Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2653/2022

ATAS/771/2023 du 10.10.2023 ( LAA ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 22.11.2023, 8C_734/2023
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2653/2022 ATAS/771/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 10 octobre 2023

Chambre 15

 

En la cause

A______

représenté par Me Gazmend ELMAZI, avocat

 

recourant

 

contre

SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D’ASSURANCE EN CAS D’ACCIDENTS

représentée par Me Jeanne-Marie MONNEY, avocate

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né le ______ 1992, est arrivé en Suisse en 2012. Il ne dispose pas d’un titre de séjour. Il a été employé en tant qu’aide-ferrailleur par la société B______ (ci-après : l’employeur ou B______ depuis le 14 septembre 2015 et était assuré contre les accidents auprès de la caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (ci-après : la SUVA ou l’intimée). L’assuré a suivi, avant son arrivée en Suisse, l’école obligatoire au Kosovo. Il n’a pas suivi d’autre formation.

b. Le 7 octobre 2015, l’assuré a été victime d’un accident du travail. Selon la déclaration de sinistre complétée le 13 octobre 2015 par son employeur, il est tombé après s’être pris le pied dans de la ferraille, ce qui lui a causé une contusion au genou droit et une incapacité de travail complète. La SUVA a pris en charge le cas.

c. L’assuré a passé un examen d’imagerie par résonnance magnétique (ci-après : IRM) le 19 octobre 2015. Dans un rapport au sujet de cet examen, le radiologue l’ayant réalisé, à savoir le docteur C______, a conclu à un discret épanchement intra-articulaire avec microkyste poplité, doublé d’une déchirure de grade III de la corne postérieure du ménisque interne, d’une déchirure de la surface inférieure de la corne postérieure du ménisque externe de grade II voire III avec petit « défect » au sommet de sa corne antérieure. Le ligament croisé antérieur (ci-après : LCA) présentait en outre une rupture complète.

d. Le docteur D______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, a opéré l’assuré et a mis en évidence avant l’intervention, dans son rapport opératoire du 3 novembre 2015, une suspicion de lésion méniscale interne du genou droit et d’une lésion du LCA de ce même genou. Ce praticien avait alors procédé à une arthroscopie opératoire du genou droit, plus précisément à une méniscectomie a minima de la jonction de la corne antérieure et moyenne du ménisque externe. Après suture de la corne postérieure du ménisque interne à l’aide d’un implant méniscal, il avait procédé à une plastie du LCA. Sur la base de ces éléments, le diagnostic post-opératoire évoquait une lésion de type radiale de la jonction de la corne antérieure et moyenne du ménisque externe, doublée d’une avulsion complète « au plafond du LCA de ce genou ».

e. Entendu le 8 mars 2016 par la SUVA, en présence d’un interprète, l’assuré a expliqué n’avoir jamais souffert du genou droit avant l’accident du 7 octobre 2015. Il était tombé plusieurs fois sur les genoux pendant son travail mais ne s’était jamais rendu à une consultation médicale à la suite de ces événements, si bien qu’il n’avait jamais été en incapacité de travail. En Suisse depuis quatre ans, il avait appris le métier de ferrailleur « sur le tas ». Cette activité consistait à découper, plier et ligaturer des barres de treillis métalliques, et à poser les treillis et armatures dans les coffrages. Il s’agissait d’un travail lourd avec de nombreuses manutentions. L’accident était survenu alors qu’il se déplaçait sur le chantier en portant des armatures sur son épaule droite. En marchant, il s’était coincé le pied droit entre les armatures qui étaient déjà posées, ce qui l’avait dévié sur le côté droit et avait fait tomber les armatures de son épaule. Son genou s’était tordu et il était tombé. Il avait ressenti aussitôt une vive douleur au genou et n’arrivait plus à poser le pied par terre. Depuis l’intervention du 3 novembre 2015, il ressentait encore des douleurs en cas de marche prolongée, en empruntant les escaliers et lorsqu’il faisait froid. Il était toujours en arrêt de travail et consacrait ses journées à la rééducation (physiothérapie à sec et vélo au fitness).

f. Par appréciation du 8 mars 2016, le docteur E______, médecin d’arrondissement de la SUVA et spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie, a indiqué que les troubles ayant nécessité l’intervention du
3 novembre 2015 étaient en relation de causalité probable avec l’accident du
7 octobre 2015 et les troubles actuels post-traumatiques. Une reprise du travail était possible dans un délai de six semaines sauf complications.

g. Le 13 avril 2016, l’assuré a déposé une demande de prestations auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI).

h. Dans un rapport du 19 mai 2016, le Dr D______ a indiqué qu’il avait revu l’assuré le jour-même. Son genou était stable sur le plan frontal et sagittal, ce qui permettait de conclure à l’intégrité complète du greffon. Cependant, l’assuré ressentait apparemment tout de même un léger inconfort, ce qui l’avait incité à consulter le Dr F______. Ce dernier avait fait réaliser une IRM confirmant l’intégrité du greffon mais décrivant une fissuration de la corne postérieure du ménisque interne. Selon le Dr D______, cette fissuration était normale puisque le ménisque avait été suturé. À son avis, l’assuré était capable de reprendre le travail le 9 mai « 2015 » (NDR : probablement « 2016 »).

i. Dans un rapport du 25 mai 2016, le Dr F______ a indiqué que l’assuré continuait à avoir mal au genou droit et des craquements du côté interne. La stabilisation était acquise à 80%. Cependant, une IRM réalisée le 12 mai 2016 montrait d’une part, une déchirure de grade 3 du ménisque interne, identique à l’IRM pratiquée « en octobre 2015 en post-opératoire » (sic), et d’autre part, un œdème autour du LCA. L’examen confirmait la douleur d’interligne interne, un craquement anormal interne et une instabilité. Dans ces conditions, une reprise chirurgicale paraissait nécessaire. L’assuré resterait en arrêt de travail pour une durée indéfinie jusqu’après l’opération.

j. Par appréciation du 31 mai 2016, le Dr E______ a estimé que les troubles révélés par l’IRM du 12 mai 2016, pour lesquels une opération était envisagée, présentaient un lien de causalité pour le moins probable avec l’accident du 7 octobre 2015.

k. Dans un rapport du 6 juin 2016, le docteur G______, spécialiste FMH
en chirurgie orthopédique, a indiqué qu’à sept mois de l’intervention du
3 novembre 2015, la récupération n’était pas encore complète, comme en témoignait la présence d’une discrète amyotrophie du quadriceps. En l’état, il paraissait prématuré de conclure à un échec de cette intervention. Une solution éventuelle consistait à faire bénéficier l’assuré d’une physiothérapie intensive à la Clinique romande de réadaptation (ci-après : CRR), à Sion.

l. Du 26 juillet au 30 août 2016, l’assuré a séjourné à la CRR. Les médecins de cet établissement ont estimé que la stabilisation du cas, qui était attendue dans un délai de deux à trois mois, n’était pas acquise en l’état, tant du point de vue médical que de celui des aptitudes fonctionnelles. Le pronostic de réinsertion
dans l’ancienne activité était favorable « sous réserve de l’absence de permis de séjour ».

m. Dans un rapport du 1er septembre 2016, le docteur H______, médecin chef de clinique auprès du service de chirurgie orthopédique et traumatologie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), a retenu une indication à une arthroscopie du genou droit en vue d’une révision du ménisque interne. S’agissant de la reconstruction du LCA, une révision pourrait être proposée à long terme en cas de persistance d’une instabilité ou d’une non guérison du ménisque interne.

n. Le 17 octobre 2016, le Dr H______ a procédé à l’intervention évoquée et a pratiqué une suture du ménisque interne et externe all inside.

o. Par appréciation du 29 octobre 2016, le Dr E______ a estimé que le lien de causalité entre les troubles ayant nécessité l’intervention du 17 octobre 2016 et l’accident du 7 octobre 2015 était probable. Les troubles actuels étaient post-traumatiques. En l’absence de complication post-opératoire, une reprise du travail était envisageable à un mois de cette intervention.

p. Le 7 avril 2017, l’assuré a conclu un contrat de travail avec l’entreprise L______ (ci-après : L______), prévoyant son engagement à 50% (20 heures par semaine en moyenne) du 10 avril au 31 mai 2017 en qualité de ferrailleur classe C pour un salaire horaire de CHF 27.-. Le versement d’un treizième salaire était prévu.

q. Dans un rapport du 15 mai 2017, le Dr F______ a fait état d’une évolution post-opératoire lentement favorable. L’assuré avait repris le travail à 30% le 27 février 2017, et à 50% le 10 avril 2017. Un taux d’activité plus important n’était pas envisageable en l’état.

r. Par appréciation du 22 mai 2017, le Dr E______ a estimé que les taux d’incapacité de travail attestés par le Dr F______ étaient médicalement justifiés et que l’on pouvait s’attendre à une reprise à 100% d’ici un mois.

s. Par décision du 31 octobre 2017, l’OAI a rejeté la demande de prestations de l’assuré. Il ressortait de l’instruction médicale qu’il avait présenté une incapacité de travail totale dans son activité habituelle de ferrailleur du 7 octobre 2015 au 26 février 2017. S’en était suivie une reprise de l’activité habituelle à un taux de 30% du 27 février au 9 avril 2017, 50% du 10 avril au 1er août 2017, et 100% le 2 août 2017. La perte de gain étant totale pour la période du 1er octobre 2016 (fin du délai d’attente d’un an) au 27 février 2017, il avait droit, en principe, à une rente entière basée sur un degré d’invalidité de 100%. Une rente ne pouvait cependant être octroyée que si l’assuré comptait trois années de cotisations au moment de la survenance de l’invalidité. Or, cette condition n’était pas réalisée. De plus, le service médical régional de l’AI (ci-après : SMR) estimait que dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, sa capacité de travail était entière dès le 27 février 2017. En comparant le revenu sans invalidité (CHF 55’120.-) au revenu réalisable dans une activité adaptée (CHF 59’969.-), la perte de gain était nulle et le degré d’invalidité ne l’était pas moins.

t. Par courrier du 18 janvier 2018, la SUVA a informé le Dr F______ que malgré un rappel adressé le 12 décembre 2017, sa demande de renseignements médicaux du 31 octobre 2017 était restée sans suite. Aussi lui a-t-elle fait savoir qu’elle en déduisait que le traitement médical était terminé.

B. a. Le 29 janvier 2019, la société I______ (ci-après : I______), avec siège à Genève, a été inscrite au registre du commerce. Ayant pour but la réalisation de travaux de rénovation, transformation, gypserie, peinture et maçonnerie, ainsi que la pose de revêtements de sols, elle était initialement contrôlée par l’assuré qui
en détenait toutes les parts sociales et en était l’associé gérant avec signature individuelle jusqu’au 15 juillet 2021, date à laquelle, il a cédé l’ensemble de ses parts à un repreneur.

b. Selon une déclaration de sinistre établie le 3 juin 2020 par I______ et adressée à la SUVA, l’assuré, exerçant la fonction de cadre supérieur et de carreleur à plein temps dans l’entreprise, avait été engagé le 11 avril 2019 pour un revenu mensuel de CHF 7’700.-. Le 29 mai 2020, alors qu’il était sur un escabeau en train de travailler sur les joints d’un mur avec un cutter, la lame s’était cassée et un fragment de celle-ci était allé se loger dans le coin de son œil droit. Sur quoi,
il avait voulu descendre de l’escabeau. En proie à la douleur et partiellement aveuglé, il avait glissé, s’était tordu le genou droit puis était tombé de l’escabeau.

c. Le 19 juin 2020, la SUVA a reçu les décomptes de salaire de l’assuré de janvier à mai 2020. Il en ressort que le salaire de base s’élevait à CHF 7’700.- bruts mensuels, montant auquel s’ajoutait un supplément de 8.33% (soit CHF 641.41 bruts) à titre de treizième salaire.

d. Dans un rapport du 23 juin 2020, relatif à une IRM du genou droit réalisée
le 19 juin 2020, le docteur J______, spécialiste FMH en radiologie, a indiqué que la plastie du LCA, pratiquée lors de l’opération du genou de 2015, était correctement tendue. En revanche, il existait une large amputation partielle verticale « (lâchage de suture ?) » clivant longitudinalement la corne postérieure du ménisque médial, de même qu’une amputation partielle de son segment moyen, avec suspicion d’un petit fragment méniscal luxé dans le récessus ménisco-fémoral.

e. Par rapport du 29 juin 2020, le docteur K______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, a fait état d’une déchirure de grade III+ du ménisque interne du genou droit. L’évolution était défavorable avec un épanchement intra-articulaire, une instabilité et des craquements. L’incapacité de travail était totale depuis le 29 mai 2020.

f. Le 2 octobre 2020, le Dr K______ a confirmé que l’évolution discutée le 29 juin 2020 était défavorable. Une opération était conseillée et le pronostic réservé.

g. Le 7 octobre 2020, le Dr E______ a estimé que le lien de causalité entre la future opération évoquée par le Dr K______ et l’événement du 29 mai 2020 était probable.

h. Questionné par la SUVA sur le point de savoir si l’on était en présence de
suites de l’accident de 2015, le Dr E______ a répondu par l’affirmative
par appréciation du 13 octobre 2020. Également invité à dire, en cas de réponse négative à la première question, si l’accident du 29 mai 2020 avait décompensé, de manière définitive, l’état antérieur, il a répondu « l’un n’empêche pas l’autre ».

i. Par courrier du 14 octobre 2020, la SUVA a informé l’assuré que selon l’appréciation du Dr E______ du 13 octobre 2020, « l’état de santé tel qu’il aurait été sans l’accident du 29 mai 2020 [pouvait] être considéré comme atteint le 30 septembre 2020 au plus tard ». Elle était ainsi tenue de clore le cas du
29 mai 2020 le 30 septembre 2020 au soir et de mettre fin au versement des prestations d’assurance perçues jusqu’ici (indemnité journalière et frais de traitement) à cette date. En revanche, les troubles persistants du genou droit seraient traités dans le cadre du dossier du 7 octobre 2015, sous le (même) numéro de sinistre initial.

j. Dans un rapport du 27 octobre 2020, le Dr K______ a indiqué à la SUVA qu’il avait procédé à une intervention au genou droit de l’assuré le 22 octobre 2020. Selon le protocole opératoire relatif à cette opération, transmis peu après à la SUVA, ce médecin avait effectué plusieurs gestes opératoires, dont une ablation des plicae, une synovectomie, une méniscectomie (résection) de la corne postérieure du ménisque interne et un toilettage du LCA, lequel présentait une rupture partielle.

k. Joint par téléphone le 25 novembre 2020 par la SUVA, l’assuré a confirmé avoir commencé à exercer la profession de carreleur à partir de la fin de l’année 2018 et l’avoir apprise une fois sur le terrain. Ensuite, il avait créé une société dont les affaires étaient florissantes, selon lui, jusqu’au moment où il avait dû être opéré. Il souhaitait pouvoir reprendre cette activité de carreleur qui lui plaisait. Si cela s’avérait impossible, il essayerait de la maintenir en se chargeant des rendez-vous de chantier et de la facturation. Une vente de la société était également
à envisager. Depuis l’opération du 22 octobre 2020, il suivait les séances de physiothérapie prescrites par le Dr K______. Il disait avoir une grande faiblesse musculaire et utilisait encore une canne anglaise. Son genou avait tendance à gonfler. Il avait toujours des problèmes au genou droit depuis 2015. Sur quoi, le gestionnaire du dossier auprès de la SUVA lui a conseillé de s’annoncer à nouveau à l’OAI en vue d’une réouverture de son dossier.

l. Dans un rapport du 3 décembre 2020, le Dr K______ a indiqué que le genou droit présentait une limitation de la flexion à 110° ainsi qu’une amyotrophie du quadriceps. Le cas serait probablement stabilisé dans trois mois.

m. Le 14 décembre 2020, l’assuré a déposé une nouvelle demande de prestations auprès de l’OAI.

n. Par appréciation du 15 décembre 2020, le docteur M______, médecin d’arrondissement de la SUVA et spécialiste en chirurgie orthopédique, a informé la SUVA qu’au vu de la stabilisation du cas prévue d’ici mars 2021 aux dires du Dr K______, il était trop tôt pour convoquer l’assuré à un bilan final. Il proposait en revanche d’envoyer l’assuré à la CRR compte tenu de ses difficultés de rééducation.

o. Du 23 février au 17 mars 2021, l’assuré a séjourné à la CRR. Dans leur rapport du 21 mars 2021, les docteurs N______ et O______, respectivement chef de clinique et médecin assistant à la CRR, n’ont relevé aucune incohérence mais néanmoins une discordance entre la perception du handicap fonctionnel subjectif et sa fonctionnalité objectivée durant le séjour. La situation n’était pas stabilisée d’un point de vue médical et les limitations fonctionnelles provisoires liées au genou droit impliquaient d’éviter les longs déplacements surtout en terrain irrégulier, le travail accroupi ou à genoux répétitif ou prolongé, la montée et descente répétitive d’escaliers et/ou d’une échelle, de même que le port de charges lourdes (plus de 10-15kg) de manière répétitive. Même s’il était encore trop tôt pour se prononcer sur la reprise de l’activité de carreleur – qui était lourde et contraignante pour les genoux –, le pronostic à long terme n’était pas favorable en la matière, et il était fort probable qu’une réorientation professionnelle fût nécessaire.

p. Le 6 mai 2021, le Dr M______ a reçu l’assuré en vue de son examen final. Dans son rapport du 11 mai 2021, ce médecin a rappelé que l’assuré avait présenté, initialement en 2015, une atteinte du LCA et du ménisque interne réinséré. Il a constaté qu’il existait une laxité résiduelle sur un positionnement imparfait de la plastie du LCA. Il n’y avait pas d’indication à une reprise chirurgicale mais, compte tenu de la méniscectomie, il était clair que le genou droit présentait un remaniement post-méniscectomie qui allait évoluer
vers une arthrose, aujourd’hui encore modérée. Cette progression ne serait pas forcément rapide et, compte tenu de l’évolution (notamment à la CRR) et du status clinque, le cas serait stabilisé deux mois plus tard. Le métier antérieurement pratiqué n’était plus exigible. Faisant siennes les limitations fonctionnelles retenues par la CRR, le Dr M______ a ajouté que tout travail sur un toit était
à proscrire. Il a également précisé que l’assuré ne devait pas porter de charges supérieures à 15 kg, respectivement supérieures à 10 kg de manière répétitive. Jusqu’à la stabilisation du cas, la reprise d’un travail adapté aux limitations fonctionnelles précitées était d’ores et déjà possible à 80%, de manière à laisser 20% de temps pour intensifier la rééducation et la restauration motrice. Une fois le cas stabilisé, l’exigibilité d’une activité adaptée serait entière et la SUVA devrait prendre en charge, durant les deux mois suivants, au moins deux bons de physiothérapie de neuf séances chacun pour maintenir la capacité de gain. Deux consultations aux fins de contrôle pouvaient être encore prévues en 2021 et une consultation annuelle par la suite. Des antalgiques simples pouvaient être pris en charge au long cours.

q. Par évaluation séparée du 11 mai 2021, le Dr M______ a fixé l’indemnité pour atteinte à l’intégrité du genou droit de l’assuré à 10%, compte tenu d’une arthrose qualifiée de « moyenne moyenne ».

r. En parallèle, l’OAI a informé l’assuré, en mai 2021, qu’il prenait en charge les coûts de cours de français du 1er juin 2021 au 30 septembre 2021 en tant que mesure d’intervention précoce.

s. Par pli du 7 juillet 2021, la SUVA a informé l’assuré qu’il ressortait de l’examen final du 6 mai 2021 qu’il n’avait plus besoin d’un traitement. En conséquence, la prise en charge de celui-ci ainsi que le paiement de l’indemnité journalière prendraient fin le 30 septembre 2021 au soir. La SUVA continuerait cependant à prendre en charge les contrôles médicaux encore nécessaires, à savoir deux consultations de contrôle cette année, puis une consultation annuelle. Des antalgiques simples pouvaient également être pris au long cours.

t. Le 22 novembre 2021, lors d’un entretien téléphonique avec la SUVA, l’assuré a informé cette dernière qu’il avait vendu son entreprise à un repreneur mais
que sa désormais ex-entreprise l’avait embauché pour faire de la formation et s’occuper des rendez-vous de chantier. Il ne savait pas s’il pourrait se maintenir longtemps à ce poste. Il ne s’était pas inscrit au chômage.

u. Le 22 novembre 2021 également, le docteur P______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie, a délivré à l’assuré un arrêt de travail à 100% du 5 novembre au 5 décembre 2021.

v. Le 29 novembre 2021, la SUVA a reçu :

-          les décomptes de salaire d’octobre et novembre 2021 de l’assuré, mentionnant un revenu mensuel brut de CHF 5’741.50, soit CHF 5’300.- auxquels s’ajoutait un supplément de 8.33% à titre de treizième salaire (CHF 441.49) ;

-          un avenant au contrat de travail entre I______ et l’assuré, daté du 1er octobre 2021, aux termes duquel l’assuré était engagé par I______ en qualité de chef d’équipe à plein temps, pour une durée indéterminée et un salaire mensuel de CHF 5’300.- versé en treize mensualités. L’entrée en service était prévue le jour-même.

C. a. Par décision du 4 février 2022, la SUVA a fixé à 10% (soit CHF 12’600.-) le droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (ci-après : IPAI) et a nié le droit
à une rente à l’assuré. Son activité indépendante n’ayant pas duré assez longtemps pour être représentative du revenu sans invalidité, il convenait de déterminer ce dernier au moyen de l’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS), plus précisément sur la base des branches 41-43 (construction) de l’ESS 2018 dans une activité du niveau de compétence 2 (CHF 5’962.- soit CHF 71’554.- par an). En tenant compte de l’horaire normal de travail dans cette branche (41.3h) et des indexations intervenues jusqu’en 2021, le revenu sans invalidité se montait à
CHF 75’280.-. En comparant celui-ci au revenu statistique que l’assuré pouvait réaliser dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles retenues par le
Dr M______ (CHF 65’004.- selon l’ESS 2018, ligne « total », pour une activité de niveau 1, soit CHF 67’766.67 après adaptation à l’horaire normal de travail (41.7h), respectivement CHF 68’993.- après indexation à 2021), la perte de gain se montait à CHF 6’287.- et le taux d’invalidité à 8% (8.35%, arrondi à 8%).

b. Le 9 mars 2022, l’assuré, représenté par un avocat, a formé opposition à cette décision. Reprenant à son compte l’appréciation de la SUVA selon laquelle les séquelles au genou droit présentaient un lien de causalité avec l’événement du 7 octobre 2015, l’assuré n’en a pas moins contesté le bien-fondé de l’évaluation de son revenu sans invalidité au moyen de l’ESS, soutenant qu’il convenait de se baser, en lieu et place, sur le revenu annuel brut de CHF 100’100.- qu’il réalisait en qualité de gérant d’I______. Subsidiairement, au cas où un revenu statistique était pris pour base, c’était à tout le moins le niveau de compétence 3 qui devait être retenu. Par ailleurs, le revenu d’invalide était contesté en tant que la SUVA ne tenait compte d’aucun abattement sur celui-ci, alors qu’une déduction de 10% apparaissait justifiée. À cet égard, l’assuré a produit une décision du 25 février 2022 de l’office cantonal de la population et des migrations (OCPM), n’entrant pas en matière sur une requête du 1er février 2018 de l’assuré, tendant à l’octroi d’une autorisation de séjour en sa faveur et celle de sa famille. Enfin, l’assuré a soutenu que le taux d’IPAI devait être majoré à 15%.

c. Par décision du 22 juin 2022, la SUVA a rejeté l’opposition, maintenu l’IPAI à 10% mais majoré le taux d’invalidité de 8 à 9%, ceci s’expliquant uniquement par la prise en compte, dans la comparaison des revenus, des statistiques définitives (et non plus provisoires comme dans la décision du 4 février 2022) relatives
à l’évolution des salaires nominaux en 2021. En toute hypothèse, un taux d’invalidité de 9% restait inférieur au minimum de 10% requis pour ouvrir droit à une rente.

D. a. Le 23 août 2022, l’assuré a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) d’un recours contre cette décision, concluant à son annulation, à l’octroi d’une rente d’invalidité de 38% et au versement de la somme de CHF 18’900.- à titre d’IPAI. Le recourant a également demandé, préalablement, que la chambre de céans ordonne « une ou plusieurs expertises, s’agissant en particulier de l’état actuel de santé du recourant et de sa capacité à exercer une activité professionnelle ».

À l’appui de sa position, le recourant a réitéré en substance les arguments développés dans le cadre de son courrier d’opposition du 9 mars 2022.

b. Par réponse du 22 novembre 2022, l’intimée a conclu au rejet du recours et renvoyé pour l’essentiel à la décision attaquée.

c. Le 17 février 2023, le recourant a répliqué et versé à la procédure un certificat établi le 19 octobre 2021 par l’institut Q______ attestant notamment qu’il avait atteint, au terme de sa formation linguistique intensive en français (du 31 mai au 23 septembre 2021), le niveau « A2 (pré-intermédiaire) début de niveau » sur le plan de l’expression écrite et « B1 (intermédiaire) fin de niveau » s’agissant de l’expression orale. Se fondant sur cette pièce, le recourant a soutenu qu’il possédait un très bon niveau de français et que c’était à tort que l’intimée n’avait pas retenu le niveau de compétences 3 pour la fixation du revenu sans invalidité. Le recourant a ajouté qu’il réalisait, dans le cadre de la gestion de son entreprise, toutes les tâches correspondant à ce niveau de compétences.

d. Le 6 mars 2023, une copie de ce courrier a été transmise, pour information, à l’intimée.

e. Les autres faits seront exposés, si nécessaire, dans la partie « en droit » du présent arrêt.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA – RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA –RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.              

2.1 À teneur de l’art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-accidents, à moins que la loi n’y déroge expressément.

2.2 La procédure devant la chambre de céans est régie par les dispositions de la LPGA et de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 (LPA – E 5 10).

2.3 Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais pour la période du 15 juillet au 15 août inclusivement
(art. 38 al. 4 let. b LPGA et art. 89C let. b LPA), le recours est recevable.

3.             Le litige porte sur le droit à une rente d’invalidité et le taux d’indemnisation de l’IPAI octroyée.

4.              

4.1 Aux termes de l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort
(art. 4 LPGA; ATF
129 V 402 consid. 2.1, ATF 122 V 230 consid. 1 et les références).

4.2 Les prestations d’assurance sont également allouées en cas de rechutes et de séquelles tardives (art. 11 de l’ordonnance sur l’assurance-accidents, du 20 décembre 1982 – OLAA ; RS 832.202). Selon la jurisprudence, les rechutes et les séquelles tardives ont ceci en commun qu’elles sont attribuables à une atteinte à la santé qui, en apparence seulement, mais non dans les faits, était considérée comme guérie. Il y a rechute lorsque c’est la même atteinte qui se manifeste à nouveau. On parle de séquelles tardives lorsqu’une atteinte apparemment guérie produit, au cours d’un laps de temps prolongé, des modifications organiques ou psychiques qui conduisent souvent à un état pathologique différent (ATF 123 V 137 consid. 3a ; 118 V 293 consid. 2c et les références).

4.3 Il découle de l’art. 19 al. 1 LAA que le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme. Cette disposition délimite temporellement le droit au traitement médical et le droit à la rente d’invalidité, le moment déterminant étant celui auquel l’état de santé peut être considéré comme relativement stabilisé (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 391/00 du 9 mai 2001 consid. 2a).

4.3.1 Si la décision de l’office AI concernant la réadaptation (professionnelle) n’est rendue qu’après la stabilisation de l’état de santé, cela peut donner lieu à une rente transitoire remplaçant l’indemnité journalière (art. 19 al. 3 LAA en relation avec l’art. 30 OLAA). Pour qu’une rente transitoire puisse être versée selon
l’art. 19 al. 3 LAA, la décision en suspens de l’AI concernant la réadaptation professionnelle doit prévoir des mesures qui s’appliquent à une problématique
de réadaptation due à un état de santé causé par un accident. Conformément à la jurisprudence, la conclusion d’éventuelles mesures de réadaptation de l’AI, réservée à l’art. 19 al. 1 phrase 1 LAA, ne peut porter, dans la mesure où il s’agit de mesures professionnelles, que sur des mesures susceptibles d’influencer le degré d’invalidité sur lequel se fonde la rente d’invalidité de l’assurance-accidents (arrêt du Tribunal fédéral 8C_892/2015 du 29 avril 2016 consid. 4.1 et les arrêts cités).

4.3.2 Au sens de l’art. 19 al. 1 LAA, sont considérées comme des mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité, le reclassement (art. 17 de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 ; LAI – RS 831.20) ou l’octroi d’une formation professionnelle initiale (art. 16 al. 1 LAI), mais non une aide au placement au sens de l’art. 18 LAI (arrêt du Tribunal fédéral 8C_657/2012 du 18 décembre 2012 consid. 2.2.2). En tant qu’elles ne sont pas de nature, comme telles, à influencer le degré d’invalidité, les mesures de réinsertion préparant à
la réadaptation professionnelle au sens de l’art. 14a LAI ne constituent pas un motif, pour l’assureur-accidents, de différer l’examen du droit à une rente d’invalidité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_350/2018 du 20 août 2018 consid. 7;
cf. Thomas FLÜCKIGER, in FRÉSARD-FELLAY, LEUZINGER, PÄRLI [éd.], Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n. 18 ad art. 19 LAA). Ainsi, lorsque des mesures de réadaptation de nature à influencer le degré d’invalidité ne sont en cours ni à la date retenue pour la stabilisation de l’état de santé ni à celle de la décision litigieuse, il est loisible à l’assureur-accidents de procéder à la clôture du cas (arrêt du Tribunal fédéral U_79/2007 du 21 février 2008 consid. 3.2.2).

5.              

5.1 Pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA). La comparaison des revenus s’effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l’un avec l’autre, la différence permettant de calculer le taux d’invalidité (méthode générale de comparaison des revenus ; ATF 137 V 334 consid. 3.1.1). Pour procéder à la comparaison des revenus, il convient de se placer au moment de la naissance du droit à la rente ; les revenus avec et sans invalidité doivent être déterminés par rapport à un même moment et les modifications de ces revenus susceptibles d’influencer le droit à la rente survenues jusqu’au moment où la décision est rendue doivent être prises en compte (ATF 129 V 222 et 128 V 174).

5.2 Pour déterminer le revenu sans invalidité, il faut établir quel salaire l’assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s’il n’était pas devenu invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. C’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé, en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2 et les références).

5.2.1 Un assuré qui a certes la qualité formelle d’employé d’une société anonyme ou d’une société à responsabilité limitée, mais qui occupe la fonction de directeur et possède la majorité des participations et qui de ce fait jour un rôle prépondérant sur la politique et la marche de l’entreprise, doit être considéré comme un indépendant aux fins de l’évaluation de l’invalidité (cf. arrêts du Tribunal fédéral 9C_453/2014 du 17 février 2014 [en matière AI] et 8C_450/2020 du 15 septembre 2020 [en matière LAA] ; Michel VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [LAI], 2018, p. 422, n. 47). Pour les personnes de condition indépendante, on peut se référer aux revenus figurant dans l’extrait du compte individuel de l’assurance-vieillesse et survivants. En effet, l’art. 25 al. 1 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI – RS 831.201) établit un parallèle entre le revenu soumis à cotisation à l’AVS et le revenu à prendre en considération pour l’évaluation de l’invalidité; le parallèle n’a toutefois pas valeur absolue. Cette réglementation est applicable par analogie dans le domaine de l’assurance-accidents, dès lors que la notion d’invalidité y est la même que dans l’assurance-invalidité (cf. ATF 133 V 549 consid. 6.1 et les références). À ce sujet, on rappellera que, selon la jurisprudence, le revenu réalisé avant l’atteinte à la santé ne pourra pas être considéré comme une donnée fiable lorsque l’activité antérieure était si courte qu’elle ne saurait constituer une base suffisante pour la détermination du revenu sans invalidité. En effet, les bénéfices d’exploitation sont généralement faibles au cours des premières années d’exercice d’une activité indépendante, pour diverses raisons (taux d’amortissement élevé sur les nouveaux investissements etc.), et les personnes qui se mettent à leur propre compte ne réalisent pas, au début de leur activité, des revenus équivalents à ceux des entreprises établies depuis de nombreuses années, les entreprises nouvelles devant consentir à des sacrifices importants notamment au niveau du salaire de leurs patrons (cf. ATF 135 V 59 consid. 3.4.6 et les références). Le cas échéant, on pourra se fonder sur le revenu moyen d’entreprises similaires ou sur les statistiques de l’ESS (arrêt du Tribunal fédéral 8C_39/2022 du 13 octobre 2022 consid. 3.2 et les références).

5.2.2 Dans un arrêt du 9 mai 2019, le Tribunal fédéral a considéré à propos d’un assuré, ayant fait inscrire au registre du commerce le 21 septembre 2009 une société à responsabilité limitée (dont il était l’associé gérant et détenait toutes les parts sociales) qu’une période d’environ deux ans avant l’accident, survenu le 29 août 2011, était trop brève pour déterminer le revenu sans invalidité réalisé par l’intéressé. De plus, dans la mesure où les revenus allégués différaient de manière importante des inscriptions portées au compte individuel tenu par la caisse de compensation, il n’était pas possible de déterminer de manière suffisamment fiable le revenu provenant de l’activité indépendante, de sorte que l’assureur était en droit de se fonder sur les revenus statistiques de l’ESS, pour autant que les facteurs personnels et professionnels pertinents pour la rémunération dans le cas particulier fussent pris en compte. Aussi le Tribunal fédéral a-t-il considéré,
dans le cas de cet associé-gérant, qui exerçait, avant son accident, l’activité de constructeur de fenêtres sans être au bénéfice d’aucune formation – et qui était assisté par sa fille pour les tâches administratives et une société fiduciaire pour
la comptabilité –, que l’expérience qu’il avait acquise en tant qu’indépendant se limitait à sa propre (petite) entreprise, l’accent étant mis sur l’activité artisanale
de constructeur de fenêtres. Au vu de ces circonstances et de son parcours professionnel, l’instance inférieure et l’assureur pouvaient se baser sur le salaire résultant du tableau TA1 de l’ESS, pour une activité de niveau de compétence 1, exercée par un homme dans la branche de la construction (arrêt du Tribunal fédéral 8C_53/2019 du 9 mai 2019 consid. 6.2.2 ss).

5.3  

5.3.1 Le revenu d’invalide doit en principe être évalué en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. Le salaire effectivement réalisé ne peut cependant être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide que si trois conditions cumulatives sont remplies: l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé doit reposer sur des rapports de travail particulièrement stables; cette activité doit en outre permettre la pleine mise en valeur de la capacité résiduelle de travail exigible; le gain obtenu doit enfin correspondre au travail effectivement fourni et ne pas contenir d’éléments de salaire social (cf. ATF 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2; 129 V 472 consid. 4.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_667/2017 du 19 juin 2018 consid. 3.2).

5.3.2 Lorsque l’assuré n’a pas repris d’activité, ou aucune activité adaptée lui permettant de mettre pleinement en valeur sa capacité de travail résiduelle, contrairement à ce qui serait raisonnablement exigible de sa part, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de données statistiques, telles qu’elles résultent de l’ESS (ATF 126 V 75 consid. 3b/aa et bb). Dans ce cas, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) TA1, à la ligne « total secteur privé » (ATF 124 V 321 consid. 3b/aa). On se réfère alors à la statistique des salaires bruts standardisés, en se fondant toujours sur la médiane ou valeur centrale (ATF 124 V 321 consid. 3b/bb). La valeur statistique (médiane) s’applique alors, en principe, à tous les assurés qui ne peuvent plus accomplir leur ancienne activité parce qu’elle est physiquement trop astreignante pour leur état de santé, mais qui conservent néanmoins une capacité de travail importante dans des travaux légers. Pour ces assurés, ce salaire statistique est suffisamment représentatif de ce qu’ils seraient en mesure de réaliser en tant qu’invalides dès lors qu’il recouvre un large éventail d’activités variées et non qualifiées (branche d’activités), n’impliquant pas de formation particulière, et compatibles avec des limitations fonctionnelles peu contraignantes (cf. arrêts du Tribunal fédéral 9C_603/2015 du 25 avril 2016 consid. 8.1 et 9C_242/2012 du 13 août 2012 consid. 3).

Toutefois, lorsque cela apparaît indiqué dans un cas concret pour permettre à l’assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières. Tel est notamment le cas lorsqu’avant l’atteinte à la santé, l’assuré a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et qu’une activité dans un autre domaine n’entre pas en ligne de compte. En outre, lorsque les circonstances du cas concret le justifient, on peut s’écarter de la table TA1 (secteur privé) pour se référer à la table TA7 (secteur privé et secteur public [Confédération] ensemble), si cela permet de fixer plus précisément le revenu d’invalide et que le secteur en question est adapté et exigible (ATF 133 V 545, et les références citées).

5.3.3 Il est notoire que les personnes atteintes dans leur santé, qui présentent des limitations même pour accomplir des activités légères, sont désavantagées sur le plan de la rémunération par rapport aux travailleurs jouissant d’une pleine capacité de travail et pouvant être engagés comme tels; ces personnes doivent généralement compter sur des salaires inférieurs à la moyenne (ATF 124 V 321 consid. 3b/bb). La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent par conséquent être réduits, dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation) et résulte d’une évaluation dans les limites du pouvoir d’appréciation. Une déduction globale maximum de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). L’étendue de l’abattement justifié dans un cas concret relève du pouvoir d’appréciation
(ATF 132 V 393 consid. 3.3). Cette évaluation ressortit en premier lieu à l’administration, qui dispose pour cela d’un large pouvoir d’appréciation. Le juge doit faire preuve de retenue lorsqu’il est amené à vérifier le bien-fondé d’une telle appréciation. L’examen porte alors sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans le cas concret, a adoptée dans le cadre de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit, n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. Pour autant, le juge ne peut, sans motif pertinent, substituer son appréciation à celle de l’administration; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme
la mieux appropriée (ATF 126 V 75 consid. 6; ATF 123 V 150 consid. 2 et les références; arrêt du Tribunal fédéral 8C_337/2009 du 18 février 2010 consid. 7.5).

6.              

6.1 La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l’accident, l’incapacité de travail, l’invalidité, l’atteinte à l’intégrité physique ou mentale) supposent l’instruction de faits d’ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit de l’assuré à des prestations, l’administration ou le juge a besoin de documents que le médecin doit lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1).

Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n’est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu’en soit
la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter
un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l’affaire sans apprécier l’ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu.
À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l’objet d’une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu’il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l’expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3; ATF 125 V 351 consid. 3).

7.              

7.1 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3; ATF 126 V 353 consid. 5b; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

7.2 Si l’administration ou le juge, se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves fournies par les investigations auxquelles ils doivent procéder d’office, sont convaincus que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation, il est superflu d’administrer d’autres preuves (appréciation anticipée des preuves ; ATF 122 II 464 consid. 4a; ATF 122 III 219 consid. 3c). Une telle manière de procéder ne viole pas le droit d’être entendu selon l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
(RS 101 – Cst; SVR 2001 IV n° 10 p. 28 consid. 4b), la jurisprudence rendue sous l’empire de l’art. 4 aCst. étant toujours valable (ATF 124 V 90 consid. 4b;
ATF 122 V 157 consid. 1d).

8.              

8.1 En l’espèce, il est constant que l’assuré a été victime de deux accidents, tous deux assurés par l’intimée, ayant entraîné des lésions au genou droit le 7 octobre 2015, respectivement le 29 mai 2020, et qu’après avoir été prises en charge jusqu’au 30 septembre 2020 comme suites de l’événement du 29 mai 2020, ces lésions ont continué à ouvrir droit à des prestations provisoires (indemnité journalière et paiement des soins) au titre des suites de l’accident du 7 octobre 2015 (art. 11 OLAA), ce jusqu’au 30 septembre 2021. À l’appui de cette solution, la décision litigieuse se fonde sur les conclusions du Dr M______, prises à l’issue de l’examen du 6 mai 2021, aux termes desquelles le status post ligamentoplastie du LCA (laxité résiduelle sur un positionnement imparfait de la plastie du LCA), doublé d’une « avulsion des 2/3 du ménisque interne après échec de suture », ne permet plus au recourant d’exercer ses professions antérieures de ferrailleur et, plus récemment, de carreleur, mais ne l’empêche pas, deux mois après l’examen du 6 mai 2021, date retenue pour la stabilisation du cas, d’exercer une activité à plein temps, du moment que celle-ci exclut :

-          les longs déplacements, particulièrement en terrain irrégulier ;

-          le travail accroupi ou à genoux répétitif ou prolongé ;

-          la montée et descente répétitive d’escaliers et/ou d’échelles et en particulier tout travail sur un toit par exemple ;

-          le port de charges lourdes supérieures à 15kg ou de plus de 10kg de manière répétitive.

Le recourant sollicite préalablement la mise en œuvre d’une voire de plusieurs expertises pour examiner son état actuel de santé et sa capacité à exercer une activité professionnelle.

On rappellera en premier lieu que selon une jurisprudence constante, le juge des assurances sociales apprécie la légalité des décisions attaquées, en règle générale, d’après l’état de fait existant au moment où la décision litigieuse a été rendue.
Les faits survenus postérieurement, et qui ont modifié cette situation, doivent normalement faire l’objet d’une nouvelle décision administrative (ATF 121 V 366 consid. 1b et les références). Partant, en tant qu’elles visent à effectuer des investigations sur l’état de santé « actuel » du recourant, les mesures d’instruction ne sont pas pertinentes pour l’issue du litige, ce d’autant moins que le recourant ne remet en cause ni sa pleine capacité de travail dans une activité adaptée, telle qu’elle résulte des conclusions claires et cohérentes du Dr M______, ni les limitations fonctionnelles retenues par ce médecin, qui reprennent celles déjà constatées par les médecins de la CRR dans leur rapport du 21 mars 2021, ni
la stabilisation de son état de santé courant juillet 2021. Ces conclusions ne sauraient être remises en cause par l’arrêt de travail du 5 novembre au 5 décembre 2021, délivré le 22 novembre 2021 par le Dr P______. En effet, le certificat correspondant n’est pas motivé et le jour de l’établissement de celui-ci, l’assuré a annoncé par téléphone à l’intimée qu’il se chargeait de la formation et s’occupait des rendez-vous de chantier auprès de son ex-entreprise. Enfin, quand bien même le certificat du Dr P______ se référerait à cette activité et non à celle de carreleur stricto sensu, ce document n’en reste pas moins muet sur la capacité de travail exigible dans une activité adaptée. Aussi, en l’absence d’argument pertinent et de production d’un avis médical s’écartant de manière motivée des conclusions du médecin d’arrondissement de l’intimée, la chambre de céans s’en tiendra à ces dernières par appréciation anticipée des preuves (cf. ci-dessus : consid. 7.2), et considérera qu’il est établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que le recourant présente une totale incapacité de travail dans son activité antérieure de carreleur, et qu’au moment où l’intimée a mis fin aux paiement de l’indemnité journalière et des soins, soit au 30 septembre 2021, son état de santé était stabilisé et l’exercice d’une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites exigible à plein temps.

8.2 Dans la mesure où la possibilité pour l’assureur-accidents de clore le cas dépend aussi de l’absence de mesures de réadaptation professionnelle en cours au moment de la stabilisation de l’état de santé (ci-dessus : consid. 4.3.1 et s.), on relèvera que de telles mesures n’ont pas été mises en œuvre à ce moment et qu’elles n’étaient pas non plus à l’ordre du jour par la suite. En effet, l’OAI a octroyé le 27 mai 2021, dans le cadre des mesures d’intervention précoces (art. 7d LAI), un simple cours de français du 1er juin au 30 septembre 2021. En outre, dans le cadre de ses échanges avec l’intimée, l’OAI lui a fait savoir en substance, par courriels des 17 mai 31 mai 2021, qu’il ne disposait pas des éléments pour pouvoir se prononcer sur un droit aux mesures d’ordre professionnel puisque celui-ci nécessitait préalablement qu’il soit procédé à une comparaison des revenus. Or, cette comparaison n’était pas possible, vu la discordance entre les salaires déclarés et ceux portés au compte individuel AVS, d’où la nécessité d’une enquête économique préalable – qui n’était pas non plus réalisable avant d’avoir statué sur la capacité de travail dans l’activité habituelle et dans une activité adaptée (cf. dossier intimée, doc. 264- 266 et 271). On relèvera à cet égard qu’en date des 28 septembre 2021 et 4 août 2022 (soit après la décision litigieuse pour cette dernière date), l’OAI a précisément demandé à l’intimée de lui transmettre les pièces du dossier postérieures au 12 mai 2021, respectivement postérieures au
2 décembre 2021, avec le détail précis des incapacités de travail répertoriées (cf. dossier intimée, doc. 287 et 318). Dans ces circonstances, l’intimée était fondée à examiner le droit éventuel du recourant à une rente (non transitoire) avec effet au 1er octobre 2021, sans attendre que l’OAI se détermine sur l’octroi de mesures d’ordre professionnel.

8.3 Pour la détermination du degré d’invalidité du recourant, il convient par conséquent de procéder à la comparaison des revenus en 2021, année de la stabilisation de l’état de santé et donc de l’ouverture éventuelle du droit à une rente d’invalidité. On précisera également que les variations enregistrées par les revenus à comparer doivent être prises en compte jusqu’à la date de la décision sur opposition (cf. ATF 143 V 295 consid. 4.1.3), en l’occurrence le 22 juin 2022.

8.3.1 Dans un premier moyen, le recourant soutient que l’intimée n’aurait pas dû déterminer son revenu sans invalidité au moyen des statistiques de l’ESS mais
se fonder sur le salaire de « CHF 100’100.- » qu’il réalisait en qualité d’associé-gérant d’I______.

La chambre de céans constate tout d’abord que les inscriptions portées au compte individuel du recourant font état, pour leur part, d’un revenu de CHF 54’901.- d’avril à décembre 2019 (dossier intimée, doc. 188, p. 2) et de CHF 41’707.- de janvier à mai 2020 (dossier intimée, doc. 267). Comme l’intimée et l’OAI l’ont observé tous deux dans leurs échanges, il existe ainsi, à tout le moins pour l’année 2019, une discordance entre le revenu déclaré et celui – moins élevé – sur lequel les charges sociales ont été effectivement prélevées (cf. dossier intimée, doc. 266). En outre, le recourant n’exerçait son activité de carreleur indépendant que depuis moins de quatorze mois au moment de la survenance de l’accident du 29 mai 2020. Au vu de ces circonstances et de la jurisprudence précitée (ci-dessus : consid. 5.2.2), on ne saurait déterminer de manière suffisamment fiable le revenu sans invalidité provenant de l’activité indépendante du recourant, de sorte que l’intimée était en droit de se fonder sur les revenus statistiques de l’ESS (cf. ci-après : consid. 8.3.2).

8.3.2 En l’absence de document plus récent à la date de la décision litigieuse, l’intimée s’est référée à juste titre aux données de l’ESS 2018 pour déterminer le revenu sans invalidité, plus précisément au tableau TA1, tirage « skill level ». Il en ressort que dans la construction (ligne 41-43), le revenu moyen pour un homme s’élevait à CHF 5’962.- mensuels (soit CHF 71’544.- par an) dans une activité de niveau de compétences 2, laquelle correspond à des « tâches pratiques telles que la vente/ les soins/ le traitement de données et les tâches administratives et/ou l’utilisation de machines » (cf. les mentions figurant au bas du tableau précité). Quoi qu’en dise le recourant, on ne saurait appliquer à sa situation le niveau de compétences 3 (« tâches pratiques complexes nécessitant un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé »), son bref parcours d’entrepreneur et de carreleur sans formation ni diplôme ne le permettant pas, pas plus que les progrès réalisés en français à la faveur d’un cours de langue pris en charge par l’AI. Après adaptation à la durée de travail hebdomadaire usuelle dans la branche de la construction (41.3h), le revenu sans invalidité se montait à CHF 73’869.18 (soit 71’544.- x 41.3 / 40 = CHF 73’869.18) et, une fois indexé à l’indice suisse des salaires nominaux dans le secteur de la construction (ISS ; tableau T1.1.10),
à CHF 74’607.87 en 2019 (+1.0%) et CHF 75’204.73 en 2020 (+0.8%) comme
en 2021 (+0.0%). Ainsi, l’évaluation du revenu sans invalidité du recourant à
CHF 75’204.73 ne prête pas le flanc à la critique.

8.4 S’agissant du revenu d’invalide, l’intimée l’a également déterminé sur la base de l’ESS et non pas du revenu effectivement réalisé après l’atteinte à la santé, motif pris que l’assuré avait vendu la société I______ en juillet 2021 et que l’activité salariée subséquente, commencée en octobre 2021 en qualité de chef d’équipe
au service de son ex-entreprise, laissait planer une incertitude sur son caractère adapté (travail en terrain irrégulier) et la nature particulièrement stable des rapports de travail récemment noués, elle-même mise en doute par l’intéressé lors de son entretien téléphonique du 22 novembre 2021 avec l’intimée. N’étant pas contestée et n’apparaissant pas contestable, cette appréciation peut être suivie. Il en va de même du choix de prendre pour base le tableau TA1, tirage « skill level » de l’ESS 2018, plus précisément la ligne « total », pour un homme, et le niveau de compétences 1, ce qui correspond à CHF 5’417.- (soit CHF 65’004.- par an) pour 40 heures de travail, respectivement CHF 67’766.67 en tenant compte de la durée normale de travail dans les entreprises (41.7h) puis, après indexation à l’ISS (tableau T39), CHF 68’376.57 en 2019 (+0.9%), CHF 68’923.58 en 2020 (+0.8%) et CHF 68’441.12 en 2021 (-0.7%). Correctement apprécié par l’intimée, ce montant peut être repris.

9.             Reste à déterminer s’il y a lieu d’opérer une réduction sur le revenu d’invalide.

Le recourant soutient que ses limitations fonctionnelles, sa nationalité kosovare, sa situation personnelle (enfants en bas âge à charge) et son absence d’autorisation de séjour justifieraient un abattement de 10%.

Pour sa part, l’intimée est d’avis que les éléments invoqués par le recourant ne seraient pas pertinents et que ses limitations fonctionnelles ne justifieraient pas de déduction sur le revenu d’invalide dans la mesure où les activités du niveau de compétences 1 de l’ESS comprendraient déjà un grand nombre d’activités légères adaptées aux limitations retenues, sans que celles-ci n’aient pour conséquence un désavantage salarial.

La chambre de céans constate que le recourant ne peut plus exercer son activité habituelle de carreleur et que cette circonstance s’accompagne, au moment de la naissance du droit (éventuel) à une rente d’invalidité en 2021, de l’absence d’années de service dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles. Cependant, le critère des années de service ne saurait conduire à lui seul à un abattement, dans la mesure où il revêt peu d’importance pour l’accomplissement d’activités simples et répétitives (niveau 1) dans le secteur privé (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_611/2013 du 11 février 2014 consid. 3.2.2). La même remarque vaut également pour son niveau de formation (arrêt du Tribunal fédéral 8C_427/2011 du 15 septembre 2011 consid. 5.2) et de maîtrise de la langue écrite (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_17/2011 du 21 avril 2011 consid. 6.2). Se pose en revanche la question de savoir si les facteurs énumérés ci-dessus, conjugués aux limitations fonctionnelles et à la nationalité, respectivement au type de permis sont de nature à justifier un abattement.

À cet égard, il convient en particulier de relever que dans un cas concernant un maçon, victime d’un accident ayant entraîné des lésions méniscales – ravivées et aggravées par une rechute – et des limitations fonctionnelles similaires à celles du recourant (pas de port de charges lourdes, de marche en terrain irrégulier, de montées et de descentes d’échelles ou de positions contraignantes pour le genou), le Tribunal fédéral a confirmé l’appréciation de la SUVA quant au bien-fondé d’un abattement de 5% sur le revenu d’invalide, étant précisé que le seul facteur pertinent retenu était celui lié aux limitations fonctionnelles évoquées (arrêt du Tribunal fédéral 8C_222/2017 du 17 mai 2018).

En ce qui concerne le permis de travail (soit son absence dans le cas particulier),
il ressort du tableau TA12 « Salaire mensuel brut (valeur centrale et intervalle interquartile), Suisses/Suissesses et étrangers/étrangères, selon la position professionnelle et le sexe » de l’ESS que si le salaire médian pour l’ensemble
des salariés de sexe masculin (en équivalent plein temps, Suisses et étrangers confondus), sans fonction de cadre, s’élevait à CHF 5’941.- en 2018, ceux d’entre eux qui n’étaient ni Suisses, ni titulaires d’un permis (de type L, B, C ou G) mais recensés dans la catégorie « Autres » pouvaient compter sur un revenu médian de CHF 4’486.-, ce qui représente, selon cette statistique, un salaire réduit de 24.5%. Ce dernier élément est donc également susceptible de fonder un abattement (pour quelques cas d’application sur l’incidence du type de permis : cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_115/2021 du 10 août 2021 consid. 4.2.4 et les arrêts cités).

En pondérant l’ensemble des facteurs de réduction passés en revue, il se justifie d’opérer un abattement de 10% sur le revenu d’invalide de CHF 68’441.12 et, partant, de se fonder sur un revenu de CHF 61’597.- (soit CHF 68’441.12 sous déduction de 10% de ce montant).

Compte tenu de ce qui précède, la perte de gain s’établit à CHF 13’607.73 (soit CHF 75’204.73 moins CHF 61’597.-), ce qui représente une diminution de 18% du revenu sans invalidité ([75’204.73 – 61’597.00] x 100 / 75’204.73 = 18.09%, arrondi au pourcent inférieur ; ATF 130 V 121 consid. 3.2). En conséquence, c’est un degré d’invalidité de 18% que l’intimée aurait dû prendre en considération, ce qui ouvre le droit au versement d’une rente d’invalidité à ce même taux.

10.         Il convient à présent d’examiner si l’intimée a correctement fixé à 10% le taux de l’IPAI.

10.1 Selon l’art. 24 al. 1 LAA, si, par suite de l’accident, l’assuré souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique, il a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité (al. 1). L’atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave (art. 36 al. 1 OLAA).

D’après l’art. 25 al. 1 LAA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est allouée sous forme de prestation en capital; elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain annuel assuré à l’époque de l’accident et elle est échelonnée selon la gravité de l’atteinte à l’intégrité.

Selon l’art. 36 al. 4 OLAA, il sera équitablement tenu compte des aggravations prévisibles de l’atteinte à l’intégrité. Une révision n’est possible qu’en cas exceptionnel, si l’aggravation est importante et n’était pas prévisible.

10.2 L’indemnité pour atteinte à l’intégrité a pour but de compenser le dommage subi par un assuré du fait d’une atteinte grave à son intégrité corporelle ou mentale due à un accident (Message du Conseil fédéral à l’appui d’un projet de loi sur l’assurance-accidents, FF 1976 III p. 29). Elle ne sert pas à réparer les conséquences économiques de l’atteinte, qui sont indemnisées au moyen d’une rente d’invalidité, mais joue le rôle d’une réparation morale. Elle vise à compenser le préjudice immatériel (douleurs, souffrances, diminution de la joie de vivre, limitation des jouissances offertes par l’existence etc.) qui perdure au-delà de la phase du traitement médical et dont il y a lieu d’admettre qu’il subsistera la vie durant (ATF 133 V 224 consid. 5.1 et les références). L’indemnité pour atteinte à l’intégrité se caractérise par le fait qu’elle est exclusivement fixée en fonction de facteurs médicaux objectifs, valables pour tous les assurés, et sans égard à des considérations d’ordre subjectif ou personnel (cf. Jean-Maurice FRÉSARD, Margit MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire in: Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht (SBVR), 3ème éd. 2016, n. 311). En cela, elle se distingue de l’indemnité pour tort moral du droit civil, qui procède de l’estimation individuelle d’un dommage immatériel au regard des circonstances particulières du cas. Cela signifie que pour tous les assurés présentant un status médical identique, l’atteinte à l’intégrité est la même (ATF 115 V 147 consid. 1; 113 V 218 consid. 4b; RAMA 2004 n° U 514 p. 415, U 134/03, consid. 5.2; RAMA 2000 n° U 362 p. 41).

Une atteinte à l’intégrité au sens de l’art. 24 al. 1 LAA consiste généralement en un déficit corporel – anatomique ou fonctionnel –, mental ou psychique (cf. Alfred MAURER, Schweizerisches Unfallversicherungsrecht, 1985, p. 414). La gravité de l’atteinte, dont dépend le montant de l’indemnité, se détermine uniquement d’après les constatations médicales (SVR 2009 UV n° 27 p. 97, 8C_459/2008, consid. 2.3; cf. aussi Thomas FREI, Die Integritätsentschädigung nach Art. 24 und 25 des Bundesgesetzes über die Unfallversicherung, 1998, p. 41). L’évaluation incombe donc avant tout aux médecins, qui doivent, d’une part, constater objectivement quelles limitations subit l’assuré et, d’autre part, estimer l’atteinte à l’intégrité en résultant (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit. n. 317).

L’annexe 3 de l’OLAA comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b ; ATF 124 V 209 consid. 4a/bb ; ATF 113 V 218 consid. 2a) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2). La perte totale de l’usage d’un organe est assimilée à la perte de celui-ci. En cas de perte partielle d’un organe ou de son usage, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est réduite en conséquence; aucune indemnité ne sera versée dans les cas où un taux inférieur à 5% du montant maximum du gain assuré serait appliqué (ch. 2).

La Division médicale de la CNA a établi des tables d’indemnisation en vue d’une évaluation plus affinée de certaines atteintes (Indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA). Ces tables n’ont pas valeur de règles de droit et ne sauraient lier le juge. Dans la mesure, toutefois, où il s’agit de valeurs indicatives destinées à assurer autant que faire se peut l’égalité de traitement entre les assurés, elles sont compatibles avec l’annexe 3 à l’OLAA (ATF 124 V 209 consid. 4a/cc; 116 V 156 consid. 3a p. 157; RAMA 1998 n° U 296 p. 235, U 245/96, consid. 2a).

10.3 Il ressort de la table 5 de la SUVA, traitant de l’atteinte à l’intégrité résultant d’arthroses, qu’une IPAI de 5 à 15% est prévue en cas d’arthrose fémoro-tibiale « moyenne ». En présence d’une arthrose « grave » du même type, l’IPAI prévue est comprise entre 15 et 30%.

Se référant à ladite table (en particulier à l’arthrose fémoro-tibiale) pour son évaluation, le Dr M______ explique en synthèse que le genou droit présente
un remaniement post-meniscectomie avec une arthrose pour le moment modérée mais qui va évoluer vers une arthrose « moyenne moyenne » (sic), d’où le choix d’une IPAI de 10% conformément au barème prévu.

Le recourant soutient que c’est un taux de 15% qui aurait dû être retenu dans la mesure où son atteinte à la santé entraîne une incapacité de travail totale dans le domaine de la construction du fait des limitations fonctionnelles qui découlent de l’atteinte à son genou droit.

La chambre de céans constate que le moyen tiré de l’absence de capacité de travail résiduelle dans l’activité antérieure est dépourvu de pertinence dans le cadre d’une évaluation de l’atteinte en fonction de l’évolution future de l’arthrose et de son ampleur. En outre, le recourant ne produit aucun rapport médical qui remettrait en cause les conclusions cohérentes et motivées du Dr M______ retenant un taux d’IPAI de 10%. Il convient par conséquent de s’en tenir à ce taux.

11.         Compte tenu de ce qui précède, le recours est partiellement admis et la décision litigieuse réformée en ce sens que le recourant a droit à une rente d’invalidité de 18% à compter du 1er octobre 2021.

12.         Étant donné que le recourant obtient partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 1’500.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens, à charge de l’intimée (art. 61 let. g LPA ; art. 89H al. 3 LPA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 – RFPA ; RS E 5.10.03).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 

*****

 


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement au sens des considérants.

3.        Réforme la décision sur opposition du 22 juin 2022, en ce sens que le recourant a droit à une rente d’invalidité de 18% à compter du 1er octobre 2021.

4.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 1’500.-, à charge de l’intimée, valant participation à ses dépens.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.

 

La greffière

 

 

 

Nathalie KOMAISKI

 

La présidente

 

 

 

Marine WYSSENBACH

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le