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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1803/2023

ATAS/689/2024 du 03.09.2024 ( AVS ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1803/2023 ATAS/689/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 3 septembre 2024

Chambre 2

 

En la cause

A______
représentée par Me Raphaël ZOUZOUT, avocat

 

 

recourante

 

contre

MEROBA 111, CAISSE DE COMPENSATION DE LA FÉDÉRATION DES MÉTIERS DU BÂTIMENT

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. B______, en liquidation (ci-après : la société) était une entreprise active dans le domaine des installations sanitaires, de la ferblanterie et du tubage de cheminée, inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) en décembre 1998, ayant son siège à Russin, dont Monsieur C______ (ci-après : l'associé gérant), titulaire d'une part de CHF 3'000.-, a toujours été l'unique associé gérant, avec droit de signature individuelle.

b. La société avait continué les affaires de l'entreprise individuelle « D______ » exploitée depuis 1963 par Monsieur D______, père de l'associé gérant, qui a été associé dans la société pour une part de CHF 12'000.-, sans signature.

c. Madame A______ (ci-après : l'associée ou la recourante), née en 1937, mère de l'associé gérant, était aussi associée de la société, pour une part de CHF 5'000.-, sans signature.

d. Selon les statuts de la société, l'assemblée des associés désigne le ou les gérant(s) ainsi que les personnes autorisées à représenter et obliger la société vis‑à-vis des tiers et leur confère la signature sociale, individuelle ou collective (art. 20). Les gérants ont les pouvoirs les plus étendus pour la gestion des affaires de la société et exercent tous les droits qui ne sont pas réservés à l'assemblée générale (art. 21).

e. La société a été affiliée dès le 1er janvier 1999 à MEROBA 111, CAISSE DE COMPENSATION DE LA FÉDÉRATION DES MÉTIERS DU BÂTIMENT (ci‑après : la caisse ou l'intimée).

f. La société a engagé Madame E______ (ci‑après : l'assistante de direction) en qualité de secrétaire de direction/comptabilité dès le 1er septembre 2020, et d'assistante de direction dès le 1er octobre 2020.

g. L'associé gérant est décédé le 12 mai 2021.

h. À teneur des indications du RC, depuis le 6 octobre 2021, le sociétariat de la société était composé de la sœur de l'associé gérant (pour 30 parts), de sa mère (pour 110 parts) et des deux filles du précité (pour 30 parts chacune).

i. À la suite d'un avis de surendettement de la société formé le 11 août 2021 par l'ensemble des associés, celle-ci a été dissoute par faillite prononcée par le Tribunal de première instance le 19 août 2021, et radiée d'office le 9 janvier 2023, à la clôture de la procédure de faillite.

B. a. Par décision du 16 février 2023, la caisse a réclamé de l'associée le paiement de son dommage s'élevant à CHF 14'412.10, montant qui n'avait pas pu être recouvré dans le cadre de la faillite de la société. Cette somme portait sur les cotisations aux assurances sociales que sont l'assurance-vieillesse et survivants, l'assurance‑invalidité et les allocations pour perte de gain (ci-après : AVS-AI-APG), ainsi que l'assurance-chômage (ci-après : AC), l'assurance-maternité (ci-après : AMat) et les allocations familiales (ci-après : AF ; pour le tout, ci-après : cotisations sociales), taxes de sommation et amendes d'ordre incluses.

b. Le même jour, la caisse a déposé auprès du Ministère public une plainte pénale contre l'associée, au motif qu'elle ne lui avait pas versé les cotisations sociales déduites des salaires des employés, mais les avait utilisées à d'autres fins (détournement de cotisations sociales).

c. Le 20 mars 2023, sous la plume de son conseil, l'associée s'est opposée à la décision du 16 février 2023 et a exposé que l'associé gérant souffrait d'alcoolisme grave, était dans un état de faiblesse avancée et ne gérait plus les affaires de la société. Après son décès, la société, déjà endettée, avait encore accumulé les dettes et l'assemblée des associés avait pris la décision de déposer un avis de surendettement, qui avait conduit à sa mise en faillite. L'assistante de direction, qui était en possession du tampon de la société, d'une procuration générale, ainsi que d'une procuration bancaire, gérait de facto les aspects financiers et administratifs de la société et était notamment en charge du paiement des salaires et des cotisations sociales. Elle avait commis plusieurs malversations et une plainte pénale avait été déposée à son encontre en mai 2022 pour abus de confiance et gestion déloyale. Au décès de l'associé gérant, elle avait refusé de restituer certains documents importants, dont son contrat de travail et des documents comptables, et son refus de collaborer n'avait pas permis à la fiduciaire d'établir les bilans 2020 et 2021. L'associée n'avait jamais eu la position d'associée gérante de la société, ni n'avait jamais pris part à sa gestion de fait. Elle avait de plus été assurée par l'assistante de direction de ce que les cotisations sociales avaient été réglées, ce qui s'était avéré inexact. Elle-même avait été lésée par les agissements de l'assistante de direction, en tant qu'associée de la société et bailleresse de celle-ci, et était partie plaignante dans la procédure pénale ouverte à son encontre. La caisse n'avait pas établi l'ensemble des faits pertinents et n'avait pas procédé aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision, en ce qu'elle retenait la responsabilité de l'associée alors que l'assistante de direction s'était vue déléguer de manière licite la gestion de la société, ce qui devait conduire à l'annulation de la décision. L'associée requérait son audition et celle de sa fille, ainsi que la réalisation de tout acte d'enquête nécessaire à l'établissement des faits pertinents.

d. Par décision sur opposition du 24 avril 2023, la caisse a déclaré l'opposition recevable et l'a rejetée. Au moment de la faillite, un total de CHF 25'693.47 à titre de cotisations sociales, frais d'administration, taxes de sommation, amendes, intérêts moratoires et frais de poursuite avait été évalué en sa faveur et son dommage total, pour la période du 1er décembre au 31 décembre 2020, puis du 1er février au 30 juin 2021, s'élevait à CHF 14'412.10 (CHF 9'551.89 de cotisations AVS-AI-APG, CHF 1'990.91 de cotisations AC, CHF 78.70 de cotisations AMat, CHF 208.35 de frais d'administration, CHF 125.- de taxes de sommation, CHF 2'232.25 de cotisations AF et CHF 225.- d'amendes). L'associée, qui disposait de cette qualité au sein de la société depuis sa création jusqu'à la clôture de la faillite, en avait de toute évidence repris la gestion depuis un certain temps, dès lors qu'elle avait elle-même indiqué que l'associé gérant n'était pas en état de la gérer. Le fait que l'assistante de direction disposait d'une procuration bancaire était normal compte tenu de ses tâches de secrétaire administrative et ne démontrait pas qu'elle gérait elle-même la société, les pièces produites attestant au contraire qu'elle recevait des instructions de l'associée.

C. a. Par acte du 25 mai 2023, l'associée a interjeté recours à l'encontre de la décision du 24 avril 2023 devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans), concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation. Jusqu'à son décès, l'associé gérant l'assurait régulièrement de la bonne marche des affaires de la société et de ce que les cotisations sociales étaient bien payées. La société avait toujours employé des secrétaires administratives afin de gérer les aspects administratifs, notamment le paiement des charges sociales et, lors du dernier engagement, l'associé gérant avait assuré la recourante de ce que la nouvelle assistante de direction était très compétente et assurerait une bonne gestion administrative de la société. Après le décès de l'associé gérant, cette dernière l'avait de plus toujours assurée de ce que la société était à jour dans ses paiements et de ce que les charges sociales étaient acquittées, déclarant régulièrement qu'elle faisait le nécessaire auprès de l'intimée. Elle agissait en toute autonomie et était la personne de contact avec l'intimée. La recourante n'avait pas accès au système informatique mis en place par l'intimée et n'était pas formée à cet effet. Le dommage subi par la caisse était la conséquence directe de la gestion déloyale et de l'abus de confiance commis par l'assistante de direction, qui était un organe de fait de la société, ayant été instruite et agissant de manière autonome. La recourante avait ainsi fait tout ce qui était en son pouvoir pour veiller à ce que les cotisations sociales soient payées par la société, en s'assurant auprès de la seule personne qui avait accès au système de paiement, que cette tâche était réellement exécutée. Lorsque la recourante avait constaté que les cotisations sociales n'avaient pas été réglées, les fonds de la sociétés, vidés par l'assistante de direction, ne permettaient plus de les régler. Elle avait donc été trompée par l'assistante de direction et n'était pas fautive. Au surplus, en ne cherchant pas à clarifier une situation de fait complexe, l'intimée avait de nouveau violé le principe de l'établissement des faits d'office dans sa décision sur opposition, ce qui devait conduire à l'annulation de celle-ci. La recourante a notamment produit une procuration bancaire établie le 15 janvier 2021 par l'associé gérant autorisant l'assistante de direction à effectuer en son nom toute opération bancaire sur les comptes de la société.

b. Par mémoire de réponse du 23 juin 2023, l'intimée a conclu, principalement, à la confirmation de la décision du 24 avril 2023. Après le décès de l'associé gérant, la recourante avait été l'unique associée de la société inscrite au RC, du 13 mai au 5 octobre 2021, son mari étant prédécédé en février 2019. Elle détenait, depuis le 13 mai 2021, à elle seule la majorité des parts de la société, soit 55%. Selon les pièces produites par la recourante, l'assistante de direction se serait retrouvée en arrêt de travail à 50% en février 2021 et se serait faite remplacer par une certaine « F______ ». Elle ne se serait ensuite plus présentée à son poste de travail, hormis pour effectuer certains paiements, sur ordre de la recourante. Les pièces versées démontraient que l'assistante de direction devait requérir l'aval de la recourante pour procéder à divers paiements. L'intimée n'avait pas violé le droit en n'auditionnant pas la recourante ou d'autres témoins, dans la mesure où elle n'était pas tenue d'entendre les parties avant le prononcé d'une décision sur opposition. La recourante n'avait de plus pas fourni de preuve tangible l'exonérant de sa responsabilité dans le cadre de son opposition, raison pour laquelle elle avait confirmé sa décision, sans autre mesure d'instruction. Il ressortait des pièces et allégations de la recourante que dès les fêtes de fin d'année 2020 la recourante était l'unique organe compétent pour la gestion de la société. Compte tenu des circonstances (état de faiblesse avancée de l'associé gérant dès la fin de l'année 2020 ne lui permettant plus de gérer la société alors qu'il informait au préalable régulièrement l'associée des affaires de la société, et situation d'endettement déjà présente dans l'entreprise), il était de sa responsabilité de revêtir un rôle d'associée active et de s'assurer de la bonne gestion de la société, respectivement du paiement des cotisations sociales, le salaire des employés continuant d'être versé. À tout le moins dès le 13 mai 2021, lendemain du décès de l'associé gérant, il était de sa responsabilité, en tant que seule associée en vie inscrite au RC, de reprendre la gestion de la société ou de nommer une personne qui pouvait le faire, sachant que celle-ci avait été, selon ses propres dires, laissée à l'abandon. L'assistante de direction n'était qu'une subalterne qui exécutait des paiements sur demande de sa hiérarchie, en l'occurrence de la recourante, sans pouvoir décisionnel. La recourante devait ainsi répondre du dommage causé à l'intimée, quitte à se retourner ensuite contre les employés si elle estimait qu'une responsabilité pouvait leur être imputée.

c. Le 15 août 2023, la recourante a répliqué et persisté dans ses conclusions, sollicitant en outre la suspension de la procédure jusqu'à droit jugé de la procédure pénale dirigée contre l'assistante de direction. L'abandon de la société était directement lié au comportement de l'assistante de direction qui refusait de restituer des documents importants, dont des documents comptables, ayant empêché l'établissement des bilans 2020 et 2021. Contrairement à ce que cette dernière affirmait, elle n'avait jamais été remplacée dans ses fonctions par une dénommée « F______ ». Le paiement des salaires et des cotisations sociales faisait partie des tâches régulières de l'assistante de direction et celle-ci avait toujours prétendu faire le nécessaire à cet égard. Elle devait donc être considérée comme un organe de fait de la société, qui avait été correctement instruit par la recourante quant à la nécessité d'effectuer le paiement des salaires et des cotisations sociales.

d. Le 1er novembre 2023, la recourante a produit certains documents relatifs à la procédure pénale ouverte contre l'assistante de direction, soulignant que l'intimée avait elle-même déposé plainte à son encontre, considérant qu'elle s'était rendue coupable d'infractions en n'effectuant pas tous les versements qui lui incombaient pour les mois de décembre 2020 et février à juin 2021. Les pièces versées à la procédure sont une lettre du conseil de l'assistante de direction du 9 novembre 2021 à l'office des faillites, dans laquelle il est affirmé qu'elle agissait sur instructions directes de l'associée et de sa fille, le contrat de travail de l'assistante de direction, et des extraits d'actes d'enquête et de procès-verbaux de la procédure pénale, notamment un procès-verbal du 11 octobre 2023. Il en ressort que l'assistante de direction était aussi prévenue d'avoir détourné des retenues sur salaire et que, lors d'une perquisition effectuée à son domicile, divers documents au nom de la société avaient été saisis.

e. Le 14 novembre 2023, la recourante a produit l'entier d'un rapport de police du 2 juin 2023 et du compte rendu d'arrestation de l'assistante de direction du 10 octobre 2023, ainsi qu'une attestation écrite de Monsieur G______ (ci‑après : l'employé) du 7 septembre 2021, dans laquelle il affirmait avoir été présent lorsque, fin mai 2021, la recourante et sa fille avaient demandé à l'assistante de direction de valider les salaires et les vacances. La recourante lui avait demandé de finir les chantiers en vue de faire rentrer de l'argent pour que ces paiements puissent être faits. En juin 2021, la recourante avait donné l'ordre de verser les 13ème salaires et les mois de préavis, ce que l'assistante de direction pouvait faire, étant au bénéfice d'une procuration auprès des banques.

f. Par duplique du 17 novembre 2023, l'intimée a sollicité que la recourante produise l'intégralité du procès-verbal du 11 octobre 2023, a refusé la suspension de la procédure jusqu'à droit jugé de la procédure pénale et persisté dans ses conclusions. Contrairement à ce que pouvaient faire croire les pièces produites par la recourante, l'intimée n'avait pas déposé une plainte pénale contre l'assistante de direction, mais uniquement contre la première. Il importait peu que l'assistante de direction ait affirmé à la recourante avoir effectué le paiement des charges sociales. Au vu de la situation d'endettement dans laquelle se trouvait déjà l'entreprise, mais également de l'état de faiblesse de l'associé gérant à compter des fêtes de fin d'année 2020, suivi de son décès, la recourante aurait dû, si elle avait agi de manière raisonnable, reprendre les rênes de l'entreprise et s'assurer que toutes les factures étaient honorées, dont celles des cotisations sociales. L'assistante de direction n'était qu'une exécutante, ce qui ressortait de son contrat de travail.

g. Le 12 janvier 2024, la chambre de céans a réceptionné de la part de l'intimée une lettre du Ministère public du 21 décembre 2023 confirmant qu'elle avait uniquement déposé plainte pénale contre la recourante, à l'exclusion de l'assistante de direction.

h. Le 5 février 2024, l'assistante de direction a produit son contrat de travail et l'avenant à celui-ci, ainsi que ses fiches de salaire de septembre 2020 à février 2021, et celle de juin 2021.

i. Le 6 février 2024, la chambre de céans a procédé à l'audition des parties et de témoins.

La recourante a déclaré qu'avant le décès de son fils, elle ne participait pas du tout à la gestion de la société. Au printemps 2021, ce dernier lui avait expliqué que certains clients ne payaient pas dans les délais, et elle avait constaté, après son décès, que la société était endettée. Il ne lui parlait pas des dettes de la société et il n'y avait pas d'assemblée réalisée car ils étaient en famille. Même si elle ne gérait pas la société, le notaire lui avait dit, après le décès de l'associé gérant, qu'elle et sa fille pouvaient terminer les chantiers et encaisser ce qui restait. Une réunion s'était par ailleurs déroulée, au cours de laquelle l'assistante de direction lui avait dit de ne pas se faire de souci car elle s'occupait de tout, avait la procuration de la banque et avait validé les paiements en faveur de l'intimée. Elle-même n'avait rien spécifié concernant d'éventuels préavis de résiliation des contrats de travail, car elle ne savait pas ce qu'il fallait faire à ce sujet et n'avait jamais donné d'instructions de paiements à l'assistante de direction. La femme dénommée « F______ » avait seulement corrigé des fautes d'orthographe de l'associé gérant mais n'avait pas eu de rôle dans la gestion de la société.

L'assistante de direction a déclaré qu'avant le décès de l'associé gérant, c'était lui qui assumait la gestion de la société et elle-même exécutait ses directives. La recourante et sa fille n'avaient à l'époque aucun pouvoir ou connaissance de l'état de la société, y compris s'agissant alors du paiement des cotisations sociales. L'associé gérant ne voulait pas que les membres de sa famille s'occupent de la société et il y avait beaucoup de tensions, celles-ci ayant souhaité l'hospitaliser en raison de sa maladie. Après son décès, elles étaient au courant des dettes de la société et ne s'étaient pas occupées du paiement des cotisations sociales mais d'autres choses. Les factures de l'intimée avaient été présentées au cours de la réunion, et également après. La recourante et sa fille ne lui avaient pas demandé de les payer, leurs préoccupations étant de fermer la société. Après le décès de l'associé gérant, elle avait fait ce que demandaient ces dernières et n'était pas retournée au bureau, étant en arrêt maladie Une employée de l'intimée l'avait appelée plusieurs fois en disant que la recourante la renvoyait vers elle.

Madame H______, fille de la recourante, a déclaré qu'elle ne s'était jamais occupée de la gestion de la société. Même après le décès de son frère, elle avait seulement aidé sa mère et assisté à une réunion. Elle avait en outre eu un contact téléphonique avec l'assistante de direction. Avant son décès, l'associé gérant dirigeait et gérait la société, mais il avait toujours confié la partie administrative à une secrétaire. Après son décès, la seule personne à même d'effectuer des démarches administratives était l'assistante de direction. Cette dernière avait expliqué à sa mère et à elle-même qu'elle pouvait continuer à payer les charges sociales vu son accès à la plateforme et la recourante lui avait alors demandé de payer les salaires et les charges sociales. Ni sa mère ni elle-même ne pouvaient savoir qu'il y avait des retards dans le paiement des cotisations sociales, car elles n'avaient pas une vue d'ensemble de la situation, n'ayant pas accès à la plateforme informatique, et car plusieurs documents étaient manquants. Elle n'avait pas vu personnellement de factures, sommations ou décision de l'intimée et ignorait si sa mère les avait vues. Il y avait beaucoup de désordre dans les papiers se trouvant dans les bureaux de la société et il était difficile de prendre connaissance des documents de l'année en cours. Selon elle, l'assistante de direction travaillait quand même durant sa période d'arrêt de maladie, car le courrier était ouvert et les salaires payés. Ce n'était qu'après la faillite de la société que sa mère et elle-même avaient eu des contacts avec l'intimée et ce n'est qu'à la lecture de l'inventaire de l'office des faillites qu'elles avaient appris que l'intimée avait une créance de cotisations à l'égard de la société.

L'employé a déclaré qu'avant le décès de l'associé gérant, la recourante ne s'occupait pas de la gestion de la société. Après le décès de celui-ci, il supposait que c'était l'assistante de direction qui la gérait, mais il n'avait eu aucun contact avec elle, et ne savait pas qui s'occupait du paiement des salaires et des cotisations sociales. Il ne pensait pas que la recourante avait eu une fonction de gestion de la société. Il n'avait pas été question des cotisations sociales lors de la réunion s'étant tenue peu après le décès de l'associé gérant, qui avait duré cinq minutes et au cours de laquelle la recourante avait uniquement demandé à l'assistante de direction de procéder au paiement du salaire des trois mois de préavis, sans autres précisions. La situation financière de la société était un peu difficile, mais il avait toujours reçu son salaire. Il ignorait quel avait été le rôle de la recourante et de sa fille par rapport à la société après la réunion du mois de mai 2021. Les finitions de chantier avaient pris environ une semaine.

j. Par écriture du 5 mars 2024, l'intimée a exposé que suite au décès de son époux, le 20 février 2019, la recourante était devenue associée majoritaire, quand bien même la modification n'avait pas été opérée au RC, puisqu'elle avait repris la moitié des parts du défunt et détenait ainsi 55% des parts de la société, contre 30% en faveur de l'associé gérant, ce qui correspondait, selon les statuts, à 11 voix contre 6. La recourante était de plus bailleresse de la société. Elle avait donc un réel intérêt économique à la bonne marche des affaires de la société et, si la tenue des assemblées générales n'avait pas été complètement négligée, elle aurait eu un impact décisif quant à sa gestion. En tant qu'associée majoritaire, elle avait un devoir de fidélité envers la société et devait s'abstenir de porter préjudice à ses intérêts ; l'assemblée des associés pouvait révoquer à tout moment un gérant ou demander au juge de retirer ou limiter ses pouvoirs de gestion et de représentation en cas de justes motifs ; un associé avait un droit d'être informé au sujet de la société et de consulter les livres et dossiers ; la société répondait de plus des dommages résultant des actes illicites commis dans la gestion de ses affaires par une personne autorisée à la gérer ou à la représenter. À compter des fêtes de fin d'année 2020, la recourante était la seule associée apte inscrite au RC et elle connaissait l'état de faiblesse avancé de l'associé gérant qui souffrait d'alcoolisme grave diagnostiqué. Elle savait donc qu'il n'était plus en état de gérer la société dès la fin de l'année 2020. Elle connaissait en outre les difficultés financières auxquelles faisait face la société, sa situation d'endettement et le fait qu'elle avait été laissée totalement à l'abandon à compter du décès de l'associé gérant, ainsi que le rôle des différentes secrétaires administratives, qui ne pouvaient être considérées comme des organes formels ou de fait de la société. La recourante n'avait pourtant jamais requis la tenue d'une assemblée générale des associés, ni demandé la consultation des rapports de gestion ou envisagé de révoquer l'associé gérant. Dès janvier 2021, de par sa force de position et des connaissances dont elle disposait concernant l'état de santé de l'associé gérant et la situation financière de la société, la recourante avait été gravement négligente et avait manqué à son devoir de diligence envers la société en la laissant complètement à l'abandon.

k. Par observations du 30 avril 2024, la recourante a contesté avoir manqué à ses devoirs d'associée. Elle a souligné n'avoir jamais été gérante formelle de la société ou pris part à sa gestion de fait, ce qui n'était même pas contesté par l'intimée puisqu'elle lui reprochait justement son inaction. Aucune disposition statutaire ne lui imposait une obligation de contrôle et de surveillance de la société, ou de prendre des mesures en cas de défaillance dans sa gestion. Le nombre de parts sociales qu'elle détenait et sa qualité de bailleresse n'y changeaient rien, étant précisé qu'elle avait elle-même été lésée dans le cadre de la faillite de la société. Au surplus, la procédure avait mis en avant le fait que l'assistante de direction était un organe de fait de la société, soumis à des obligations de contrôle et de surveillance étendues. Aucun manquement ne pouvant être imputé à la recourante, elle n'était pas responsable du dommage subi par l'intimée.

l. Ladite écriture a été transmise à l'intimée qui n'a pas formulé d'observations complémentaires.

m. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 


 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément aux art. 134 al. 1 let. a ch. 1, 2, 7 et 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) et 20 de la loi instituant une assurance en cas de maternité et d'adoption du 21 avril 2005 (LAMat - J 5 07), la chambre des assurances sociales connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS ‑ RS 831.10), à la loi fédérale sur l'assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20), à la loi fédérale sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité du 25 septembre 1952 (loi sur les allocations pour perte de gain, LAPG - RS 834.1), à la loi fédérale sur les allocations familiales du 24 mars 2006 (loi sur les allocations familiales, LAFam - RS 836.2), à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 25 juin 1982 (loi sur l'assurance-chômage, LACI - RS 837.0), ainsi qu'à la LAMat (assurances sociales dont la dénomination peut être abrégée sous AVS‑AI‑APG et AC ainsi qu’AMat et AF).

Sa compétence ratione materiae pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Selon l’art. 52 al. 5 LAVS, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié est compétent pour traiter le recours. Cette disposition est également applicable lorsque la caisse recherche un organe de l’employeur en réparation du dommage, et ce quel que soit le domicile dudit organe (arrêt du Tribunal fédéral H 184/06 du 25 avril 2007 consid. 2.3).

La société étant domiciliée dans le canton de Genève depuis 1998 jusqu'à la clôture de la faillite, la chambre de céans est également compétente ratione loci.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAVS, les dispositions de la LPGA s'appliquent à la première partie de la LAVS, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

4.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans les formes et délai prévus par la loi, le recours est recevable.

5.             La LPGA, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, a entraîné la modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de l'AVS, notamment en ce qui concerne l’art. 52 LAVS. Désormais, la responsabilité de l’employeur y est réglée de manière plus détaillée qu’auparavant et les art. 81 et 82 du règlement sur l'assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 (RAVS - RS 831.101) ont été abrogés.

Il faut toutefois préciser que le nouveau droit n'a fait que reprendre textuellement, à l'art. 52 al. 1 LAVS, le principe de la responsabilité de l'employeur figurant à l'art. 52 aLAVS, la seule différence portant sur la désignation de la caisse de compensation, désormais appelée assurance. Les principes dégagés par la jurisprudence sur les conditions de droit matériel de la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 aLAVS (dans sa teneur jusqu'au 31 décembre 2002) restent par ailleurs valables sous l'empire des modifications introduites par la LPGA (ATF 129 V 11 consid. 3.5 et 3.6).

Les dispositions de la novelle du 17 mars 2011 modifiant la LAVS sont entrées en vigueur le 1er janvier 2012. Elles n'ont pas amené de changements en matière de responsabilité subsidiaire des organes fondée sur l'art. 52 LAVS. En effet, outre quelques retouches de forme, le nouvel art. 52 al. 2 LAVS concrétise les principes établis par la jurisprudence constante du Tribunal fédéral (cf. Message relatif à la modification de la LAVS du 3 décembre 2010, FF 2011 519, p. 536 à 538). Sur le plan matériel, sont en principe applicables les règles de droit en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 129 V 1 consid. 1 ; 127 V 467 consid. 1 et les références).

En l’espèce, les montants litigieux concernent les mois de décembre 2020 et de février 2021 à juin 2021, de sorte que l’art. 52 al. 1 LAVS est applicable dans sa teneur en vigueur au 1er janvier 2012 (arrêt du Tribunal fédéral 9C_80/2017 du 31 mai 2017 consid. 3.2).

6.             Le litige porte sur la responsabilité de la recourante dans le préjudice causé à l’intimée, par le défaut de paiement des cotisations sociales (AVS-AI-APG et AC ainsi qu’AMat et AF) entre le 1er décembre et le 31 décembre 2020, ainsi qu'entre le 1er février et le 30 juin 2021.

7.             L'art. 14 al. 1 LAVS en corrélation avec les art. 34 ss RAVS, prescrit l'obligation pour l'employeur de déduire sur chaque salaire la cotisation du salarié et de verser celle-ci à la caisse de compensation avec sa propre cotisation. Les employeurs doivent envoyer aux caisses, périodiquement, les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs salariés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l'objet de décisions. L'obligation de payer les cotisations et de fournir les décomptes est, pour l'employeur, une tâche de droit public prescrite par la loi. À cet égard, le Tribunal fédéral a déclaré, à réitérées reprises, que la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS est liée au statut de droit public. L'employeur qui ne s'acquitte pas de cette tâche commet une violation des prescriptions au sens de l'art. 52 LAVS, ce qui entraîne pour lui l'obligation de réparer entièrement le dommage ainsi occasionné (ATF 137 V 51 consid. 3.2 et les références).

8.             Le 1er janvier 2020 – avant la période litigieuse – est entrée en vigueur la révision du droit de la prescription de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), entraînant la modification de l’art. 52 al. 3 LAVS (RO 2018 5343 ; FF 2014 221). Cet alinéa prévoit désormais que l’action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions du code des obligations sur les actes illicites.

Selon l’art. 60 CO, dans sa teneur en vigueur à compter du 1er janvier 2020, l’action en dommages-intérêts ou en paiement d’une somme d’argent à titre de réparation morale se prescrit par trois ans à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de la personne tenue à réparation et, dans tous les cas, par dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé (al. 1). Si le fait dommageable résulte d’un acte punissable de la personne tenue à réparation, elle se prescrit au plus tôt à l’échéance du délai de prescription de l’action pénale, nonobstant les alinéas précédents. Si la prescription de l’action pénale ne court plus parce qu’un jugement de première instance a été rendu, l’action civile se prescrit au plus tôt par trois ans à compter de la notification du jugement (al. 2).

Les délais prévus par l'art. 52 al. 3 LAVS doivent être qualifiés de délais de prescription et non plus de péremption, de sorte qu'ils ne sont plus sauvegardés une fois pour toutes avec la décision relative aux dommages-intérêts. Le droit à la réparation du dommage au sens de l'art. 52 al. 1 LAVS peut donc aussi se prescrire durant la procédure d'opposition (ATF 135 V 74 consid. 4.2).

Il appartient au responsable recherché de faire valoir la prescription par voie d’exception et le juge ne peut pas la relever d’office (ATF 129 V 237 consid. 4 ; Franz WERRO/Vincent PERRITAZ in Commentaire romand du Code des obligations I, 2021, n. 3 ad art. 60 CO).

En l'espèce, la recourante ne conteste pas que la demande en réparation du dommage a été introduite en temps utile. Il apparaît au demeurant que les délais de prescription relatif et absolu ont été interrompus avant d'être échus, par les décisions des 16 février et 24 avril 2023, et ne couvrent pas la présente procédure (art. 138 al. 1 CO ; ATF 147 III 419 consid. 5.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_906/2017 du 21 juin 2018 consid. 1.2 ; sur l'application par analogie des dispositions générales selon les art. 135 ss CO, cf. ATF 141 V 487 consid. 2.3 et les références ; 135 V 74 consid. 4.2.1 et les références).

9.             L’action en réparation du dommage n’étant pas prescrite, il convient à présent d’examiner si les autres conditions de la responsabilité de l’art. 52 LAVS sont réalisées, à savoir si la recourante peut être considérée comme étant tenue de verser les cotisations à l’intimée et, dans l'affirmative, si elle a commis une faute ou une négligence grave et s’il existe un lien de causalité adéquate entre son comportement et le dommage causé à l’intimée.

10.         À teneur de l’art. 52 al. 2 LAVS, si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage.

10.1 S’agissant de la notion d’« employeur », la jurisprudence considère que, si l'employeur est une personne morale, la responsabilité peut s'étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom, notamment quand la personne morale n’existe plus au moment où la responsabilité est engagée (ATF 123 V 12 consid. 5b ; 122 V 65 consid. 4a). Le caractère subsidiaire de la responsabilité des organes d'une personne morale signifie que la caisse de compensation ne peut agir contre ces derniers que si le débiteur des cotisations (la personne morale) est devenu insolvable (ATF 123 V 12 consid. 5b).

L’art. 52 LAVS ne permet ainsi pas de déclarer l'organe d'une personne morale directement débiteur de cotisations d'assurances sociales. En revanche, il le rend responsable du dommage qu'il a causé aux différentes assurances sociales fédérales, intentionnellement ou par négligence grave, en ne veillant pas au paiement des cotisations sociales contrairement à ses obligations (arrêt du Tribunal fédéral H 96/05 du 5 décembre 2005 consid. 4.1).

10.2 La notion d'organe selon l'art. 52 LAVS est en principe identique à celle qui se dégage de l'art. 754 al. 1 CO.

En matière de responsabilité des organes d'une société anonyme, l'art. 52 LAVS vise en première ligne les organes statutaires ou légaux de celle-ci, soit les administrateurs, l'organe de révision ou les liquidateurs (ATF 128 III 29 consid. 3a ; Thomas NUSSBAUMER, Les caisses de compensation en tant que parties à une procédure de réparation d'un dommage selon l'art. 52 LAVS, in RCC 1991 p. 403).

Le Tribunal fédéral a ainsi reconnu la responsabilité non seulement des membres du conseil d'administration, mais également celle de l'organe de révision d'une société anonyme, du directeur d'une SA disposant du droit de signature individuelle, du gérant d'une Sàrl ainsi que du président, du directeur financier ou du gérant d'une association sportive (arrêt du Tribunal fédéral H 34/04 du 15 septembre 2004 consid. 5.3.1 et les références, in SVR 2005 AHV n° 7 p. 23 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.1).

10.3 S’agissant plus particulièrement du cas d'une Sàrl, les gérants qui ont été formellement désignés en cette qualité, ainsi que les personnes qui exercent cette fonction en fait, sont soumis à des obligations de contrôle et de surveillance étendues, dont le non-respect peut engager leur responsabilité (art. 827 CO en corrélation avec l'art. 754 CO). Ils répondent selon les mêmes principes que les organes d'une société anonyme pour le dommage causé à une caisse de compensation ensuite du non-paiement de cotisations d'assurances sociales (ATF 126 V 237 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral H 252/01 du 14 mai 2002 consid. 3b et d, in VSI 5/2002 p. 176 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 3.2). Ils ont l'obligation de se faire renseigner périodiquement sur la marche des affaires, ce qui inclut notamment la surveillance du paiement des cotisations sociales paritaires ; ils sont tenus en corollaire de prendre les mesures appropriées lorsqu'ils ont connaissance ou auraient dû avoir connaissance d'irrégularités commises dans la gestion de la société (ATF 114 V 219 consid. 4a ; voir également arrêt du Tribunal fédéral 9C_152/2009 du 18 novembre 2009 consid. 6.1, in SVR 2010 AHV n° 4 p. 11).

Par contre, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, si un associé non gérant ne contrôle pas le respect par l'entreprise de ses obligations de décompte et de paiement des cotisations relevant du droit des assurances sociales, il ne saurait être rendu responsable par la caisse du dommage résultant de leur non-paiement (arrêt du Tribunal fédéral H 297/99 du 29 mai 2000 consid. 4 traduit in VSI 5/2000 p. 226, publié à l'ATF 126 V 237). La position d'associé simple n'entraîne en effet pas à elle seule des obligations de contrôle et de surveillance, car celui-ci ne dispose que d'un droit de regard sur les affaires de la société (arrêt du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral H 252/01 du 14 mai 2002 consid. 3b in VSI 5/2002 p. 176). Si les statuts imposent à l'associé de contrôler ou de surveiller l'activité des gérants de l'entreprise, il peut cependant être rendu responsable, comme dans le cas où il ne prendrait aucune mesure après avoir pris connaissance d'insuffisances de la part de la direction (arrêt H 297/99 précité consid. 4, VSI 5/2000 p. 226 publié à l'ATF 126 V 237 ; arrêt du Tribunal fédéral H 136/99 du 17 décembre 1999 non publié, cité dans l'arrêt précédent).

Sont assimilées aux gérants les personnes qui assument de fait la fonction d'un gérant, soit en prenant des décisions réservées à un gérant, soit en assumant la direction effective de l'entreprise et en exerçant ainsi une influence déterminante sur la formation de la volonté de la société (organes matériels ou de fait ; ATF 119 II 255 consid. 4 ; 117 II 570 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral H 128/04 du 14 février 2006 consid. 3 ss). En font typiquement partie les personnes qui, de par la force de leur position (associé majoritaire par exemple), donnent au gérant formel des instructions sur la conduite des affaires de la société (VSI 2000/5 p. 226). Conformément à la jurisprudence en matière de responsabilité du droit de la société anonyme, dont les principes s'appliquent dans le cadre de l'art. 52 LAVS (ATF 114 V 213 consid. 3), revêt uniquement une position d'organe de fait la personne qui assume sous sa propre responsabilité la compétence durable – et non seulement isolée – de prendre des décisions qui dépassent le cadre des affaires quotidiennes et ont une influence sur le résultat de l'entreprise. Tel n'est pas le cas d'une personne qui se limite à préparer et/ou à exécuter de telles décisions (ATF 128 III 29 consid. 3c).

La qualité d'organe de fait s'analyse en fonction du rôle que la personne concernée a effectivement joué au sein de la société. Aussi, il faut en particulier qu'elle ait eu la possibilité de causer un dommage ou de l'empêcher, en d'autres termes qu'elle ait exercé effectivement une influence sur la marche des affaires de la société (ATF 132 III 523 consid. 4.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_295/2017 du 6 juillet 2017 consid. 5.2).

Il incombe à la caisse, qui supporte les conséquences de l'échec de la preuve, d'alléguer les faits fondant la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS et permettant d'établir qu'une personne occupait au sein d'une société la position d'un organe au sens matériel (ATF 114 V 213 consid. 5 in fine ; arrêt du Tribunal fédéral H 20/01 du 21 juin 2001 consid. 5).

11.         Les associés de la Sàrl exercent collectivement la gestion de la société. Les statuts peuvent régler la gestion de manière différente (art. 809 al. 1 CO). Les gérants sont compétents pour toutes les affaires qui ne sont pas attribuées à l’assemblée des associés par la loi ou les statuts (art. 810 al. 1 CO). L’assemblée des associés peut révoquer à tout moment un gérant qu’elle a nommé et chaque associé peut demander au tribunal de retirer ou de limiter les pouvoirs de gestion et de représentation d’un gérant pour de justes motifs, en particulier si le gérant a gravement manqué à ses devoirs ou s’il est devenu incapable de bien gérer la société (art. 815 al. 1 et 2 CO).

En outre, l'associé dispose d'un droit aux renseignements sur toutes les affaires de la société (art. 802 al. 1 CO) et doit s'abstenir de tout ce qui porte préjudice aux intérêts de la société (art. 803 al. 1 CO).

Les dispositions du droit de la société anonyme concernant les carences dans l’organisation de la société s’appliquent par analogie à la société à responsabilité limitée (art. 819 CO). Ainsi, si un des organes prescrits fait défaut, un associé ou un créancier peut requérir du tribunal qu'il prenne les mesures nécessaires et celui‑ci peut notamment nommer l'organe qui fait défaut ou un commissaire (art. 731b al. 1 ch. 1 et al. 1bis ch. 2 CO).

12.          

12.1 En l'espèce, en dérogation à l'art. 809 al. 1 CO, les statuts de la société prévoient que l'assemblée des associés désigne le ou les gérant(s) ainsi que les personnes autorisées à représenter et obliger la société vis-à-vis des tiers et leur confère la signature sociale, individuelle ou collective (art. 20 des statuts). Les gérants ont les pouvoirs les plus étendus pour la gestion des affaires de la société et exercent tous les droits qui ne sont pas réservés à l'assemblée générale (art. 21 des statuts).

Il ressort ainsi des statuts que la gestion de la société était formellement assurée par un/des gérant(s), et non par les associés. Dans les faits, l'associé gérant exerçait seul cette fonction depuis la création de la société en 1998, avec droit de signature individuelle, jusqu'à son décès.

Après le décès de l'unique associé gérant, la société n'avait plus d'organe assurant légalement sa gestion et sa représentation et s'est ainsi retrouvée dans une situation de carence organisationnelle, au sens de l'art. 731b al. 1 ch. 1 CO cum art. 819 CO, sans qu'une des mesures prévues par la loi pour pallier à ce défaut ne soit prise. Il n'en découle cependant pas que la recourante, de par sa position d'associée, serait ex lege devenue gérante, la loi ne prévoyant pas un tel automatisme.

Par conséquent, en tant qu'associée non gérante, la recourante n'était pas un organe formel de la société, ce qui n'est d'ailleurs à juste titre pas soutenu par l'intimée, et sa responsabilité ne peut être engagée à ce titre.

12.2 Il reste à déterminer si la recourante répond du dommage de l'intimée sur un autre fondement.

L'intimée invoque à tort les droits et devoirs des associés d'une Sàrl selon les dispositions du CO (art. 802 CO : droit aux renseignements et à la consultation ; art. 803 CO : devoir de fidélité ; art. 815 CO : révocation des gérants et retrait des pouvoirs de représentation ; art. 817 CO : responsabilité de la société). Comme la jurisprudence fédérale a eu l'occasion de le dire, ces dispositions n'imposent pas à l'associé non gérant des obligations de surveillance et de contrôle de la société (dans ce sens également : Fernand CHAPPUIS/Michel JACCARD, in Commentaire romand du Code des obligations II, 2017, n. 22 ad art. 803 CO, qui affirment que le devoir de fidélité se limite à des obligations de ne pas faire [abstention] et n'impose pas des obligations de faire aux associés, telles qu'informer la Sàrl, engager des procédures favorisant ses intérêts, etc.). Le fait que certaines mesures, qui auraient éventuellement pu être prises par la recourante, auraient été bénéfiques à la société ne suffit ainsi pas à établir qu'elle a engagé sa responsabilité dans le non-paiement des cotisations sociales. D'éventuels manquements de l'associé non gérant d'une Sàrl à ses devoirs ne sauraient en effet, par extension, lui faire endosser les responsabilités des personnes assurant sa gestion.

12.3 La question se pose toutefois de savoir si la recourante disposait, au cours de la période durant laquelle les cotisations sociales n'ont pas été réglées, d'une position d'organe de fait de la société.

12.3.1 S'agissant de la période antérieure au décès de l'associé gérant, le 12 mai 2021, aucun élément du dossier ne permet de retenir que la recourante aurait assumé la direction effective de l'entreprise et exercé une influence déterminante sur la formation de sa volonté, en donnant des instructions sur la marche des affaires. Les enquêtes ont au contraire mis en avant le fait que la recourante n'exerçait alors pas la gestion de la société, qui était concrètement assumée par l'associé gérant, celui-ci donnant des instructions de paiements à ses secrétaires administratives, concernant notamment le règlement des cotisations sociales, et ayant pris des dispositions pour éviter que les membres de sa famille s'occupent de la société (cf. notamment les déclarations de l'assistante de direction lors de son audition). Le fait que l'associé gérant souffrait d'alcoolisme et qu'il se serait trouvé dans un état de faiblesse avancée dès les fêtes de fin d'année 2020 ne suffit pas à retenir que la recourante aurait participé à la gestion de la société, en palliant à ses éventuels manquements. La maladie dont souffrait l'associé gérant n'était pas nouvelle et n'avait pas entraîné, dans le passé, de carences propres à mettre en péril la survie de la société ou les intérêts de l'intimée ; les cotisations sociales du mois de janvier 2021 ont par ailleurs été réglées, à un moment où l'état de santé de l'associé gérant s'était déjà dégradé. Dans ce contexte, le fait que la recourante disposait de la majorité des parts sociales n'est pas relevant, aucun élément ne démontrant qu'elle aurait utilisé cette position afin d'influencer la gestion de la société, qui revenait statutairement à l'associé gérant.

12.3.2 Il est nécessaire d'examiner, dès le décès de l'associé gérant, si la recourante a assumé des nouvelles fonctions et joué un rôle dans la gestion de la société, étant précisé que le dommage de l'intimée porte jusqu'au mois de juin 2021. Il n'est ainsi pas déterminant de savoir si cette dernière a été liquidatrice de la société, le prononcé de la faillite étant postérieur à la période litigieuse (cf. art. 34 RAVS qui énonce que les cotisations doivent être payées dans les dix jours qui suivent le terme de la période de paiement, c'est-à-dire chaque mois, ou chaque trimestre lorsque la masse salariale n'excède pas CHF 200'000.- par an).

L'intimée allègue que la recourante connaissait non seulement l'état de santé de l'associé gérant – qui ne lui permettait plus d'assurer une saine gestion de la société – mais aussi les difficultés financières auxquelles celle-ci faisait face, sa situation d'endettement et son mode de fonctionnement.

La question de savoir si la connaissances d'insuffisances dans la gestion de la société, par un associé non gérant et non statutairement tenu de contrôler ou de surveiller l'activité des gérants, suffit à fonder un chef de responsabilité au sens de l'art. 52 al. 2 LAVS, dans le cas où cet associé ne prend aucune mesure pour y pallier, peut demeurer indécise, pour les raisons qui suivent.

S'il est certes vrai que la recourante admet avoir été informée de la situation financière difficile de la société depuis le printemps 2021 à tout le moins, les faits de la cause ne permettent cependant pas de retenir qu'elle avait connaissance de ce que les cotisations sociales n'avaient pas toutes été acquittées. À cet égard, seule l'assistante de direction a indiqué que la recourante savait, après le décès de l'associé gérant, que des factures de l'intimée étaient ouvertes avant la liquidation de la société et qu'elle n'avait pas donné l'ordre de les payer. Or, ce témoignage doit être relativisé sur ce point, compte tenu notamment des procédures pénales en cours. Il est de plus infirmé par les déclarations de l'employé – qui était présent lors de la réunion du mois de mai 2021 au cours de laquelle les factures auraient notamment été présentées selon les dires de l'assistante de direction –, celui-ci ayant indiqué qu'il n'avait alors pas été question du paiement des cotisations sociales. Il ressort par ailleurs des auditions menées et des pièces produites que les différents documents comptables de la société n'étaient pas immédiatement consultables par la recourante, en raison du désordre régnant dans les bureaux de la société et de la conservation de certains d'entre eux au domicile de l'assistante de direction. Rien ne permet non plus d'infirmer les allégations selon lesquelles la recourante aurait eu des contacts téléphoniques avec l'intimée uniquement après la faillite de la société et aurait finalement eu connaissance du dommage de l'intimée à la lecture de l'inventaire de l'office des faillites (cf. témoignage de la fille de la recourante). Compte tenu du bref laps de temps s'étant écoulé entre le décès de l'associé gérant (12 mai 2021) et la fin du dommage de l'intimée (30 juin 2021), il ne peut pas être retenu que la recourante aurait eu le temps de prendre connaissance de la situation financière exacte de la société et de déterminer quelles étaient ses dettes précises, notamment quelle était la situation vis-à-vis de l'intimée.

Les circonstances du cas d'espèce ne permettent ainsi pas de retenir, au degré de la vraisemblance prépondérante applicable en matière d'assurances sociales (ATF 139 V 176 consid. 5.3 et les références), que la recourante avait connaissance d'insuffisances de la société relativement au paiement des cotisations sociales, de sorte qu'elle aurait été en mesure d'éviter le dommage causé à l'intimée.

Quant à la question de savoir si la recourante doit être considérée comme un organe de fait de la société après le décès de l'associé gérant, la chambre de céans estime que les faits de la cause ne permettent pas de déterminer qu'elle aurait durablement pris des décisions de gestion dépassant le cadre des affaires quotidiennes. Si elle a certes demandé de terminer les chantiers et donné des instructions de paiement pour les salaires des employés, de tels actes ont été pris dans l'urgence après le décès de l'associé gérant et concernent la vie courante de la société. En outre, dans la mesure où il a été retenu que la recourante ignorait les dettes de la société vis-à-vis de l'intimée, l'éventuelle gestion de fait qu'elle aurait exercée après le décès n'aurait pas pu porter sur ces éléments. Il sera enfin rappelé que l'intimée supporte le fardeau de la preuve concernant la position d'organe matériel d'une personne ne faisant pas partie de l'administration, élément qui n'est pas clairement établi en l'occurrence (cf. consid. 10.3 ci-dessus).

13.         Au vu de ce qui précède, il doit être conclu que la qualité d'organe de la recourante fait défaut, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si les autres conditions sont remplies (faute, lien de causalité et, le cas échéant, montant du dommage).

Compte tenu de l'issue du litige, la question de l'éventuelle violation du droit d'être entendue de la recourante souffre de demeurer ouverte, étant néanmoins précisé qu'une violation de ce droit, pour autant qu'elle ne soit pas d'une gravité particulière, est réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen, ce qui est le cas de la chambre de céans (cf. art. 89A cum art. 61 LPA ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_181/2013 du 20 août 2013 consid. 3.3 et la référence).

Par appréciation anticipée des preuves, la demande de la recourante de suspendre la présente procédure dans l'attente d'une décision définitive concernant la procédure pénale menée par le Ministère public (art. 14 al. 1 cum 89A LPA) doit en outre être rejetée, les faits de la cause permettant à la chambre de céans de statuer sur sa responsabilité au sens de l'art. 52 LAVS.

Enfin, l'audition de la dénommée « F______ » requise par l'intimée n'apporterait selon toute vraisemblance aucun élément utile à l'appréciation du présent litige, sa tâche ayant uniquement consisté à corriger des fautes d'orthographe de l'associé gérant. Il n'y sera donc pas procédé, outre que son identité précise n'est pas connue.

14.         Par conséquent, le recours sera admis et la décision du 24 avril 2023 sera annulée.

La recourante obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 3'500.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 89H al. 1 LPA).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet.

3.        Annule la décision sur opposition du 24 avril 2023.

4.        Condamne l'intimée à verser à la recourante une indemnité de CHF 3'500.- à titre de dépens.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon l’art. 85 LTF, s’agissant de contestations pécuniaires, le recours est irrecevable si la valeur litigieuse est inférieure à 30'000 francs (al. 1 let. a). Même lorsque la valeur litigieuse n’atteint pas le montant déterminant, le recours est recevable si la contestation soulève une question juridique de principe (al. 2). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Christine RAVIER

 

Le président

 

 

 

 

Blaise PAGAN

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le