contrariété ou un conflit, et un syndrome douloureux généralisé et chronique, avec parfois des exacerbations aiguës, dépourvu de substrat somatique objectif selon les données disponibles, y compris celles de son co-expert rhumatologue. Il a considéré que les crises
anxio-dépressives s'inscrivaient sur un fond de comportement marqué par l'impulsivité, la labilité des émotions et de l'humeur, l'ambivalence affective. Ces éléments cliniques, documentés depuis 2017, existaient depuis le début de l'âge adulte au plus tard, car il existait de longue date une histoire de vie marquée par les tumultes affectifs et l'instabilité dans la vie sentimentale et relationnelle de l'expertisée, avant même son arrivée en Suisse. La récurrence des problèmes émotionnels et comportementaux dans des contextes différents suggérait qu'ils avaient un caractère « structurel », autrement dit qu'ils étaient inhérents à la personnalité. Ces troubles émotionnels et relationnels avaient des répercussions sur la vie personnelle et sociale de l'expertisée, ce qui justifiait le diagnostic de trouble de la personnalité. Les caractéristiques principales du comportement problématique étaient l'impulsivité, la labilité des émotions et de l'humeur, l'ambivalence affective, le recours aux médicaments et à l'alcool comme réponse anxiolytique. La constellation de ces données orientait vers le diagnostic de trouble de la personnalité émotionnellement labile, type impulsif. Il existait d'autres traits de personnalité, comme l'histrionisme (besoin d'attirer l'attention ou l'aide par un comportement bruyant et extravagant) et la méfiance, avec une conflictualité élevée. La présence de plusieurs traits de personnalité problématiques justifiait le diagnostic de troubles mixtes de la personnalité (F61).

Par ailleurs, l’intéressée se plaignait de douleurs généralisées qui dépassaient largement le cadre des atteintes somatiques objectives constatées. Ces douleurs étaient survenues dans un contexte de problèmes psychosociaux importants, soit un conflit conjugal et un divorce, puis un conflit avec un nouveau partenaire, et une menace d'expulsion du territoire suisse. Ils s’étaient installés dans la durée. Dans ces conditions, le diagnostic de syndrome douloureux somatoforme persistant (F45.4) se justifiait.

Il existait selon l'anamnèse une humeur abaissée de manière chronique depuis des années, accompagnée d'un manque d'énergie et de plaisir, et d'une fragilité de l'estime de soi. À son examen, les signes objectifs témoignant d'un véritable épisode dépressif d'une certaine gravité étaient absents, hormis un discret ralentissement. La documentation disponible abondante recueillie sur les passages de l’expertisée au service des urgences psychiatriques des HUG montrait que le syndrome dépressif était aigu pendant les crises, mais que celles-ci se résolvaient rapidement sans laisser de signes dépressifs significatifs. Il s’agissait donc d’un syndrome dépressif essentiellement subjectif mais installé dans la durée, soit plus de deux ans. Ce tableau correspondait à ce que la CIM-10 appelait la dysthymie (F34.1).

Enfin, l’intéressée reconnaissait une prise d'alcool occasionnelle, « quand ça ne va pas ». Parfois la prise d'alcool, au lieu de calmer la crise, l'aggravait en provoquant de la confusion, de l'agitation ou de l'agressivité. Elle pouvait aussi contribuer à la prise de poids. Il n'y avait pas d'évidence de consommation quotidienne ou de dépendance. Il retenait néanmoins le diagnostic d'abus d'alcool nocif pour la santé (F10.1).

L’expert a ensuite pris position sur d’autres diagnostics pouvant entrer en considération. Il a exposé que les manifestations anxieuses étaient, comme les symptômes dépressifs, surtout présents dans les moments de crise. Il était possible qu'il existe un syndrome anxieux dépassant les situations de crise, avec un comportement d'évitement social et des épisodes anxieux aigus que l'expertisée appelait des « convulsions » comprenant des crises douloureuses et des nausées‑vomissements. L'évitement était partiel, puisque l'expertisée prenait du plaisir à chiner au marché aux puces chaque semaine et pouvait parfaitement utiliser les transports publics. Par conséquent il n'atteignait probablement pas le degré d'un trouble phobique. Les crises anxieuses étant atypiques, puisque les douleurs et nausées étaient au premier plan, il ne lui paraissait pas possible, au vu des données disponibles, de retenir fermement le diagnostic de trouble panique.

Il en allait de même pour le diagnostic d'état de stress post-traumatique. Le ou les traumatismes impliqués étaient mal définis et les phénomènes intrusifs relatés n’avaient pas le caractère sensoriel typique des flashbacks post-traumatiques, et l'évitement (des hommes) n'était pas évident, puisque l’intéressée déclarait qu'elle aimerait bien se marier et qu'elle fréquentait le samedi le marché aux puces et un café où elle côtoyait des hommes.

Le diagnostic de schizophrénie ne lui paraissait pas indiqué pour rendre compte des éléments possiblement psychotiques rapportés. La méfiance vis-à-vis d'autrui n'avait pas le caractère inébranlable et spécifique du phénomène délirant, et les perceptions anormales relatées, auditives et visuelles, paraissaient relever de phénomènes hypnagogiques/hypnopompiques, c'est-à-dire survenant dans les états de conscience intermédiaires situés aux confins de la veille et du sommeil. Ils étaient peut-être favorisés par la prise de plusieurs psychotropes.

L’expert a ensuite rappelé que le Dr G______ avait diagnostiqué, en
décembre 2020, un épisode dépressif léger en voie d'amélioration, que le
Dr P______ avait retenu dans son expertise un trouble anxieux et dépressif mixte, et que les médecins des urgences psychiatriques des HUG reprenaient chaque fois le diagnostic de trouble de l'adaptation. Il a précisé que ces diagnostics avaient en commun de désigner une atteinte de gravité modérée, comprenant une composante dépressive et une composante anxieuse. Son propre diagnostic était compatible avec ces appréciations, avec la différence qu’il mettait l'accent sur la durée du syndrome dépressif, tandis que la composante anxieuse était incluse dans le diagnostic de personnalité, notamment sa composante de labilité émotionnelle qui favorisait l'émergence de moments d'anxiété, notamment d'angoisse d'abandon. Enfin, il écartait les troubles retenus par le Dr N______ car, sur la base des données disponibles et de ses constatations, il n’était pas convaincu par le diagnostic d'état de stress post-traumatique, ni par celui d'épisode dépressif sévère. Cette appréciation rejoignait celle des médecins de Belle-Idée qui avaient soigné l'expertisée en décembre 2023. Ils avaient écarté le diagnostic d'épisode dépressif sévère retenu par le médecin du service des urgences qui avait hospitalisé l’intéressée, et conclu à nouveau à un trouble de l'adaptation. Quant aux autres diagnostics mentionnés par le Dr N______, ils se retrouvaient plus ou moins dans son diagnostic de syndrome douloureux somatoforme persistant. La somatisation se manifestait par des symptômes psychosomatiques divers et pas uniquement par des douleurs. Le trouble neurologique fonctionnel était, à sa connaissance, un diagnostic utilisé uniquement en France, et désignait des manifestations d'allure neurologique sans atteinte neurologique organique. C'était donc un diagnostic situé quelque part entre le trouble somatoforme (F45) et le trouble de conversion (F44) de la CIM-10. Pour sa part, il n’avait pas relevé de manifestations franchement pseudo-neurologiques, ni dans son examen, ni dans les divers rapports à disposition.

10.1.2 Au niveau des limitations fonctionnelles, le Dr S______ a exposé que le trouble de la personnalité compliquait la vie affective, relationnelle et sociale des sujets qui en souffraient. Par l'instabilité affective qu'elle provoquait, cette atteinte était souvent à l'origine de conflits et de ruptures, ce qui nuisait à l'épanouissement professionnel du sujet. Mais elle ne l'empêchait pas de travailler, sauf dans les périodes de crises, celles-ci pouvant durer de quelques heures à quelques jours, parfois quelques semaines. Dans le cas de l'expertisée, l'analyse de ses nombreux passages au service des urgences psychiatriques entre 2021 et 2024 montrait que les crises étaient brèves et duraient rarement plus de 48 heures, au maximum une semaine. Seul l'épisode de crise de décembre 2023 avait motivé une hospitalisation, qui avait duré cinq jours. En conclusion, le diagnostic de trouble de la personnalité retenu chez l'expertisée ne déterminait pas d'incapacité de travail durable, mais constituait un handicap pour la conduite d'un cursus professionnel harmonieux et fluide. On pouvait considérer qu'il avait un certain impact sur le degré de performance professionnelle, que les experts évalueraient globalement avec celui des autres atteintes. Ce handicap se manifestait dans toute activité professionnelle.

Il était difficile d'évaluer objectivement les répercussions fonctionnelles du syndrome douloureux somatoforme persistant, en l'absence d'atteintes organiques objectivables. Il admettait que la douleur chronique mobilisait une part d'attention et d'énergie, ce qui pouvait se répercuter sur les performances de l'expertisée, donc sur son rendement, étant précisé que l’appréciation médicale des indicateurs juridiques de gravité serait présentée plus loin dans son rapport.

La dysthymie était une forme de dépression d’intensité légère, n’atteignant pas celle d'un véritable épisode dépressif au sens de la CIM-10. On admettait généralement qu'à elle seule cette forme de dépression n'était pas suffisamment prononcée pour altérer durablement la capacité de travail. Toutefois lorsqu'elle était associée à des comorbidités d'une certaine gravité, elle pouvait contribuer à diminuer la performance professionnelle en diminuant l’énergie disponible, l’estime de soi et la capacité de se projeter dans l’avenir.

Enfin, l’abus d'alcool occasionnel n'avait pas d'effet durable sur la capacité de travail.

10.1.3 Concernant la capacité de travail, l’expert a relevé qu’aucune des atteintes diagnostiquées n'impactait durablement la capacité de travail. En revanche, il fallait admettre que la combinaison de trois troubles qui se renforçaient réciproquement était à même d'altérer, dans une certaine mesure, la performance professionnelle. Il estimait à 25% la diminution globale du rendement professionnel due à l'action conjuguée des trois atteintes. L'altération du rendement était assimilable à une baisse équivalente de la capacité de travail. La diminution de 25% de la capacité de travail était durable car les trois atteintes avaient elles-mêmes un tel caractère.

Il estimait que l'altération de la capacité de travail était présente depuis le mois d’octobre 2020, ce qui correspondait au moment où l'atteinte psychiatrique était documentée et au début de la prise en charge psychiatrique selon le rapport du
Dr G______ du 22 décembre 2020. Préalablement, l’intéressée avait consulté une psychiatre dans le contexte du conflit conjugal violent qui l'opposait à son mari, mais il n'avait pas pu contacter cette psychiatre dont l’expertisée avait oublié le nom. Il ignorait si la composante somatoforme douloureuse était déjà présente à l'époque.

L’expert a également pris position sur les avis des autres psychiatres. Le
Dr G______ considérait que l'état psychique de sa patiente n'impactait pas sa capacité de travail. Il notait la présence d'une dépression légère en voie d'amélioration, ainsi qu'une problématique de la personnalité. En revanche il n'incluait pas la dimension douloureuse du tableau clinique dans son appréciation. Quant au Dr N______, il estimait que sa patiente présentait une pathologie psychiatrique sévère, la rendant incapable dans toute activité professionnelle. L’expert ne partageait pas ce point de vue, car ses constatations n’allaient pas dans le sens d'une pathologie sévère, étant rappelé qu’il avait argumenté les raisons pour lesquelles il s’écartait des diagnostics posés par le psychiatre traitant. En outre, son appréciation était corroborée par les autres avis psychiatriques disponibles, soit celui du Dr G______, ancien psychiatre traitant en 2020, celui du Dr P______, et ceux des psychiatres des HUG consultés de 2021 à 2024, qui n’avaient pas retenu d'atteinte psychiatrique sévère au long cours en dépit de la survenue récurrente de crises aiguës de courte durée.

Les pathologies de l'expertisée étaient connues pour leur tendance à la chronicité et pour la difficulté du traitement. Au vu de ces considérations, il ne voyait pas de changement significatif de la situation dans un avenir prévisible.

10.1.4 L’expert s’est ensuite déterminé sur les indicateurs développés par la jurisprudence.

Dans ce contexte, il a rappelé que les répercussions fonctionnelles sur la capacité de travail étaient dues au cumul des atteintes qui restaient de degré modéré.

S’agissant du succès du traitement, il a constaté qu’il n'y avait guère de changement visible et durable depuis que les atteintes psychiatriques étaient documentées, hormis que, depuis 2021, l'expertisée faisait souvent appel au service d'urgences lorsqu'elle se sentait débordée par les émotions.

Il existait une pathologie de la personnalité qui diminuait les ressources personnelles, principalement la capacité de gérer les émotions. L'expertisée disposait néanmoins d'une grande énergie dont témoignait la grande capacité qu'elle montrait pour se mobiliser elle-même et mobiliser autrui (instances sociales, médecins et services médicaux) pour défendre ses intérêts. Le dossier abondait de ses innombrables démarches, et des nombreuses prestations qu'elle demandait et obtenait des services sociaux et médicaux.

Concernant le contexte social, il a relevé que l'expertisée avait un petit cercle d'amies, gardait un contact quotidien étroit par téléphone avec sa mère et sa
grand-mère.

Quant à la cohérence, il existait, au plan psychiatrique, un écart significatif entre les limitations fonctionnelles alléguées et les constatations objectives.

10.2 Au niveau rhumatologique, l’expert a résumé les pièces du dossier (rapport
p. 10-73), relaté les plaintes de l’intéressée (rapport p. 74), retracé l’anamnèse, le déroulement d’une journée-type et les antécédents (rapport p. 75-82). Il a ensuite consigné ses constatations lors de leur entretien du 31 janvier 2025 en présence d’une interprète (rapport p. 82-85), discuté les diagnostics, l’évolution de l’état de santé depuis 2019, les limitations fonctionnelles, la capacité de travail et le traitement (rapport p. 85-99), en répondant aux questions posées.

10.2.1 S’agissant des atteintes à la santé, l’expert a expliqué que les lombalgies communes chroniques étaient un syndrome sans corrélation anatomo-pathologique qui était par nature non évolutif et de bon pronostic. Il l’a qualifié de gravité faible et a considéré qu’il avait rendu impossible l’activité de nettoyeuse depuis sa survenance en janvier 2019.

Il a retenu le diagnostic de syndrome douloureux chronique, terme plus générique qu’il préférait en l’occurrence au diagnostic de fibromyalgie, étant encore précisé que la terminologie variait selon les spécialités (fibromyalgie, phénomène de sensibilisation centrale). Il a relevé que les douleurs alléguées dépassaient le substrat organique objectivable, qui se limitait actuellement à des troubles dégénératifs du rachis, par ailleurs fréquents dans la population générale et pas forcément symptomatiques. La gravité de cette atteinte était difficile à quantifier de par sa nature subjective et elle avait été évaluée de manière consensuelle entre les experts.

Il a également mentionné des lésions dégénératives post entorses et opération de la cheville gauche. L’atteinte était apparue probablement progressivement après les entorses et avait été compliquée d’une algodystrophie qui avait évolué en
mars-avril 2019. La présence de lésions dégénératives expliquait en partie les douleurs de la cheville gauche. La gravité était faible et le pronostic bon chez l’intéressée qui ne sollicitait pas sa cheville. Cette atteinte avait rendu impossible l’activité de nettoyeuse depuis sa survenance le 22 août 2017.

L’expert a également signalé une obésité, sans effets sur la capacité de travail.

10.2.2 S’agissant des limitations fonctionnelles, l’activité adaptée devrait être exercée en position assise, permettre les changements de position toutes les heures, sans port de charge fréquent de plus de 5 kg et occasionnel de plus de
10 kg, sans mouvement de rotation du tronc, sans position penchée en avant ou en arrière, sans marche en terrain accidenté, et éviter les escaliers, échelles et échafaudages.

10.2.3 Dans une activité adaptée, la capacité de travail avait été, au niveau somatique, de 0% dans toute activité entre août 2017 et mai 2019 en raison de l’entorse de la cheville gauche et de ses complications, de 50% entre les 6 et
31 mai 2019 selon les pièces au dossier, puis de 100% dès le mois de juin 2019 selon le médecin qui suivait alors l’intéressée. Il estimait cependant qu’il fallait, déjà à cette période, tenir compte d’une baisse de rendement estimée à 10%, de sorte qu’il concluait à une capacité de travail de 50% dès le 6 mai 2019 et de 90% dès le 1er juin 2019, dans une activité respectant les limitations fonctionnelles.

10.3 Conformément au mandat confié, les experts ont procédé à une appréciation consensuelle globale, tenant compte de l’interaction des atteintes psychiatriques et des troubles somatiques.

Ils ont expliqué que les différents diagnostics retenus renforçaient réciproquement les gênes occasionnées, ce qui avait un impact sur le rendement professionnel, et par conséquent sur le taux de la capacité de travail, diminuée de 25% depuis octobre 2020, soit la date du début de l’impact des problèmes psychiques qui s’ajoutaient au syndrome douloureux chronique, et pour une durée indéterminée.

De façon consensuelle, ils ont considéré que la capacité de travail avait été de 0% dans toute activité entre août 2017 et mai 2019, de 50% dans une activité adaptée au mois de mai 2019, de 90% dans une activité adaptée de juin 2019 à
septembre 2020 en raison de l’impact du syndrome douloureux chronique, et de 75% dans une activité adaptée depuis octobre 2020 en raison des troubles psychiques qui se sont ajoutés au syndrome précité.

10.4 La chambre de céans constate ainsi que les rapports des experts reposent sur l’intégralité du dossier médical de la recourante, dont les plaintes ont été prises en considération. Les experts ont procédé à un examen clinique complet dans leur domaine de spécialisation et se sont livrés à une analyse minutieuse du cas. Ils ont justifié leur appréciation, en particulier lorsqu’ils se sont écartés des conclusions d’autres médecins, et ce sur toutes les questions litigieuses, notamment celles relatives aux diagnostics, à l’évolution de l’état de santé, aux limitations fonctionnelles et à l’évaluation de la capacité de travail. En outre, les experts ont dûment évalué la situation globale de l’expertisée, en tenant compte de l’interférence des différentes atteintes somatiques et psychiques. Ils ont présenté des conclusions claires, cohérentes et très argumentées.

La chambre de céans ne relève aucune contradiction dans les rapports des
Drs S______ et T______, ni le moindre indice permettant de douter du bien-fondé de ces documents.

10.4.1 La recourante a indiqué contester l’expertise et rappelé l’appréciation divergente du Dr N______, dont elle a sollicité l’audition orale et la détermination écrite sur le rapport de l’expert judiciaire.

Il n’appartient toutefois pas à la chambre de céans d’ordonner des investigations complémentaires en cas d’expertise judiciaire à laquelle une pleine valeur probante peut être reconnue, ce qui est le cas en l’espèce.

L’intéressée a été invitée à prendre position sur l’expertise judiciaire, ce qu’elle n’a pas fait, et à produire si elle le souhaitait un nouveau rapport du
Dr N______, ce qu’elle n’a pas fait non plus.

À toutes fins utiles, il sera rappelé que le Dr S______ a commenté les rapports du Dr N______ et expliqué les raisons pour lesquelles il ne partageait pas son avis. Il a ainsi noté que le diagnostic d'état de stress post-traumatique ne pouvait pas être confirmé sur la base des données disponibles et de ses propres constatations. Il ne validait pas non plus, au vu des signes objectifs lors de son examen, le diagnostic d'épisode dépressif sévère, lequel avait également été écarté par les médecins de Belle-Idée ayant examiné la recourante en décembre 2023. Les autres diagnostics mentionnés par le Dr N______ étaient globalement compris dans le syndrome douloureux somatoforme persistant. S’agissant du degré de gravité des troubles psychiques, l’expert a souligné que son évaluation était corroborée par les autres avis psychiatriques au dossier, soit celui du
Dr G______, précédent psychiatre traitant, celui du Dr P______, expert mandaté en 2023, et ceux des spécialistes des HUG, consultés entre 2021 et 2024. Ces différents psychiatres n’avaient pas non plus retenu d’atteinte psychiatrique sévère au long cours en dépit des crises récurrentes aigues de courte durée.

On relèvera encore que l’expert a constaté une part d'excès dans la démonstration du mal-être de l’expertisée. Celui-ci, et la souffrance qui allait avec, ne faisaient pas de doute, et les diagnostics retenus en témoignaient. Cependant ils ne lui semblaient pas justifier l'ensemble des limitations dont l'expertisée se plaignait, notamment l'incapacité totale d'exercer une activité lucrative. Il a exposé qu’il existait surtout des traits de type émotionnellement labile, notamment de l'impulsivité, et accessoirement des éléments de méfiance et d'histrionisme, avec un besoin de « mettre en scène » sa souffrance pour attirer l'attention, la bienveillance ou les soins. Il a estimé que les limitations alléguées paraissaient excessives. Le nombre de passage au service des urgences psychiatriques entre 2021 et 2024 paraissait excessif en l'absence d'une pathologie psychiatrique de fond sévère, les constatations des médecins du service d'urgences rejoignaient les siennes concernant les atteintes psychiatriques. Il a encore relevé que la plupart du temps, c’était l’expertisée qui se rendait au service d'urgences ou s'y faisait emmener en ambulance. Cliniquement le tableau était cohérent, mais les répercussions (arrêt de travail prolongé, recours répété au service d'urgences) lui semblaient excessives. Il était probable que l'élément histrionique de la personnalité joue un rôle dans ces manifestations.

10.4.2 L’intimé a également contesté les conclusions du Dr S______, affirmant que le status psychiatrique mentionné dans l’expertise de celui-ci était superposable à celui du Dr P______, si bien qu’il convenait de conclure que l’expert judiciaire s’était livré à une analyse différente du même état de fait.

La chambre de céans rappellera toutefois que le Dr S______ a posé d’autres diagnostics que ceux retenus par le Dr P______, soit des troubles mixtes de la personnalité, un syndrome douloureux somatoforme persistant et une dysthymie, et que la capacité de travail réellement exigible en cas de syndrome douloureux somatoforme et de troubles psychiques doit être examinée au moyen des indicateurs développés par la jurisprudence, et non pas sur la seule base du status psychiatrique.

Le Dr S______ a dûment expliqué que la combinaison des trois pathologies retenues, qui se renforçaient réciproquement, était propre à altérer la performance professionnelle. Il a estimé que la diminution globale de rendement, assimilable à une baisse de la capacité de travail, s’élevait à 25%, en raison de l’action conjuguée des troubles. En outre, les Drs S______ et T______ ont souligné que les atteintes somatiques et psychiatriques avaient également des interactions entre elles, sous la forme d’une intensification réciproque des gênes occasionnées. Leur évaluation de la capacité de travail tient ainsi compte de l’association du syndrome douloureux chronique et des problèmes psychiques.

Rien ne justifie de s’écarter de ces conclusions, puisque l’expertise judiciaire bidisciplinaire a précisément été ordonnée afin d’obtenir une évaluation globale et définitive de l'état de santé et de la capacité de travail de la recourante, après discussion commune entre les experts psychiatre et rhumatologue, étant rappelé que les Drs P______ et Q______ n’ont, pour leur part, pas procédé à une réelle appréciation consensuelle, comme relevé dans l’ordonnance d’expertise du
3 décembre 2024.

10.5 Conformément aux conclusions de l’expertise judiciaire, à laquelle une pleine valeur probante doit être reconnue, la chambre de céans tiendra pour établi, au degré de la vraisemblance prépondérante requis, que la recourante présentait, dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles énoncées par l’expert rhumatologue, une capacité de travail de 75% depuis le mois d’octobre 2020, compte tenu de l’impact des problèmes psychiques qui se sont alors ajoutés au syndrome douloureux chronique.

L’état de santé de la recourante s’est donc aggravé dans une plus grande mesure que celle admise par l’intimé, de sorte que la décision litigieuse doit être annulée et le dossier renvoyé à l’autorité pour qu’elle procède au calcul du degré d’invalidité et statue sur un éventuel droit à la rente.

11.         Selon la jurisprudence (ATF 139 V 496 consid. 4.3 ; 139 V 349 consid. 5.4), les frais découlant de la mise en œuvre d'une expertise judiciaire peuvent être mis à la charge de l'assurance-invalidité lorsque l'autorité judiciaire de première instance ordonne une expertise judiciaire parce qu'elle estime que l'instruction menée par l'autorité administrative est insuffisante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.4). Cette autorité intervient dans les faits en lieu et place de l'autorité administrative qui aurait dû, en principe, mettre en œuvre cette mesure d'instruction dans le cadre de la procédure administrative. Dans ces circonstances, les frais de l'expertise ne constituent pas des frais de justice au sens de l'art. 69 al. 1bis LAI, mais des frais relatifs à la procédure administrative au sens de l'art. 45 LPGA. Ceux-ci doivent être pris en charge par l'assurance-invalidité. Cette règle ne saurait toutefois entraîner systématiquement la mise des frais d'une expertise judiciaire à la charge de l'autorité administrative. Encore faut-il que celle-ci ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l'expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d'instruction administrative. En d'autres termes, il doit exister un lien entre les défauts de l'instruction administrative et la nécessité de réaliser une expertise judiciaire (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_560/2024 du 11 décembre 2024 consid. 3 et les références).

En l’espèce, les carences relevées dans l’expertise administrative, en particulier l’absence d’une réelle évaluation globale des experts, ne suffisent pas pour mettre les frais de l’expertise judiciaire à la charge de l’intimé.

12.         Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis, la décision du
25 septembre 2023 annulée et la cause renvoyée à l'intimé pour nouveau calcul du degré d'invalidité de la recourante, en prenant en compte une capacité de travail de 75% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles, depuis le mois d’octobre 2020.

La recourante obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de
CHF 3'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision litigieuse du 25 septembre 2023.

4.        Renvoie la cause à l’intimé, dans le sens des considérants.

5.        Alloue à la recourante une indemnité de CHF 3'000.- à la charge de l’intimé.

6.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

Melina CHODYNIECKI

 

La présidente

 

 

 

Joanna JODRY

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le