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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2731/2022

ATAS/756/2023 du 06.10.2023 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2731/2022 ATAS/756/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 6 octobre 2023

Chambre 9

 

En la cause

A______
représenté par APAS-Association pour la permanence de défense des patients et des assurés, soit pour elle Me Maëlle KOLLY, mandataire

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l'assuré), né le ______ 1966, originaire du Portugal, sans formation professionnelle, est établi en Suisse depuis 1985. Il a exercé diverses activités professionnelles notamment comme cordonnier, serveur et chauffeur/livreur jusqu'en 2014.

b. Selon un rapport du 9 novembre 2020, le docteur B______, spécialiste en radiologie, a effectué un scanner thoracique de l'assuré et a constaté l'existence d'un emphysème pulmonaire sévère.

c. À teneur d'un courrier du 8 décembre 2020, suite au résultat du scanner thoracique susvisé, le docteur C______, spécialiste FMH en médecine interne et rhumatologie, a demandé la prise en charge pneumologique de l'assuré auprès de la docteure D______, spécialiste FMH en pneumologie et médecine interne.

d. Dans son rapport du 14 décembre 2020, la Dre D______, qui avait examiné l'assuré pour la première fois le 8 décembre 2020, a retenu le diagnostic d'une broncho-pneumopathie chronique obstructive (ci-après : BPCO) de stade III B et a en outre relevé un syndrome obstructif de degré sévère avec un volume expiratoire maximum par seconde (VEMS) à 36% du prédit et une DLCO sévèrement abaissée à 15% du prédit. La spécialiste a indiqué en outre que l'assuré présentait progressivement, depuis plusieurs années, une dyspnée au moindre effort et une toux productive qui l'avait obligé à cesser son activité professionnelle. L'assuré avait effectué des tests respiratoires au Portugal quatre ans auparavant et on lui avait alors dit qu'il devait impérativement arrêter de fumer s'il ne voulait pas être sous oxygène dix ans plus tard. On lui avait prescrit du « Brimica (formotérol et aclidinium) » qui l’aidait au début, mais qu’il trouvait actuellement trop difficile à inhaler. Il prenait du Ventolin plusieurs fois par jour.

B. a. Le 16 février 2021, l'assuré a déposé une demande de prestations auprès de l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l'OAI).

b. Selon un rapport du 25 février 2021, le Dr C______ a fait état de l'emphysème pulmonaire sévère ayant une incidence sur la capacité de travail de l'assuré, sans pouvoir toutefois émettre de pronostic quant à celle-ci. Concernant les limitations fonctionnelles de l'assuré, ce dernier ne pouvait fournir aucun effort. Par ailleurs, son handicap majeur pulmonaire faisait obstacle à une réadaptation dès lors qu'il lui était impossible d'accomplir les tâches ménagères, celles-ci requérant trop d'effort de sa part.

Dans un rapport du 9 mars 2021, la Dre D______ a indiqué que le BPCO de stade III B avec VEMS de 36% du prédit constituait un diagnostic avec répercussion sur la capacité de travail, celle-ci étant nulle et « probablement présente depuis au moins cinq ans dans des activités non sédentaires ». La spécialiste indiquait en outre qu'en tenant compte du VEMS de 36% du prédit et de la DLCO de 15% du prédit, l'incapacité médicale théorique était de 70-80% dans une activité adaptée. Ainsi, en raison du handicap respiratoire majeur de l'assuré, sa mise en route le matin, ses déplacements sur un lieu de travail, ainsi que le risque d'exacerbations répétées et la nécessité d'effectuer régulièrement de la physiothérapie, constituaient des éléments qui diminueraient le rendement d'une activité même purement sédentaire.

c. Suite à deux consultations ayant eu lieu les 9 février et 12 mai 2021, la Dre D______ a confirmé, dans son rapport du 17 mai 2021, le diagnostic de BPCO de stade III B et le syndrome obstructif de degré sévère avec un VEMS à 36% du prédit.

d. Selon un rapport du 25 mars 2022, la docteure E______, médecin auprès du service médical régional de l’assurance-invalidité (ci-après : SMR), se fondant sur les rapports médicaux de la Dre D______, a relevé que cette dernière attestait d'une incapacité de travail de 70 à 80% dans une activité adaptée sédentaire, mais que, dans son appréciation de l'exigibilité résiduelle, la spécialiste semblait tenir compte du risque d'exacerbations et des contraintes liées au traitement de physiothérapie. Or, selon le SMR, le risque d'exacerbations et les facteurs non médicaux n'entraient pas dans l'appréciation de l'exigibilité résiduelle médico théorique.

En définitive, dès lors que l'assuré présentait des limitations fonctionnelles en lien avec une dyspnée au moindre effort qui empêchait tout travail physique et/ou nécessitant des déplacements répétés, mais que la pneumologue ne retenait pas de limitations fonctionnelles au repos susceptibles d'influencer la capacité de travail de l'assuré dans une activité adaptée strictement sédentaire, sa capacité médico-théorique restait, selon toute vraisemblance, entière dans « une activité légère, sédentaire, n'impliquant pas d'effort physique, ni de déplacements répétés ».

e. Le 16 mai 2022, l'OAI a adressé à l'assuré un projet de décision, à teneur duquel il envisageait de lui refuser l'octroi d'une rente d'invalidité.

L'assuré était en incapacité totale de travail dans son activité habituelle depuis le 14 décembre 2020. Une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles était toutefois raisonnablement exigible à raison de 100% dès cette même date. Son degré d'invalidité était de 10% (en tenant compte d'une déduction de 10% sur le revenu d'invalide en raison de l'âge et de ses limitations fonctionnelles), soit un taux inférieur tant au seuil de 40% nécessaire pour fonder le droit à une rente d'invalidité, qu'au seuil de 20% nécessaire pour ouvrir l'accès à des mesures de reclassement professionnel de l'assurance-invalidité.

f. Par courrier du 23 juin 2022, l'assuré s'est opposé au projet de décision. La limitation de sa capacité de travail ne reposait pas sur le risque d'exacerbation ou sur les contraintes liées au traitement de physiothérapie, mais sur la gravité de sa condition médicale et les importantes limitations fonctionnelles qui en découlaient, rendant illusoire l'exercice d'une activité, même adaptée, à un taux supérieur à 20-30%. Pour cette raison, l'abattement de 10%, tel que retenu par l'OAI dans le projet de décision, était très insuffisant.

g. Par décision datée du 28 juin 2022 et reçue le 29 juin 2022, l'OAI a nié le droit de l'assuré à une rente d'invalidité. Il maintenait, en substance, sa position exprimée dans son projet de décision, admettant toutefois que l'abattement retenu de 10% soit augmenté à 15%, et retenait ainsi un degré d'invalidité de 15%.

C. a. Par acte du 29 août 2022, l'assuré a interjeté recours contre cette décision auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, concluant, principalement, à son annulation et à l'octroi d'une rente entière d'invalidité à compter du mois d'août 2021, sous suite de frais et dépens. Il sollicitait en outre son audition, celle de son épouse et celle de la Dre D______, ainsi que la mise en œuvre d’une expertise judiciaire bi-disciplinaire en pneumologie et psychiatrie. En substance, et sur la base du rapport de la Dre D______ daté du 8 août 2022 produit à l'appui du recours, le recourant contestait l'évaluation retenue par l'intimé de sa capacité de travail dans une activité adaptée.

Dans son rapport du 8 août 2022, la Dre D______ précisait que le handicap respiratoire du recourant était présent dans chaque activité de la vie quotidienne, y compris la toilette et l'habillage. Il était ainsi limité du point de vue respiratoire dans toutes les activités comprenant un effort physique, y compris les efforts avec les membres supérieurs en position assise, la marche, le port de charge, ainsi que le travail en station debout. Une activité purement sédentaire (par exemple, travail de bureau) à petit pourcentage était la seule envisageable, mais il fallait toutefois tenir compte de la préparation du matin et du déplacement sur le lieu de travail qui seraient entravés par le handicap respiratoire et du fait qu'une physiothérapie devait faire partie de son quotidien.

La Dre D______ indiquait en outre que le déclin fonctionnel dans la BPCO étant variable (entre -2 et -149 ml par an de VEMS, alors que le déclin physiologique était de -20-30 ml / an), elle pouvait estimer que le recourant avait atteint le stade III (sévère) de la maladie au minimum cinq ans avant le début de sa prise en charge, soit en 2015. Enfin, aucune amélioration ne pouvait être espérée et une dégradation supplémentaire était attendue. Il était probable que, dans les quelques années à venir, une transplantation pulmonaire doive être envisagée.

L'autorité avait retenu à tort que sa capacité de travail, dans une activité adaptée, était pleine et entière sans aucune baisse de rendement depuis le mois de décembre 2020. L'instruction ne permettait pas, à satisfaction de droit, d'aller à l'encontre de la position de son médecin traitant et reposait sur une appréciation arbitraire du médecin conseil SMR qui ne l'avait jamais examiné. Enfin, l'abattement de 10% retenu par l'intimé, qu'il avait admis porter à 15%, restait insuffisant au vu de l'impact qu'avaient la situation concrète du recourant et ses limitations fonctionnelles sur ses activités quotidiennes. Le recourant concluait ainsi à l'octroi d'une rente d'invalidité, sur la base d'une incapacité de travail de 70 - 80%, à laquelle devait légitimement s'ajouter un abattement de 20%.

b. Dans sa réponse du 23 septembre 2022, se référant au rapport de la Dre D______ du 8 août 2022, ainsi qu'au mandat de réadaptation du 19 septembre 2022 et à l'avis du SMR du 22 septembre 2022, l'intimé a conclu à l'octroi d'une rente entière d'invalidité (taux 100%) dès le 1er décembre 2021.

Selon le mandat de réadaptation du 19 septembre 2022, le recourant ne possédait aucune compétence ni expérience dans le domaine administratif et, compte tenu des contraintes liées aux limitations fonctionnelles, de sa capacité de travail limitée à 20 à 30% et de son âge, aucune mesure était de nature à réduire le dommage. Par conséquent, sa capacité de travail médico-théorique de 20 à 30% n'était pas exploitable sur le marché du travail et son degré d'invalidité était de 100%.

Dans son avis du 22 septembre 2022, le SMR avait retenu que les explications de la Dre D______ étaient tout à fait pertinentes et il convenait de suivre son appréciation. Toutefois, concernant la date de début de l'incapacité de travail, le SMR ne pouvait retenir que celle du 8 décembre 2020, à savoir la date de la 1ère consultation de pneumologie mettant en évidence de manière objective le syndrome obstructif sévère. Dès lors, la capacité de travail du recourant, même dans une activité strictement sédentaire et sans déplacement, était limitée à 20-30% depuis cette date.

c. Par réplique du 4 octobre 2022, le recourant a conclu à ce qu'il soit retenu que son incapacité de travail existe de manière durable depuis janvier 2015 et que son droit à une pleine rente d'invalidité soit ouvert depuis le 1er août 2021. Par ailleurs, l'octroi d'une juste indemnité à titre de dépens se justifiait dès lors que les éléments ayant conduit l'intimé à revoir sa position avaient déjà été soulevés au stade des observations formulées contre le projet de décision du 16 mai 2022.

Dans son rapport du 9 mars 2021, la Dre D______ avait retenu une capacité de travail nulle dans son activité habituelle « présente depuis au moins cinq ans dans des activités non sédentaires » et qu'il ressortait de son rapport du 8 août 2022 que le recourant avait atteint « le stade 3 (sévère) de sa maladie au minimum cinq ans avant le début de sa prise en charge, soit en 2015 ». Le SMR avait donc procédé à une appréciation arbitraire en retenant la date de la 1ère consultation de pneumologie et des fonctions pulmonaires du 8 décembre 2020 et n'avait pas exposé de manière motivée les motifs pour lesquels il se justifiait de s'écarter de l'analyse de la pneumologue.

d. Par duplique du 27 octobre 2022, l'intimé a persisté dans ses conclusions. Il relevait que l'atteinte pulmonaire sévère ne figurait pas dans les précédents rapports médicaux et avait été « objectivée médicalement pour la première fois en date du 8 décembre 2020 (suivi spécialisé) ». L'appréciation de la Dre D______ pour la période antérieure à cette date ne reposait sur aucune observation médicale objective, cette dernière ayant indiqué qu'elle ne suivait le recourant que depuis deux ans et qu'il lui était difficile de dire depuis quand ses activités n'étaient plus exigibles. Elle se fondait uniquement sur les déclarations subjectives du recourant qui n'aurait plus cherché d'emploi depuis plusieurs années en raison de sa dyspnée.

e. Par observations du 7 novembre 2022, le recourant a indiqué que la Dre D______ ne s'était pas limitée à estimer que la maladie existait depuis cinq ans, mais que la spécialiste s'était basée sur l'examen de valeurs médicales moyennes concernant les déclins fonctionnels moyens dans la BPCO pour affirmer que le recourant avait atteint un stade III sévère de la maladie au minimum cinq ans avant le début de sa prise en charge au mois de décembre 2020. Le recourant relevait en outre l'enjeu que représentait la détermination du début de son incapacité de travail durable fondée sur son atteinte pulmonaire sévère vis-à-vis du service des prestations complémentaires (ci-après : SPC), celui-ci ayant retenu un revenu hypothétique du recourant avec effet rétroactif à 2015.

f. Le 31 mai 2023, faisant suite à une demande de la chambre de céans, le recourant a expliqué avoir réalisé des tests respiratoires le 18 avril 2017 auprès de l’hôpital de Lousada. Les résultats de ces tests n’avaient malheureusement pas été conservés par l’hôpital. Il avait néanmoins pu obtenir une déclaration de l’hôpital confirmant la réalisation d’une spirométrie. À cette époque, il s’était soumis à plusieurs contrôles, dont une radio du thorax. À la suite de ce bilan de santé, il s’était vu prescrire un traitement bronchodilatateur « Brimica Genuar 340/12 micrograms », ainsi que du Ventolin. Or, ce traitement était utilisé pour soulager les symptômes chez les patients adultes présentant une bronchopneumopathie chronique obstructive. Ce traitement était ainsi un indice concret du degré de gravité des symptômes que présentaient déjà le recourant au début de l’année 2017 à tout le moins.

Il a produit plusieurs documents, rédigés en portugais, établis par l’hôpital de Lousada.

g. Le 28 août 2023, le recourant a produit la traduction des pièces. L’existence de ces pièces montrait que des investigations sérieuses avaient été lancées à compter de 2017. Ces investigations étaient intervenues après qu’il ait déjà longuement tardé à consulter, alors que son état de santé s’était déjà considérablement dégradé. Il persistait à solliciter que son atteinte durable et invalidante à la santé soit retenue dès le 1er août 2020, ce qui ouvrait le droit à la rente dès le 1er août 2021.

 

 

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

1.2 Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais pour la période du 15 juillet au 15 août inclusivement (art. 38 al. 4 let. b LPGA et art. 89C let. b LPA), le recours est recevable.

2.              

2.1 L'objet de la présente procédure – circonscrit par la décision litigieuse – est le droit du recourant à une rente d’invalidité.

À titre liminaire, il sied de relever que, dans sa réponse, l'intimé a conclu à l’admission partielle du recours et à l’octroi d’une rente entière d’invalidité dès le 1er décembre 2021. Cette position est fondée sur le rapport médical de la Dre D______ du 8 août 2022, et paraît justifiée. Dans la mesure où les deux parties convergent sur ce point, il convient de l'admettre.

3.             Reste à examiner si c’est à juste titre que l’intimé a fixé le début du droit à la rente d'invalidité au 1er décembre 2021 et non au 1er août 2021, date retenue par le recourant.

3.1 Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du
19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du
3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961
(RAI – RS 831.201; RO 2021 706).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable est celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire (ATF 136 V 24 consid. 4.3 et la référence).

En l’occurrence, la décision querellée concerne un premier octroi de rente dont le droit est né avant le 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

3.2 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

3.3 En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois-quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28a al. 1 LAI).

Il y a lieu de préciser que selon la jurisprudence, la notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).

En vertu des art. 28 al. 1 et 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à la date dès laquelle l’assuré a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne pendant une année sans interruption notable et qu’au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins, mais au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA. Selon l’art. 29 al. 3 LAI, la rente est versée dès le début du mois au cours duquel le droit prend naissance.

3.4 Pour pouvoir calculer le degré d’invalidité, l’administration (ou le juge, s’il y a eu un recours) a besoin de documents qu’un médecin, éventuellement d’autres spécialistes, doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l’état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est, à ce motif, incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l’assuré (ATF 125 V 256 consid. 4 et les références).

3.5 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3).

3.6 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

Un rapport du SMR a pour fonction d'opérer la synthèse des renseignements médicaux versés au dossier, de prendre position à leur sujet et de prodiguer des recommandations quant à la suite à donner au dossier sur le plan médical. En tant qu'il ne contient aucune observation clinique, il se distingue d'une expertise médicale (art. 44 LPGA) ou d'un examen médical auquel il arrive au SMR de procéder (art. 49 al. 2 du règlement sur l’assurance-invalidité, du 17 janvier 1961 [RAI – RS 831.201] ; ATF 142 V 58 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_542/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1). De tels rapports ne sont cependant pas dénués de toute valeur probante, et il est admissible que l'office intimé, ou la juridiction cantonale, se fonde de manière déterminante sur leur contenu. Il convient toutefois de poser des exigences strictes en matière de preuve; une expertise devra être ordonnée si des doutes, même faibles, subsistent quant à la fiabilité ou à la pertinence des constatations effectuées par le SMR (ATF 142 V 58 consid. 5 ; ATF 135 V 465 consid. 4.4 et 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_371/2018 du 16 août 2018 consid. 4.3.1).

En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

3.7 Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a considéré qu’en fixant le début du droit à la rente au 1er décembre 2015, la juridiction cantonale avait procédé à des suppositions reposant sur le caractère évolutif des troubles dégénératifs affectant l’assurée sans tenir compte de l'ensemble des rapports médicaux figurant au dossier. Or, les troubles évoqués avaient été objectivés pour la première fois à l'occasion d’IRM effectuées en mai et juin 2015 (dont les rapports ont du reste motivé la nouvelle demande de prestations) et c'est leur évolution significative (« changement manifeste de la présentation clinique ») entre cette époque et septembre 2015 qui avait incité le médecin à requérir un avis neurochirurgical. Dans ces circonstances, il était parfaitement légitime pour l’OAI de faire remonter la détérioration de la situation médicale au mois de mai et, par conséquent, de fixer le début du droit à la rente en mai 2016. En adoptant un point de vue contraire à la situation de fait, sans avancer d'éléments objectifs pour confirmer l'existence de douleurs six mois avant les examens IRM, la juridiction cantonale avait fait preuve d'arbitraire (arrêt du Tribunal fédéral 9C_237/2021 consid. 7).

3.8 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; ATF 126 V 353 consid. 5b ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

3.9 Dans ses écritures, l'intimé a retenu la date du 1er décembre 2021 comme date de début du droit à la rente entière d'invalidité octroyée au recourant, au motif que l'incapacité de travail avait été objectivée pour la première fois le 8 décembre 2020 lors de sa première consultation auprès de la Dre D______, pneumologue. Le recourant soutient en revanche que le droit à la rente d’invalidité doit débuter le 1er août 2021, soit six mois après le dépôt de sa demande de rente d'invalidité, conformément à l'art. 29 al. 3 LAI. Ce dernier se fonde en particulier sur le rapport médical de la Dre D______ du 8 août 2022 à teneur duquel la pneumologue indique que le « déclin fonctionnel dans la BPCO étant variable (entre -2 et -149 ml par an de VEMS, alors que le déclin physiologique était de -20-30 ml / an), on peut estimer que [le recourant] atteint le stade 3 (sévère) de la maladie au minimum cinq ans avant le début de ma prise en charge, soit en 2015 ». Il se réfère en outre aux conclusions de la pneumologue contenues dans son rapport du 9 mars 2021, selon laquelle sa capacité de travail était nulle dans son activité habituelle « depuis au moins cinq ans » et de 20 à 30% dans une activité adaptée.

À titre liminaire, il convient de relever que le scanner thoracique mettant en évidence l'existence d'un emphysème pulmonaire sévère a été réalisé le 9 novembre 2020. L’intimé ne peut dès lors être suivi lorsqu'il soutient, suivant l'avis du SMR, que la date de début de l'incapacité de travail correspond à la date de la première « consultation de pneumologie et des fonctions pulmonaires mettant en évidence de manière objective le syndrome obstructif sévère », soit le 8 décembre 2020. Dans la mesure où le scanner thoracique du 9 novembre 2020 constitue un élément objectif pour confirmer l’existence de troubles invalidants, le droit à une rente entière d'invalidité devrait débuter le 1er novembre 2021, au plus tard. Reste à voir si, comme le soutient le recourant, ses troubles étaient déjà présents en août 2020.

En l’occurrence, les médecins ayant examiné le recourant s’accordent à dire que ce dernier est atteint d’un emphysème pulmonaire sévère (cf. rapport médical du Dr C______ du 25 février 2021), impliquant un « handicap respiratoire majeur » (cf. rapport médical de la Dre D______ du 9 mars 2021). Dans ces appréciations, la Dre D______ a expliqué qu’avant le début de son suivi en 2020, cela faisait déjà plusieurs années que le recourant avait renoncé à la poursuite de toute activité professionnelle en raison de son handicap respiratoire. D’après la pneumologue, le déclin fonctionnel dans la BPCO étant variable, on pouvait estimer que l’assuré avait atteint le stade 3 (sévère) de la maladie au minimum cinq ans avant le début de sa prise en charge, soit en 2015 (cf. rapport médical de la Dre D______ du 8 août 2022). Ainsi, compte tenu de la sévérité de l’affection, l’incapacité de travail était probablement présente depuis cinq ans au moins (cf. rapport médical de la Dre D______ du 9 mars 2021). Force est de constater que cette appréciation trouve un appui au dossier, le recourant ayant effectué des tests respiratoires au Portugal en 2017. L’intéressé n’a certes pas été en mesure de produire les résultats de ces examens. Il résulte néanmoins de la première consultation avec sa pneumologue du 14 décembre 2020, qu’à la suite des examens effectués au Portugal en 2017, on lui a prescrit du Brimica, puis du Ventolin « plusieurs fois par jour ». Or, selon l’Agence européenne des médicaments (EMA), le « Brimica Genuair » est un médicament utilisé pour soulager les symptômes de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) chez les adultes (information disponible sur le site suivant : https://www.ema.europa.eu/en/medicines/human/EPAR/brimica-genuair#authorisation-details-section, consulté le 25 septembre 2023). Le document-résumé destiné au public (disponible sous le lien suivant : https://www.ema.europa.eu/en/documents/overview/brimica-genuair-epar-summary-public_fr.pdf, consulté le 25 septembre 2023) indique que le bromure d’aclidinium est autorisé dans l’Union Européenne sous les noms de spécialités « Bretaris Genuair » et « Eklira Genuair » depuis juillet 2012. Selon le Compendium Suisse des médicaments, le « Eklira Genuair » est indiqué comme « traitement bronchodilatateur continu destiné à soulager les symptômes chez les patients adultes présentant une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) ». Il appert ainsi que la prise de ce médicament est un élément objectif permettant de confirmer l’existence de troubles avant la réalisation du scanner thoracique du 9 novembre 2020. Compte tenu des explications de la pneumologue s’agissant de la dégradation moyenne des valeurs respiratoires, il a y lieu de retenir au degré de la vraisemblance prépondérante qu’en août 2020, le recourant présentait déjà une incapacité de travail totale dans son activité habituelle ainsi qu’une capacité de travail de 20 à 30% dans une activité adaptée. On rappellera que cette situation dure, selon la Dre D______, depuis au moins 2015.

Au vu de ces éléments, la chambre de céans retiendra que l'incapacité de travail du recourant est démontrée, au degré de la vraisemblance prépondérante, dès le
1er août 2020. Dans la mesure où la documentation versée au dossier permet à la chambre de céans de statuer en connaissance de cause sur le bien-fondé de la décision attaquée, il s'avère superflu d'administrer d'autres preuves telles que les auditions et l'expertise médicale requises par le recourant (appréciation anticipée des preuves ; ATF 136 I 229 consid. 5.3).

4.             Eu égard à ce qui précède, il convient d'admettre le recours en ce sens que le recourant doit se voir reconnaître le droit à une rente entière d'invalidité depuis le 1er août 2021.

Le recourant obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 2'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA;
art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administratives du 30 juillet 1986 [RFPA – E 5 10.03]).

Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 

***


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet.

3.        Annule la décision de l'office de l'assurance invalidité du 28 juin 2022.

4.        Dit que le recourant a droit à une rente entière d'invalidité depuis le 1er août 2021.

5.        Renvoie la cause à l'intimé pour le calcul des prestations dues.

6.        Condamne l'intimé à verser au recourant la somme de CHF 2'000.- à titre de participation à ses frais et dépens.

7.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l'intimé.

8.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le