Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/351/2025 du 15.05.2025 ( AVS ) , REJETE
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
| ||
A/3763/2024 ATAS/351/2025 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 15 mai 2025 Chambre 5 |
En la cause
A______
| recourant |
contre
HOTELA CAISSE DE COMPENSATION AVS
| intimée |
A. a. A______ (ci-après : le gérant) a été inscrit au registre du commerce de Genève (ci-après : RC) en qualité d’associé gérant avec signature individuelle, de la société à responsabilité limitée B______ (ci-après : la société), en date du 2 mars 2017. Selon l’extrait du RC, la société avait pour siège social, dans un premier temps, Coppet puis Vernier et avait pour but la gestion et l’exploitation d’établissements publics tels que notamment cafés, restaurants, snack-bars etc., avant sa radiation, en date du 8 juin 2023.
b. La société a été affiliée auprès de HOTELA CAISSE DE COMPENSATION AVS (ci-après : la caisse), pour la période allant du 1er avril 2017 au 8 juin 2023, sur la base du questionnaire d’affiliation complété par le gérant, en date du 12 avril 2017.
c. Le 6 juillet 2018, la signature individuelle a été conférée à C______, en qualité de directeur. Sa signature a été radiée en date du 19 juin 2019.
d. La société a été prononcée en faillite et cette dernière a été ouverte, en date du 8 juillet 2019, auprès de l’office des faillites de l’arrondissement de la Côte (ci‑après : OF).
e. La caisse a produit ses créances dans le cadre de la faillite de la société pour un montant de CHF 292'900.05 selon acte de production provisoire du 24 octobre 2019. L’état de collocation a été publié en date du 5 février 2021. Un acte de défaut de bien pour une créance admise de CHF 364’221.95 a été délivré à la caisse par l’OF, en date du 4 mai 2023.
B. a. Par décision en réparation du dommage datée du 1er novembre 2023, la caisse a réclamé au gérant, domicilié à Genève, le paiement d’un montant de CHF 279’008.65, correspondant aux cotisations salariales paritaires impayées, plus précisément celles de l’assurance-vieillesse et survivants (ci-après : AVS), de l’assurance-invalidité (ci-après : AI), des allocations de perte de gain (ci-après : APG), des allocations familiales (ci-après : AF), de l’assurance-chômage obligatoire et indemnité en cas d’insolvabilité (ci-après : AC), ainsi que les frais d’administration, de sommation, de poursuite et les intérêts moratoires.
b. Par courrier du 19 janvier 2024, le gérant a fait opposition à la décision du 1er novembre 2023, en faisant valoir que c’était la gestion du directeur qui avait mené à la faillite de la société et que ce dernier avait volontairement omis de régler les factures émises par la caisse et concernant les cotisations sociales, dès le mois d’août 2018. S’ajoutait à cela que le délai de prescription était échu. Enfin, le gérant considérait n’avoir commis aucune faute et n’était ainsi pas tenu de réparer le dommage, dont le montant était réclamé par la caisse.
c. Par décision sur opposition du 25 septembre 2024, la caisse a écarté l’opposition du gérant et confirmé la décision du 1er novembre 2023. En sa qualité de gérant inscrit au RC, le gérant était un organe et sa responsabilité devait être retenue quand bien même il n’aurait été qu’un « homme de paille », laissant la gestion de la société à son directeur. S’agissant de la prescription, le nouveau droit de la prescription était entré en vigueur antérieurement au 5 février 2021, date de dépôt de l’état de collocation ; par conséquent, ce n’était pas l’ancien délai de prescription qui s’appliquait, mais bel et bien le nouveau délai de prescription de trois ans, raison pour laquelle la créance n’était pas prescrite au moment où la décision querellée avait été rendue. Enfin, les conditions permettant de retenir la responsabilité du gérant étaient remplies, raison pour laquelle la décision était justifiée.
C. a. Par acte posté en date du 11 novembre 2024, le gérant a interjeté recours contre la décision sur opposition du 25 septembre 2024 auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans). Il a repris, en substance, les arguments déjà développés dans le cadre de son opposition, à savoir la prescription, la responsabilité du directeur et son absence de faute, affirmant qu’il n’était pas un homme de paille au sein de la société mais qu’il avait continué à exercer une activité de contrôle du bon fonctionnement des établissements et de respect des normes afin de s’assurer du bon déroulement opérationnel de la société. Il a conclu à l’annulation de la décision querellée, par réponse du 3 février 2025, sous suite de frais, faisant valoir, subsidiairement, que les amendes d’ordre devaient être exclues du montant du dommage réclamé.
b. L’intimée a conclu au rejet du recours, reprenant en substance, l’argumentation qu’elle avait déjà exposée dans sa décision, tout en précisant que, contrairement à un libellé erroné, le montant des amendes d’ordre pour les années 2018 et 2019 n’avait pas été comptabilisé dans le calcul du montant du dommage.
c. Par réplique du 26 mars 2025, le recourant a persisté dans ses conclusions, précisant que la faillite de la société reposait exclusivement sur la gestion défaillante du directeur, dont le comportement était caractérisé par une dissimulation délibérée de la situation critique de la société, qui avait précipité la faillite « en un temps record ».
d. Par duplique du 24 avril 2025, l’intimée a persisté dans ses conclusions.
e. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.
f. Les autres faits et documents seront mentionnés, en tant que de besoin, dans la partie « En droit » du présent arrêt.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA).
2. Le litige porte sur la responsabilité du recourant dans le préjudice causé à l’intimée, par le défaut de paiement des cotisations sociales, depuis le mois d’août 2018 jusqu’au mois de juin 2019.
3. En premier lieu, il convient d’examiner si la prétention de la caisse est prescrite.
3.1 Le 1er janvier 2020 est entrée en vigueur la révision du droit de la prescription de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (CO, Code des obligations - RS 220), entraînant la modification de l’art. 52 al. 3 LAVS (RO 2018 5343 ; FF 2014 221). Cet alinéa prévoit désormais que l’action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions du CO sur les actes illicites.
Selon l’art. 60 al. 1 CO (dans sa teneur en vigueur à compter du 1er janvier 2020), l’action en dommages-intérêts ou en paiement d’une somme d’argent à titre de réparation morale se prescrit par trois ans à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de la personne tenue à réparation et, dans tous les cas, par dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé.
Jusqu’au 31 décembre 2019, l’art. 52 al. 3 aLAVS prévoyait que le droit à la réparation se prescrivait deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. En renvoyant désormais aux dispositions du CO sur la prescription des actions introduites en cas d’acte illicite, le délai de prescription relatif se trouve porté de deux à trois ans et le délai de prescription absolu de cinq à dix ans. De plus, la prescription plus longue de l’action pénale visée à l’art. 60 al. 2 CO est applicable. Le délai de prescription (NDR : le délai absolu) ne commence plus à courir à la survenance du dommage mais le jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé. Les autres aspects de la prescription, notamment les motifs d’empêchement ou de suspension et les actes interruptifs, sont régis par les art. 130 ss CO (Message du Conseil fédéral relatif à la modification du code des obligations [droit de la prescription] du 29 novembre 2013, FF 2014 221, p. 260).
L’art. 49 Titre final du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) règle de manière générale les questions de droit transitoire en matière de prescription et a été réécrit lors de la révision du droit de la prescription (Message précité, FF 2014 221, p. 230 et 231). Depuis le 1er janvier 2020, cet article dispose notamment que lorsque le nouveau droit prévoit des délais de prescription plus longs que l’ancien droit, le nouveau droit s’applique dès lors que la prescription n’est pas échue en vertu de l’ancien droit (al. 1). L’entrée en vigueur du nouveau droit est sans effet sur le début des délais de prescription en cours, à moins que la loi n’en dispose autrement (al. 3). Au surplus, la prescription est régie par le nouveau droit dès son entrée en vigueur (al. 4).
Le principe est que le nouveau droit s’applique dès lors qu’il prévoit un délai plus long que l’ancien droit, mais uniquement à la condition que la prescription ne soit pas déjà acquise. En d’autres termes, les délais de prescription en cours sont allongés par le nouveau droit. A contrario, une créance déjà prescrite demeure prescrite (Message précité, FF 2014 221, p. 231). Par ailleurs, même si la prétention bénéficie d’un nouveau délai plus long de prescription, cela n’influence pas le point de départ de la prescription, c’est-à-dire que le délai ne recommence pas à courir au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit. Pour les questions de droit de la prescription autres que celles du début et de la longueur du délai, par exemple les (nouveaux) motifs de suspension et d’interruption, la renonciation à la prescription ou le droit transitoire, seul le nouveau droit est applicable dès son entrée en vigueur pour la période suivant celle-ci et non rétroactivement. Ainsi, les déclarations de renonciation à la prescription valablement faites sous l’ancien droit restent valables sous l’empire du nouveau droit (Message précité, FF 2014 221, p. 254).
Les délais prévus par les art. 52 al. 3 aLAVS et 60 al. 1 CO sont des délais de prescription, de sorte qu'ils ne sont pas sauvegardés une fois pour toutes avec la décision relative aux dommages-intérêts ; le droit à la réparation du dommage au sens de l'art. 52 al. 1 LAVS peut donc aussi se prescrire durant la procédure d'opposition (ATF 135 V 74 consid. 4.2).
3.2 Il résulte de la jurisprudence rendue à propos de l’art. 52 al. 3 aLAVS, les éléments qui suivent.
En cas de faillite, le dommage se produit en raison de l'impossibilité pour la caisse de récupérer les cotisations dans la procédure ordinaire de recouvrement. Le dommage subi par la caisse est réputé être survenu le jour de la faillite ; le jour de la survenance du dommage marque celui de la naissance de la créance en réparation et la date à partir de laquelle court le délai absolu (ATF 129 V 193 consid. 2.2 et la référence).
Le dommage survient également lors de la délivrance d’un acte de défaut de biens (Office fédéral des assurances sociales [ci-après : OFAS], Directives sur la perception des cotisations dans l’AVS, AI et APG [ci-après : DP], état au 1er janvier 2024, n. 8020). La délivrance d'un acte de défaut de biens établit l'insolvabilité du débiteur. Cela ne signifie toutefois pas uniquement que le débiteur ne peut pas s'acquitter de la créance qui a fait l'objet de l'acte de défaut de biens mais suppose aussi qu'il n'a pas les moyens de payer les autres créances ouvertes qui n'ont fait l'objet d'aucune poursuite. Le créancier peut donc agir contre les organes du débiteur afin d'obtenir le paiement de tout ce que celui-ci lui doit, soit non seulement le montant constaté par l'acte de défaut de biens mais également l'entier des créances ouvertes (arrêt du Tribunal fédéral 9C_115/2021 du 16 décembre 2021 consid. 3.1 et la référence).
Il faut entendre par moment de la « connaissance du dommage », en règle générale, le moment où la caisse de compensation aurait dû se rendre compte, en faisant preuve de l'attention raisonnablement exigible, que les circonstances effectives ne permettaient plus d'exiger le paiement des cotisations, mais pouvaient entraîner l'obligation de réparer le dommage (ATF 129 V 193 consid. 2.1).
S’agissant des actes interruptifs de prescription, il résulte de la jurisprudence rendue à propos de l’art. 52 al. 3 aLAVS les éléments qui suivent.
Les délais de prescription sont interrompus par les actes énumérés à l’art. 135 CO (applicable par analogie) ainsi que par tous les actes adéquats par lesquels la créance en dommages-intérêts est invoquée de manière appropriée à l’encontre du débiteur (arrêts du Tribunal fédéral 9C_641/2020 du 30 mars 2021 consid. 5.3 et la référence ; 9C_400/2020 du 19 octobre 2020 consid. 3.2.1 et la référence). Tant la décision que l’opposition interrompent les délais de prescription (ATF 135 V 74 consid. 4.2.2).
3.3 En l'espèce, le moment de la faillite, soit le 8 juillet 2019, est réputé être le moment où le dommage de la caisse est survenu et fixe le point de départ du délai de péremption absolu.
S’agissant du moment de la connaissance du dommage par l'intimée, il est survenu, selon les déterminations de l’intimée, en date du 5 février 2021, date à laquelle l’état de collocation a été déposé.
En application du droit transitoire, le principe est que le nouveau droit s’applique dès lors qu’il prévoit un délai plus long que l’ancien droit, mais uniquement à la condition que la prescription ne soit pas déjà acquise. En d’autres termes, les délais de prescription en cours sont allongés par le nouveau droit.
Dans le cas d’espèce, le dommage est survenu au moment de la faillite, le 8 juillet 2019, mais aucune prescription relative ou absolue n’était acquise lors de l’entrée en vigueur du nouveau droit de la prescription, le 1er janvier 2020. Suite à l’entrée en vigueur du nouveau droit, le délai de prescription absolue est passé de cinq à dix ans mais son point de départ n’a pas changé et reste fixé au 8 juillet 2019, jour de la survenance du dommage.
S’agissant du moment de la connaissance du dommage, il est fixé, selon les parties, au 5 février 2021, à la date du dépôt de l’état de collocation, soit après l’entrée en vigueur du nouveau droit de la prescription le 1er janvier 2020.
Le point de départ de la prescription relative est fixé au 5 février 2021, soit postérieurement à l’entrée en vigueur du nouveau droit de la prescription, ce qui entraîne l’application d’un délai de prescription relatif de trois ans, dès le 5 février 2021.
Partant, la décision de réparation du dommage de l’intimée, datée du 1er novembre 2023, n’est pas prescrite, contrairement à ce que soutient le recourant.
Par la suite, lesdits délais de prescription ont été interrompus et de nouveaux délais, de même durée, ont commencé à courir, après l’opposition du recourant, après la décision sur opposition et après le dépôt du recours, de sorte qu’à ce jour, la prescription n’est pas acquise.
L'action en réparation du dommage n'étant pas prescrite, il convient à présent d’examiner si les conditions de la responsabilité de l’art. 52 LAVS sont réalisées.
4.
À teneur de l’art. 52 al. 2 LAVS, si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage.
4.1 S’agissant de la notion d’« employeur », la jurisprudence considère que, si l'employeur est une personne morale, la responsabilité peut s'étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom, notamment quand la personne morale n’existe plus au moment où la responsabilité est engagée (ATF 123 V 12 consid. 5b ; 122 V 65 consid. 4a). Le caractère subsidiaire de la responsabilité des organes d'une personne morale signifie que la caisse de compensation ne peut agir contre ces derniers que si le débiteur des cotisations (la personne morale) est devenu insolvable (ATF 123 V 12 consid. 5b).
L’art. 52 LAVS ne permet ainsi pas de déclarer l'organe d'une personne morale directement débiteur de cotisations d'assurances sociales. En revanche, il le rend responsable du dommage qu'il a causé aux différentes assurances sociales fédérales, intentionnellement ou par négligence grave, en ne veillant pas au paiement des cotisations sociales contrairement à ses obligations (arrêt du Tribunal fédéral H 96/05 du 5 décembre 2005 consid. 4.1).
4.2 S’agissant plus particulièrement du cas d'une Sàrl, les gérants qui ont été formellement désignés en cette qualité, ainsi que les personnes qui exercent cette fonction en fait, sont soumis à des obligations de contrôle et de surveillance étendues, dont le non-respect peut engager leur responsabilité (art. 827 CO en corrélation avec l'art. 754 CO). Ils répondent selon les mêmes principes que les organes d'une société anonyme pour le dommage causé à une caisse de compensation ensuite du non-paiement de cotisations d'assurances sociales (ATF 126 V 237 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral H 252/01 du 14 mai 2002 consid. 3b et d, in VSI 2002 p. 176 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 3.2). Ils ont l'obligation de se faire renseigner périodiquement sur la marche des affaires, ce qui inclut notamment la surveillance du paiement des cotisations sociales paritaires ; ils sont tenus en corollaire de prendre les mesures appropriées lorsqu'ils ont connaissance ou auraient dû avoir connaissance d'irrégularités commises dans la gestion de la société (ATF 114 V 219 consid. 4a ; voir également arrêt du Tribunal fédéral 9C_152/2009 du 18 novembre 2009 consid. 6.1, in SVR 2010 AHV n. 4 p. 11).
4.3 En l’espèce, le recourant a été inscrit au RC, jusqu’à la faillite de la société, en qualité d’associé gérant de la société avec signature individuelle.
Dès lors, il remplissait la qualité d’organe formel de la société pendant la période où les cotisations sociales n’étaient pas payées à l’intimée et doit donc répondre du dommage si les autres conditions de l’art. 52 LAVS sont remplies.
5. Il convient maintenant de déterminer si le recourant a commis une faute qualifiée ou une négligence grave et est tenu à la réparation du dommage, au sens de l’art. 52 al. 1 LAVS.
5.1 L'obligation légale de réparer le dommage ne doit être reconnue que dans les cas où le dommage est dû à une violation intentionnelle ou par négligence grave, par l'employeur, des prescriptions régissant l'assurance-vieillesse et survivants (RCC 1978 p. 259 ; RCC 1972 p. 687). Il faut donc un manquement d'une certaine gravité. Pour savoir si tel est le cas, il convient de tenir compte de toutes les circonstances du cas concret (ATF 121 V 243 consid. 4b).
La caisse de compensation qui constate qu'elle a subi un dommage par suite de la non-observation de prescriptions peut admettre que l'employeur a violé celles-ci intentionnellement ou du moins par négligence grave, dans la mesure où il n'existe pas d'indice faisant croire à la légitimité de son comportement ou à l'absence d'une faute (RCC 1983 p. 101).
Selon la jurisprudence constante, se rend coupable d'une négligence grave l'employeur qui manque de l'attention qu'un homme raisonnable aurait observée dans la même situation et dans les mêmes circonstances. La mesure de la diligence requise s'apprécie d'après le devoir de diligence que l'on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d'un employeur de la même catégorie que celle de l'intéressé.
La négligence grave est également donnée lorsque l'administrateur n'assume pas son mandat dans les faits. Ce faisant, il n'exerce pas la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion, attribution incessible et inaliénable du conseil d'administration conformément à l'art. 716a CO. Une personne qui se déclare prête à assumer ou à conserver un mandat d'administrateur tout en sachant qu'elle ne pourra pas le remplir consciencieusement viole son obligation de diligence (ATF 122 III 195 consid. 3b). Sa négligence peut être qualifiée de grave sous l'angle de l'art. 52 LAVS (ATF 112 V 1 consid. 5b). Un administrateur, dont la situation est à cet égard proche de celle de l’homme de paille, ne peut s'exonérer de ses responsabilités légales en invoquant son rôle passif au sein de la société (arrêt du Tribunal fédéral 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2).
Commet une faute grave celui qui ne démissionne pas de ses fonctions alors qu’il se trouvait, en raison de l'attitude du tiers, dans l'incapacité de prendre les mesures qui s’imposaient s’agissant du paiement des cotisations ou qui se trouvait dans l’incapacité d'exercer son devoir de surveillance (voir par exemple : arrêt du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 4.3).
5.2 En l’espèce, le recourant allègue qu’en sa qualité de gérant, il s’est acquitté des cotisations sociales des employés lorsque ces tâches lui incombaient et qu’il a, par la suite, exprimé sa volonté de quitter la société et d’être radié du RC. L’associé gérant président, D______, l’en aurait dissuadé et aurait insisté pour que le recourant restât inscrit en tant que gérant, dès lors qu’il était le seul titulaire de la patente permettant d’exploiter les deux établissements de la société.
Cet argument ne lui est d’aucun secours dans la mesure où, quelles qu’en soient les raisons, le recourant est resté associé gérant de la société et n’a pas demandé sa radiation auprès du RC, ce qu’il aurait pu faire seul, dès lors qu’il bénéficiait d’une signature individuelle.
Il invoque que, suite à l’engagement du directeur C______, il appartenait à ce dernier de s’assurer du paiement des cotisations sociales, le recourant prétendant qu’après l’arrivée du directeur, il n’avait aucun pouvoir sur les décisions financières concernant la société et n’avait plus le pouvoir d’influer sur l’aspect financier de l’entreprise, car il n’exerçait plus aucune influence sur la marche des affaires de la société.
Or, selon les statuts de la société, les gérants ont notamment les attributions inaliénables et intransmissibles suivantes (art. 24) : exercer la haute direction de la société et établir les instructions nécessaires (ch. 1) ; exercer la surveillance sur les personnes chargées de parties de la gestion pour s’assurer notamment qu’elles observent la loi, les statuts, les règlements et les instructions données (ch. 4).
Chargé d’exercer la haute direction de la société, le recourant ne pouvait ni aliéner cette tâche, ni la transmettre au directeur, sur lequel il devait exercer la surveillance prévue par les statuts.
Partant, son argumentation selon laquelle il avait été exclu de la gestion financière de la société par son associé et/ou par le nouveau directeur qui avait la mainmise sur tous les aspects financiers de la société, ne peut être suivie.
Le contrat de travail du directeur, avec une prise d’emploi prévue au 1er avril 2018, précise à son art. 2.02 que le directeur exerce, « par délégation, tout ou partie des pouvoirs de l’employeur, sauf ceux que la loi interdit de déléguer », ce qui renvoie à la responsabilité inaliénable du recourant, telle qu’elle a été examinée supra.
Dans un extrait de message WhatsApp daté du 24 juin 2019, figurant en pièce 12 du chargé du recourant, il apparaît que ce dernier répond au directeur, qui se plaint de ne pas avoir reçu son salaire, qu’il n’a aucun contrôle sur l’argent et que son statut de gérant « est resté au RC uniquement à cause de la patente », ajoutant à l’attention du directeur que si son salaire n’est pas payé par D______, il lui conseille de s’adresser aux Prud’hommes.
Or, si une personne se déclare prête à assumer ou à conserver un mandat d'administrateur, tout en sachant qu'elle ne pourra pas le remplir consciencieusement, elle viole son obligation de diligence (ATF 122 III 195 consid. 3b). Ainsi, un administrateur, dont la situation est, à cet égard, proche de celle de l’homme de paille, ne peut s'exonérer de ses responsabilités légales en invoquant son rôle passif au sein de la société (arrêt du Tribunal fédéral 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2).
Au regard de cette jurisprudence, le recourant ne peut invoquer ni son rôle passif, ni son absence de surveillance des activités de la société pour s’exonérer de ses responsabilités de gérant.
Le message produit par le recourant ne fait que confirmer la passivité de ce dernier et son rôle d’homme de paille dans la société, alors qu’en tant qu’organe formel, il lui incombait de veiller personnellement au paiement des cotisations paritaires sur les salaires versés et ceci quel que soit le mode de fonctionnement et de répartition des tâches convenu ou accepté, entre les dirigeants de la société.
Quand bien même le recourant ne s’occupait pas, au quotidien, de la gestion de la société, tâche dévolue au directeur, il devait s’assurer, par des contrôles réguliers, que les cotisations sociales paritaires étaient acquittées en faveur de l’intimée, ce qu’il n’a pas fait.
Il n’a, en outre, pas démissionné, alors même qu’il savait n’avoir aucun contrôle sur l’argent et ceci même s’il était seul titulaire de la patente permettant l’exploitation des établissements.
Dès lors que – selon ce qui semble ressortir du message susmentionné - le recourant ne pouvait s’opposer à l’attitude de D______, le propriétaire économique de la société, il aurait dû démissionner sans délai de ses fonctions (arrêt du Tribunal fédéral 9C_442/2014 du 24 novembre 2014 consid. 5.3.).
Il ressort de ce qui précède que le recourant n’a pas fait preuve de la diligence requise et que sa négligence doit être qualifiée de grave.
5.3 Enfin, il convient d’examiner la dernière condition, soit l’existence d’un rapport de causalité naturelle et adéquate entre la violation intentionnelle ou par négligence grave des prescriptions et la survenance du dommage.
La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2).
La causalité adéquate peut être exclue, c'est-à-dire interrompue, l'enchaînement des faits perdant alors sa portée juridique, lorsqu'une autre cause concomitante - la force majeure, la faute ou le fait d'un tiers, la faute ou le fait de la victime - constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre. L'imprévisibilité de l'acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate ; il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener, en particulier le comportement de l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral H 95/05 du 10 janvier 2007 consid. 4).
5.4 En l’espèce, à teneur de son contrat de travail, le directeur a commencé son activité le 1er avril 2018 et l’on est en droit d’attendre de la haute direction qu’elle surveille l’activité d’un directeur fraîchement engagé, pendant une certaine période, jusqu’à ce qu’elle acquiert la certitude que le directeur assume avec diligence la gestion de la société.
Dans le cas présent, il apparaît qu’après un peu moins de cinq mois d’activité, le directeur a stoppé le paiement des cotisations sociales.
S’il avait correctement exécuté son mandat en surveillant l’activité du directeur, le recourant aurait pu se rendre compte de l’interruption du paiement des cotisations sociales et intervenir, non seulement pour rétablir les paiements, mais voire empêcher la faillite de la société. Son comportement passif a favorisé la survenance du préjudice et la condition du lien de causalité est ainsi remplie.
Celui-ci n’a en outre pas été interrompu, en l’espèce, par le comportement des autres organes de la société, le recourant se contentant d’affirmer, de manière très générale, que le non-paiement des cotisations sociales devait être imputé au directeur.
À cet égard, il convient de rappeler qu'une limitation (et, a fortiori, une libération) de la responsabilité fondée sur la faute concurrente d'un tiers ne doit être admise qu'avec la plus grande retenue, si l'on veut éviter que la protection du lésé que vise, d'après sa nature, la responsabilité solidaire de plusieurs débiteurs, ne soit rendue en grande partie illusoire (arrêt du Tribunal fédéral 9C_779/2020 du 7 mai 2021 consid. 3.2 et les références).
Au vu de ces éléments, la chambre de céans retiendra que le recourant n'a pas assumé, dans les faits, les obligations liées à son mandat de gérant de la société, de sorte que sa responsabilité, au sens de l'art. 52 LAVS, doit être confirmée.
6. Il reste à examiner le montant du dommage subi par l'intimée.
Le montant du dommage correspond à celui pour lequel la caisse de compensation subit une perte. Appartiennent à ce montant les cotisations paritaires (cotisations patronales et d’employés ou ouvriers) dues par l’employeur, les contributions aux frais d’administration, les intérêts moratoires, les taxes de sommation et les frais de poursuite (OFAS, DP, n. 8017). Les éventuelles amendes prononcées par la caisse de compensation ne font pas partie du dommage et doivent le cas échéant être déduites (arrêt du tribunal fédéral H 142/03 du 19 août 2003 consid. 5.5).
À cet égard, le recourant n’a pas contesté le montant du dommage, si ce n’est en ce qui concerne les amendes d’ordre.
Or, comme l’a rappelé l’intimée dans sa réponse du 3 février 2025, les amendes d’ordre n’ont, en réalité, pas été prises en compte dans la détermination du dommage, comme cela ressort du calcul figurant dans la décision querellée et dans la pièce 3 du chargé intimée, intitulé « tableaux des irrécouvrables ».
Partant, le montant du dommage est bien fondé.
7.
7.1 À l’aune de ce qui précède, le recours sera rejeté.
7.2 Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario et
89H al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA ‑ E 5 10]).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. Le rejette.
3. Dit que la procédure est gratuite.
4. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon l’art. 85 LTF, s’agissant de contestations pécuniaires, le recours est irrecevable si la valeur litigieuse est inférieure à 30’000 francs (al. 1 let. a). Même lorsque la valeur litigieuse n’atteint pas le montant déterminant, le recours est recevable si la contestation soulève une question juridique de principe (al. 2). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Véronique SERAIN |
| Le président
Philippe KNUPFER |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le