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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/997/2022

ATAS/734/2023 du 29.09.2023 ( CHOMAG ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/997/2022 ATAS/734/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 29 septembre 2023

Chambre 1

 

En la cause

A______
représentée par Me Carolina CAMPEAS TALABARDON, avocate

 

 

recourante

 

contre

OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI

 

 

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. La société A______ (ci-après : la société), dont le siège social est à Genève, a pour but l’achat, la vente, la gérance, la création et l’exploitation de café-restaurants, de bars, de discothèques et tous établissements publics, ainsi que la prise de participations dans tous commerces ou sociétés poursuivant des buts similaires. Son administrateur président est Monsieur B______.

b. Par décision du 19 mars 2020, l’office cantonal de l’emploi (ci-après : l’OCE) a accordé le paiement de l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (ci-après : RHT) pour la période du 19 mars au 18 juin 2020 pour les employés de l’établissement C______. L’indemnité en cas de RHT a ensuite été accordée par décisions successives pour la période du 19 juin au 31 août 2020, du 3 septembre au 30 novembre 2020, du 1er décembre 2020 au 28 février 2021, du 1er mars au 31 mai 2021 et du 1er juin au 30 novembre 2021.

B. a. Le 23 décembre 2021, la société a transmis à l’OCE un nouveau formulaire de préavis de RHT annonçant une perte de travail de 100% pour toute l’entreprise, soit quatre employés concernés, du 20 décembre 2021 au 31 janvier 2022. Elle a précisé que la règle des 2G+ imposée par le Conseil fédéral aux bars et discothèques les empêchait d’exploiter leur établissement de manière rentable, étant relevé que de nombreuses entreprises avaient déjà annulé leurs réservations de soirées.

b. Le 11 janvier 2022, sur demande de l’OCE, elle a précisé qu’elle ne pouvait se transformer « subitement » en bar avec service assis, n’étant ni équipée ni ne s’adressant à une telle clientèle. La contrainte du 2G+ l’obligeait en outre à refuser des clients et l’empêchait de remplir suffisamment l’établissement pour être rentable. Dès lors, elle allait diminuer ses ouvertures jusqu’à ce qu’une partie suffisante de la population dispose d’un certificat Covid 2G+. Elle comptait se mettre au « chômage technique » dès le 20 décembre 2021 et reprendre son activité à temps partiel dès le 19 janvier 2022 si possible. Elle requérait un taux de 60% au minimum et a remis un fichier contenant les chiffres d’affaires mensuels pour 2019, 2020 et 2021.

c. Par décision du 12 janvier 2022, l’OCE a refusé la demande de RHT formée par la société, au motif que l’employeur n’avait pas été contraint de fermer son établissement et de cesser son activité suite à une mesure administrative des autorités et pouvait continuer à l’exercer en respectant les règles sanitaires. L’employeur avait décidé de son propre chef de fermer l’établissement et ne pouvait invoquer une perte de travail de 100%.

d. Le 11 février 2022, la société a fait opposition à la décision précitée, en faisant valoir que les professionnels du monde de la nuit avaient estimé que l’introduction de la règle des 2G+ leur ferait perdre jusqu’à 70% de leur chiffre d’affaires et avaient, pour beaucoup, décidé de fermer pour les fêtes de fin d’année. Ces estimations s’étaient avérées, citant plusieurs exemples à l’appui. Le Conseil fédéral avait élargi le cercle des bénéficiaires (art. 33 al. 1 let. e LACI), ce qui démontrait le lien direct entre la règle des 2G+, la perte de travail et le besoin d’indemnité. Rester ouvert à partir du 20 décembre 2021 aurait impliqué de refuser ou de perdre de nombreux clients et l’établissement – dont ce n’était pas le concept - n’avait pas les moyens de transformer ses locaux pour offrir un service assis. Son chiffre d’affaires avait en outre déjà diminué d’environ 40% entre 2019 et 2021. La société remplissait également les conditions d’octroi de l’indemnité sur la base de l’art. 32 al. 1 let. a LACI, l’employeur pouvant décider de recourir au chômage partiel s’il pouvait constater que ses employés n’auraient pas de travail.

e. Par décision sur opposition du 23 février 2022, l’OCE a confirmé sa décision. L’employeur reconnaissait avoir fermé de lui-même son établissement du 20 décembre 2021 au 18 janvier 2022, soit notamment pendant les fêtes de fin d’année, période pendant laquelle les établissements de la nuit étaient particulièrement fréquentés malgré les mesures sanitaires. Il lui appartenait en outre d’élargir son domaine d’activités au vu de son but social, notamment en proposant des places assises et ne plus être soumis à la 2G+, ce qu’il n’avait pas cherché à faire bien qu’il ait bénéficié de la RHT sans interruption durant une année et demi. La perte de travail, en plus de ne pas être avérée, n’était donc pas inévitable. Pour le reste, l’indemnité n’aurait pas pu débuter dès le premier jour requis, le préavis ayant été envoyé après ladite date.

C. a. Par acte du 28 mars 2022, la société a recouru contre cette décision par devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans), concluant, préalablement, à l’audition des parties ainsi que d’un témoin, à savoir son directeur opérationnel, et, principalement, à son annulation et l’octroi d’indemnités en cas de RHT du 20 décembre 2021 au 18 janvier 2022, subsidiairement son renvoi à l’OCE pour qu’il statue à nouveau.

Elle a fait valoir une mauvaise application des art. 31ss LACI et 46ss ordonnance sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 31 août 1983 (ordonnance sur l’assurance-chômage, OACI - RS 837.02). Les art. 32 al. 3 LACI et 51 OACI requerraient uniquement, pour l’octroi de l’indemnité RHT, une perte de travail consécutive à la mesure prise par les autorités, ce qui avait été son cas en lien avec l’introduction de la règle des 2G+, qui avait limité le nombre de clients pouvant accéder aux établissements nocturnes, ce que confirmait un sondage effectué en janvier 2022 faisant état d’une chute constatée de 60 à 70% du chiffre d’affaires. A tout le moins, le pic de la pandémie en décembre 2021 et les mesures strictes en découlant pour lutter contre elle, représentaient des motifs indépendants de la volonté de l’employeur entrainant une perte de travail.

Elle réalisait également les conditions d’octroi de l’indemnité sur la base de l’art. 32 al. 1 let. a LACI, la perte économique l’ayant amené à faire le choix, qui lui appartenait, de fermer son établissement.

La perte de travail était par ailleurs inévitable. A la suite de l’introduction de la règle des 2G+, les professionnels du monde de la nuit avaient estimé une perte de chiffre d’affaires allant jusqu’à 70%. Pour ceux qui avaient décidé de rester ouverts pendant la période des fêtes de fin d’année, les bilans avaient été catastrophiques, l’un ayant atteint 20% de sa capacité, l’autre accusant une perte de 75% de son chiffre d’affaires. La recourante, qui avait déjà énormément souffert de la crise sanitaire, ne pouvait pas se permettre les travaux et aménagements nécessaires, de même que la communication d’un nouveau concept, ce d’autant qu’elle avait tenté un repositionnement en service assis, qui lui avait engendré une perte supérieure à CHF 100'000.- en 2020, le concept n’étant adapté ni à ses locaux ni à sa clientèle. Pour le surplus, ayant rouvert son établissement le plus tôt possible, soit le 19 janvier 2022, elle requérait l’octroi de l’indemnité RHT jusqu’au 18 janvier 2022 et non au 31 janvier 2022, comme dans sa demande initiale.

Enfin, la décision entreprise était arbitraire dans la mesure où la décision de fermer l’établissement résultait de motifs indépendants de sa volonté, respectivement de motifs d’ordre économique, qu’aucune autre mesure économiquement raisonnable ne pouvait être mise en place, tel un changement de concept, éloigné de sa clientèle, pour une durée indéterminée mais très temporaire et moyennant de lourds frais. La décision était également choquante dans son résultat car elle privait l’entreprise de l’indemnité RHT sans motif valable, ce qui menaçait des emplois. Elle était en contrariété avec le but des art. 31ss LACI et 51ss OACI et était incompréhensible au regard de l’impact de l’introduction de la règle du 2G+ relayée dans les médias et de ses efforts pour rouvrir le plus tôt possible.

b. Le 8 avril 2022, l’OCE a relevé, préalablement, que la décision entreprise ayant été distribuée le 24 février 2022 selon le suivi du recommandé, le recours formé le 29 mars 2022 selon le timbre postal était tardif, la recourante n’alléguant aucun motif excusant ce retard. Pour le surplus, elle n’apportait aucun élément nouveau permettant de revoir la décision, dans les termes de laquelle il persistait.

c. Invitée à se déterminer, également quant à une éventuelle restitution de délai, la recourante a indiqué que la décision entreprise lui avait été notifiée le 24 février 2022 et que le délai de recours courait jusqu’au 28 mars 2022. Le recours, daté du 28 mars 2022, avait été déposé par lettre recommandé le jour même à 19h34 au point My Post 24 du boulevard du Pont d’Arve, selon la confirmation de dépôt, la quittance et le suivi du recommandé qu’elle joignait. La Poste avait toutefois requalifié l’envoi en PostPac Priority le 29 mars 2022, alors que la recourante s’était assurée de la conformité de l’envoi, et l’avait distribué le 30. Le recours avait donc été déposé dans le délai. A titre subsidiaire, les conditions d’une restitution de délai étaient réunies, dès lors qu’elle n’avait appris que le 30 mars 2022 la requalification de son envoi, pour lequel il lui avait été impossible d’envisager un problème.

Elle a joint une copie des avis postaux en lien avec son envoi.

d. Le 10 mai 2022, l’intimé a persisté à considérer que le recours était tardif, dès lors qu’il appartenait à la recourante de s’assurer que son recours était bien envoyé le 28 mars 2022, ce qu’elle n’avait pas fait.

e. Le 20 mai 2022, la recourante a persisté, se fondant sur la jurisprudence rendue en matière de dépôt d’un recours.

f. Le 15 mars 2023, la recourante a été invitée à fournir à la chambre de céans tout document susceptible de démontrer :

-       Les réservations/annulations concernant la période concernée par le recours ;

-       Les mesures prises pour diminuer son dommage, notamment les investissements qu’elle aurait consentis pour adapter ses activités ;

-       Les résultats financiers de la période concernée et leur pendant pour les deux années précédentes permettant de constater les coûts fixes et variables et les recettes engendrées.

g. La recourante n’a ni formulé d’observations, ni fourni de document en lien avec le courrier du 15 mars 2023, dans le délai prolongé au 5 mai 2023.


 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             La décision querellée a trait aux prestations cantonales complémentaires de chômage prévues par la LMC. Cette dernière ne contenant aucune norme de renvoi, la LPGA n’est pas applicable (cf. art. 1 et 2 LPGA).

3.              

3.1 Selon l'art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), le délai de recours est de trente jours. Il court dès le lendemain de la notification de la décision (art. 17 al. 1 et 62 al. 3 LPA).

Selon une jurisprudence bien établie, les communications des autorités sont soumises au principe de la réception. Il suffit qu'elles soient placées dans la sphère de puissance de leur destinataire et que celui-ci soit à même d'en prendre connaissance pour admettre qu'elles ont été valablement notifiées (ATF 144 IV 57 consid. 2.3.2 ; 142 III 599 consid. 2.4.1 ; 122 I 139 consid. 1).

À l'instar d'une boîte postale (ATF 142 V 389 consid. 2.2 ; arrêt 8C_696/2018 précité consid. 3.3 et les références), il y a lieu d'assimiler l'automate « MyPost 24 » à un bureau de poste suisse, à charge, le cas échéant, pour l'expéditeur de prouver que le délai a été observé (arrêt du Tribunal fédéral 5A_972/2018 du 5 février 2019 consid. 4.1). Le justiciable tenu de respecter un délai de recours doit prendre les précautions nécessaires dans l'éventualité d'une panne informatique, technique ou électrique des moyens qu’il utilise (arrêt du Tribunal fédéral 1C_811/2013 du 13 novembre 2013 consid. 1.3).

3.2 En l’espèce, le pli contenant la décision de l’OCE a été notifié à la recourante le 24 février 2022. Le dernier jour du délai était ainsi le samedi 26 mars 2022, reporté au lundi 28 mars 2022. Partant, en déposant le recours dans l’automate le 28 mars 2022, et en recevant quittance de son envoi, la recourante pouvait raisonnablement partir du principe qu’il serait acheminé comme s’il avait été posté dans une boîte aux lettres ordinaire. Les documents qu’elle a joint à ses déterminations emportent la conviction, de sorte qu’il faut considérer que le recours a été déposé dans le délai de 30 jours à compter de la date de réception de la décision litigieuse. 

Le recours respectant également la forme prévue par la loi, il est recevable.

4.             Le litige porte sur le droit de la recourante à des indemnités RHT pour la période allant du 29 décembre 2021 au 18 janvier 2022.

5.              

5.1 Afin de surmonter des difficultés économiques passagères, un employeur peut introduire, avec l’accord de ses employés, une RHT, voire une suspension temporaire de l’activité de son entreprise (Boris RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, ch. 1 relatif aux remarques préliminaires concernant les art. 31ss). En effet, selon l’art. 31 al. 1 let. b et d LACI, les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de RHT lorsque la perte de travail doit être prise en considération et la réduction de l’horaire de travail est vraisemblablement temporaire, et si l’on peut admettre qu’elle permettra de maintenir les emplois en question. Une perte de chiffre d’affaires ne suffit pas à entraîner une indemnisation. Encore faut-il que cette perte se traduise par une diminution des heures travaillées (cf. RUBIN, op. cit., n. 4 ad art. 32 LACI). L’indemnité s’élève à 80 % de la perte de gain prise en considération (art. 34 al. 1 LACI). L’indemnité en cas de RHT doit être avancée par l’employeur (art. 37 let. a LACI) et sera, par la suite, remboursée par la caisse de chômage à l’issue d’une procédure spécifique (art. 36 et 39 LACI), étant précisé qu’un délai d’attente de deux à trois jours doit être supporté par l’employeur (art. 32 al. 2 LACI et 50 al. 2 de l’ordonnance sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité du 31 août 1983 [ordonnance sur l’assurance-chômage, OACI - RS 837.02], étant précisé que l’art. 50 al. 2 OACI a été supprimé temporairement en raison de la pandémie de COVID-19).

5.2 Le but de l’indemnité en cas de RHT consiste, d’une part, à garantir aux personnes assurées une compensation appropriée pour les pertes de salaire dues à des réductions de temps de travail et à éviter le chômage complet, à savoir des licenciements et résiliations de contrats de travail. D’autre part, l’indemnité en cas de RHT vise au maintien de places de travail dans l’intérêt tant des travailleurs que des employeurs, en offrant la possibilité de conserver un appareil de production intact au-delà de la période de réduction de l’horaire de travail (ATF 121 V 371 consid. 3a).

5.3 Une perte de travail est prise en considération lorsqu’elle est due, entre autres conditions, à des facteurs économiques et qu’elle est inévitable (art. 32 al. 1 let. a LACI). Ces conditions sont cumulatives (ATF 121 V 371 consid. 2a). Le recul de la demande des biens ou des services normalement proposés par l’entreprise concernée est caractéristique pour apprécier l’existence d’un facteur économique (DTA 1985 p. 109 c. 3a).

L’art. 32 al. 3 phr. 1 prévoit en outre que pour les cas de rigueur, le Conseil fédéral règle la prise en considération de pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, à des pertes de clientèle dues aux conditions météorologiques où à d’autres circonstances non imputables à l’employeur. L’art. 51 OACI concrétise l’art. 32 al. 3 LACI en énumérant, à son al. 2, de façon non exhaustive (cf. ATF 128 V 305 consid. 4), différentes situations (notamment des mesures d’autorités) permettant de prendre en considération une perte de travail : interdiction d’importer ou d’exporter des matières premières ou des marchandises (let. a) ; contingentement des matières premières ou des produits d’exploitation, y compris les combustibles (let. b) ; restrictions de transport ou fermeture des voies d’accès (let. c) ; interruptions de longue durée ou restrictions notables de l’approvisionnement en énergie (let. d) ; dégâts causés par les forces de la nature (let. e). L’art. 51 al. 4 OACI précise encore que la perte de travail causée par un dommage n’est pas prise en considération tant qu’elle est couverte par une assurance privée.

5.4 Les pertes de travail au sens de l’art. 51 OACI ne peuvent toutefois être prises en considération que si l’employeur ne peut les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou s’il ne peut faire répondre un tiers du dommage (cf. art. 51 al. 1 OACI ; RUBIN, op. cit., n. 15 et 18 ad art. 32 LACI et les références citées). Cette condition est l’expression de l’obligation de diminuer le dommage voulant que l’employeur prenne toutes les mesures raisonnables pour éviter la perte de travail. La caisse niera le droit à l’indemnité uniquement si des raisons concrètes et suffisantes démontrent que la perte de travail aurait pu être évitée et s’il existe des mesures que l’employeur a omis de prendre (ATF 111 V 379 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 218/02 du 22 novembre 2002 consid. 2 ; Bulletin LACI RHT du SECO, état au 1er janvier 2021, C3 et C4).

La seule présence d’un motif de prise en considération de la perte de travail au sens des art. 31 et 32 LACI n’est pas suffisante pour conduire à une indemnisation. Lorsque la perte de travail est due à l’un des motifs de l’art. 33 LACI, l’indemnisation est exclue. Ainsi, lorsqu’en plus des mesures prises par les autorités ou des circonstances indépendantes de la volonté de l’employeur au sens de l’art. 51 al. 1 OACI, l’une des conditions de l’art. 33 LACI est réalisée, par exemple en présence d’un risque normal d’exploitation, l’indemnisation est exclue (RUBIN, op. cit., n. 18 ad art. 32 LACI et n. 4 ad art. 33 LACI et les références citées, notamment ATF 138 V 333 consid. 3.2 et ATF 128 V 305 consid. 4a).

Selon la jurisprudence, doivent être considérés comme des risques normaux d’exploitation au sens de l’art. 33 al. 1 let. a LACI les pertes de travail habituelles, c’est-à-dire celles qui, d’après l’expérience de la vie, surviennent périodiquement et qui, par conséquent, peuvent faire l’objet de calculs prévisionnels. Les pertes de travail susceptibles de toucher chaque employeur sont des circonstances inhérentes aux risques d’exploitation généralement assumés par une entreprise. Ce n’est que lorsqu’elles présentent un caractère exceptionnel ou extraordinaire qu’elles ouvrent droit à une indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail. La question du risque d’exploitation ne saurait par ailleurs être tranchée de manière identique pour tous les genres d’entreprises, ce risque devant au contraire être apprécié dans chaque cas particulier, compte tenu de toutes les circonstances liées à l’activité spécifique de l’exploitation en cause (ATF 119 V 498 consid. 1 ; cf. aussi RUBIN, op. cit., n. 10 ad art. 33 LACI et les références citées).

Les pertes de travail liées aux risques économiques ordinaires, tels que le risque commercial, le risque de baisse de compétitivité par rapport à la concurrence, ou le risque de ne pas se voir attribuer un marché public, ne sont pas indemnisables. Dans le domaine de la construction, des délais d’exécution reportés à la demande du maître de l’ouvrage et des annulations de travaux en raison de l’insolvabilité de ce dernier ou à cause d’une procédure d’opposition ne représentent pas des circonstances exceptionnelles. De telles circonstances constituent dès lors des risques normaux d’exploitation. Pour une entreprise qui traite essentiellement avec un seul client important, la perte de ce client ou la perspective certaine d’une réduction des mandats constitue également une circonstance inhérente aux risques normaux d’exploitation (cf. RUBIN, op. cit., n. 13 et 16 ad art. 33 LACI et les références citées, notamment DTA 1998 consid. 1 p. 292).

5.5 Selon la directive du SECO 2020/15 du 30 octobre 2020, sur l’actualisation « des règles spéciales dues à la pandémie », du fait de sa soudaineté, de son ampleur et de sa gravité, une pandémie n’est pas un risque normal d’exploitation à la charge de l’employeur, au sens de l’art. 33 al. 1 let. a LACI, même si dans certaines circonstances elle est susceptible de toucher tout employeur. Les pertes de travail résultant d’un recul de la demande de biens et de services pour ce motif peuvent dès lors être pris en considération en application de l’art. 32 al. 1 let. a LACI. Toutefois, l’employeur doit démontrer de manière crédible que les interruptions de travail attendues dans son entreprise sont attribuables à l’apparition de la pandémie. Il ne suffit pas simplement de mentionner la pandémie comme justification (ch. 2.2).

Selon le ch. 2.3, les mesures prises par les autorités en raison de la pandémie sont à considérer comme des circonstances extraordinaires, de sorte que les pertes de travail occasionnées par de telles mesures entrent dans le cadre de la réglementation spéciales des art. 32 al. 3 LACI et 51 OAI. Cela s’applique également aux mesures qui ne concernent que certaines branches ou secteurs économiques, ainsi qu’aux mesures ordonnées par les autorités cantonales ou communales. Les pertes de travail non imputables à l’employeur telles que par exemple celles qui sont dues à l’impossibilité pour les travailleurs de se rendre sur le lieu de travail peuvent être prises en considérations. Les pertes de travail qui résultent du comportement fautif de l’employeur ne sont en revanche pas prises en considération (art. 51 al. 3 OACI).

Selon le ch. 2.5, dans le cadre du déconfinement progressif, la plupart du temps, la justification en raison des mesures prises par les autorités devient caduque. L’activité doit reprendre normalement dès que cela est possible. Cette condition est l’expression de l’obligation de diminuer le dommage.

Lorsque l’entreprise ne peut remettre au travail qu’une partie de ses employés, en raisons des mesures sanitaires qui persistent, elle a droit à l’indemnité en cas de RHT pour la perte de travail des travailleurs partiellement ou totalement inoccupés si les autres conditions du droit sont réalisées. Dans ce cas, la perte de travail à prendre en considération reste consécutive aux mesures prises par les autorités et l’art. 32 al. 3 LACI en relation avec l’art. 51 OACI s’applique.

5.6  

5.6.1 En raison de la propagation de la COVID-19, le Conseil fédéral a, le 28 février 2020, qualifié la situation prévalant en Suisse de « situation particulière » au sens de l’art. 6 al. 2 let. b de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme du 28 septembre 2012 (loi sur les épidémies ; LEp - RS 818.101). Sur cette base, le Conseil fédéral a arrêté l’ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 28 février 2020 (RS 818.101.24 ; RO 2020 573) puis l’ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 13 mars 2020 (Ordonnance 2 COVID-19 ; RS 818.101.24 ; RO 2020 773) qui interdisait les manifestations publiques ou privées accueillant simultanément cent personnes (art. 6 al. 1) et qui limitait l’accueil dans les restaurants, les bars, les discothèques et les boîtes de nuit à cinquante personnes (art. 6 al. 2). Après avoir qualifié la situation en Suisse de « situation extraordinaire » au sens de l’art. 7 LEp, le Conseil fédéral a procédé à des modifications de cette ordonnance, notamment en interdisant toutes les manifestations publiques ou privées et en ordonnant la fermeture des magasins, des marchés, des restaurants, des bars, des discothèques, des boîtes de nuit et des salons érotiques (art. 6 al. 1 et 2). Cette modification est entrée en vigueur le 17 mars 2020 (RO 2020 783).

5.6.2 Le Conseil fédéral a adapté son ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre l’épidémie de COVID-19 en situation particulière (Ordonnance COVID-19 situation particulière) à plusieurs reprises par la suite.

Dans son ordonnance adaptée le 17 décembre 2021, soit celle utile à la résolution du présent litige, le Conseil fédéral a ordonné, à l’art. 12 al. 1, que les établissements de restauration, les bars et les boîtes de nuit dans lesquels la consommation a lieu sur place sont soumis aux règles suivantes: a. les exploitants doivent limiter l’accès à l’intérieur aux personnes disposant d’un certificat de vaccination ou de guérison; ils doivent veiller à garantir une aération efficace des locaux; les clients ont l’obligation de s’asseoir, sauf si l’accès est limité aux seules personnes disposant à la fois d’un certificat de vaccination ou de guérison et d’un certificat de test; b. les exploitants peuvent limiter l’accès à l’extérieur aux personnes disposant d’un certificat de vaccination, de guérison ou de test ou imposer des restrictions d’accès plus strictes; si un exploitant ne prévoit pas de limiter l’accès à l’extérieur, la distance requise entre les groupes doit être respectée ou des séparations efficaces doivent être installées; c. si l’espace extérieur d’un établissement de restauration, d’un bar ou d’une boîte de nuit se trouve sur le site d’une manifestation à laquelle l’accès est limité, cette restriction d’accès s’applique aussi à l’espace extérieur de l’établissement de restauration, du bar ou de la boîte de nuit. Selon son art. 13 al. 1, les discothèques et les salles de danse doivent limiter l’accès aux personnes disposant à la fois d’un certificat de vaccination ou de guérison et d’un certificat de test. Elles doivent en outre collecter les coordonnées des clients.

Les jeunes de moins de 16 ans ne sont pas concernés par cette mesure et les personnes dont la vaccination, la vaccination de rappel ou la guérison date de moins de 4 mois sont exemptés de l’obligation de se faire dépister.

5.6.3 Sur le plan cantonal, le Conseil d’État a adopté, le 1er novembre 2020, l’arrêté d’application de l’ordonnance COVID-19 situation particulière et sur les mesures de protection de la population (ci-après : l’arrêté COVID-19), publié dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après FAO) du 2 novembre 2020, qui, à son art. 11 al. 1 let. d, ordonnait la fermeture des installations et établissements offrant des consommations, notamment bars, cafés-restaurants, cafeterias, buvettes et établissements assimilés ouverts au public. Selon l’al. 2 de cette disposition, faisaient exception à l’obligation de fermeture résultant de l’al. 1 les magasins d’alimentation et autres points de vente et étals de marchés qui vendaient des denrées alimentaires ou des biens de consommation courante. Cet arrêté est entré en vigueur le 2 novembre 2020.

Dès le 18 novembre 2020, les établissements de remise en forme et de bien-être ont été fermés (art. 11 al. 1 de l’arrêté du 18 novembre 2020 du Conseil d’État modifiant l’arrêté précité) et les personnes exerçant un service impliquant un contact physique avec la clientèle ont dû mettre en œuvre les mesures de protection (art. 14 de la version consolidée, état au 21 novembre 2020, de l’arrêté d’application de l’ordonnance fédérale sur les mesures destinées à lutter contre l’épidémie de COVID-19 en situation particulière du 19 juin 2020 et sur les mesures de protections de la population), soit recevoir les clients ou les patients uniquement sur rendez-vous, éviter un contact entre ceux-ci et prévoir une distance d’au moins 1 m 50 entre eux (selon l’annexe 1).

Le 7 décembre 2020, publié dans la FAO du même jour, le Conseil d’État a abrogé l’art. 11 al. 1 let. d de l’arrêté COVID-19 avec effet au 10 décembre 2020 (art. 2 al. 2 de l’arrêté du Conseil d’État du 7 décembre 2020).

6.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible ; la vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n'entrent raisonnablement en considération (ATF 139 V 176 consid. 5.3 et les références). Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 360 consid. 5b; 125 V 195 consid. 2 et les références; cf. ATF 130 III 324 consid. 3.2 et 3.3). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

7.             La procédure est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge. Mais ce principe n’est pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire (art. 61 let. c LPGA). Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (ATF 125 V 195 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 I 183 consid. 3.2). Le devoir du juge de constater les faits pertinents ne dispense donc pas les parties de collaborer à l’administration des preuves en donnant des indications sur les faits de la cause ou en désignant des moyens de preuve (ATF 130 I 184 consid. 3.2 ; ATF 128 III 411 consid. 3.2).

Autrement dit, si la maxime inquisitoire dispense les parties de l’obligation de prouver, elle ne les libère pas du fardeau de la preuve. En cas d’absence de preuve, c’est à la partie qui voulait en déduire un droit d’en supporter les conséquences (ATF 117 V 264 consid. 3), sauf si l’impossibilité de prouver un fait peut être imputée à son adverse partie (ATF 124 V 375 consid. 3). En matière d'indemnités de chômage, l'assuré supporte les conséquences de l'absence de preuve en ce qui concerne la remise des pièces nécessaires pour faire valoir le droit à l'indemnité, notamment la liste de recherches d'emploi (cf. arrêt C 294/99 du 14 décembre 1999 consid. 2a, in DTA 2000 n o 25 p. 122; cf. aussi arrêt 8C 427/2010 du 25 août 2010 consid. 5.1 ; arrêt du 29 juillet 2013 8C 591/2012).  

8.             En l’espèce, la recourante soutient avoir été contrainte de fermer son établissement pour la période du 20 décembre 2021 au 18 janvier 2022, à la suite des mesures prises par le Conseil fédéral le 17 décembre 2021 et demande à pouvoir bénéficier de l’indemnité RHT pour cette période.

Elle fait valoir une perte de travail inévitable du fait de l’introduction de la règle de la 2G+, qui limitait la fréquentation de son établissement aux personnes pouvant présenter un certificat de vaccination ou de guérison et un test négatif, cette perte de travail s’étant avérée pour plusieurs établissements qui étaient restés ouverts durant la période concernée.

Les mesures prises par le Conseil fédéral à compter du 20 décembre 2020 ne contraignaient certes pas la recourante à fermer son établissement mais étaient de nature à dissuader les clients de fréquenter les établissements, tels celui qu’elle exploite.

Si la recourante n’a pas produit de carnet de réservation/annulation pour la période concernée, ni les résultats financiers de cette période et leur pendant pour les deux années précédentes permettant de constater les coûts fixes et variables et les recettes engendrées, comme requis par la chambre de céans, elle a produit avec sa demande un document indiquant les chiffres d’affaires pour les années 2019, 2021 et 2021 qui fait état d’un chiffre d’affaires de CHF 16'211.07 pour le mois de décembre 2020, contre CHF 48'385.10 pour le même mois de l’année précédente et CHF 26'629.10 l’année suivante, et CHF 256.27 pour le mois de janvier 2021 contre CHF 22'617.- pour janvier 2019 et CHF 39'084.90 pour janvier 2020.

Néanmoins, ces éléments ne sont pas suffisants pour étayer sa position.

Ce seul document ne constitue en effet pas une pièce comptable. Il appartenait à la recourante, qui y avait été dûment invitée, dans un délai qui avait été prolongé pour ce faire, de produire les pièces de la comptabilité, qu’elle a l’obligation de tenir, permettant de constater tant une baisse de son chiffre d’affaires que le fait que les coûts en cas d’ouverture de l’établissement auraient été substantiellement plus élevés qu’en cas de fermeture.

A cela s’ajoute qu’elle ne documente pas non plus avoir procédé à des adaptations de ses activités et au sein de son personnel, afin de réduire son dommage. Elle n’a ainsi pas diminué son effectif depuis le début de la pandémie et elle ne démontre pas avoir pris de mesures en lien avec les services qu’elle offre, susceptibles d’éviter les pertes et sauvegarder les emplois. Il ne saurait donc être retenu qu’elle aurait pris les mesures adéquates pour éviter au maximum le recours à l’assurance chômage.

Dans ces circonstances, force est de constater que la recourante n’a ni démontré avoir subi une perte de travail pour la période pour laquelle elle prétend à l’octroi d’une indemnité RHT, ni qu’elle a respecté son obligation de réduire son dommage.

C’est donc à raison que l’intimé lui a refusé l’indemnité RHT.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté et la décision attaquée confirmée.

9.             Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA en lien avec l'art. 1 al. 1 LACI).

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Stefanie FELLER

 

La présidente

 

 

 

 

Fabienne MICHON RIEBEN

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d’Etat à l’économie par le greffe le