Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/75/2025 du 11.02.2025 ( LAA )
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/2456/2024 ATAS/75/2025 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Ordonnance d’expertise du 11 février 2025 Chambre 2 |
En la cause
A______
| recourant |
contre
ASSURA-BASIS
| intimée |
A. a. Depuis 2017, Monsieur A______ (ci-après : l'assuré, l'intéressé ou le recourant), né en 1974, sans activité, était couvert contre les accidents dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins, avec franchise de CHF 300.-, auprès d’ASSURA-BASIS SA (ci-après : l’assurance ou l’intimée).
b. Par déclaration d’accident signée le 24 octobre 2023, l’assuré a annoncé à l’assurance un accident dentaire survenu le 12 octobre 2023 à 16h45 à Genève. S’agissant des circonstances, dans le cadre d’une activité sportive, il avait mal accroché une barre d’haltères sur son support après les exercices avec cet engin, et, lorsqu’il avait voulu se relever, ladite barre, de 70 kg, était tombée sur son visage, lui cassant trois dents, puis sur son épaule, qui a été légèrement touchée.
c. Dans des questionnaires remplis les 14 novembre et 14 décembre 2023, le docteur B______ (ci-après : le médecin-dentiste), médecin-dentiste exerçant à Genève, a relaté les mesures immédiatement prises, dont des examens clinique et radiographique, et a mentionné, sous « propositions pour un traitement définitif », « 3 facettes de reconstruction en céramique ».
Un « devis estimatif selon le tarif SUVA » y était annexé, pour l’incisive centrale supérieure de gauche (dent n° 21), l’incisive latérale supérieure de gauche (dent n° 22) et la canine supérieure de gauche (dent n° 23), le coût dudit traitement proposé étant estimé à CHF 4'440.20, montant qui a été ramené à CHF 4'328.55 selon un nouveau devis estimatif établi le 5 février 2024.
Étaient inclus dans cette somme totale les coûts, de plus de CHF 2'000.-, selon les devis du laboratoire C______, du 15 novembre 2023 puis – réduits – du 29 janvier 2024, en vue du traitement proposé.
d. Par courriels des 23 et 28 février 2024, le médecin-dentiste a transmis à l’assurance un devis du laboratoire C______ ainsi que les quatre radiographies prises le 13 octobre 2023 lors de la première consultation.
e. Par courrier du 1er mars 2024, l’assurance a informé le médecin-dentiste de son refus de prendre en charge le traitement prévu, soit la confection des facettes en céramique sur les dents nos 21, 22 et 23, seules les réparations en composite pouvant être indemnisées.
f. Par pli du 7 mars 2024, le médecin-dentiste a fait part de son désaccord à l’assurance.
g. Le 3 avril 2024, l’assurance a communiqué au médecin-dentiste un avis de sa médecin-dentiste conseil, la docteure D______, spécialiste en chirurgie orale, qui déconseillait une prise en charge de facettes 21 à 23, lesquelles ne respectaient pas les critères EAE, mais recommandait une « prise en charge de composites selon décision du [1er mars 2024] ». L’assurance a dès lors maintenu sa position exprimée dans son courrier du 1er mars 2024.
h. Par écrits des 12 et 14 avril 2024, l’intéressé a fait part à l’assurance de son désaccord quant à sa position et a sollicité le prononcé d’une décision formelle.
i. Par décision du 3 mai 2024, l’assurance a maintenu son refus de prise en charge d’une reconstruction dentaire par pose de facettes en céramique telle que proposée par le médecin-dentiste, faute d’être efficace, appropriée et économique (critères EAE).
j. Le 28 mai 2024, l’assuré a formé opposition contre cette décision.
k. Par décision sur opposition rendue le 21 juin 2024, l’assurance a rejeté cette opposition et a confirmé sa décision – initiale – du 3 mai 2024.
B. a. Par acte du 19 juillet 2024, l’assuré a, auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales ou la chambre de céans), interjeté recours contre cette décision sur opposition.
b. Par réponse du 27 septembre 2024, l’intimée a conclu au rejet du recours.
c. Par écriture du 29 octobre 2024 – transmise pour information à l’intimée –, le recourant a répliqué, considérant comme suspects les faits que la médecin-dentiste conseil susmentionnée ait été injoignable quand il avait cherché à prendre contact avec elle et qu’elle n’ait avancé aucun argument médical dans son avis du 1er avril 2024.
Était produite une lettre du 3 juin 2024 du médecin-dentiste demandant à un professeur de la Clinique universitaire de médecine dentaire (ci-après : CUMD) d’accepter le rôle de médiateur dans le litige opposant l’intéressé à l’assurance, de même qu’un écrit adressé le 16 août 2024 par le médecin-dentiste au recourant développant les motifs de sa préférence pour la céramique, seul moyen selon lui de reconstruire les dents endommagées du patient « de manière pérenne, fiable et esthétique », la décision querellée « [causant] sans motif valable un préjudice à [l’assuré], au seul bénéfice illégitime de l’assureur ».
d. Les parties n’ont pas formulé d’observations dans le délai au 30 janvier 2025 octroyé par la lettre du 15 janvier 2025 de la chambre de céans pour faire valoir une éventuelle récusation à l’encontre de la désignation en qualité d’experte de la professeure E______, à Genève, et pour émettre d’éventuelles remarques au sujet des questions libellées dans le projet de mission d’expertise annexé.
1.
1.1 Bien qu’il soit question en l’espèce de la prise en charge d’un accident, le litige relève de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal ‑ RS 832.10), dès lors qu’aucune assurance-accidents – au sens de la la loi fédérale sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20) – n’a à assumer la prise en charge requise (art. 1a al. 2 let. b LAMal ; cf. ATAS/664/2017 du 31 juillet 2017 consid. 2a).
1.2 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la LAMal.
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.3 À teneur de l'art. 1 al. 1 LAMal, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-maladie, à moins que la présente loi ou la loi fédérale sur la surveillance de l’assurance-maladie sociale du 26 septembre 2014 (LSAMal ‑ RS 832.12) ne dérogent expressément à la LPGA.
1.4 Interjeté dans la forme et le délai – de trente jours – prévus par la loi, le recours est recevable (art. 38 al. 4 et 56 ss LPGA et 62 ss de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).
Les conclusions et motifs de l’acte de recours, très sommaires, permettent de comprendre que le recourant conclut à l’annulation de la décision sur opposition litigieuse et à la prise en charge du traitement proposé par le médecin-dentiste.
2. S’agissant de l’objet du litige, il n’est pas contesté – ni contestable – que le dommage dentaire survenu le 12 octobre 2023 a été causé par un accident au sens de l’art. 4 LPGA.
Seule est litigieuse la question de savoir si l’intimée est fondée ou non à refuser la prise en charge d’une reconstruction dentaire par la pose de facettes en céramique telle que proposée par le médecin-dentiste, sous l’angle de la question de savoir si une telle opération est efficace, appropriée et économique (« critères EAE »).
3.
3.1 Aux termes de l’art. 1a al. 2 let. b LAMal, l’assurance-maladie sociale alloue des prestations en cas d’accident (art. 4 LPGA), dans la mesure où aucune assurance-accidents n’en assume la prise en charge.
Selon l’art. 24 LAMal, l’assurance obligatoire des soins prend en charge les coûts des prestations définies aux art. 25 à 31 LAMal en tenant compte des conditions des art. 32 à 34 LAMal (al. 1). Les prestations prises en charge sont rattachées à la date ou à la période de traitement (al. 2).
En vertu de l’art. 25 al. 1 LAMal – intitulé « prestations générales en cas de maladie » –, l’assurance obligatoire des soins prend en charge les coûts des prestations qui servent à diagnostiquer ou à traiter une maladie et ses séquelles.
L’art. 28 LAMal dispose qu’en cas d’accident au sens de l’art. 1 (recte : 1a) al. 2 let. b de ladite loi, l’assurance obligatoire des soins prend en charge les coûts des mêmes prestations qu’en cas de maladie.
Conformément à l’art. 31 LAMal – intitulé « soins dentaires » –, l’assurance obligatoire des soins prend en charge les coûts des soins dentaires : s’ils sont occasionnés par une maladie grave et non évitable du système de la mastication (let. a), ou s’ils sont occasionnés par une autre maladie grave ou ses séquelles (let. b), ou s’ils sont nécessaires pour traiter une maladie grave ou ses séquelles (let. c ; al. 1). Elle prend aussi en charge les coûts du traitement de lésions du système de la mastication causées par un accident selon l’art. 1 (recte : 1a) al. 2 let. b de la loi (al. 2).
3.2 Pour ce qui est des « conditions et étendue de la prise en charge des coûts » (section 2), l’art. 32 LAMal prévoit que les prestations mentionnées aux art. 25 à 31 LAMal doivent être efficaces, appropriées et économiques. L’efficacité doit être démontrée selon des méthodes scientifiques (al. 1). L’efficacité, l’adéquation et le caractère économique des prestations sont réexaminés périodiquement (al. 2).
3.2.1 En particulier, selon l’art. 56 LAMal – au titre « caractère économique des prestations » –, le fournisseur de prestations doit limiter ses prestations à la mesure exigée par l’intérêt de l’assuré et le but du traitement (al. 1). La rémunération des prestations qui dépassent cette limite peut être refusée (al. 2, 1ère phr.).
À teneur de l’art. 33 let. d de ordonnance sur l'assurance-maladie du 27 juin 1995 (OAMal - RS 832.102), le Département fédéral de l’intérieur (ci-après : DFI) désigne, après avoir consulté la commission compétente, les mesures de prévention visées à l’art. 26 LAMal, les prestations en cas de maternité visées à l’art. 29 al. 2 let. a et c LAMal et les soins dentaires visés à l’art. 31 al. 1 LAMal.
Toutefois, ni le chapitre 5 de l’ordonnance du DFI sur les prestations dans l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie du 29 septembre 1995 (ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins, OPAS - RS 832.112.31) consacré aux « soins dentaires » (art. 17 à 19b) ni les annexes de cette ordonnance ne traitent la question des soins dentaires dus à un accident, ni ne contiennent de précisions ici pertinentes au sujet de traitements qui seraient ou non efficaces, appropriés et économiques.
3.2.2 Une prestation est efficace au sens de l'art. 32 al. 1 LAMal, lorsqu'elle est démontrée selon des méthodes scientifiques et que l’on peut objectivement en attendre le résultat thérapeutique visé par le traitement de la maladie (ATF 139 V 135 consid. 4.4.1 et les références citées), à savoir la suppression la plus complète possible de l'atteinte à la santé somatique ou psychique (ATF 130 V 532 consid. 2.2 ; 128 V 159 consid. 5c/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_912/2010 du 31 octobre 2011 consid. 3.2 et les références citées ; ATF 128 V 165 consid. 5c/aa ; RAMA 2000 n° KV 132 p. 281 consid. 2b).
La question du caractère approprié d’une prestation s'apprécie en fonction du bénéfice diagnostique ou thérapeutique dans le cas particulier, en tenant compte des risques qui y sont liés au regard du but thérapeutique (ATF 127 V 138 consid. 5). L'adéquation d'une mesure s'examine sur la base de critères médicaux. L'examen consiste à évaluer, en se fondant sur une analyse prospective de la situation, la somme des effets positifs de la mesure envisagée et de la comparer avec les effets positifs de mesures alternatives ou par rapport à la solution consistant à renoncer à toute mesure ; est appropriée la mesure qui présente, compte tenu des risques existants, le meilleur bilan diagnostique ou thérapeutique. La réponse à cette question se confond normalement avec celle de l'indication médicale ; lorsque l'indication médicale est clairement établie, il convient d'admettre que l'exigence du caractère approprié de la mesure est réalisée (ATF 139 V 135 consid. 4.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_685/2012 du 6 mars 2013 consid. 4.4.2 et les références citées ; ATF 125 V 95 consid. 4a ; RAMA 2000 n° KV 132 p. 282 consid. 2c).
Quant à l'exigence du caractère économique d’une prestation – toujours selon l'art. 32 al. 1 LAMal –, elle ressort également de l'art. 56 al. 1 LAMal, selon lequel le fournisseur de prestations doit limiter ses prestations à la mesure exigée par l'intérêt de l'assuré et le but du traitement. Comme le Tribunal fédéral des assurances l'a déjà relevé à propos de l'art. 23 de l'ancienne loi sur l'assurance‑maladie (LAMA, en vigueur jusqu'au 31 décembre 1995), dont le contenu était analogue, les caisses sont en droit de refuser la prise en charge de mesures thérapeutiques inutiles ou de mesures qui auraient pu être remplacées par d'autres, moins onéreuses ; elles y sont d'ailleurs obligées, dès lors qu'elles sont tenues de veiller au respect du principe de l'économie du traitement. Ce principe ne concerne pas uniquement les relations entre caisses et fournisseurs de soins. Il est également opposable à l'assuré, qui n'a aucun droit au remboursement d'un traitement non économique (ATF 127 V 43 consid. 2b ; 125 V 95 consid. 2b et la jurisprudence citée ; François-Xavier DESCHENAUX, Le précepte de l'économie du traitement dans l'assurance-maladie sociale, en particulier en ce qui concerne le médecin, in : Mélanges pour le 75ème anniversaire du TFA, Berne 1992, p. 537). Le critère de l'économicité concerne le rapport entre les coûts et le bénéfice de la mesure, lorsque dans le cas concret différentes formes et/ou méthodes de traitement efficaces et appropriées entrent en ligne de compte pour combattre une maladie (ATF 127 V 138 consid. 5 ; RAMA 2004 n° KV 272 p. 111 consid. 3.1.2).
Ainsi, si, d'un point de vue médical, il n'y a pas de différences importantes entre deux méthodes de traitement alternatives, en ce sens que, du point de vue de l'adéquation par rapport au résultat thérapeutique recherché, elles sont équivalentes, il faut en principe choisir la méthode de traitement la plus avantageuse et donc la plus économique (ATF 127 V 138 consid. 5). En d’autres termes, si plusieurs traitements sont envisageables, il y a lieu de procéder à une balance entre coûts et bénéfices du traitement ; si l’un d’entre eux permet d’arriver au but recherché en étant sensiblement meilleur marché que les autres, l’assuré n’a pas droit au remboursement des frais du traitement le plus onéreux (ATF 124 V 196 consid. 3 ; RAMA 1998 n° K 988 p. 1 ; François‑Xavier DESCHENAUX, op. cit., p. 536).
3.3 La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l'accident, l'incapacité de travail, l'invalidité, l'atteinte à l'intégrité physique ou mentale) supposent l'instruction de faits d'ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit de l'assuré à des prestations, l’administration (ou le juge, s’il y a eu un recours) a besoin de documents qu’un médecin, éventuellement d’autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 125 V 256 consid. 4 et les références).
3.3.1 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 133 V 450 consid. 11.1.3 ; 125 V 351 consid. 3).
3.3.2 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3b).
Le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d'un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l'assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l'objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l'égard de l'assuré. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l'impartialité d'une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Étant donné l'importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l'impartialité de l'expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).
Lorsqu'un cas d'assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure au sens de l'art. 44 LPGA, l'appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères : s'il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations d'un médecin de l'assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 145 V 97 consid. 8.5 et les références ; 142 V 58 consid. 5.1 et les références ; 139 V 225 consid. 5.2 et les références ; 135 V 465 consid. 4.4 et les références). En effet, si la jurisprudence a reconnu la valeur probante des rapports médicaux des médecins-conseils, elle a souligné qu'ils n'avaient pas la même force probante qu'une expertise judiciaire ou une expertise mise en œuvre par un assureur social dans une procédure selon l'art. 44 LPGA (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_691/2021 du 24 février 2022 consid. 3.4).
Dans une procédure portant sur l'octroi ou le refus de prestations d'assurances sociales, lorsqu'une décision administrative s'appuie exclusivement sur l'appréciation d'un médecin interne à l'assureur social et que l'avis d'un médecin traitant ou d'un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes mêmes faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l'un ou sur l'autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l'art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 139 V 225 consid. 5.2 et les références ; 135 V 465 consid. 4.6).
Une appréciation médicale, respectivement une expertise médicale établie sur la base d'un dossier n'est pas en soi sans valeur probante. Une expertise médicale établie sur la base d'un dossier peut avoir valeur probante pour autant que celui-ci contienne suffisamment d'appréciations médicales qui, elles, se fondent sur un examen personnel de l'assuré (RAMA 2001 n° U 438 p. 346 consid. 3d). L'importance de l'examen personnel de l'assuré par l'expert n'est reléguée au second plan que lorsqu'il s'agit, pour l'essentiel, de porter un jugement sur des éléments d'ordre médical déjà établis et que des investigations médicales nouvelles s'avèrent superflues. En pareil cas, une expertise médicale effectuée uniquement sur la base d'un dossier peut se voir reconnaître une pleine valeur probante (arrêt du Tribunal fédéral 8C_681/2011 du 27 juin 2012 consid. 4.1 et les références).
En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).
3.4 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; 126 V 353 consid. 5b ; 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).
3.5 Le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l'administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4 ; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).
4.
4.1 En l’espèce, le médecin-dentiste – traitant – du recourant, le Dr B______, a, dès les premiers questionnaires remplis les 14 novembre et 14 décembre 2023, proposé, comme traitement définitif pour les dents fracturées nos 21, 22 et 23, une reconstruction dentaire par pose de facettes en céramique, pour CHF 4'328.55 au total selon le nouveau « devis estimatif selon le tarif SUVA » établi le 5 février 2024 et incluant les coûts devisés par le laboratoire C______.
L’intimée ayant manifesté le 1er mars 2024 son intention de ne prendre en charge que les réparations en composite, le médecin-dentiste a fait part de son désaccord à l’assurance le 7 mars 2024, estimant que « le matériau composite ne présente aucune des qualités de dureté et de ténacité nécessaire dans le cas d’espèce pour la restauration pérenne et esthétique des trois dents fracturées de [l’assuré] ». Il a alors invité l’assurance à solliciter l’avis d’« une personne qualifiée, à savoir au bénéfice d’une formation au moins équivalente à la [sienne], un doctorat d’université reconnu en Suisse en la discipline concernée ».
Le 3 avril 2024, l’assurance a communiqué au médecin-dentiste un avis de sa médecin-dentiste conseil, la Dre D______, spécialiste en chirurgie orale. Celle-ci considère ce qui suit : « Les photographies (anonymisées) (NDR : radiographies) ont été montrées à plusieurs praticiens qui sont tous unanimes de l’avis, qu’il est tout à fait possible d’obtenir un bon résultat esthétique et de qualité par des composites. Et ces praticiens disposent largement d’une formation universitaire. Je suis aussi de l’avis qu’une reconstruction par facettes est un sur-traitement (overtreatment) et ne respecte pas les critères EAE » (NDR : d’efficacité, d’adéquation et d’économicité). Elle en a conclu que des facettes 21 à 23 ne respectent pas les critères EAE, mais recommande une « prise en charge de composites selon décision du [1er mars 2024] ».
C’est en particulier sur cette base que l’assurance maintient depuis lors, en particulier dans sa décision – initiale – du 3 mai 2024 puis dans sa décision sur opposition rendue le 21 juin 2024 (attaquée), sa position exprimée dans son courrier du 1er mars 2024.
Au stade de la procédure de recours, par écrit adressé le 16 août 2024 au recourant, le médecin-dentiste a développé les motifs de sa préférence pour la céramique, seul moyen selon lui de reconstruire les dents endommagées du patient « de manière pérenne, fiable et esthétique ». D’après lui, concernant l’avis de la Dre D______, « il ne s’agit évidemment pas d’une expertise, mais d’un simple avis, dépourvu de toute argumentation et considération technique ou médicale, de la part d’une professionnelle qu’on ne peut joindre car ne figurent ni son adresse postale ou de courriel, ni son adresse téléphonique ». Le médecin-dentiste étaye ensuite ainsi son point de vue : « Avant de subir les suites de l’accident du 12 octobre 2023, la denture était dans une situation parfaite. Nulle carie, nulle obturation, abrasion ou lésion. Un engrènement et une occlusion sans aucun défaut. [À la ligne] […] Il n’est donc pas possible d’exciper de l’état de la denture ou de l’âge de l’assuré pour exiger un traitement ‘économique’ ». Puis il expose les motifs pour lesquels « il n’est pas possible de prétendre que les mesures décidées par l’assureur sont équivalentes au traitement [qu’il a] proposé ». En effet, selon lui, concernant les composites dentaires, « l’hydrolyse des liaisons établies entre les charges et la matrice entraînent la décohésion des phases organique et minérale, entraînant le vieillissement prématuré de la résine composite. Ce mécanisme est aussi la cause de l’érosion qui se manifeste avec le temps. [À la ligne] Les composites ont un module de Young relativement peu élevé, et donc une médiocre résistance à la flexion. Cette caractéristique procure une certaine résilience, qui peut être favorable pour reconstruire une dent postérieure, mais exige des pièces plus épaisses. La rigidité peut être améliorée par le renforcement par des fibres, mais ce procédé ne peut guère être utilisé pour des incisives, compte tenu de leur faible épaisseur. [À la ligne] Cette faible rigidité a pour conséquence que les reconstructions en composite sur les incisives, vu leur faible épaisseur, produit des contraintes localement inégales sur le joint du collage périphérique. La fatigue mécanique du joint de collage cause sa dégradation progressive et à terme la perte de la reconstruction. [À la ligne] La dureté des composites est bien inférieure à celle de l’émail, et ils ont donc une faible résistance au poinçonnement. Leur ténacité s’en ressent et les expose à des fractures cohésives ». En revanche, pour ce qui est des céramiques, qui ont « une structure totalement différente, composées d’oxydes de métaux cuits au four », « les pièces en matière céramique possèdent une excellente résistance mécanique, une grande dureté et une résistance élevée à l’usure. [À la ligne] Elles sont insensibles à la corrosion dans le milieu buccal. [À la ligne] Le caractère bio‑compatible des céramiques dentaires est remarquable. [À la ligne] L’excellente rigidité des pièces en céramique leur permet de distribuer les forces de la mastication sur la totalité du joint de collage périphérique et donc de limiter la fatigue de ce joint, l’intégralité de ce joint étant garante de la pérennité de la restauration. [À la ligne] Quant à l’aspect esthétique, une reconstruction en céramique est sans comparaison avec les composites. En particulier, pour les incisives, pour la translucidité du bord incisif et le dégradé des teintes entre les diverses parties de la dent ». À la fin de son écrit, le médecin-dentiste a conclu que la décision querellée « cause sans motif valable un préjudice à [l’assuré], au seul bénéfice illégitime de l’assureur ».
Cet écrit, reçu le 30 octobre 2024 par la chambre de céans, a été transmis pour information, avec la réplique, le 18 novembre 2024 à l’intimée, qui n’a pas spontanément dupliqué.
4.2 Au regard de ces faits, indépendamment du fait que l’on ignore l’adresse professionnelle, la médecin-dentiste conseil n’a pas exposé pour quels motifs concrets et précis le traitement proposé par le médecin-dentiste – facettes en céramique – ne respecterait pas les critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité.
En revanche, le médecin-dentiste a motivé pourquoi il préconise ce traitement.
Par ailleurs, aucun élément ne paraît prima facie permettre, en l’état, de retenir, d’une manière générale, que les réparations en composite devraient systématiquement être préférées à celles en céramique.
À cet égard, dans son site internet, la Société suisse des médecins-dentistes (ci‑après : SSO) énonce ce qui suit : « La réponse à la question de savoir quel matériau d’obturation et quel type de restauration sont les meilleurs ne peut être donnée qu’au cas par cas. D’une manière générale, on peut toutefois dire que les composites sont aujourd’hui le premier choix, en particulier pour les défauts de moindre importance dans la région des dents antérieures et des dents postérieures. Pour les défauts importants dans la région postérieure, une restauration à l’aide d’inlays en céramique, d’overlays et d’une couronne peut constituer une alternative sûre à long terme. Dans la région des dents antérieures, une couronne ou des facettes en céramique (en anglais : veneers) peuvent être plus appropriées » (https://www.sso.ch/fr/obturations-dentaires).
Partant, l’avis de la Dre D______ laisse subsister des doutes quant à la fiabilité et la pertinence de son appréciation, de sort qu’il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l'art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire.
4.3 En conséquence, une expertise judiciaire doit être mise en œuvre, avec les questions qui suivent, et sera confiée à la Prof. E______.
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant préparatoirement
Ordonne une expertise concernant Monsieur A______ (le recourant). Commet à ces fins la professeure E______, à Genève (avec la précision que dans le rapport d’expertise devra figurer le nom de la cheffe ou du chef de clinique auquel une partie de l’exécution de l’expertise aura été déléguée et qui aura participé à l’évaluation).
Dit que la mission d’expertise sera la suivante :
A. Prendre connaissance du dossier de la cause et, si besoin, prendre tous renseignements utiles auprès des docteurs B______ et/ou D______, médecins-dentistes, voire solliciter des avis de tiers (qui devraient alors être nommés dans le rapport d’expertise), voire même, si nécessaire, examiner les dents du recourant.
B. Répondre aux questions suivantes, avec une motivation circonstanciée et précise :
1. Au plan diagnostique, les questions de l’état de la dentition et des traitements possibles ont-elles été suffisamment investiguées par le Dr B______ ?
2. Quels sont le ou les buts thérapeutiques à atteindre dans le traitement des séquelles sur la dentition du recourant des suites de son accident du 12 octobre 2023, notamment quelle devrait être la durabilité de la réparation ?
3. Les traitements entrant en ligne de compte, c’est-à-dire la reconstruction des trois dents facturées par la pose de facettes en céramique (telle que proposée par le Dr B______), la réparation par composite (seule admise par l’intimée) ou tout autre traitement envisageable, sont-ils dans le présent cas (à apprécier de manière pronostique et pour chacun des traitements entrant en ligne de compte) :
a. efficaces ? en d’autres termes, permettent objectivement d'obtenir le résultat thérapeutique recherché, à savoir la suppression la plus complète possible de l'atteinte à la santé somatique ?
b. adéquats ? en d’autres termes, présentent, compte tenu des risques existants, le meilleur bilan thérapeutique ?
c. économiques ? en d’autres termes, s’il n'y a pas de différences importantes entre les possibilités de traitement alternatives du point de vue de l'adéquation par rapport au résultat thérapeutique recherché, quel est le traitement le moins onéreux et donc le plus économique ? (estimez aussi les coûts estimatifs respectifs des traitements entrant en ligne de compte).
4. Après l’examen qui précède, quel traitement (la reconstruction des trois dents facturées par la pose de facettes en céramique, la réparation par composite ou tout autre traitement envisageable) préconisez-vous, sous l’angle des critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité ?
5. Faire toutes autres observations ou suggestions utiles.
C. Invite l’expert à déposer, dans les meilleurs délais, un rapport en trois exemplaires auprès de la chambre de céans.
D. Réserve le fond.
La greffière
Christine RAVIER |
| Le président
Blaise PAGAN |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties le