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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1387/2021

ATAS/705/2023 du 20.09.2023 ( AI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1387/2021 ATAS/705/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 20 septembre 2023

Chambre 4

 

En la cause

 

A______

représentée par Me Monique STOLLER FÜLLEMANN, avocate

 

 

recourante

contre

 

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

 

intimé

 


 

EN FAIT

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée ou la recourante) est née le ______ 1968, d’origine portugaise, mariée et mère d’un enfant né le ______ 1993. Elle a travaillé du 19 novembre 2007 au 30 avril 2018 à 50% en qualité d’animatrice parascolaire pour le Groupement intercommunal pour l’animation parascolaire (ci-après : le GIAP). À ce titre, elle était couverte contre les accidents professionnels et non professionnels par la Mobilière Suisse Société d’assurances SA (ci-après : l’assurance-accidents).

b. Le 15 décembre 2012, l’assurée a chuté alors qu’elle prenait une douche dans sa baignoire et subi une contusion à l’épaule droite.

c. Dans un rapport opératoire du 16 janvier 2014 consécutif à une intervention du 15 janvier 2014, le docteur B______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, a diagnostiqué chez l’assurée une lésion de la coiffe des rotateurs droite aux dépens du tendon sous-scapulaire (type I) et du tendon sus-épineux (lésion de la face bursale), une tendinopathie du long chef du biceps, un conflit sous-acromial et une arthropathie acromio-claviculaire droite symptomatique.

d. Le 25 juin 2014, l’assurée a perdu l’équilibre et a chuté dans des escaliers en retombant sur son épaule droite.

e. Le 12 juin 2016, l’assurée a chuté en faisant son ménage, s’étant encoublée au fil de son aspirateur.

B. a. L’assurée a demandé des prestations de l’assurance-invalidité le 30 novembre 2016 à l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé), en raison d’une incapacité de travail à 100% dès le 12 juin 2016, en lien avec une opération de son épaule droite, précisant qu’elle avait eu l’épaule, le coude et le poignet cassés suite à des pertes d’équilibre. Elle avait également des problèmes au niveau de l’oreille interne.

b. Le 12 février 2017, en sortant de sa douche, l’assurée a glissé sur le carrelage et a chuté en heurtant son coude gauche contre le mur.

c. Le docteur C______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, a rendu un rapport d’expertise pour l’assurance-accidents le 4 juillet 2017, concluant que l’état de l’assurée n’était pas encore stabilisé et qu’elle ne pouvait pas encore reprendre son activité habituelle. Il fallait réévaluer son cas à l’automne 2017.

d. Le 15 septembre 2017, la docteure D______, spécialiste FMH en médecine interne oncologie-hématologie, a indiqué connaître l’assurée depuis plus de quinze ans. Cette dernière avait interrompu son suivi chez elle pour des raisons non médicales. Elle la suivait à nouveau depuis le mois de mai de manière régulière. L’aggravation récente de son état dépressif avait conduit la docteure E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, à proposer un séjour à Crans-Montana, ce qui lui paraissait approprié. Dans ce contexte de détérioration de l’état psychique par des limitations fonctionnelles somatiques pluri-étagées, aucune réorientation professionnelle ne paraissait possible pour l’instant.

e. Le Dr C______ a rendu un nouveau rapport d’expertise le 18 juillet 2018 à l’attention de l’assurance-accidents, après avoir examiné l’assurée le 13 précédent. Il a constaté une nette amélioration des éléments objectivables depuis l’expertise précédente. Les signes de Südeck avaient disparu, la mobilité s’était presque normalisée et la force s’était considérablement améliorée. On ne retrouvait aucune neuropathie objectivable. Subjectivement, il persistait cependant des tiraillements douloureux sur le pourtour de l’olécrane et de la styloïde cubitale gauche. Sur le plan non somatique, l’évolution semblait absolument stationnaire, comme si l’assurée s’enfermait dans un rôle de victime de diverses maladies invalidantes. Au niveau professionnel, il était difficile de retenir encore une exigibilité de travail diminuée en rapport avec l’accident du membre supérieur gauche, notamment dans un travail adapté. Une expertise psychiatrique et une évaluation de l’assurance-invalidité étaient vraisemblablement nécessaires.

f. Par décision du 25 juillet 2018, l’assurance-accidents a refusé de prendre en charge les atteintes psychiques de l’assurée, considérant qu’elles n’étaient pas en lien de causalité adéquate avec ses accidents des 12 juin 2016 et 22 février 2017. Elle a accepté en revanche de prendre en charge les troubles somatiques jusqu’à la fin du mois d’août 2018, sur la base des conclusions du Dr C______.

g. Selon une note de l’OAI du 26 juillet 2018, un statut mixte était admis avec une part professionnelle de 49% et une part pour les travaux habituels de 51%.

h. Dans un rapport du 23 août 2018, la Dre E______ a indiqué que l’assurée avait vraisemblablement présenté un épisode dépressif majeur avec symptômes psychotiques à l’âge de 15 ans. Elle avait pu, malgré ses troubles psychiques, assumer son travail de manière adéquate et y trouver beaucoup de satisfaction. Elle avait été très fragilisée par les accidents qui s’étaient suivis en peu de temps et par ses vertiges. Sa capacité de travail était de 0% dans son activité habituelle depuis le 12 juin 2016. Il n’y avait pas d’activité adaptée pour l’assurée, qui ne pouvait plus assumer une activité physique, n’était pas de langue maternelle française et n’avait été scolarisée que jusqu’à 12 ans. L’assurée n’arrivait plus à effectuer les tâches ménagères, qui étaient prises en charge essentiellement par son mari. Elle était stable avec des hauts et des bas qui correspondaient à la récurrence des troubles dépressifs. Elle avait un suivi sur le plan psychique et avait eu différents traitements antidépresseurs.

i. Le 15 octobre 2018, la Dre D______ a indiqué qu’en raison de ses troubles de l’équilibre, l’assurée ne pouvait pas faire de mouvements brusques ni rapides. Elle présentait par ailleurs une importante labilité émotionnelle, en rapport avec un trouble dépressif persistant, qui aggravait sa situation. Sa capacité de travail était de 0% dans toute activité.

j. L’OAI a confié une expertise de l’assurée à la docteure F______, spécialiste FMH en médecine interne générale, au docteur G______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, et à la docteure H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, du centre d’expertise SMEX SA.

Selon le rapport d’expertise du 19 août 2019, du point de vue psychiatrique, les diagnostics étaient un trouble anxieux et dépressif mixte (F41.2) et une personnalité anxieuse évitante (F60.6). L’assurée ne pouvait pas effectuer des activités émotionnellement éprouvantes. Les horaires de travail irréguliers et les activités durant la nuit étaient à proscrire. Elle devait réaliser exclusivement des activités routinières et bien structurée avec une quantité de travail et une vitesse de réalisation constantes et adaptées.

Du point de vue orthopédique, tous les mouvements étaient possibles, mais avec des douleurs (subjectif). Il n’y avait aucune atrophie musculaire au niveau des membres supérieurs, ce qui montrait que l’assurée utilisait ses deux membres supérieurs de manière normale dans la vie de tous les jours. Les plaintes actuelles, de même que les constatations, étaient identiques à celles mentionnées dans l’expertise du Dr C______ du 18 juillet 2018. Il existait des limitations fonctionnelles, mais pas d’incapacité de travail dans une activité adaptée. La charge au niveau des membres supérieurs devait être limitée à 5 kg. Les mouvements répétitifs de l’épaule gauche devaient être limités et ceux au-dessus de la ceinture scapulaire proscrits.

Du point de vue orthopédique, la capacité de travail était de 100% dans une activité adaptée depuis le 18 juillet 2018.

Du point de vue psychiatrique, la capacité de travail était de 0% dans l’activité habituelle et de 50% dans une activité adaptée depuis juin 2016. En général, avec un traitement optimal, la capacité de travail dans une activité adaptée aurait dû être de 100% dans un délai de trois mois, soit à partir d’avril 2017, de nouveau de 50% selon le rapport du 23 août 2018 avec le même diagnostic, puis de 100% trois mois plus tard, à partir de décembre 2018. En tout cas, elle était de 100% à partir de l’expertise.

Du point de vue de la médecine interne, l’assurée se plaignait de palpitations et de vertiges. Sur le plan clinique, qui était strictement normal, un surpoids était à relever avec un déconditionnement physique. Le reste de l’examen clinique était normal. Il n’était pas relevé de limitations fonctionnelles.

Du point de vue interdisciplinaire, la capacité de travail de l’assurée était de 0% dans l’activité habituelle d’animatrice scolaire et de 100% dans une activité adaptée.

Du point de vue de la médecine interne, la capacité de travail avait toujours été de 100%.

k. Dans un rapport d’enquête ménagère du 12 novembre 2019, il a été retenu pour la recourante des empêchements dans les travaux habituels de 65.40% sans exigibilité et de 34.40% avec exigibilité du 12 juin 2016 au 31 juillet 2018 (capacité de travail dans une activité adaptée 50%) et des empêchements dans les travaux habituels de 50.20% sans exigibilité et de 19.20% avec exigibilité dès le 1er décembre 2018 (capacité de travail dans une activité adaptée 100%). Une exigibilité de 31% était retenue en tenant compte du fait que l’assurée vivait sous le même toit que son époux et son fils adulte, lesquels pouvaient participer aux tâches ménagères.

l. Le 11 février 2020, la Dre D______ a contesté les conclusions de l’expertise, car l’assurée présentait un trouble dépressif récurrent et invalidant, des séquelles orthopédiques au niveau des deux membres supérieurs suite à plusieurs chutes et des vertiges. Dans ce contexte, elle peinait à concevoir une activité professionnelle tenant compte de ses limitations, ce d’autant plus que l’assurée avait été faiblement scolarisée au Portugal et qu’elle maitrisait mal le français écrit.

m. La Dre E______ a établi le 4 juin 2020 un arrêt de travail à 100% pour l’assurée dès cette date et jusqu’au 4 juillet 2020. Dans un courriel du 26 juin 2002, elle a indiqué qu’au vu de l’évolution et de l’importance du traumatisme psychique de l’assurée suite à son expérience aux Établissements publics pour l’intégration (ci-après : les ÉPI), elle n’imaginait pas que celle-ci puisse y retourner à court et moyen terme.

n. Selon un rapport établi par les ÉPI le 23 juillet 2020, l’assurée avait commencé une mesure à 50% le 2 juin 2020 comme prévu, mais avait dû l’interrompre le 4 juin suivant, en raison d’une incapacité totale de travailler.

o. Dans un rapport du 4 septembre 2020, la Dre E______ a indiqué que l’assurée était au bénéfice d’un certificat d’arrêt de travail à 100% depuis le 4 juin 2020. L’assurée avait présenté une très forte angoisse en lien avec le stage, avec des troubles de l’orientation dans le temps et l’espace, des troubles de la perception, une sensation d’irréalité, un discours abondant, digressif et parfois confus ainsi que des idées délirantes de persécution et de lecture de sa pensée. Ces symptômes s’étaient amendés en deux semaines et elle avait pu les critiquer. Elle gardait encore un sentiment de peur intense face au lieu et aux personnes fréquentées lors de ses deux jours de stage, avec des reviviscences répétées de l’évènement, des flash-back et des cauchemars. L’assurée avait une thymie dépressive, avec des troubles de la concentration et du sommeil. Elle présentait une labilité émotionnelle très marquée et une fragilité psychique qui l’avait fait surréagir au stress. Actuellement, elle faisait quelques tâches ménagères légères, puis se reposait le reste de la journée. Son mari l’aidait en préparant le repas et en faisant les courses. Elle aidait son mari à ranger après le repas du soir. Elle souffrait de ne plus assumer les tâches ménagères, car ces tâches lui revenaient dans son éducation. Les nuits étaient souvent difficiles nécessitant une longue récupération le lendemain. Elle continuait à s’occuper des affaires administratives de la famille, en particulier le règlement des factures. Elle souffrait d’un trouble dépressif récurrent épisode actuel moyen (F33.1), d’un trouble mixte de la personnalité avec traits anxieux et dépendants (F.61.0) d’un trouble psychotique aigu et transitoire avec facteur de stress associé (F23.91) et d’un état de stress post-traumatique (F43.1).

Elle avait pu, malgré ses troubles psychiques, assumer son travail de manière adéquate, mais avait ensuite été très fragilisée par ses accidents, qui s’étaient suivis en peu de temps, et par ses vertiges. Sa capacité de travail était de 0% dans son activité habituelle depuis 2016. Du fait de l’accumulation de ses handicaps aux membres supérieurs et de ses vertiges, elle craignait une chute. Elle ne pouvait plus faire son activité d’animatrice dans le parascolaire, qui demandait des capacités physiques qu’elle n’avait plus. De plus, du fait de sa fragilité physique, elle ne pouvait plus assumer la responsabilité ni le stress (un enfant qui manquait à l’appel ou qui se blessait). La Dre E______ n’imaginait pas d’activité adaptée pour l’assurée, qui ne pouvait plus faire une activité physique, qui n’était pas de langue maternelle française et qui n’avait la formation de base requise pour travailler dans un bureau.

La tentative de bilan aux ÉPI avait été un échec complet et avait mis sa santé psychique en danger. La pression qu’elle avait ressentie avec un facteur de stress intense l’avait menée à une décompensation psychique grave. Dans ces conditions, une nouvelle tentative de réadaptation professionnelle était formellement contrindiquée.

L’évolution de l’état de l’assurée était stable, avec des hauts et des bas, qui correspondaient à la récurrence des troubles dépressifs. Elle avait eu différents traitements antidépresseurs et un suivi, deux fois par semaine à une fois par quinzaine. Elle observait son traitement, ce qui était attesté par les dosages faits, étant précisé que le dernier datait de mai 2017.

p. Dans un avis du 15 octobre 2020, le service médical régional de l’assurance-invalidité (ci-après : le SMR) a considéré que le rapport final du 3 septembre 2019 restait valable. Dans son dernier rapport, la psychiatre de l’assurée décrivait des limitations fonctionnelles essentiellement somatiques et elle prenait en compte des facteurs extra-médicaux (problèmes de langue maternelle et de formation). En ce sens, elle dépassait son domaine de compétence. Le SMR relevait que l’état psychique actuel de l’assurée ne l’empêchait pas de s’occuper seule des tâches administratives de la famille et que l’aggravation psychique n’avait pas été durable, puisqu’elle s’était amendée en deux semaines sans modification du traitement, malgré le trouble psychotique rapporté.

q. Par décision du 11 mars 2021, l’OAI a octroyé à l’assurée un trois quarts de rente à partir du 1er juin 2017, puis un quart de rente dès le 1er novembre 2018. Dès le 1er mars 2019, le droit à la rente était supprimé.

L’assurée avait un statut mixte (49% pour la part professionnelle et 51% pour la part des travaux ménagers).

À l’issue du délai d’attente, soit en juin 2017, son degré d’invalidité était de 67%.

À partir du mois d’août 2018, sa capacité de travail était de 50%. Une nouvelle comparaison des gains avait été effectuée avec une perte de gain de 71.18%. Son taux d’invalidité global était de 45%, ce qui lui ouvrait le droit à un quart de rente.

Dès décembre 2018, la capacité de travail de l’assurée était de 100%. La nouvelle comparaison des gains aboutissait à un taux d’invalidité de 31% qui n’ouvrait pas de droit à une rente. En conséquence, celle-ci était supprimée dès le 1er mars 2019, soit trois mois après l’amélioration constatée en décembre 2018. Afin de mettre sa capacité de travail de 100% dans une activité adaptée en valeur, l’OAI avait confié un mandat à son service de réadaptation, qui l’avait mise au bénéfice d’une mesure d’orientation professionnelle du 2 juin au 30 août 2020. Cependant, après deux jours de mesure, elle n’avait plus pu la poursuivre en raison de son état de santé. L’OAI avait complété l’instruction médicale et à l’issue de celle-ci, il constatait que sa précédente appréciation restait inchangée, à savoir que sa capacité de travail était entière dans une activité adaptée.

C. a. L’assurée a formé recours contre la décision précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, concluant préalablement à une expertise psychologique et neurologique et principalement à ce qu’il soit tenu compte du fait qu’elle était totalement incapable de travailler à partir d’août 2018 et à l’octroi d’une rente entière d’invalidité, subsidiairement à une rente partielle.

Elle contestait le rapport d’expertise du SMEX.

b. Par réponse du 10 septembre 2021, l’intimé a conclu au rejet du recours, considérant qu’aucun élément objectif ne remettait valablement en cause l’expertise psychiatrique.

c. Le 21 octobre 2021, la recourante a répliqué.

d. La recourante a été entendue par la chambre de céans le 23 mars 2022.

e. Sur demande de la chambre de céans, le SMEX a indiqué que selon les processus en vigueur à l’époque, le résumé était sous la responsabilité du médecin chef du centre, soit le docteur I______, spécialiste FMH en médecine interne générale, et qu’aucun autre médecin, mis à part les trois experts ayant réalisé les expertises dans leur domaine de spécialisation et le Dr I______, n’avait eu accès au dossier de l’assurée ni n’était intervenu d’une quelconque manière dans l’élaboration de l’expertise.

f. Le 9 septembre 2022, la recourante a fait valoir qu’elle n’avait pas pu faire valoir des motifs de récusation contre le Dr I______ et qu’en conséquence, la décision de l’intimé devait être annulée.

g. L’intimé a relevé que la recourante n’avait produit aucun motif de récusation au sujet du Dr I______ et que sa démarche visait à exploiter un vice de forme, qui ne lui avait pas porté préjudice et qui ne pouvait invalider l’expertise médicale.

h. Par ordonnance du 10 mai 2023 (ATAS/320/2023), la chambre de céans a confié une expertise au docteur J______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. Elle a retenu que l’expertise du SMEX devait se voir reconnaître une pleine valeur probante, en tous les cas pour ce qui concernait les conclusions des experts sur les atteintes somatiques de la recourante, qui n’avait pas émis de critiques à leur sujet.

La valeur probante de l’expertise psychiatrique était remise en cause par le fait que suite à celle-ci, la recourante n’avait pas été en mesure de suivre le stage aux ÉPI qu’elle avait interrompu au bout de deux jours, pour une incapacité de travail liée à une atteinte psychiatrique, selon le rapport de la Dre E______ du 4 septembre 2020. Ce rapport était bien détaillé et il retenait que la recourante était totalement incapable de travailler.

L’intimé avait soumis ce rapport au SMR, qui avait estimé le 15 octobre 2020 que la psychiatre de la recourante décrivait des limitations fonctionnelles essentiellement somatiques et qu’elle se positionnait sur des facteurs extra-médicaux (problèmes de langue maternelle et de formation).

Si cela était exact, il fallait préciser que la Dre E______ indiquait également que la recourante avait une thymie dépressive, avec des troubles de la concentration et du sommeil et qu’elle présentait une labilité émotionnelle très marquée ainsi qu’une fragilité psychique qui l’avaient fait surréagir au stress. Par ailleurs, si selon la psychiatre les symptômes de la recourante s’étaient amendés en deux semaines, celle-ci gardait encore un sentiment de peur intense face au lieu et aux personnes fréquentées lors de ses deux jours de stage, avec des reviviscences répétées de l’évènement, des flash-back et des cauchemars.

On ne pouvait dès lors retenir, comme l’avait fait le SMR, que l’aggravation psychique de la recourante n’avait pas été durable et on pouvait, au vu du rapport de la Dre E______, sérieusement s’interroger sur sa réelle capacité à travailler, en raison de son atteinte psychique. Le fait que la recourante se soit sentie mieux relativement rapidement une fois le stage interrompu et qu’elle soit restée capable de s’occuper des affaires administratives de sa famille ne permettait pas de retenir qu’elle était capable de supporter la pression d’une activité professionnelle.

Il en ressort que l’avis du SMR du 15 octobre 2020 ne suffisait pas à écarter les doutes sur la capacité de travail de la recourante suscités par l’échec du stage et le rapport de la Dre E______ du 4 septembre 2020. Dans ces circonstances, l’intimé aurait dû demander un complément de rapport à l’experte psychiatre du SMEX.

Comme l’avait relevé l’intimé, il semble étonnant qu’un stage aux ÉPI permette de poser le diagnostic d’état de stress post-traumatique. Cela étant, il apparaissait suffisamment vraisemblable que ce stage ait pu impacter de façon importante la santé psychique de la recourante, au vu des constats faits par les ÉPI et la Dre E______, pour justifier une nouvelle appréciation de son cas sur ce plan.

Contrairement à ce qu’avait fait valoir le SMR dans son rapport du 18 mai 2021, la Dre E______ mentionnait une aggravation de l’état de santé psychique de la recourante depuis février 2021, soit avant la décision querellée du 11 mars 2021.

Le rapport établi le 18 mai 2021 par la Dre E______ pouvait être pris en compte même s’il était postérieur à la décision querellée, car il avait trait à la situation antérieure à cette date (cf. ATF 99 V 98 consid. 4 et les arrêts cités; arrêt du Tribunal fédéral 9C_259/2018 du 25 juillet 2018 consid. 4.2). Il ressortait de ce rapport que l’experte psychiatre du SMEX avait pu mal évaluer l’atteinte psychique de la recourante, dès lors qu’elle ne l’avait entendue que pendant une heure et que celle-ci ne présentait peut-être pas d’éléments de la lignée dépressive au moment de l’évaluation, ce qui pouvait donner une fausse impression de son état psychique, étant rappelé que sa psychiatre avait justifié le 8 juillet 2021 son diagnostic de trouble dépressif récurrent par le fait que la recourante avait eu plusieurs épisodes dépressifs (2002, 2008, 2013, 2016 et 2021).

Le rapport de l’experte psychiatre apparaissait en outre contradictoire dans la mesure où elle indiquait n’avoir pas constaté lors de l’expertise des symptômes en relation avec une humeur dépressive, une diminution de l’intérêt, une attitude morose et pessimiste ou des idées suicidaires, excluant ainsi le diagnostic de trouble dépressif récurrent épisode actuel moyen (F33.1), alors qu’elle retenait ensuite le diagnostic de trouble anxieux et dépressif mixte (F41.2), au motif que l’assurée présentait des symptômes anxieux et dépressifs, avec une agitation fébrile, une logorrhée, une incapacité à se détendre et des troubles de la concentration, sans discussion des diagnostics différentiels (p. 33 et 34 de l’expertise).

De plus, l’experte avait constaté un désaccord entre les propos et intentions de la recourante et son psychiatre au sujet d’un retour au travail, la première indiquant souhaiter retourner au parascolaire même si sa psychiatre pensait qu’elle ne pouvait pas travailler. Or, précédemment, l’experte avait mentionné que la recourante avait indiqué qu’elle aimerait retourner travailler comme animatrice scolaire, mais qu’elle ne pouvait plus exercer ce métier, car la fragilité de son épaule l’empêchait d’assurer la sécurité des enfants. L’experte avait ainsi fait un constat erroné.

Il en résulte que le rapport de l’experte psychiatre ne pouvait se voir reconnaître une pleine valeur probante. 

i. Dans son rapport du 31 juillet 2023, le Dr J______ a retenu les diagnostics de :

-          trouble panique (F41.0), atteinte de gravité moyenne à sévère depuis juin 2020  ;

-          trouble mixte de la personnalité (F61), atteinte de gravité moyenne présente depuis l’adolescence ;

-          dysthymie (F34.1), atteinte de gravité légère à moyenne, présente depuis plusieurs années ;

-          syndrome douloureux somatoforme persistant (F45.4) atteinte de gravité légère à moyenne présente depuis plusieurs années ;

-          trouble dépressif récurrent, actuellement en rémission (F33.4), atteinte actuellement sans répercussions fonctionnelles, mais constituant un facteur de risque, présente depuis l’adolescence.

L’expert a conclu que la capacité de travail de la recourante était nulle dans toute activité depuis juin 2020.

j. L’intimé a considéré que l’expertise judiciaire était convaincante et qu’il fallait retenir une aggravation de l’état de santé de la recourante depuis juin 2020.

k. La recourante a également estimé que l’expertise judiciaire était convaincante. Selon les conclusions de l’expertise qui concernait exclusivement les conséquences des atteintes psychiatriques, l’incapacité dans l’activité ménagère était de 50% dès juin 2017 et l’incapacité de travail était de 100% dès juin 2020. Il en ressortait que dès juin 2017, la recourante avait droit à une rente entière d’invalidité, sur la base d’un degré d’invalidité de 74.50 % (soit 49% dans la sphère professionnelle et 25.50% dans la sphère ménagère) au lieu du trois quarts de rente accordé dans la décision querellée sur la base d’un degré d’invalidité de 66.54 %, ceci au moins jusqu’au 31 octobre 2018.

À partir du 1er novembre 2018 et jusqu’au 31 mai 2020, la question de la capacité de travail et de l’influence des atteintes physiques combinées aux atteintes psychiques dans la sphère ménagère ne pouvait être tranchée sans une expertise somatique.

Pour la période du 1er novembre 2018 au 28 février 2019, la recourante avait droit au minimum à un trois quarts de rente fondé sur la base d’une invalidité de 60.38% (34.88% dans la sphère professionnelle et 25.50% dans la sphère ménagère) au lieu du quart de rente accordé dans la décision de base sur un degré d’invalidité de 44.67%.

Pour la période du 1er mars 2019 au 31 mai 2020, le degré d’invalidité était d’au minimum 46.26% (22.76% dans la sphère professionnelle et 25.50% dans la sphère ménagère), sans compter les atteintes physiques.

Dès juin 2020, la recourante avait droit à une rente entière d’invalidité sur la base d’un degré d’invalidité de 74.50 % (soit 49 % dans la sphère professionnelle et 25.50 % dans la sphère ménagère).

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

3.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

4.             Le litige porte sur le droit de la recourante à une rente d’invalidité.

5.              

5.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois-quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28a al. 1 LAI).

Il y a lieu de préciser que selon la jurisprudence, la notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale ; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).

En vertu des art. 28 al. 1 et 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à la date dès laquelle l’assuré a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne pendant une année sans interruption notable et qu’au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins, mais au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA. Selon l’art. 29 al. 3 LAI, la rente est versée dès le début du mois au cours duquel le droit prend naissance.

5.2  

5.2.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V 165 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

En 2017, le Tribunal fédéral a modifié sa pratique lors de l'examen du droit à une rente d'invalidité en cas de troubles psychiques. La jurisprudence développée pour les troubles somatoformes douloureux, selon laquelle il y a lieu d'examiner la capacité de travail et la capacité fonctionnelle de la personne concernée dans le cadre d'une procédure structurée d'administration des preuves à l'aide d'indicateurs (ATF 141 V 281), s'applique dorénavant à toutes les maladies psychiques. En effet, celles-ci ne peuvent en principe être déterminées ou prouvées sur la base de critères objectifs que de manière limitée. La question des effets fonctionnels d'un trouble doit dès lors être au centre. La preuve d'une invalidité ouvrant le droit à une rente ne peut en principe être considérée comme rapportée que lorsqu'il existe une cohérence au niveau des limitations dans tous les domaines de la vie. Si ce n'est pas le cas, la preuve d'une limitation de la capacité de travail invalidante n'est pas rapportée et l'absence de preuve doit être supportée par la personne concernée (ATF 143 V 409 consid. 4.5 et ATF 143 V 418 consid. 6 et 7).

Même si un trouble psychique, pris séparément, n'est pas invalidant en application de la nouvelle jurisprudence, il doit être pris en considération dans l'appréciation globale de la capacité de travail, qui tient compte des effets réciproques des différentes atteintes. Ainsi, une dysthymie, prise séparément, n'est pas invalidante, mais peut l'être lorsqu'elle est accompagnée d’un trouble de la personnalité notable. Par conséquent, indépendamment de leurs diagnostics, les troubles psychiques entrent déjà en considération en tant que comorbidité importante du point de vue juridique si, dans le cas concret, on doit leur attribuer un effet limitatif sur les ressources (ATF 143 V 418 consid. 8.1).

5.2.2 Il convient dorénavant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs limitant les capacités fonctionnelles et, d'autre part, les potentiels de compensation (ressources), à l’aide des indicateurs developpés par le Tribunal fédéral suivants :

Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic. Il doit être rendu vraisemblable compte tenu de l’étiologie et de la pathogenèse de la pathologie déterminante pour le diagnostic. Les constatations relatives aux manifestations concrètes de l’atteinte à la santé diagnostiquée permettent de distinguer les limitations fonctionnelles causées par cette atteinte de celles dues à des facteurs non assurés.

Il convient encore d'examiner le succès du traitement et de la réadaptation ou la résistance à ces derniers. Ce critère est un indicateur important pour apprécier le degré de gravité. L’échec définitif d’un traitement indiqué, réalisé lege artis sur un assuré qui coopère de manière optimale, permet de conclure à un pronostic négatif. Si le traitement ne correspond pas ou plus aux connaissances médicales actuelles ou paraît inapproprié dans le cas d’espèce, on ne peut rien en déduire s’agissant du degré de gravité de la pathologie. Les troubles psychiques sont invalidants lorsqu'ils sont graves et ne peuvent pas ou plus être traités médicalement. Des déductions sur le degré de gravité d’une atteinte à la santé peuvent être tirées non seulement du traitement médical mais aussi de la réadaptation.

La comorbidité psychique ne doit être prise en considération qu’en fonction de son importance concrète dans le cas d’espèce, par exemple pour juger si elle prive l’assuré de ressources. Il est nécessaire de procéder à une approche globale de l’influence du trouble psychique avec l’ensemble des pathologies concomitantes. Un trouble qui, selon la jurisprudence, ne peut pas être invalidant en tant que tel n’est pas une comorbidité, mais doit à la rigueur être pris en considération dans le cadre du diagnostic de la personnalité.

Il convient ensuite d'accorder une importance accrue au complexe de personnalité de l’assuré (développement et structure de la personnalité, fonctions psychiques fondamentales). Le concept de ce qu’on appelle les « fonctions complexes du Moi » (conscience de soi et de l’autre, appréhension de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation) entre aussi en considération. Comme les diagnostics relevant des troubles de la personnalité sont, plus que d’autres indicateurs, dépendants du médecin examinateur, les exigences de motivation sont particulièrement élevées.

Si des difficultés sociales ont directement des conséquences fonctionnelles négatives, elles ne doivent pas être prises en considération. En revanche, le contexte de vie de l’assuré peut lui procurer des ressources mobilisables, par exemple par le biais de son réseau social. Il faut s’assurer qu’une incapacité de travail pour des raisons de santé ne se confond pas avec le chômage non assuré ou avec d’autres difficultés de vie.

Il s’agit, encore, de se demander si l’atteinte à la santé limite l’assuré de manière semblable dans son activité professionnelle ou dans l’exécution de ses travaux habituels et dans les autres activités (par exemple, les loisirs). Le critère du retrait social se réfère non seulement aux limitations mais également aux ressources de l’assuré et à sa capacité à les mobiliser. Dans la mesure du possible, il convient de comparer le niveau d’activité sociale de l’assuré avant et après la survenance de l’atteinte à la santé.

Il faut examiner ensuite la mesure dans laquelle les traitements sont mis à profit ou alors négligés, pour évaluer le poids effectif des souffrances. Tel n’est toutefois pas le cas lorsque le comportement est influencé par la procédure assécurologique en cours. Il ne faut pas conclure à l’absence de lourdes souffrances lorsque le refus ou la mauvaise acceptation du traitement recommandé est la conséquence d’une incapacité (inévitable) de l’assuré à reconnaître sa maladie (anosognosie). Les mêmes principes s’appliquent pour les mesures de réadaptation. Un comportement incohérent de l'assuré est là aussi un indice que la limitation fonctionnelle est due à d’autres raisons que l'atteinte à la santé assurée.

5.2.3 Le juge vérifie librement si l’expert médical a exclusivement tenu compte des déficits fonctionnels résultant de l’atteinte à la santé et si son évaluation de l’exigibilité repose sur une base objective.

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 et 141 V 281 consid. 2.2 et 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_841/2016 du 30 novembre 2017 consid. 4.5.2).

Ce diagnostic doit être justifié médicalement de telle manière que les personnes chargées d’appliquer le droit puissent vérifier que les critères de classification ont été effectivement respectés. Il suppose l’existence de limitations fonctionnelles dans tous les domaines de la vie (tant professionnelle que privée). Les médecins doivent en outre prendre en considération les critères d’exclusion de ce diagnostic retenus par la jurisprudence (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1. et 2.2). Ainsi, si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, on conclura, en règle ordinaire, à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit à des prestations d'assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la discordance entre les difficultés décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses difficultés dont les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, les grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact (cf. ATF 131 V 49 consid. 1.2).

5.3 Selon la jurisprudence, l'art. 17 LPGA sur la révision d'une rente en cours s'applique également à la décision par laquelle une rente échelonnée dans le temps est accordée avec effet rétroactif -, la date de la modification étant déterminée conformément à l'art. 88a RAI (ATF 131 V 164 consid. 2.2 p. 165; 125 V 413 consid. 2d; arrêt du Tribunal fédéral 9C_134/2015 consid. 4.1 et les références). L'art. 88bis RAI n'est pas applicable dans cette éventualité, du moment que l'on ne se trouve pas en présence d'une révision de la rente au sens strict (ATF 125 V 413 consid. 2d; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 621/04 du 12 octobre 2005 consid. 3.2 et les références; voir aussi le ch. 4018 de la Circulaire de l'OFAS sur l'invalidité et l'impotence dans l'assurance-invalidité [CIIAI], valable à partir du 1er janvier 2013).

En cas de modification de la capacité de gain, la rente doit être supprimée ou réduite avec effet immédiat si la modification paraît durable et par conséquent stable (première phrase de l'art. 88a al. 1 RAI); on attendra en revanche trois mois au cas où le caractère évolutif de l'atteinte à la santé, notamment la possibilité d'une aggravation, ne permettrait pas un jugement immédiat (2ème phr. de la disposition; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 666/81 du 30 mars 1983 consid. 3, in RCC 1984 p. 137 s.). En règle générale, pour examiner s'il y a lieu de réduire ou de supprimer la rente immédiatement ou après trois mois, il faut examiner pour le futur si l'amélioration de la capacité de gain peut être considérée comme durable (arrêt du Tribunal fédéral 9C_32/2015 du 10 septembre 2015 consid. 4.1).

5.4 Lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

Les constatations médicales peuvent être complétées par des renseignements d’ordre professionnel, par exemple au terme d'un stage dans un centre d'observation professionnel de l'assurance-invalidité, en vue d'établir concrètement dans quelle mesure l'assuré est à même de mettre en valeur une capacité de travail et de gain sur le marché du travail. Il appartient alors au médecin de décrire les activités que l'on peut encore raisonnablement attendre de l'assuré compte tenu de ses atteintes à la santé (influence de ces atteintes sur sa capacité à travailler en position debout et à se déplacer; nécessité d'aménager des pauses ou de réduire le temps de travail en raison d'une moindre résistance à la fatigue, par exemple), en exposant les motifs qui le conduisent à retenir telle ou telle limitation de la capacité de travail. En revanche, il revient au conseiller en réadaptation, non au médecin, d'indiquer quelles sont les activités professionnelles concrètes entrant en considération sur la base des renseignements médicaux et compte tenu des aptitudes résiduelles de l'assuré. Dans ce contexte, l'expert médical et le conseiller en matière professionnelle sont tenus d'exercer leurs tâches de manière complémentaire, en collaboration étroite et réciproque (ATF 107 V 17 consid. 2b; SVR 2006 IV n° 10 p. 39).

5.5 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3; ATF 126 V 353 consid. 5b; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

5.6 Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a; RAMA 1985 p. 240 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3).

6.              

6.1 En l’espèce, les parties ne contestent pas la valeur probante de l’expertise judiciaire, laquelle répond aux réquisits permettant de lui reconnaître une pleine valeur probante.

6.2  

6.2.1 La recourante a fait valoir que selon les conclusions de cette expertise, qui concernaient exclusivement les conséquences des atteintes psychiatriques, son incapacité dans l’activité ménagère était de 50% dès juin 2017. Il en ressortait que dès cette date, elle avait droit à une rente entière d’invalidité, sur la base d’un degré d’invalidité de 74.50% (soit 49% dans la sphère professionnelle et 25.50% dans la sphère ménagère) au lieu du trois quarts de rente accordé dans la décision querellée, au moins jusqu’au 31 octobre 2018.

6.2.2 Invité à se prononcer sur le rapport d’enquête ménagère du 12 novembre 2019, le Dr J______ a indiqué dans son rapport qu’il lui était difficile de comparer l’appréciation du 12 novembre 2019 avec la situation actuelle, car l’enquête ménagère prenait en compte les atteintes somatiques, ce qu’il ne faisait pas, car cela ne relevait pas de sa compétence. Par ailleurs, il y avait eu une aggravation de l’état psychique de la recourante après l’enquête ménagère. Il estimait pour sa part les limitations de la recourante dans le domaine ménager à 50% (et non à 100% comme pour les activités professionnelles), car les limitations étaient moindres dans le domaine personnel à domicile.

6.2.3 Contrairement à ce que soutient la recourante, l’expert judiciaire ne s’est manifestement pas prononcé sur ses empêchements dans le domaine ménager dès juin 2017, soit avant l’aggravation psychique survenue en juin 2020. Cela ressort du fait qu’il a estimé les limitations dans le domaine ménager à 50%, par opposition à l’incapacité de travail totale retenue – depuis juin 2020 – pour les activités professionnelles, au motif que les limitations étaient moindres dans le domaine personnel à domicile. Il en résulte qu’il n’y a pas lieu de calculer le taux d’invalidité de la recourante en retenant une incapacité dans l’activité ménagère de 50% dès juin 2017.

6.3  

6.3.1 La recourante a encore fait valoir que pour la période du 1er novembre 2018 au 31 mai 2020, la question de la capacité de travail et de l’influence des atteintes physiques combinées aux atteintes psychiques dans la sphère ménagère ne pouvait être tranchée sans une expertise somatique.

6.3.2 Comme l’a relevé la recourante, l’expert judiciaire a estimé qu’il ne pouvait se prononcer que sur les limitations fonctionnelles qui concernaient le domaine psychique et qu’il n’avait pas la compétence pour apprécier les conclusions des experts somaticiens du SMEX.

Cela étant, la chambre de céans a ordonné l’expertise judiciaire psychiatrique au motif que l’avis du SMR du 15 octobre 2020 ne suffisait pas à écarter les doutes sur la capacité de travail de la recourante suscités par l’échec du stage et le rapport de la Dre E______ du 4 septembre 2020. La chambre a estimé que les conclusions du SMEX sur le plan somatique étaient probantes, relevant que la recourante n’avait pas émis de critiques à leur sujet.

Il n’y a donc pas lieu de revenir sur l’évaluation faite par le SMEX jusqu’à l’aggravation de l’état psychique de la recourante dès juin 2020.

Les brefs rapports établis par les docteurs K______, spécialiste ORL, le 25 juin 2020 et L______, rhumatologue, le 6 juin 2023, remis à l’expert judiciaire par la recourante et décrits par celui-ci dans son rapport, ne remettent pas non plus sérieusement en cause les conclusions du SMEX.

Dans la mesure où l’expert judiciaire retient une incapacité totale de travailler même dans une activité adaptée dès juin 2020, il n’est pas nécessaire de compléter son expertise sur le plan somatique, car les résultats d’une telle instruction complémentaire ne seraient pas susceptibles d’influer l’incapacité de travail totale retenue sur le plan psychiatrique.

Les conclusions de l’enquête ménagère sont également probantes jusqu’au 31 mai 2020, date de l’aggravation de l’état psychique de la recourante.

Dès juin 2020, il convient de retenir les empêchements retenus par l’expert psychiatre à hauteur de 50%. Il faut toutefois déduire de ce taux l’exigibilité de 31% retenue par l’enquête ménagère pour l’aide au ménage pouvant être attendue du mari et du fils de la recourante, étant précisé qu’il ressort des déclarations de cette dernière à la chambre de céans du 23 mars 2022 que son fils résidait encore à son domicile.

6.4 En conclusion, il convient de recalculer le taux d’invalidité de la recourante dès juin 2020, en tenant compte d’une incapacité totale de travail dans l’activité professionnelle et des empêchements pour les travaux ménagers de 19% (50% moins 31%). Le taux d’invalidité est de 49% (49% x 100%) dans la sphère professionnelle et de 9.7% (51% x 19%) dans la sphère ménagère, ce qui correspond à un taux d’activité global de 58.7%, ouvrant le droit à une demi-rente d’invalidité à la recourante, dès le 1er septembre 2020, soit trois mois après l’aggravation de l’état de santé fixé à juin 2020 par l’expert, en application de l’art. 88a RAI.

La décision querellée doit être confirmée pour le surplus.

 

7.              

7.1 Le recours est ainsi partiellement admis et la décision querellée sera réformée dans le sens précité.

7.2 Les frais qui découlent de la mise en œuvre d'une expertise judiciaire peuvent être mis à la charge de l’OAI (cf. ATF 139 V 349 consid. 5.4), si ce dernier a procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l'expertise judiciaire sert à pallier des manquements commis dans la phase d'instruction administrative (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2).

En l’occurrence, il se justifie de mettre les frais de l’expertise judiciaire à la charge de l’intimé, car elle a dû être ordonnée en raison d’une instruction insuffisante.

7.3 La recourante obtenant partiellement gain de cause et étant assistée d’un conseil, elle a droit à des dépens qui seront fixés à CHF 4'000.- (art. 61 let. g LPGA).

7.4 Un émolument de CHF 200.- sera mis à la charge de l'intimé (art. 69 al. 1bis LAI).


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.      Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.      L’admet partiellement.

3.      Réforme la décision du 11 mars 2011.*2021 Rectification d’une erreur matérielle le 11 octobre 2023 BRC/RNA

4.      Dit que la recourante a droit à une demi-rente d’invalidité dès le 1er septembre 2020.

5.      Confirme la décision pour le surplus.

6.      Alloue à la recourante une indemnité de CHF 4'000.-, à la charge de l’intimé.

7.      Met les frais de l’expertise judiciaire, à hauteur de CHF 5'350.- (facture du Dr J______ du 31 juillet 2023) à la charge de l’intimé.

8.      Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

9.      Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le