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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/238/2023

ATAS/707/2023 du 20.09.2023 ( LAMAL ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/238/2023 ATAS/707/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 20 septembre 2023

Chambre 4

 

En la cause

A______

représenté par Me Marie-Josée COSTA, avocate

 

 

recourant

 

contre

ASSURA-BASIS SA

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’intéressé ou le recourant), ressortissant géorgien né le ______1982, est entré en Suisse en décembre 2018 et y a déposé une demande d’asile.

b. Attribué au canton de Genève par le Secrétariat d’État aux migrations (ci-après : le SEM), l’intéressé a adressé, en date du 15 février 2019, une demande d’affiliation pour l’assurance obligatoire des soins (ci-après : l’AOS) auprès d’ASSURA BASIS SA (ci-après : l’assurance ou l’intimée).

c. Le 4 mars 2019, l’assurance a affilié l’intéressé avec effet au 1er décembre 2018 (police 2327955).

d. Par décision du 29 août 2019, l’assurance a annulé l’affiliation avec effet rétroactif. Il ressortait d’un courrier que le SEM lui avait adressé le 22 août 2019 que les motifs avancés par l’intéressé à l’appui de la demande d’asile portaient uniquement sur des aspects médicaux déjà connus en Géorgie et donc sur la poursuite du traitement en Suisse. Dès lors, selon l’assurance, il n’existait pas un droit à l’affiliation à l’AOS, le séjour en Suisse ayant pour but de s’y faire soigner.

e. Cette décision ayant été confirmée par l’assurance le 31 octobre 2019, suite à l’opposition de l’intéressé, celui-ci a recouru contre le refus d’affiliation auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la CJCAS ou la chambre de céans) le 3 décembre 2019.

f. Le SEM a admis provisoirement l’intéressé par décision du 29 mai 2020, l’exécution du renvoi n’étant pas exigible « du fait de certaines particularités de sa situation ».

g. Le 17 juillet 2020, l’intéressé a retiré son recours du 3 décembre 2019, ce dont la chambre de céans a pris acte par arrêt du 24 août 2020 (ATAS/675/2020).

B. a. Le 31 mai 2022, la société B______ (ci-après : B______) a adressé à l’assurance une nouvelle demande d’affiliation pour l’intéressé, avec effet rétroactif au 1er décembre 2018. B______ considérait que le refus d’affiliation du 29 août 2019 n’était pas juridiquement fondé et qu’il convenait de l’assurer dès la date de dépôt de sa demande d’asile.

b. Par courrier du 22 juillet 2022, l’assurance a refusé la demande d’affiliation rétroactive, sa décision sur opposition du 31 octobre 2019 étant entrée en force suite au retrait de son recours par l’intéressé.

c. Le 7 septembre 2022, par l’intermédiaire de son avocate, l’intéressé a invité l’assurance à revoir sa position et à l’affilier dès le 1er décembre 2018, les personnes admises à titre provisoire devant être assurées à l’AOS, conformément à une jurisprudence récente de la CJCAS. Il a en outre relevé que l’assurance avait violé son obligation d’information et de bonne foi envers ses assurés.

d. Par décision du 27 septembre 2022, l’assurance a rappelé que la décision du 31 octobre 2019 était entrée en force et que les conditions d’une révision ou d’une reconsidération n’étaient pas réunies. L’intéressé n’avait en outre jamais communiqué son admission provisoire dont l’assurance avait uniquement pris connaissance à réception du courrier du 7 septembre 2022. Dans ces circonstances, la demande d’affiliation devait être considérée comme tardive. Elle pouvait uniquement déployer ses effets à partir du 31 mai 2022, date de la requête de B______.

e. L’intéressé a formé opposition à l’encontre de cette décision le 27 octobre 2022, concluant à la réactivation de son assurance ou à sa réaffiliation à l’AOS avec effet au 1er décembre 2018. Il avait procédé à sa demande d’affiliation en février 2019, soit dans les trois mois suivant son arrivée en Suisse, de sorte qu’elle n’était pas tardive. En outre, le devoir d’information de l’assurance lui commandait d’informer l’intéressé, dont elle connaissait l’état de santé, de ce qu’un changement de statut, soit une admission à titre provisoire, était de nature à ouvrir en sa faveur un droit à l’affiliation, quel que soit le motif de son arrivée en Suisse. Ayant failli à son devoir à cet égard, l’assurance se devait ainsi de verser des prestations sur la base du principe de la bonne foi.

f. Par décision du 15 décembre 2022, l’assurance a rejeté l’opposition et confirmé que l’affiliation pouvait uniquement intervenir à partir du 31 mai 2022. La décision du 31 octobre 2019 était conforme au droit dans la mesure où, lorsqu’elle avait été rendue, l’intéressé n’avait pas encore fait l’objet d’une décision du SEM et était encore demandeur d’asile. En outre, il ne pouvait être reproché à l’assurance de ne pas avoir informé l’intéressé de son droit à être assuré à partir de son admission provisoire, le 29 mai 2020, dans la mesure où elle ignorait ce changement de statut jusqu’au courrier du 7 septembre 2022. L’intéressé était d’ailleurs le seul à en avoir connaissance lorsqu’il a décidé de retirer son recours, le 17 juillet 2020, ce au lieu d’informer la chambre de céans de ce fait nouveau.

C. a. L’intéressé a recouru contre cette décision le 25 janvier 2023, concluant à son annulation et à une affiliation à l’AOS dès le 1er décembre 2018, subsidiairement dès le 1er mai 2020. En substance, les griefs soulevés étaient les mêmes que ceux développés dans le cadre de l’opposition.

b. L’intimée a répondu au recours le 22 mars 2023, concluant à son rejet pour les mêmes motifs que ceux évoqués dans la décision entreprise. En particulier, il était relevé qu’on ne pouvait exiger d’une assurance qu’elle se renseigne régulièrement sur le statut des demandeurs d’asile dont la police relative à l’AOS avait été annulée. Il appartenait au recourant d’annoncer son changement de statut et non pas à l’intimée de s’en enquérir. En outre, la jurisprudence de la CJCAS évoquée par le recourant à l’appui de sa position était postérieure à l’entrée en force de la décision d’annulation de la police, de sorte qu’il ne pouvait s’en prévaloir sans violer le principe de non rétroactivité des décisions judiciaires. Au final, l’affiliation devait être considérée comme tardive et aucune violation du devoir de renseigner et de conseiller n’était réalisée. Le recourant pouvait ainsi uniquement prétendre à une affiliation à partir du 31 mai 2022.

c. Le 6 avril 2023, le recourant a persisté dans les termes et conclusions de son recours.

d. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-maladie, du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 38 al. 4 let. c, 56 et 60 LPGA ; art. 89B et 89C let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - [LPA-GE - E 5 10]).

3.             Le litige porte sur l’assujettissement du recourant à l’assurance-maladie suisse à compter du 1er décembre 2018.

4.              

4.1 L'assurance obligatoire des soins est fondée sur l'affiliation obligatoire : toute personne domiciliée en Suisse au sens des art. 23 à 26 CC (Code civil suisse du 10 décembre 1907, RS 210) est tenue de s'assurer pour les soins en cas de maladie dans les trois mois qui suivent sa prise de domicile en Suisse ou sa naissance en Suisse (art. 3 al. 1 LAMal et 1 al. 1 OAMal [ordonnance du 27 juin 1995 sur l’assurance-maladie ; RS 832.102] ; cf. également l'art. 13 al. 1 LPGA ; sur l’obligation d’assurance, cf. ATF 129 V 77 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_750/2009 du 16 juin 2010 consid. 2.1 et les références), quelle que soit sa nationalité (Gerhard EUGSTER, Krankenversicherung, in SBVR, 2016, n° 35, cité ci-après : EUGSTER).

4.2 L’art. 3 al. 3 LAMal délègue au Conseil fédéral la compétence d’étendre l’obligation de s’assurer à certaines personnes n’ayant pas de domicile en Suisse. L’art. 1 al. 2 let. c OAMal prévoit ainsi une obligation de s’assurer pour les personnes ayant déposé une demande d’asile en Suisse conformément à l’art. 18 LAsi, aux personnes qui se sont vu accorder la protection provisoire selon l'art. 66 LAsi et aux personnes pour lesquelles une admission provisoire a été décidée conformément à l’art. 83 de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l’intégration (LEtr), devenue, depuis le 1er janvier 2019, la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI - RS 142.20).

L'art. 7 al. 5 OAMal précise que « les demandeurs d’asile et les personnes à protéger sont tenus de s’assurer immédiatement après l’affectation aux cantons prévue à l’art. 27 LAsi. Les personnes admises à titre provisoire sont tenues de s’assurer immédiatement après la décision d’admission provisoire. L’assurance déploie ses effets dès le dépôt de la demande d’asile, de la décision d’admission provisoire ou de l’octroi de la protection provisoire. Elle prend fin le jour pour lequel il est prouvé que l’assuré a quitté définitivement la Suisse ou à la mort de l’assuré ».

4.3 L’art. 3 al. 2 LAMal délègue la compétence au Conseil fédéral d’excepter de l’assurance obligatoire certaines catégories de personnes. Au regard du but de solidarité fixé par le législateur, les exceptions à l’obligation de s’assurer doivent être interprétées de manière stricte (ATF 129 V 77 consid. 4.2 ; voir aussi ATF 132 V 310 consid. 8.3).

Le Conseil fédéral a ainsi notamment prévu l’exception à l’obligation de s’assurer des personnes qui séjournent en Suisse dans le seul but de suivre un traitement médical ou une cure (art. 2 al. 1 let. b OAMal). Il ne s’agit pas à proprement parler d’une exception à l’obligation de s’assurer, mais d’une exclusion du droit à l’affiliation à l’assurance-maladie obligatoire : les personnes qui séjournent en Suisse en vue de s’y faire soigner n’ont pas le droit de s’affilier à l’assurance des soins obligatoire (TF 9C_546/2017 consid. 4.2 ; 9C_217/2007 du 8 avril 2008 consid. 3.2). L'art. 2 al. 1 let. b OAMal doit être compris dans le sens d'une exclusion de l'assurance obligatoire, et non pas d'une simple exception au principe de l'affiliation obligatoire (G. EUGSTER, Krankenversicherung, Schweizereisches Bundesverwaltungsrecht, Ed.: Helbing & Lichtenhahn 1998, p. 15). Une personne qui séjourne en Suisse avec l'intention de retourner à un domicile étranger immédiatement après le traitement ne doit pas être assurée (cf. jugement 9C_217/2007 du 8 avril 2008 E. 5.2.1, in : SVR 2008 KV n° 13 p. 50 ; Eugster, loc. cit. p. 453 paragraphe 155 à la fin).

Le but de l’art. 2 al. 1 let. b OAMal est d’empêcher qu’une personne qui entre en Suisse exclusivement en vue de suivre un traitement ou une cure soit assurée à l’assurance obligatoire des soins, même si elle y prend domicile à cette fin. À défaut d’une telle règle d’exclusion de l’assurance-maladie sociale, celle-ci devrait prendre en charge les prestations fournies à toute personne se rendant en Suisse pour se faire soigner et qui s’y constituerait un domicile dans ce but (arrêt du Tribunal fédéral 9C_217/2007 consid. 5.2.2).

Le séjour au sens de l’art. 2 al. 1 let. b OAMal doit être considéré comme intervenant dans le seul but de suivre un traitement médical ou une cure lorsque d’autres motifs que le but thérapeutique n’auraient pas suffi en eux-mêmes à constituer un domicile au sens des art. 23 ss CC. Ce qui est dès lors déterminant, ce n’est pas la durée du traitement thérapeutique ou du séjour en Suisse, mais le but poursuivi par le séjour, la résidence ou le domicile en Suisse. Tant que la raison exclusive en est le traitement médical ou la cure, respectivement tant qu’il n’existe pas un autre but qui justifierait à lui seul la constitution d’un domicile en Suisse, la personne est exclue de l’assurance des soins obligatoire. Savoir si une personne venue en Suisse dans le seul but de s’y faire soigner est exclue « à vie » de l’affiliation à l’assurance-maladie sociale dépend donc essentiellement du but poursuivi par la création du domicile en Suisse. Si au but thérapeutique s’ajoutent une ou plusieurs autres raisons qui justifieraient la constitution d’un domicile en Suisse, l’art. 2 al. 1 let. b OAMal n’est alors pas ou plus applicable (arrêts du Tribunal fédéral 9C_546/2017 du 30 avril 2018 consid. 4.2 ; 9C_217/2007 du 8 avril 2008 consid. 5.2.2).

4.4 Dans deux arrêts 9C_388/2019 et 9C_389/2019 du 21 avril 2020, le Tribunal fédéral a considéré que l'exclusion de l'assurance obligatoire des soins en cas de maladie prévue à l'art. 2 al. 1 let. b OAMal s'appliquait également aux personnes ayant formellement requis l'asile en Suisse, lorsque leur demande reposait uniquement sur des motifs de santé. Il n’a en revanche pas tranché la question dans le cas d’un demandeur d'asile débouté, mais admis provisoirement en Suisse, considérant qu’il n’avait pas à se prononcer sur des faits qui ne s'étaient pas encore produits au moment de la décision litigieuse qui fixe l'objet de la contestation.

La chambre de céans a examiné cette question dans un arrêt du 24 février 2022 (ATAS/165/2022) qui concernait une famille géorgienne ayant bénéficié d’une admission provisoire sur la base de l’art. 83 al. 4 LEI, leur renvoi ayant été considéré inexigible par le SEM pour des raisons de nécessité médicale. Elle a tout d’abord rappelé que quand bien même l’assurance-maladie obligatoire pour les personnes admises provisoirement est régie par les dispositions de la LAsi et de la LAMal applicables aux requérants d’asile (art. 86 al. 2 LEI), la situation des personnes admises provisoirement présente des spécificités par rapport aux requérants d'asile qui n'ont pas encore été admis provisoirement ou qui ne le seront pas. En effet, une admission provisoire n'est pas prononcée à discrétion par l'autorité compétente, mais repose sur la loi, à appliquer avec rigueur. En particulier lorsque des motifs médicaux sont invoqués à l’appui de la demande, les autorités de police des étrangers examinent non seulement l'éventuelle existence des soins médicaux nécessaires dans le pays d'origine mais aussi leurs possibilités effectives d'avoir accès à ces soins, s'ils existent dans ledit pays, et d'en assurer les frais, y compris aux plans financier, assécurologique et du réseau familial et social (cf. par exemple arrêts du Tribunal administratif fédéral E-6559/2018 précité, E-2204/2017 du 16 octobre 2017 consid. 5.6 et D-4244/2014 du 9 février 2016). Dès lors, la reconnaissance, par l'autorité compétente en matière d'asile et de police des étrangers, d'un motif valable pour une admission provisoire et donc un séjour et domicile en Suisse implique que ce séjour et domicile ne relèvent pas d'un abus combattu par l'art. 2 al. 1 let. b OAMal. L’application de cette dernière disposition n'apparaît de fait pas compatible avec l'octroi d'une admission provisoire pour nécessité médicale au sens de l'art. 83 al. 4 LEI. Raisonner autrement conduirait à priver l’admission provisoire de son but puisque son bénéficiaire ne pourrait tout simplement pas, à moins de disposer d'importantes ressources financières, être soigné en Suisse, faute de financement des soins (consid. 9.4).

En conséquence, les personnes admises provisoirement sur la base de l’art. 83 al. 4 LEI pour des motifs de nécessité médicale rendant leur renvoi de Suisse inexigible ont le droit et l’obligation de s’assurer à l'assurance-maladie selon la LAMal à compter de la date de la décision d’admission provisoire conformément à l’art. 7 al. 5 OAMal (consid. 9.5).

5.              

5.1 En l’espèce, il est établi que le recourant a déposé une demande d’asile en Suisse en décembre 2018. Il a ensuite adressé une requête d’affiliation pour l’AOS auprès de l’intimée le 15 février 2019, soit dès son attribution au canton de Genève. L’intimée ayant appris du SEM que la demande d’asile était uniquement motivée par des aspects médicaux déjà connus lors de l’entrée en Suisse (cf. courrier du SEM du 22 août 2019), elle a annulé l’affiliation (qu’elle avait initialement admise) par décision du 29 aout 2019, confirmée sur opposition le 31 octobre 2019, soit bien avant la décision d’admission provisoire intervenue le 29 mai 2020.

Dans ces circonstances, force est de constater qu’au moment déterminant de la décision sur opposition du 31 octobre 2019, le recourant était dans une situation identique à celle tranchée par le Tribunal fédéral dans les arrêts 9C_388/2019 et 9C_389/2019, soit celle d’un requérant d’asile dont la demande était motivée par des raisons d’ordre uniquement médical. C’est ainsi à juste titre que l’intimée a annulé la police d’assurance sur la base de l’exception prévue à l'art. 2 al. 1 let. b OAMal. Le recourant semble d’ailleurs l’avoir reconnu vu qu’il a retiré son recours auprès de la chambre de céans le 17 juillet 2020, soit peu après que les arrêts précités ont été rendus et que la procédure pendante par-devant la CJCAS et suspendue dans l’attente de ceux-ci, a été reprise. Comme le relève l’intimée, ce retrait a d’ailleurs entraîné l’entrée en force de sa décision sur opposition du 31 octobre 2019. Au vu de ce qui précède, il paraît quoi qu’il en soit évident que, même s’il avait été maintenu par l’intéressé, le recours aurait très vraisemblablement été rejeté. De par ses motifs d’asile, le recourant était en effet bien exclu du droit de s’affilier à l’AOS, jusqu’à la décision du SEM prononçant son admission provisoire pour raison de santé, le 29 mai 2020, soit bien après que la décision sur opposition a été rendue.

Cette exclusion implique qu’en tant qu’elles visent l’affiliation à l’AOS et la prise en charge des coûts pour la période du 1er décembre 2018 au 1er mai 2020, les conclusions principales du recours doivent être rejetées. À défaut d’un quelconque droit à être affilié, le recourant ne dispose en outre, pour cette période, d’aucun intérêt digne de protection à la constatation d’une éventuelle violation par l’intimée de son obligation de renseigner et conseiller.

5.2 Il en va autrement à partir du 29 mai 2020. Dès cette date, comme rappelé dans l’ATAS/165/2022, le recourant était tenu de s’affilier en vertu de l’art. 1 al. 2 let. c OAMal, du fait de son admission provisoire, ce même si les motifs rendant son renvoi inexigible restent d’ordre médical (consid. 9.4). L’intimée semble d’ailleurs l’admettre, tout en soulignant qu’elle n’a pas été informée du changement de statut du recourant avant sa demande d’affiliation rétroactive du 31 mai 2022. Plus de deux ans s’étant écoulé entre ces deux évènements, la demande d’affiliation devrait, selon elle, être considérée comme tardive et ne pouvoir déployer ses effets, au plus tôt, qu’à compter du jour de la demande (art. 5 al. 2 LAMal), soit le 31 mai 2022.

L'art. 7 al. 5 OAMal précisant que les personnes admises à titre provisoire sont tenues de s’assurer immédiatement après la décision d’admission provisoire, force est de constater que l’affiliation est bien tardive.

6.              

6.1 Le recourant fait toutefois valoir que la tardiveté de cette affiliation serait la conséquence de ce que l’assurance a failli à son obligation de renseigner au sens de l’art. 27 al. 2 LPGA.

6.2 Le devoir de conseil de l'assureur social au sens de l'art. 27 al. 2 LPGA comprend l'obligation d'attirer l'attention de la personne intéressée sur le fait que son comportement pourrait mettre en péril la réalisation de l'une des conditions du droit aux prestations (ATF 131 V 472 consid. 4.3).

Il s'étend non seulement aux circonstances de fait déterminantes, mais également aux circonstances de nature juridique (SVR 2007 KV n° 14 p. 53 et la référence). Son contenu dépend entièrement de la situation concrète dans laquelle se trouve l'assuré, telle qu'elle est reconnaissable pour l'administration. Aucun devoir de renseignement ou de conseil au sens de l'art. 27 LPGA n'incombe à l'institution d'assurance tant qu'elle ne peut pas, en prêtant l'attention usuelle, reconnaître que la personne assurée se trouve dans une situation dans laquelle elle risque de perdre son droit aux prestations (ATF 133 V 249 consid. 7.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_557/2010 consid. 4.1).

D'après la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronés de l'administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (a) l'autorité soit intervenue dans une situation concrète à l'égard de personnes déterminées, (b) qu'elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (c) que l'administré n'ait pas pu se rendre compte immédiatement de l'inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore qu'il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour (d) prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice, et (e) que la réglementation n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée (ATF 131 II 627 consid. 6.1 et les références citées).

Ces principes s'appliquent par analogie au défaut de renseignement, la condition (c) devant toutefois être formulée de la façon suivante : que l'administré n'ait pas eu connaissance du contenu du renseignement omis ou que ce contenu était tellement évident qu'il n'avait pas à s'attendre à une autre information (ATF 131 V 472 consid. 5; arrêt du Tribunal fédéral 8C_601/2009 du 31 mai 2010 consid. 4.2).

Découlant directement de l'art. 9 Cst. et valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 129 I 161 consid. 4.1 ; ATF 128 II 112 consid. 10b/aa ; ATF 126 II 377 consid. 3a et les arrêts cités). De la même façon, le droit à la protection de la bonne foi peut aussi être invoqué en présence, simplement, d’un comportement de l’administration susceptible d’éveiller chez l’administré une attente ou une espérance légitime (ATF 129 II 381 consid. 7.1 et les nombreuses références citées).

6.3 En substance, le recourant reproche à l’intimée de ne pas l’avoir informé de ce que, si son statut changeait et qu’il venait à être mis au bénéfice d’une admission provisoire, il disposerait alors d’un droit d’affiliation à l’AOS. Or, si cette information lui avait été communiquée, il aurait immédiatement communiqué son changement de statut et aurait ainsi été affilié dès le 29 mai 2020.

L’intimée estime qu’on ne saurait lui reprocher un tel manquement dans la mesure où, jusqu’au 31 mai 2022, elle avait uniquement été informée par le SEM de ce que la demande d’asile de l’intéressé reposait sur des motifs médicaux et qu’elle était pendante en deuxième instance par-devant le Tribunal administratif fédéral. Dans ces circonstances, elle ne saurait être tenue de renseigner le recourant sur son droit à s’affilier à l’AOS suite à un changement de statut légal qu’elle ignorait.

La chambre de céans relève cependant que si l’intimée ignorait effectivement tout de l’évolution de la demande d’asile du recourant jusqu’au 31 mai 2022, elle savait depuis le courrier du SEM du 22 août 2019 que celle-ci ne pouvait pas aboutir à l’obtention du statut de réfugié, dans la mesure où elle reposait uniquement sur des motifs médicaux. Dès lors, la procédure administrative pouvait uniquement conduire à une mesure de renvoi de Suisse ou à une admission provisoire si un tel renvoi s’avérait raisonnablement non exigible pour des raisons de santé.

Au vu de cette situation concrète, étant rappelé en outre que l’intimée avait initialement accepté l’affiliation du recourant, elle se devait, au moment d’annuler la police de son assuré et en prêtant l’attention usuelle, de reconnaître que l’information relative à l’obligation de s’affilier immédiatement à l’AOS en cas d’admission provisoire (soit l’une des deux seules issues possibles de sa procédure d’asile), était essentielle. Elle l’était d’autant plus au vu de la complexité administrative du cas, particulièrement pour un requérant d’asile nouvellement arrivé en Suisse et non assisté d’un conseil à l’époque des faits et en raison des motifs de santé évoqués à l’appui de la demande d’asile et connus de l’intimée. Cette information était ainsi cruciale pour éviter que le recourant ne se trouve dans une situation où il risquait de perdre son droit aux prestations et ne soit très possiblement pas en mesure d’assumer les coûts des soins essentiels ayant justifié son maintien en Suisse, plus concrètement l’inexigibilité de son renvoi.

Dans ces circonstances, l’intimée se devait, au moment de sa décision d’annulation de la police le 29 août 2019 déjà, de renseigner et conseiller l’intéressé sur ces éléments en vertu de l’art. 27 al. 2 LPGA (cf. ATF 133 V 249 consid. 7.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_557/2010 consid. 4.1). Son argument à teneur duquel elle ne saurait se voir opposer un tel devoir en vertu du principe de non-rétroactivité des décisions judiciaires n’est pas pertinent. En effet, si l’ATAS/165/2022 auquel il est fait référence est effectivement postérieur à la décision d’annulation de la police et à l’admission provisoire, la chambre de céans relève qu’il ne modifie pas la jurisprudence antérieure relative à la portée de l’obligation de renseigner au sens de l’art. 27 al. 2 LPGA, se contentant de la résumer.

Il découle de ce qui précède que l’intimée doit se voir reprocher un défaut d'information à l'égard du recourant - lequel était de bonne foi - et en assumer partant les conséquences, soit lui consentir un avantage contraire à l’art. 2 al. 1 let. b OAMal. Concrètement, le recourant ayant clairement manifesté, dès son arrivée en Suisse, sa volonté de s’affilier à l’AOS, il convient de retenir que si l’intimée l’avait renseigné conformément à son obligation légale, il aurait sollicité son affiliation et l’aurait obtenue dès réception de son admission provisoire. Il doit ainsi être affilié rétroactivement à cette date, soit au 29 mai 2020.

7.             Le recourant, obtenant partiellement gain de cause et étant assisté d'un conseil, a droit à des dépens qui seront fixés à CHF 2'000.- et mis à la charge de l'assureur (art. 61 let. g LPGA).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement et annule la décision du 15 décembre 2022.

3.        Dit que le recourant est assuré à l’assurance-maladie selon la LAMal auprès de l’intimée à compter du 29 mai 2020.

4.        Condamne l’intimée à verser au recourant une indemnité de CHF 2'000.- à titre de dépens.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le