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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3779/2021

ATAS/764/2023 du 10.10.2023 ( AI ) , REJETE

En fait
En droit

drÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3779/2021 ATAS/764/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 10 octobre 2023

Chambre 2

 

En la cause

A______

représentée par le Service de protection de l'adulte, soit pour lui M. Daniel REGUEIRO, curateur

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Le 12 mars 2020, Madame A______ (ci-après : l’assurée, l’intéressée ou la recourante), née en 1961, ressortissante suisse de langue maternelle suisse-allemande, célibataire et mère d’un fils né en 1984 et d’une fille née en 2001, indiquant comme profession apprise celle de secrétaire trilingue (BTS en France entre 1981 et 1983), domiciliée dans le canton de Genève après avoir vécu en France du 1er septembre 2007 au 13 juin 2019, a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité (ci-après : AI), mesures professionnelles et/ou rente, en raison d’une une atteinte à la santé mentale.

Était reconnu, par décision du 21 février 2019 de la Maison des personnes handicapées de l’Hérault (France), un taux d’incapacité de travail de 50 à 79% pour la période du 1er novembre 2018 au 31 octobre 2021. À cet égard, à teneur d’une attestation de paiement établie le 7 mai 2020 par la caisse d’allocations familiales de l’Hérault (ci-après : CAF), l’intéressée avait perçu pour avril 2020 EUR 902.70 d’allocation aux adultes handicapés et EUR 270.- d’allocation de logement.

b. L’office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après: l’OAI, l'office ou l’intimé) a instruit cette demande AI en recueillant des renseignements.

Un entretien téléphonique s’est tenu le 24 mars 2020 entre l’assurée et l’office. Le 8 juin 2020, celle-là a envoyé un courriel à celui-ci.

En parallèle, un extrait du compte individuel AVS (CI) a été reçu par l’OAI le 27 mars 2020.

Le 21 avril 2021, la doctoresse B______, médecin généraliste à Montpellier (France), qui avait suivi l’intéressée en traitement ambulatoire du 16 octobre 2012 au 4 octobre 2018, a répondu aux questions d’un formulaire AI.

c. Le 18 mars 2021, l’Hospice général a demandé à l’OAI de lui rembourser les avances accordées à l’intéressée depuis le 1er janvier 2021.

d. En parallèle, à la demande formulée le 11 août 2020 par le service médical régional de l’AI (ci-après : SMR), un rapport d’expertise – bidisciplinaire – a été établi, au plan de la médecine interne générale et au plan psychiatrique, le 22 mars 2021 par des médecins affiliés au C______ (ci-après : C______) à G______, à savoir les doctoresses D______, spécialiste FMH en médecine interne générale (à la suite d’un examen clinique le 4 mars 2021 pendant 1h35) et E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie (à la suite d’un examen clinique [entretien] le 26 janvier 2021 pendant 2h00), toutes deux expertes médicales SIM.

Dans l’« évaluation consensuelle » de leur rapport d’expertise, ces expertes ont posé plusieurs diagnostics, mais aucun incapacitant. En l’absence de diagnostic incapacitant, il n’y avait pas de limitations fonctionnelles. La capacité de travail de l’expertisée avait toujours été de 100% dans toute activité.

Etaient annexés à ce rapport d’expertise – qui comprenait aussi les rapports rédigés séparément par chacune des expertes – des résultats d’analyses médicales de laboratoire.

e. Le SMR a, par un rapport du 20 avril 2021, suivi les appréciations et conclusions des expertes.

f. Par projet de décision du 22 avril 2021, l’OAI a envisagé de rejeter la demande AI. Selon lui, après consultation du médecin de l’assurée et complément du dossier par une expertise, les atteintes à la santé présentées ne pouvaient pas justifier une incapacité de travail durablement installée, la capacité de travail raisonnablement exigible dans les activités professionnelles habituelles demeurait à ce jour complète sans baisse de rendement. Dès lors, aucune invalidité ne pouvait être admise, et le droit aux mesures professionnelles et/ou à la rente n’était pas reconnu.

g. Par opposition du 27 mai 2021, l’intéressée, représentée par un de ses curateurs au service de protection de l’adulte (ci-après : SPAd) dans le cadre d’une curatelle de représentation et de gestion instituée le 3 septembre 2020, a contesté ce projet de décision.

Il était, à teneur de cette opposition, regrettable que les expertes n’aient pas contacté la psychiatre traitante qui suivait l’assurée depuis le 23 octobre 2020, la doctoresse F______, médecin interne au sein d’un centre ambulatoire de psychiatrie et psychothérapie intégrée (ci-après : CAPPI), dont le rapport du 26 mai 2021 constatait une incapacité de travail de 100% pour des raisons d’ordre psychiatrique.

h. Par courrier du 18 juin 2021, l’assurée, dorénavant toujours représentée par un ou des curateurs au sein du SPAd, a produit un rapport du 15 juin précédent de la Dresse F______ qui contestait plusieurs points du rapport d’expertise et faisant état de plusieurs passages aux urgences psychiatriques des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) les 16, 27, 28 et 30 avril 2020, puis d’une hospitalisation à la Clinique de Belle-Idée (HUG) du 30 avril au 14 mai 2020.

i. À la demande du SMR, l’OAI a reçu la lettre de sortie établie le 26 juin 2020 par ladite clinique à la suite de cette hospitalisation (« l’unique rapport d’hospitalisation de [l’intéressée] concernant son suivi au DP [HUG] »).

j. Par complément d’expertise du 27 septembre 2021, la Dresse E______, experte psychiatre, a, de manière motivée, répondu négativement à la question posée par l’office de savoir si ces nouveaux éléments médicaux, reçus après l’établissement de l’expertise, étaient susceptibles de modifier son appréciation.

k. Par décision du 30 septembre 2021 faisant suite à un avis du SMR du même jour qui suivait l’appréciation du complément d’expertise, l’OAI a maintenu le rejet de la demande AI (rente et mesures professionnelles), en reprenant les termes de son projet de décision et en ajoutant la mention des « éléments médicaux récoltés durant la procédure d’audition » ainsi que du complément d’expertise.

B. a. Par acte du 4 novembre 2021, l’assurée a interjeté recours auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales ou la chambre de céans) contre cette décision, concluant à son annulation et, cela fait, à l’octroi d’une rente entière d’invalidité.

Comme montré par des attestations de paiements de la CAF pour les mois de janvier 2020 à janvier 2021 ainsi que septembre 2021 (adressées au SPAd), elle précisait bénéficier d’une rente d’invalidité française octroyée en raison de ses problèmes de santé, ce qui confirmait son incapacité de travailler.

b. Par réponse du 30 novembre 2021, l’intimé a conclu au rejet du recours

c. Le 11 janvier 2022, la recourante a répliqué.

d. À la suite d’un report d’audience, de clarifications quant à l’identité des curateurs ainsi que de la production le 14 octobre 2022 par l’assurée d’un rapport du 7 octobre 2022 de sa nouvelle psychiatre traitante depuis le 11 mai 2022, la doctoresse H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, de même que de courriels envoyés les 4 et 10 mai 2021 par l’intéressée à sa curatrice, une audience s’est finalement tenue le 6 décembre 2022 devant la chambre de céans.

Les parties et le SPAd y ont été entendus en comparution personnelle, de même qu’en qualité de témoins, en confrontation, les Dresses E______ et H______.

À l’issue de cette audience, les services français semblant avoir arrêté de verser la rente d'invalidité depuis quelques mois et avoir même « demandé la restitution jusqu'à la mise sous mandat de curatelle », un délai a été octroyé au SPad pour produire les documents français concernant le dies a quo et les causes du versement de la rente française ainsi que les rapports médicaux qui avaient conduit à l'octroi de celle-ci, la suite de la procédure étant réservée.

e. Le 16 janvier 2023, la recourante a produit des lettres des 30 avril et 9 mai 2022 de la CAF réclamant de celle-ci le remboursement de EUR 2'710.80 au titre de l’indu d’allocation aux adultes handicapés pour la période d’août à octobre 2021, au motif que l’assurée ne résidait plus sur le territoire français depuis le 2 août 2021.

f. Le 24 avril 2023, l’assurée a remis à la chambre des assurances sociales les pièces mentionnées ci-après.

Par décision du 21 février 2019, en parallèle à sa décision du même jour octroyant une allocation aux adultes handicapés sur la base d’un taux d’incapacité de travail de 50 à 79% pour la période du 1er novembre 2018 au 31 octobre 2021, la Maison des personnes handicapées de l’Hérault reconnaissait à l’intéressée la qualité de travailleur handicapé pour la période du 1er octobre 2018 au 30 septembre 2021

Dans des rapports du 1er octobre 2018, la Dresse B______ énonçait plusieurs résultats d’analyse, et, le 4 octobre 2018, elle remplissait le document officiel « certificat médical » servant à l’examen de l’éventuel octroi de prestations pour personnes handicapées, avec des indications notamment sur la situation actuelle de la patiente et la « pathologie motivant la demande ».

Dans cette écriture du 24 avril 2023, en raison des divergences entre l’experte psychiatre et la psychiatre traitante, la recourante a conclu à la mise en œuvre d’une nouvelle expertise afin de confirmer son invalidité et l’octroi d’une rente entière d’invalidité en sa faveur (si la chambre de céans n’était pas convaincue de son invalidité totale).

g. Le 9 mai 2023, l’intimé, suivant un avis du 5 mai précédent du SMR qui se prononçait sur ces nouveaux documents médicaux français, a persisté dans ses conclusions en rejet du recours.

h. Le 30 mai 2023, la recourante a produit un rapport du 25 mai précédent de la Dresse H______ et a maintenu ses conclusions précédentes.

i. Cette écriture et son annexe ont été transmises pour information à l’intimé, par pli de la chambre de céans du 1er juin 2023.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI – RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'AI, à moins que la loi n'y déroge expressément.

La modification du 21 juin 2019 de la LPGA est entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Elle est ainsi applicable, dès lors que le recours a été interjeté postérieurement à cette date (art. 82a LPGA a contrario).

3.             Interjeté dans la forme et le délai - de trente jours - prévus par la loi, le recours est recevable (art. 56 ss LPGA ainsi que 62 ss de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA-GE - E 5 10]).

4.             L'objet du litige porte uniquement sur le droit éventuel à une rente d'invalidité de la recourante, qui a le statut d'active à 100% comme considéré à tout le moins implicitement par l’intimé.

Ne fait l’objet du litige un éventuel droit à des mesures professionnelles de l'AI. En effet, l’intéressée ne conclut clairement pas à de telles mesures, limitant ses conclusions de recours à l’octroi d’une rente. En outre, en audience, après que la représentante de l’intimé a dit que, compte tenu de la capacité de travail retenue, un droit à des mesures professionnelles n'entre pas en ligne de compte, la recourante et son curateur et/ou la juriste du SPAd n’ont pas réagi et, au demeurant, ensuite, l’assurée a déclaré qu’à 61 ans, elle ne se voit pas faire un stage d'ordre professionnel.

De jurisprudence constante, le juge apprécie en règle générale la légalité des décisions entreprises d'après l'état de fait existant au moment où la décision litigieuse a été rendue (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; 132 V 215 consid. 3.1.1). Les faits survenus postérieurement, et qui ont modifié cette situation, doivent en principe faire l'objet d'une nouvelle décision administrative (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; 130 V 130 consid. 2.1). Même s'il a été rendu postérieurement à la date déterminante, un rapport médical doit cependant être pris en considération, dans la mesure où il a trait à la situation antérieure à cette date (cf. ATF 99 V 98 consid. 4 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_259/2018 du 25 juillet 2018 consid. 4.2).

5.             Le 1er janvier 2022, les modifications de la LAI et de la LPGA du 19 juin 2020 (développement continu de l'AI ; RO 2021 705), y compris les ordonnances correspondantes, sont entrées en vigueur.

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle qui était en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et la référence).

En l'occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur (cf. ATF 148 V 174 consid. 4.1).

6.              

6.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI).

Selon l'art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1, tel qu'en vigueur dès le 1er janvier 2021, la version antérieure indiquant "dans son domaine d'activité" plutôt que "qui entre en considération"). Seules les conséquences de l'atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d'une incapacité de gain. De plus, il n'y a incapacité de gain que si celle-ci n'est pas objectivement surmontable (al. 2, en vigueur dès le 1er janvier 2008).

Aux termes de l'art. 6 LPGA, est réputée incapacité de travail toute perte, totale ou partielle, de l'aptitude de l'assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d'activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d'une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique. En cas d'incapacité de travail de longue durée, l'activité qui peut être exigée de lui peut aussi relever d'une autre profession ou d'un autre domaine d'activité.

Conformément à l'art. 4 LAI, l'invalidité (art. 8 LPGA) peut résulter d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (al. 1). L'invalidité est réputée survenue dès qu'elle est, par sa nature et sa gravité, propre à ouvrir droit aux prestations entrant en considération (al. 2).

6.2 Il y a lieu de préciser que selon la jurisprudence, la notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L'atteinte à la santé n'est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l'assuré (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 654/00 du 9 avril 2001 consid.  1).

6.3 En vertu de l'art. 28 al. 1 LAI, l'assuré a droit à une rente aux conditions suivantes: sa capacité de gain ou sa capacité d'accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles (let. a); il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d'au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable (let. b) - condition que l'intimé n'a pas considéré comme remplie en admettant une incapacité totale de travail du 22 juillet 2016 au 6 février 2017 -; au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins (let. c).

Selon l'art. 28 al. 2 LAI, l'assuré a droit à une rente entière s'il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s'il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s'il est invalide à 40% au moins.

Aux termes de l'art. 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l'échéance d'une période de six mois à compter de la date à laquelle l'assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l'art. 29 al. 1 LPGA, mais pas avant le mois qui suit le 18ème anniversaire de l'assuré.

6.4 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'AI, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c; ATF 102 V 165 consid. 3.1; VSI 2001 p. 223 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

6.4.1 La reconnaissance de l'existence d'une atteinte à la santé psychique suppose la présence d'un diagnostic émanant d'un expert (psychiatre) et s'appuyant selon les règles de l'art sur les critères d'un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; ATF 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1; ATF 130 V 396 consid. 5.3 et 6).

Dans l'ATF 141 V 281, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d'évaluation de la capacité de travail, respectivement de l'incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d'affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d'évaluation au moyen d'un catalogue d'indicateurs (ATF 141 V 281 consid. 4). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d'évaluation aux autres affections psychiques (ATF 143 V 418 consid. 6 et 7 et les références). Aussi, le caractère invalidant d'atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d'un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, au sein desquels figurent notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l'art (ATF 143 V 409 consid. 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2019 du 17 mars 2020 consid. 3 et les références).

L'organe chargé de l'application du droit doit, avant de procéder à l'examen des indicateurs, analyser si les troubles psychiques dûment diagnostiqués conduisent à la constatation d'une atteinte à la santé importante et pertinente en droit de l'AI, c'est-à-dire qui résiste aux motifs dits d'exclusion tels qu'une exagération ou d'autres manifestations d'un profit secondaire tiré de la maladie (cf. ATF 141 V 281 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 5.2.2 et la référence).

6.4.2 Selon la jurisprudence, en cas de troubles psychiques, la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée, en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs incapacitants et, d'autre part, des potentiels de compensation (ressources) (ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4). L'accent doit ainsi être mis sur les ressources qui peuvent compenser le poids de la douleur et favoriser la capacité d'exécuter une tâche ou une action (arrêt du Tribunal fédéral 9C_111/2016 du 19 juillet 2016 consid. 7 et la référence).

6.5 Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d'assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1). La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_286/2020 du 6 août 2020 consid. 4 et la référence).

6.5.1 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. A cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3; ATF 125 V 351 consid. 3). Il faut en outre que le médecin dispose de la formation spécialisée nécessaire et de compétences professionnelles dans le domaine d'investigation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_555/2017 du 22 novembre 2017 consid. 3.1 et les références).

6.5.2 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

Ainsi, en principe, lorsqu'au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

On ajoutera qu'en cas de divergence d'opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. À cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 8C_755/2020 du 19 avril 2021 consid. 3.2 et les références).

6.6 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; ATF 126 V 353 consid. 5b ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

Si l'administration ou le juge, se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves fournies par les investigations auxquelles ils doivent procéder d'office, sont convaincus que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d'autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation, il est superflu d'administrer d'autres preuves (appréciation anticipée des preuves; ATF 122 II 464 consid. 4a; ATF 122 III 219 consid. 3c). Une telle manière de procéder ne viole pas le droit d'être entendu selon l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (RS 101 - Cst; SVR 2001 IV n. 10 p. 28 consid. 4b), la jurisprudence rendue sous l'empire de l'art. 4 aCst. étant toujours valable (ATF 124 V 90 consid. 4b; ATF 122 V 157 consid. 1d).

7.              

7.1 En l’espèce, le rapport d'expertise du 22 mars 2021 des Dresses D______ et E______, y compris au plan psychiatrique et avec le complément du 37 septembre 2021, répond, sur le plan formel, aux exigences posées par la jurisprudence pour qu'on puisse lui accorder une pleine valeur probante. En effet, cette expertise bidisciplinaire a été conduite par des médecins spécialisées dans chaque domaine concerné, en vue d'établir une synthèse des différentes pathologies de l'expertisée, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes - selon les renseignements alors à leur disposition, même si l'on peut regretter que l'experte psychiatre n'ait pas cherché à prendre connaissance du rapport d'hospitalisation des HUG à la suite de l'altercation avec les encadrants de l'abris PC (cf. ci-après) -, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier dont elles pouvaient avoir connaissance, l'intéressée admettant dans son recours avoir omis d'indiquer être suivie par la Dresse F______ et avoir subi des hospitalisations à la Clinique de Belle-Idée. Les expertes ont personnellement examiné la recourante préalablement à l'établissement de leur rapport d'expertise. Le fait que l'assurée ajoute dans son recours " seulement " à la durée de 2h00 ne saurait impliquer que l'entretien entre l'experte psychiatre et l'expertisée aurait été mené de manière insuffisante. Par ailleurs, les expertes ont consigné les renseignements anamnestiques pertinents, recueilli les plaintes de l'assurée et résumé leurs propres constatations. Elles ont en outre énoncé les diagnostics retenus et répondu à toutes les questions posées. Enfin, leurs conclusions sont claires et bien motivées.

C'est sur la base de griefs de fond que la recourante conteste la valeur probante de ce rapport d'expertise - suivi par le SMR -, ce non au plan somatique mais uniquement psychique, en se fondant essentiellement sur les avis de ses psychiatres traitantes successives, la Dresse F______ puis la Dresse H______, ainsi que, d'une manière moins directe, sur les rapports de la Dresse B______ et de la Clinique de Belle-Idée.

7.2 Il convient dans un premier temps d’énoncer les points pertinents au plan psychiatrique des différents rapports médicaux figurant au dossier.

7.2.1 Dans leur rapport d’expertise, qui ne mentionne pas des rapports de la Dresse F______ ou des HUG, les expertes mentionnent notamment dans l’anamnèse ce qui suit : en mars 2019, la recourante est revenue en Suisse pour s’occuper des grands-parents de sa fille (chez lesquels cette dernière vivait), mais le curateur des grands-parents a déposé plainte pénale contre l’intéressée pour abus de confiance, au motif qu’elle serait revenue pour profiter financièrement d’eux, d’où trois semaines d’incarcération et une mesure judiciaire d’éloignement de ce domicile depuis septembre 2019 ; depuis septembre 2019, l’assurée est sans domicile fixe ; elle a dans un premier temps été logée dans des abris PC mais en a été définitivement exclue à la suite d’une altercation avec les encadrants (tandis que l’expertisée indique avoir « réconforté une femme » en période COVID), encadrants qui ont fait intervenir la police et l’ambulance, ce qui a été suivi d’une hospitalisation aux HUG avec évaluation de son état psychique ; depuis octobre 2020, l’assurée est logée dans une chambre d’hôtel aux frais de l’Etat ; elle y a été agressée au couteau le 17 novembre 2020 par un homme qu’elle avait accueilli dans sa chambre, après quoi elle est parvenue à rejoindre le poste de police le plus proche puis a été opérée aux HUG (avec hospitalisation d’une semaine).

Les expertes posent les diagnostics, non incapacitants, suivants : au plan somatique, « K70 hépatopathie d’origine éthylique », status après lésion cervicale par arme blanche, status après appendicectomie et status après opération d’hallus valgus ; au plan psychique, d’une part troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation d’alcool, syndrome de dépendance, utilisation continue (F10.25 de la CIM-10), troubles au sujet desquels le bilan (résultats des analyses médicales) permet de retenir une consommation persistante et non problématique, d’autre part troubles mixtes de la personnalité et autres troubles de la personnalité, antisociaux et évitant (F61), personnalité « retenue non décompensée, en présence d’une consommation de l’éthyle non problématique ».

D’après le rapport d’expertise psychiatrique, l’expertisée consomme environ une bouteille de vin rouge par jour (en le coupant avec de l’eau). Elle n’a ni « idées étranges, bizarres (idées délirantes) », ni sensation étranges bizarres (hallucinations), ni « syndrome d’automatisme mental (influence, écho/vol de la pensée, télé- ou radiodiffusion des pensées, etc.) ». Selon l’entretien du 26 janvier 2021, l’expertisée est collaborante, ne présente pas de ralentissement psychomoteur ni de trouble du cours de la pensée, et sa thymie est neutre ; elle ne décrit pas de trouble des fonctions cognitives, la mémoire est précise, les éléments anamnestiques sont donnés avec précision, et il n’y pas de trouble de l’attention ni de la concentration ; l’assurée décrit dormir peu, mais avec un sommeil réparateur, ses fonctions instinctuelles sont préservées, elle n’a ni idées noires, ni idées suicidaires, ni sentiment d’avenir bouché ; elle décrit une forme d’anxiété qu’elle pallie avec des consommations d’éthyle, et elle ne présente pas de trouble anxieux structuré ; elle décrit des comportements méfiants, avec des idées parfois de persécution, « des situations régulièrement secondaires à des consommations importantes de l’éthyle ». Sa situation socio-économique est particulièrement précaire.

En conclusion, d’après les expertes, en l’absence de diagnostic incapacitant, il n’y a pas de limitations fonctionnelles, ni de recommandation thérapeutique ; la capacité de travail de l’expertisée a toujours été de 100% dans toute activité (« selon l’horaire de la branche concernée » et sans diminution de performance).

7.2.2 Dans son – premier – rapport du 26 mai 2021, la Dresse F______, psychiatre traitante en tant que médecin interne au CAPPI depuis le 23 octobre 2020, indique avoir pu mettre en évidence un trouble d’ordre psychiatrique qui ne se limite pas seulement à un trouble mental et du comportement lié à l’utilisation d’alcool ou à un trouble de personnalité, se plaint de ne pas avoir été contactée par les expertes et constate une incapacité de travail de 100% pour des raisons d’ordre psychiatrique.

Dans son – second – rapport du 15 juin 2021, la Dresse F______ reproche tout d’abord au rapport d’expertise d’avoir indiqué que la patiente ne suivait aucun traitement. Cette absence de mention de traitement apparaît toutefois découler du fait que l’expertisée n’en aurait pas parlé aux expertes. La Dresse F______ remet ensuite en cause l’absence de caractère incapacitant du diagnostic ; de son point de vue, l’assurée souffre d’un trouble délirant persistant à caractère persécutoire qui affecte gravement ses relations interpersonnelles et sa capacité de travail. Enfin, comme troisième et quatrième reproches, contrairement à ce qu’a retenu la Dresse E______, la patiente a, au cours de ses entretiens avec la psychiatre traitante, régulièrement présenté des idées délirantes de persécution à mécanisme interprétatif et imaginatif, d’adhésion totale, en-dehors des consommations d’alcool ; elle a manifesté des signes clairs de persécution et de méfiance dès que la Dresse F______ a essayé de critiquer ses idées, en se montrant de plus en plus méfiante à son égard, irritable et complètement anosognosique de son trouble ; la perception altérée de la réalité rend l’intéressée très isolée et vulnérable, avec des répercussions sur sa situation sociale, administrative et financière, et peut aussi la mettre en danger, par la mauvaise interprétation de la réalité et la sous-estimation de certains risques, comme le montre l’agression au couteau de novembre 2021 par un SDF ; à la forte perturbation du sens de la réalité s’ajoute une capacité de jugement fortement altérée ; ces altérations perturbent grandement ses capacités relationnelles, qui sont pathologiques ; son état clinique serait susceptible de s’améliorer avec un traitement médicamenteux, que la patiente refuse pourtant obstinément ; bien que la recourante n’ait jamais présenté de signes d’alcoolisation, elle peut se présenter aux consultations de façon irrégulière, avec aussi un discours moins organisé et par moments décousu ; ceci pourrait être expliqué par des séquelles cognitives dues à une consommation d’alcool de longue durée et qui peuvent également entraver la capacité de travail ; cette dernière est nulle pour des raisons d’ordre psychiatrique.

7.2.3 La lettre de sortie établie le 26 juin 2020 par la Clinique de Belle-Idée (HUG) à la suite de l'hospitalisation, acceptée par l'intéressée, du 30 avril au 14 mai 2020 pose le diagnostic principal de " trouble délirant à type de persécution (30/03/2020) " et les diagnostics secondaires de lésion traumatique d'un tendon (28 avril 2020), traitée, ainsi que d'" autres difficultés liées au logement et aux conditions économiques ". Selon ce rapport, il n'y a pas d'antécédents psychiatriques connus. Elle a ces derniers jours, à savoir les 16, 27, 28 et 30 avril 2020, fait plusieurs passages aux urgences psychiatriques des HUG dans des contextes de troubles du comportement sur la voie publique ou d'occupation de domicile (beaux-parents). Elle était alors sans suivi ni traitement. L'hospitalisation commencée le 30 avril 2020 a été précédée d'un envoi aux urgences (où elle a passé une nuit) par la police et les ambulanciers en raison de troubles du comportement sur la voie publique (insultes, cris, propos incohérents, marche pieds nus), dans un contexte d'absence - passagère - de logement. À l'" examen psychiatrique d'entrée ", la patiente, notamment, est calme, collaborante, adéquate dans le contact et le comportement, avec une thymie neutre, sans anhédonie ni asthénie, ni troubles du sommeil ni idées suicidaires ; " discours logorrhéique avec un contenu persécutoire sub-délirant " ; " la pensée est globalement organisée et suit un cours cohérent " ; « pas d'hallucination ». Durant l'hospitalisation, l'intéressée a refusé le traitement médicamenteux par Haldol 5 mg le soir, et elle a accompli un acte de malveillance à l'encontre d'une autre patiente, très fragile psychiquement, en lui faisant signer un bail en sa faveur ; le reste du séjour s'est déroulé sans trouble du comportement. À l'« examen psychiatrique de sortie », la recourante est également calme et collaborante, " orientée dans les 4 modes, attention et concentration préservées ", " discours globalement clair et informatif, sans élément délirant manifeste au premier plan, persistance d'un fond de persécution, absence de conscience morbide ". Est prescrit, comme " traitement à la sortie ", le halopéridol Haldol 5 mg une fois par jour (soir).

7.2.4 Par complément d'expertise du 27 septembre 2021, la Dresse E______, experte psychiatre, de manière motivée, répond négativement à la question posée par l'office de savoir si ces nouveaux éléments médicaux - rapports de la Dresse F______ et de la Clinique de Belle-Idée -, reçus après l'établissement de l'expertise, seraient susceptibles de modifier son appréciation. En effet, de l'avis de l'experte psychiatre, le fait que, durant l'hospitalisation, l'expertisée a tenté de soudoyer une patiente hospitalisée, la courte durée de l'hospitalisation ainsi que le faible dosage du Haldol (5 mg, alors que des troubles hallucinatoires et psychotiques peuvent être stabilisés sous traitement de plus de 20 mg de Haldol) ne permettent pas de justifier des troubles psychiatriques à caractère incapacitant. D'après la Dresse E______, " les troubles à manifestation persécutoire ou psychotique léger peuvent apparaître lors de périodes de décompensation d'un trouble de la personnalité ou lors de la présence d'un noyau psychotique ancien. La prise en charge dans ce cas peut se faire en ambulatoire ". L'experte psychiatre conclut ainsi : " En somme, à la lecture du dossier médical dans sa totalité, nous ne retenons pas d'informations psychiatriques nouvelles, significatives, permettant de justifier de modifier nos conclusions du rapport en expertise du 26 janvier 2021 ".

7.2.5 Dans son rapport du 7 octobre 2022, la nouvelle psychiatre traitante depuis le 11 mai 2022, la Dresse H______, mentionne que la recourante a été en rupture totale de soins depuis près d’une année, « ayant un discours persécutoire par rapport au CAPPI », et elle écrit ce qui suit : « Si [l’assurée] a pu faire illusion dans les 2 premiers entretiens, progressivement j’ai constaté une désorganisation de la pensée, des coq-à-l’âne avec perte du fil de la pensée, un délire de persécution chronique peu structuré et un trouble du jugement, avec une impossibilité d’expliquer clairement les motivations qui l’ont poussée à cette errance durant plusieurs années entre la Suisse et la France. On constate également qu’elle n’a jamais pu tenir un travail plus de quelques mois, malgré ses compétences linguistiques et son diplôme de secrétaire, sans qu’elle puisse donner des raisons claires à ce fait. De même, elle n’a pas pu obtenir de travail fixe en France, alors même qu’elle y a fait ses études. Ses deux enfants ont été précocement retirés à sa garde, pourtant à des années de distance, le fils ayant été confié au père et la fille à une famille d’accueil (contrairement à ce qu’ont noté les experts, la curatelle de sa fille n’a pas été confiée au grand-père, c’est le grand-père qui a été mis sous curatelle). Ces simples faits auraient dû déjà mettre la puce à l’oreille de l’expert-psychiatre ». Puis : « C’est lorsqu’on s’intéresse à ce qu’elle écrit (les soi-disants mémoire dont parle l’experte) que le délire saute aux yeux : il s’agit de textes complètement incohérents et revendicateurs, sautant d’un sujet à l’autre, sans queue ni tête, truffés de copiés-collés de bouts de Wikipedia, et qu’elle envoie par mails à un sénateur français et à des journalistes, et parfois à ses enfants et à toute personne qui s’intéresse à elle. Elle y mélange pêle-mêle la politique française et suisse, des attaques contre diverses autorités et des partis, et sa vie privée. Elle fait des liens paranoïaques entre ce qui lui arrive et des événements politiques. Par exemple, elle fait un lien avec le fait qu’elle a été expulsée de son appartement à Genève en 2007 et les élections françaises qui ont eu lieu cette même année. Elle passe plusieurs nuits par semaine à envoyer ces e-mails incohérents. […] ». La Dresse H______ arrive ainsi aux diagnostics « clairs » de schizophrénie paranoïde (F20.0) et de syndrome de dépendance à l’alcool, utilisation continue (F10.25). Il s’agit donc, selon la psychiatre traitante, d’une maladie psychiatrique grave et chronique, dont la cause ne semble pas être ici la consommation chronique d’alcool et qui a comme conséquence une incapacité totale de travailler, depuis de nombreuses années, comme en témoigne le parcours professionnel chaotique de la patiente.

Dans son rapport du 25 mai 2023, la Dresse H______, se référant parfois à sa confrontation en audience avec la Dresse E______, maintient, en les complétant, les constations, appréciations et conclusions contenues dans son rapport du 7 octobre 2022. À la fin de ce rapport, se référant au comportement et à la manière de penser de la patiente, ladite psychiatre traitante écrit : « Cette manière paranoïaque d’interpréter chaque intention de l’autre, et de ses employeurs en particulier, comme hostile à son égard, est typique d’un trouble de la personnalité paranoïaque et ne permet clairement pas une (ré)-insertion de cette personne dans le monde du travail ».

7.2.6 Dans ses réponses du 21 avril 2021 aux questions du formulaire AI, la Dresse B______, médecin généraliste à Montpellier (France), qui a suivi l’intéressée en traitement ambulatoire du 16 octobre 2012 au 4 octobre 2018, indique qu’en raison d’un alcoolisme et d’un trouble de la personnalité présents depuis 2007 et obstacles à une réadaptation, la capacité de travail exigible de l’intéressée est nulle dans l’activité habituelle et une activité adaptée (toute activité). Ont une incidence sur la capacité de travail un syndrome dépressif et un syndrome de Diogène.

À cet égard, selon les documents français produits le 24 avril 2023 par la recourante, le 1er octobre 2018, la Dresse B______ énonce plusieurs résultats d’analyse, et, le 4 octobre 2018, dans le document officiel « certificat médical », entre autres sous « pathologie motivant la demande », fait état des atteintes à la santé suivantes : un trouble anxieux (régulier), un syndrome dépressif (permanent et non avoué), une instabilité émotionnelle (permanente), un état psychique non stabilisé, ainsi qu’une exogénose (synonyme d’éthylisme ou d’alcoolisme [cf. « https://www.dictionnaire-medical.fr/definitions/133-exogenose/ ») et une lésion précancéreuse du col de l’utérus, avec un « sentiment profond de rejet et d’injustice », dans le contexte d’une fragilité psychologique très importante et d’un parcours socioprofessionnel et personnel très perturbé à l’origine de troubles anxieux, avec une consommation d’alcool à but anxiolytique qui a aggravé la situation, de même qu’un déni au sujet de ses problèmes de santé (y compris sa dépendance à l’alcool) et un refus de prise en charge psychologique. La patiente sait accomplir toutes les fonctions en matière de mobilité, communication, cognition, entretien personnel, vie quotidienne et vie domestique, si ce n’est qu’elle maîtrise avec difficulté son comportement et gère avec difficulté le suivi des soins. Sa situation au plan familial est marquée par l’isolement, et il n’y a pas d’« aidant familial ».

7.3 Il y a lieu de se fonder sur une grille d'analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (ATF 141 V 281 consid. 4).

- Catégorie " Degré de gravité fonctionnel " (ATF 141 V 281 consid. 4.3),

A. Complexe " Atteinte à la santé " (consid. 4.3.1)

Expression des éléments pertinents pour le diagnostic (consid. 4.3.1.1), succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à cet égard (consid. 4.3.1.2), comorbidités (consid. 4.3.1.3).

B. Complexe " Personnalité " (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles; consid. 4.3.2)

C. Complexe " Contexte social " (consid. 4.3.3)

- Catégorie " Cohérence " (aspects du comportement; consid. 4.4)

Limitation uniforme du niveau d'activité dans tous les domaines comparables de la vie (consid. 4.4.1), poids des souffrances révélé par l'anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation (consid. 4.4.2).

Les indicateurs appartenant à la catégorie " degré de gravité fonctionnel " forment le socle de base pour l'évaluation des troubles psychiques (ATF 141 V 281 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2). Les déductions qui en sont tirées devront, dans un second temps, résister à un examen de la cohérence (ATF 141 V 281 consid. 4.3).

7.3.1 En particulier, sous l'axe " atteinte à la santé " (A) - de la catégorie " degré de gravité fonctionnel - des indicateurs développés par le Tribunal fédéral, en particulier le " caractère prononcé des éléments et des symptômes pertinents pour le diagnostic ", les constatations relatives aux manifestations concrètes de l'atteinte à la santé diagnostiquée permettent de distinguer les limitations fonctionnelles causées par cette atteinte de celles dues à des facteurs non assurés. Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic. Il doit être rendu vraisemblable compte tenu de l'étiologie et de la pathogenèse de la pathologie déterminante pour le diagnostic (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.1).

L'influence d'une atteinte à la santé sur la capacité de travail est davantage déterminante que sa qualification en matière d'AI (ATF 142 V 106 consid. 4.4). Diagnostiquer une atteinte à la santé, soit identifier une maladie d'après ses symptômes, équivaut à l'appréciation d'une situation médicale déterminée qui, selon les médecins consultés, peut aboutir à des résultats différents en raison précisément de la marge d'appréciation inhérente à la science médicale (ATF 145 V 361 consid. 4.1.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_212/2020 du 4 septembre 2020 consid. 4.2 et 9C_762/2019 du 16 juin 2020 consid. 5.2).

La présence de comorbidités ou troubles concomitants - sous le complexe " atteinte à la santé " (A) des indicateurs développés par le Tribunal fédéral -, est un indicateur à prendre en considération en relation avec le degré de gravité fonctionnel (arrêt du Tribunal fédéral 9C_650/2019 du 11 mai 2020 consid. 3.3 et la référence). On ne saurait toutefois inférer la réalisation concrète de l'indicateur "comorbidité" et, partant, un indice suggérant la gravité et le caractère invalidant de l'atteinte à la santé, de la seule existence de maladies psychiatriques et somatiques concomitantes. Encore faut-il examiner si l'interaction de ces troubles ayant valeur de maladie prive l'assuré de certaines ressources (arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 consid. 5.2.3 et le référence). Il est nécessaire de procéder à une approche globale de l'influence du trouble avec l'ensemble des pathologies concomitantes. Une atteinte qui, selon la jurisprudence, ne peut pas être invalidante en tant que telle (cf. ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.2; arrêt du Tribunal fédéral 9C_98/2010 du 28 avril 2010 consid. 2.2.2, in : RSAS 2011 IV n° 17, p. 44) n'est pas une comorbidité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_1040/2010 du 6 juin 2011 consid. 3.4.2.1, in : RSAS 2012 IV n° 1, p. 1) mais doit à la rigueur être prise en considération dans le cadre du diagnostic de la personnalité (ATF 141 V 281 consid. 4.3.2). Ainsi, un trouble dépressif réactionnel au trouble somatoforme ne perd pas toute signification en tant que facteur d'affaiblissement potentiel des ressources, mais doit être pris en considération dans l'approche globale (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.3).

Même si un trouble psychique, pris séparément, n'est pas invalidant en application de la nouvelle jurisprudence, il doit être pris en considération dans l'appréciation globale de la capacité de travail, qui tient compte des effets réciproques des différentes atteintes. Ainsi, une dysthymie (F34.1), prise séparément, n'est pas invalidante, mais peut l'être lorsqu'elle se présente avec d'autres affections, à l'instar d'un grave trouble de la personnalité (ATF 143 V 418 consid. 8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_599/2019 du 24 août 2020 consid. 5.1 et la référence). Pour en évaluer les éventuels effets limitatifs, ces atteintes doivent en principe faire l'objet d'une procédure probatoire structurée selon l'ATF 141 V 281 (arrêt du Tribunal fédéral 9C_599/2019 précité consid. 5.1). Ainsi, indépendamment de leurs diagnostics, les troubles psychiques entrent déjà en considération en tant que comorbidité importante du point de vue juridique si, dans le cas concret, on doit leur attribuer un effet limitatif sur les ressources (ATF 143 V 418 consid. 8.1).

Le Tribunal fédéral a récemment rappelé qu'en principe, seul un trouble psychique grave peut avoir un caractère invalidant. Un trouble dépressif de degré léger à moyen, sans interférence notable avec des comorbidités psychiatriques, ne peut généralement pas être défini comme une maladie mentale grave. S'il existe en outre un potentiel thérapeutique significatif, le caractère durable de l'atteinte à la santé est notamment remis en question. Dans ce cas, il doit exister des motifs importants pour que l'on puisse néanmoins conclure à une maladie invalidante. Si, dans une telle constellation, les spécialistes en psychiatrie attestent sans explication concluante (éventuellement ensuite d'une demande) une diminution considérable de la capacité de travail malgré l'absence de trouble psychique grave, l'assurance ou le tribunal sont fondés à nier la portée juridique de l'évaluation médico-psychiatrique de l'impact (ATF 148 V 49 consid. 6.2.2 et les références).

7.3.2 Concernant l'axe " personnalité " (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles), le " complexe personnalité " englobe, à côté des formes classiques du diagnostic de la personnalité qui vise à saisir la structure et les troubles de la personnalité, le concept de ce qu'on appelle les " fonctions complexes du moi " qui désignent des capacités inhérentes à la personnalité, permettant des déductions sur la gravité de l'atteinte à la santé et de la capacité de travail (par exemple : auto-perception et perception d'autrui, contrôle de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation; cf. ATF 141 V 281 consid. 4.3.2). Etant donné que l'évaluation de la personnalité est davantage dépendante de la perception du médecin examinateur que l'analyse d'autres indicateurs, les exigences de motivation sont plus élevées (ATF 141 V 281 consid. 4.3.2).

Le Tribunal fédéral a estimé qu'un assuré présentait des ressources personnelles et adaptatives suffisantes, au vu notamment de la description positive qu'il avait donnée de sa personnalité, sans diminution de l'estime ou de la confiance en soi et sans peur de l'avenir (arrêt du Tribunal fédéral 8C_584/2016 du 30 juin 2017 consid. 5.2).

7.3.3 Sous l'axe " contexte social " (C), si des difficultés sociales ont directement des conséquences fonctionnelles négatives, elles continuent à ne pas être prises en considération. En revanche, le contexte de vie de l'assuré peut lui procurer des ressources mobilisables, par exemple par le biais de son réseau social. Il faut toujours s'assurer qu'une incapacité de travail pour des raisons de santé ne se confond pas avec le chômage non assuré ou avec d'autres difficultés de vie (ATF 141 V 281 consid. 4.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 consid. 5.2.3).

Lors de l'examen des ressources que peut procurer le contexte social et familial pour surmonter l'atteinte à la santé ou ses effets, il y a lieu de tenir compte notamment de l'existence d'une structure quotidienne et d'un cercle de proches […]. Le contexte familial est susceptible de fournir des ressources à la personne assurée pour surmonter son atteinte à la santé ou les effets de cette dernière sur sa capacité de travail, nonobstant le fait que son attitude peut rendre plus difficile les relations interfamiliales (arrêt du Tribunal fédéral 9C_717/2019 du 30 septembre 2020 consid. 6.2.5.3). Toutefois, des ressources préservées ne sauraient être inférées de relations maintenues avec certains membres de la famille dont la personne assurée est dépendante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_55/2020 du 22 octobre 2020 consid. 5.2).

7.3.4 Il convient ensuite, dans la catégorie " cohérence " (II), d'examiner si les conséquences qui sont tirées de l'analyse des indicateurs de la catégorie " degré de gravité fonctionnel " résistent à l'examen sous l'angle de la catégorie " cohérence ". Cette seconde catégorie comprend les indicateurs liés au comportement de l'assuré (ATF 141 V 281 consid. 4.4). A ce titre, il convient notamment d'examiner si les limitations fonctionnelles se manifestent de la même manière dans la vie professionnelle et dans la vie privée, de comparer les niveaux d'activité sociale avant et après l'atteinte à la santé ou d'analyser la mesure dans laquelle les traitements et les mesures de réadaptation sont mis à profit ou négligés. Dans ce contexte, un comportement incohérent est un indice que les limitations évoquées seraient dues à d'autres raisons qu'une atteinte à la santé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.3).

En particulier, sous l'axe " limitation uniforme du niveau des activités dans tous les domaines comparables de la vie " (A), il s'agit de se demander si l'atteinte à la santé limite l'assuré de manière semblable dans son activité professionnelle ou dans l'exécution de ses travaux habituels et dans les autres activités (par exemple, les loisirs). Le critère du retrait social utilisé jusqu'ici doit désormais être interprété de telle sorte qu'il se réfère non seulement aux limitations mais également aux ressources de l'assuré et à sa capacité à les mobiliser. Dans la mesure du possible, il convient de comparer le niveau d'activité sociale de l'assuré avant et après la survenance de l'atteinte à la santé (ATF 141 V 281 consid. 4.4.1).

7.4  

7.4.1 Dans le cas présent, tout d’abord, le diagnostic de schizophrénie paranoïde (F20.0) posé par la Dresse H______ n’est corroboré par aucun élément du dossier, qui ne fait du reste aucunement ressortir des hallucinations (auditives, cinesthésiques notamment) alors que celles-ci accompagnent habituellement une telle maladie, selon la description de la CIM-10 (téléchargeable depuis internet sous « https://www.bfs.admin.ch/asset/fr/20665872 »).

7.4.2 Par rapport au diagnostic de trouble délirant à caractère persécutoire, persistant (cf. F22.-) selon la Dresse F______, sans précision quant à sa durée dans le rapport de la Clinique de Belle-Idée, l’experte psychiatre E______ note, dans son complément du 27 septembre 2021 : « Les troubles à manifestation persécutoire ou psychotique léger peuvent apparaître lors de périodes de décompensation d'un trouble de la personnalité ou lors de la présence d'un noyau psychotique ancien ». Elle se détermine aussi oralement (procès-verbal d’enquêtes, p. 4 s.) de la manière suivante : « Il est possible que la recourante ait eu un noyau psychotique ancien. En effet, tout en restant dans l'axe 2 (trouble de la personnalité) il y a un fonctionnement interprétatif, qui est le noyau psychotique repéré lors de l'évaluation et qui est délirant et qui peut être gênant dans des périodes de décompensation. S'il y a plusieurs périodes de décompensation cela peut être incapacitant suivant la nature de ces décompensations, notamment s'il y a ou non des prises de substances psychoactives. Le dossier ne montre pas, à ma connaissance, plusieurs décompensations ni de traitement psychotrope retard habituellement utilisé dans ce genre de situation. Pour qu'on puisse retenir un caractère incapacitant, il faut qu'il y ait un dysfonctionnement dans la vie quotidienne et un suivi psychiatrique avec traitement médicamenteux même en ambulatoire. L'entretien a montré, concernant le fonctionnement quotidien, que l'expertisée arrivait à s'informer et à organiser sa journée de telle sorte à se nourrir et subvenir à ses besoins. Il n'y a pas eu d'éléments montrant un dysfonctionnement entravant l'exercice d'une activité professionnelle, à tout le moins au plan psychiatrique et dans le cadre de l'expertise. L'expertisée nous a dit qu'elle avait voulu aider des personnes âgées et que cela s'était retourné contre elle et qu'elle voulait aussi écrire sa vie ».

Ces explications de l’experte psychiatre sont convaincantes, sans qu’elles puissent être mises en doute par les critiques et appréciations contraires énoncées par les autres médecins spécialistes en psychiatrie, ce pour les motifs qui suivent.

7.4.3 Comme la Dresse E______ l'indique sans que la Dresse H______ le conteste (procès-verbal d'enquêtes, p. 4), rien n'indique qu'il y ait eu un autre épisode de décompensation que celui qui a mené à l'hospitalisation à la Clinique de Belle-Idée du 30 avril au 14 mai 2020. Certes, de l'avis de la psychiatre traitante actuelle (procès-verbal d'enquêtes, p. 4), " on peut toutefois postuler que ses voyages entre la Suisse et la France sont pathologiques et que c'est dans des moments de décompensation qu'elle fuit dans un autre pays voire qu'elle a perdu la garde de sa fille et que cette dernière a été placée en famille d'accueil ". Il ne s'agit cependant là que de simples hypothèses, non confirmées par d'autres éléments.

À cet égard, le diagnostic de " trouble délirant à type de persécution (30/03/2020) " posé dans la lettre de sortie établie le 26 juin 2020 par la Clinique de Belle-Idée paraît se référer au comportement de l'intéressée avant son hospitalisation, et n'y est aucunement évoqué que ce trouble pourrait le cas échéant être persistant. Ce rapport ne constate ni hallucinations ni délires, mais un " discours logorrhéique avec un contenu persécutoire sub-délirant ", ce dans le cadre de l'unique événement de décompensation de forte intensité attesté au dossier.

7.4.4 Les éléments figurant au dossier ne confirment pas une forte altération de la perception de la réalité et de la capacité de jugement (selon la Dresse F______), ni « une désorganisation de la pensée, des coq-à-l’âne avec perte du fil de la pensée, un délire de persécution chronique peu structuré et un trouble du jugement » (d’après la Dresse H______), dans une mesure telle que la capacité de travail pourrait en être affectée de façon significative.

Certes, les courriels écrits par l’assurée, en particulier ceux envoyés les 4 et 10 mai 2021 à sa curatrice, présentent, de manière fortement marquée, des caractères interprétatif, revendicateur, plaintif, accusateur, voire légèrement agressif, ainsi que confus, difficilement compréhensible, avec des références et des liens avec des faits et/ou ouvrages de droit ou de littérature qui n’ont objectivement pas de rapports entre eux. Si on peut voir dans ces courriels éventuellement « un élément interprétatif délirant » et non des « délires interprétatifs car ceux-ci sont en général assez structurés » (selon l’experte psychiatre, in procès-verbal d’enquêtes, p. 4), ainsi que le sentiment d’être victime d’injustices notamment de la part de tiers, on n’y discerne pas des caractéristiques clairement et sévèrement paranoïaques ou des idées que l’intéressée serait de manière permanente visée par des attaques de tiers.

En audience (procès-verbal d’enquêtes, p. 3), la recourante a expliqué ce qui suit : « (…), mon expulsion de mon appartement en 2007 est liée à des partis politiques. En effet, [dans la commune], le médecin de ma fille faisait partie [du parti A]. En outre, mon immeuble était géré par la régie […] et appartenait à un Fond de pension. Ils avaient oublié de me dire qu'ils avaient augmenté le loyer un mois après que j'avais emménagé, sinon je n'aurais pas pris ce bail. A cause de cette augmentation, je n'ai pas eu droit aux allocations de logement. Le lien avec des partis politiques est qu'un des directeurs de la régie […] était membre de la paroisse protestante [de la commune] que je fréquentais comme également le médecin de ma fille (qui fréquentait aussi la paroisse). Le membre de la paroisse était du côté vente et il a dû transmettre le dossier du côté location et le côté location n'a pas fait attention à l'histoire de l'augmentation du loyer et ils ont oublié de me dire avant que j'emménage que j'allais payer plus cher. Le rapport aux partis politiques était que le Procureur qui a prononcé mon expulsion n'était pas du même parti que les [membres du parti B] et était en bataille avec eux, étant précisé que c'était lui qui avait expulsé un certain nombre de squatteurs. Ce n'était pas un lien précis et direct entre l'expulsion et les partis politiques. Je n'ai pas été expulsée personnellement pour des raisons politiques mais j'ai fait les frais des batailles entre partis politiques. C'est mon analyse ». Comme relevé par la Dresse E______ (procès-verbal d’enquêtes, p. 4), ce lien entre l’expulsion et les partis politiques n’est pas personnalisé.

On ne voit pas en quoi le diagnostic, posé par l’experte psychiatre, de troubles mixtes de la personnalité et autres troubles de la personnalité, antisociaux et évitant (F61), serait erroné.

7.4.5 Au surplus, sous l'angle du " succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à cet égard " - dans le complexe " atteinte à la santé " (A) -, il n'y a pas ici d'échec définitif d'une thérapie médicalement indiquée et réalisée selon les règles de l'art ni d'échec d'une mesure de réadaptation - malgré une coopération optimale de l'assuré - (cf. a contrario arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2.1.3 et la référence), étant précisé que l'intéressée refuse en l’espèce un traitement médicamenteux sans qu’une anosognosie soit retenue par une ou un médecin.

7.4.6 Selon le point « déroulement détaillé et représentatif d’une journée type, organisation des loisirs, hobbies, aides nécessaires pour le ménage et dans la vie quotidienne, moyens de transport utilisés, types de déplacement, vacances, etc. » du rapport d’expertise psychiatrique, l’expertisée se réveille à 8h00 et se couche aux environs de 1h00 du matin ; elle regarde l’actualité à la télévision dans sa chambre d’hôtel, puis cherche son repas dans des points d’accès d’une œuvre d’entraide, prend ses repas à l’emporter, partage ce moment avec d’autres personnes qui sont dans la même situation ; elle retourne ensuite à l’hôtel, s’attelle devant son ordinateur pendant des heures à écrire, souhaitant écrire tous les épisodes de sa vie afin de les transmettre à chacun de ses enfants ; elle consomme une bouteille de vin rouge, qu’elle mélange avec de l’eau.

Cette description de la vie quotidienne de l’assurée n’est pas contredite par d’autres éléments du dossier, notamment pas par la Dresse H______, qui, dans son rapport du 25 mai 2023, note ce qui suit : « Ses seules occupations sont d’aller d’une distribution alimentaire à une autre et de dépenser son argent à acheter divers objets à bas prix, pour le jour hypothétique où elle pourra revoir ses enfants et petits-enfants, et qu’elle stocke dans sa chambre d’hôtel. (Je rappelle que sa médecin-traitant de Montpellier avait [fait] mention d’un syndrome de Diogène.) Sinon elle passe ses journées à écouter des émissions politiques à la radio et à la TV, à lire les journaux et à commenter tout ça avec qui veut l’écouter et sur les mails qu’elle envoie tous azimuts ». Il sied de préciser que la Dresse E______ a écarté de manière motivée l’existence d’un syndrome de Diogène (rapport d’expertise, p. 29).

Ladite description d’une journée type par l’experte psychiatre ne fait pas apparaître des difficultés particulières à accomplir des tâches et activités quotidiennes, ni des limitations fonctionnelles.

7.4.7 Par ailleurs, il est incontesté et incontestable que la recourante vit de manière relativement isolée, avec un réseau social très limité et apparemment sans contacts avec des membres de sa famille, de sorte que l’assurée n’a pas des ressources mobilisables sous cet angle.

7.4.8 Pour le reste, il convient de rappeler qu’en ce qui concerne les facteurs psychosociaux ou socioculturels et leur rôle en matière d'invalidité, ils ne figurent pas au nombre des atteintes à la santé susceptibles d'entraîner une incapacité de gain au sens de l'art. 4 al. 1 LAI (ATF 127 V 294 consid. 5a in fine).

7.4.9 Au regard de ce qui précède, à l’aune des indicateurs développés par le Tribunal fédéral, et malgré le relatif isolement social de l’intéressée, ni le diagnostic de troubles mixtes de la personnalité et autres troubles de la personnalité, antisociaux et évitant (F61), ni le comportement de la recourante présentant des caractéristiques interprétatif et revendicateur et pouvant parfois se révéler plaintif, accusateur ainsi que confus, ni le déroulement de ses journées (vie quotidienne) n’apparaissent incompatibles avec l’exercice d’une activité professionnelle, consistant par exemple en des tâches simples et répétitives (comme les « tâches physiques ou manuelles simples » du niveau de compétence 1 de l’Enquête suisse sur la structure des salaires [ESS]), à un taux de 100% d’occupation et sans baisse de rendement. La recourante présente certes réellement des souffrances et difficultés au plan psychique, mais celles-ci ne sont pas suffisamment graves pour la reconnaissance d'une invalidité (cf. notamment art. 4 al. 2 LAI).

En revanche, au regard de la personnalité et du comportement de l’assurée tels que décrits plus haut, et comme cela ressort du second rapport de la Dresse H______, on pourrait admettre comme – seule – limitation fonctionnelle le besoin d’un emploi comportant le moins possible d’interactions sociales, que ce soit avec le public, des collègues ou des supérieurs hiérarchiques. Des emplois compatibles avec cette limitation fonctionnelle existent en nombre suffisant. À cet égard, d’une part, on relève que les problèmes de comportement de la recourante avec autrui paraissent se manifester principalement lors de contacts d’une certaine durée, et nettement moins lors de contacts brefs ou limités dans le temps. D’autre part, il incombe à l’assurée d’adopter un comportement qui soit le moins préjudiciable à ses relations avec les autres personnes (cf., dans ce sens, art. 7 al. 2 in fine LPGA).

8.              

8.1 Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28 al. 2 LAI).

8.2 Selon la jurisprudence, il est possible de fixer la perte de gain d'un assuré directement sur la base de son incapacité de travail en faisant une comparaison en pour-cent. Cette méthode constitue une variante admissible de la comparaison des revenus basée sur des données statistiques : le revenu hypothétique réalisable sans invalidité équivaut alors à 100%, tandis que le revenu d'invalide est estimé à un pourcentage plus bas, la différence en pour-cent entre les deux valeurs exprimant le taux d'invalidité. L'application de cette méthode se justifie entre autres lorsque les salaires avant et/ou après invalidité ne peuvent pas être déterminés (arrêt du Tribunal fédéral 9C_237/2016 du 24 août 2016 consid. 2.2 et les références).

En l’occurrence, l’extrait de CI montrant des revenus obtenus par le passé en Suisse uniquement sous forme d’indemnités de chômage à partir de 2003 à tout le moins jusqu’au départ pour la France en 2007, il se justifie de comparer les revenus sans et avec invalidité uniquement en rapport avec les taux de capacité de travail et d’éventuel abattement.

8.3 La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits, dépend de l'ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d'autorisation de séjour et taux d'occupation) et résulte d'une évaluation dans les limites du pouvoir d'appréciation. Une déduction globale maximum de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d'une activité lucrative (ATF 135 V 297 consid. 5.2 ; ATF 134 V 322 consid. 5.2 et les références; ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Il n'y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération ; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d'appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d'invalide, compte tenu de l'ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3. et les références). D'éventuelles limitations liées à la santé, déjà comprises dans l'évaluation médicale de la capacité de travail, ne doivent pas être prises en compte une seconde fois dans l’appréciation de l’abattement, conduisant sinon à une double prise en compte du même facteur (cf. ATF 146 V 16 consid. 4.1 et ss. et les références). L'étendue de l'abattement justifié dans un cas concret relève du pouvoir d'appréciation (ATF 132 V 393 consid. 3.3).

En l’espèce, le taux d’abattement global ne pouvant pas dépasser 25% (maximum), le degré d’invalidité minimal – de 40% - pour l’octroi d’une rente AI ne peut en l’occurrence en aucun cas être atteint, ce qui exclut en tout état de cause le droit de l’intéressée à une telle prestation.

9.             Vu ce qui précède, la décision querellée est conforme au droit, et le recours sera dès lors rejeté.

10.         La procédure n'étant pas gratuite (art. 69 al. 1bis LAI), un émolument de CHF 200.- (montant minimal) sera perçu de la recourante.

 

***


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de la recourante.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Diana ZIERI

 

Le président

 

 

 

 

Blaise PAGAN

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le