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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4232/2022

ATAS/468/2023 du 19.06.2023 ( LAA ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

 

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4232/2022 ATAS/468/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 19 juin 2023

Chambre 6

 

En la cause

 

A______

Représentée par Me Thierry STICHER, avocat

 

 

recourante

contre

 

ALLIANZ SUISSE SOCIÉTÉ D'ASSURANCES SA

 

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née le ______ 1969, exerce comme aide-soignante auprès de la B______ (ci-après : l’employeur) depuis le 1er mars 2008 et est assurée à ce titre contre les risques accidents auprès de l’ALLIANZ SUISSE SOCIÉTÉ D’ASSURANCES SA (ci-après : l’assurance).

b. Le 5 juillet 2021, l’employeur a déclaré un accident à l’assurance, survenu le 28 juin 2021, en mentionnant que l’assurée s’était blessée à l’épaule alors qu’elle effectuait un transfert d’une résidente, du lit au fauteuil, et avait consulté un médecin le 30 juin 2021, vu l’accentuation des douleurs.

B. a. Le 30 juin 2021, le docteur C______, spécialiste FMH en médecine interne, a mentionné que l’assurée était en train d’aider une patiente à se soulever quand celle-ci avait commencé à paniquer et chuter en arrière. L’assurée l’avait rattrapée et fait une extension du membre supérieur gauche rapide et forcée, en même temps pour attraper la chaise roulante et fait un faux mouvement. L’assurée avait ressenti une vive douleur sans craquement et s’était efforcée de mettre la résidente dans la chaise pour ne pas la laisser tomber. Les douleurs s’étaient estompées mais accentuées le 29 juin 2021 au travail, avec une péjoration sur la journée. Elle était en incapacité de travail totale du 30 juin au 9 juillet 2021. Il devait revoir l’assurée et évaluer si un ultrason était indiqué pour écarter une atteinte de la coiffe des rotateurs.

b. Le 8 juillet 2021, le Dr C______ a constaté l’absence d’amélioration et une possible atteinte de la coiffe des rotateurs. L’incapacité de travail était prolongée au 13 juillet 2021 et un ultrason était organisé.

c. Le 13 juillet 2021, le docteur D______, spécialiste FMH en médecine interne, a constaté, après avoir pratiqué un ultrason de l’épaule gauche, une atteinte partielle du tendon du muscle infra-épineux avec trait transfixiant et épaississement capsulaire d’aspect inflammatoire. L’arrêt de travail était prolongé au 21 juillet 2021.

d. Le 14 juillet 2021, l’assurée a rempli un questionnaire « lésions corporelles » de l’assurance, en mentionnant « le 28 juin 2021, j’étais en train de lever une résidente avec une collègue, quand elle commence à paniquer. je vais tomber, en la tenant en même temps, j’attrape la chaise roulante et là une affreuse vive douleur à mon épaule ».

e. Le 23 juillet 2021, l’assurée a bénéficié d’une infiltration de la bourse sous-acromiale gauche, sous contrôle échographique, par le docteur E______, spécialiste FMH en radiologie, lequel a conclu à des signes importants de bursite sous-acromiale, de tendinopathie quasi fissuraire du tendon supra-épineux distal versus contusion tendineuse post-traumatique.

f. Le 30 juillet 2021, le Dr C______ a mentionné un faux mouvement au travail en chargeant une patiente et une omalgie gauche sur atteinte partielle du tendon du muscle infra-épineux ; les lésions étaient uniquement dues à l’accident et l’incapacité de travail était totale dès le 30 juin jusqu’au 21 juillet 2021.

g. Le 8 septembre 2021, la docteure F______, spécialiste FMH en radiologie, a effectué une IRM de l’épaule gauche et conclu à un aspect irrégulier du versant inférieur de l’acromion, associé à une lésion fissuraire transfixiante de la coiffe supérieure et une bursite sous-acromio-deltoïdienne modérée, le tout pouvant évoquer des signes de conflit sous-acromial.

h. Par décision du 13 septembre 2021, l’assurance a nié l’existence d’un accident et d’une lésion corporelle assimilée à un accident, de sorte qu’aucune prestation n’était due.

i. Le docteur G______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, a certifié le 20 septembre 2021 d’une incapacité de travail totale du 21 septembre au 10 octobre 2021.

j. Le 6 octobre 2021, l’assurée, représentée par un avocat, a fait opposition à cette décision, en concluant à son annulation et à l’octroi de prestations. L’accident était réalisé par un mouvement non coordonné, lequel constituait un facteur extérieur extraordinaire ; par ailleurs, l’atteinte de son tendon était une lésion assimilée ; enfin et subsidiairement, il convenait d’examiner si les conditions d’une maladie professionnelle étaient remplies.

k. Le 18 octobre 2021, le Dr G______ a constaté une déchirure du tendon sous-épineux qui pouvait être chronique (maladie) traumatique (due au geste de sauvetage de l’assurée) ou une combinaison des deux (avec une petite déchirure préexistante se péjorant lors du geste). L’assurée était en incapacité de travail totale pour le moment jusqu’au 7 novembre 2021. L’histoire décrite par l’assurée - soit un geste subit pour rattraper une autre personne avec l’apparition de douleurs aiguës à l’épaule - allait plutôt dans le sens d’un accident.

l. Le 30 novembre 2021, le Dr G______ a constaté une augmentation de la mobilité de l’épaule gauche, avec une appréhension de la réalisation de certains gestes. Il convenait de voir si une reprise progressive du travail était réalisable.

m. Le 8 février 2022, le docteur H______, spécialiste FMH en orthopédie et traumatologie, médecin conseil de l’assurance, a estimé que la lésion fissuraire du sus-épineux pouvait être vue comme une lésion assimilée mais était d’origine maladive. En effet, l’IRM du 8 septembre 2021 montrait une tendinopathie du sus-épineux, soit une altération du tendon dans le contexte d’une dégénérescence chronique ainsi qu’un conflit sous-acromial et bursite sous-acromiale, ce qui correspondait à une lésion assimilée. On voyait à l’IRM un conflit sous-acromial et une tendinopathie du sus-épineux avec une lésion fissuraire à son enthèse, qui était un endroit classique des lésions génératives.

n. Le 25 octobre 2022, le docteur I______, spécialiste FMH en médecine interne, médecin conseil de l’assurance, a estimé qu’un transfert était une activité tout à fait normale pour une soignante, y compris le fait que la patiente parfois lutte contre les personnes qui font le transfert ; il était habituel de tenir la patiente avec une main et la chaise avec l’autre ; en plus, l’assurée profitait de l’aide d’une collègue, ce qui montrait que la situation était parfaitement contrôlée, il n’y avait aucune force extérieure. L’assurée présentait une bursite avec des signes dégénératifs variés de toute l’articulation, y compris une petite déchirure de la coiffe supérieure qui n’était pas au premier plan ; preuve en était qu’on ne trouvait pas à l’IRM de rétractation tendineuse et la lésion fissuraire du sus-épineux était de façon prépondérante dégénérative. Enfin, il ne s’agissait pas d’une maladie professionnelle.

o. Par décision du 17 novembre 2022, après plusieurs relances de l’assurée, l’assurance a rejeté l’opposition de l’assurée.

C. a. Le 13 décembre 2022, l’assurée, représentée par son avocat, a recouru auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice à l’encontre de la décision précitée, en concluant à son annulation et à la prise en charge par l’assurance de prestations ; préalablement, elle a requis une expertise judiciaire.

b. Le 10 janvier 2023, l’assurance a conclu au rejet du recours.

c. Le 24 janvier 2023, l’assurée a répliqué.

d. Le 6 mars 2023, la chambre de céans a entendu les parties en audience de comparution personnelle des parties.

e. Le 22 mars 2023, l’assurée a indiqué que son employeur refusait de donner des renseignements sur la patiente (en particulier son poids et quelle jambe était plâtrée), tout en relevant qu’à son souvenir il s’agissait de la jambe droite et que la patiente devait peser plus de 67 kg, ce qui était son propre poids.

 

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 À teneur de l’art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-accidents, à moins que la loi n’y déroge expressément.

1.3 Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

2.             Le litige porte sur la question de savoir si l’événement du 28 juin 2021 peut être qualifié d’accident ou être assimilé à un accident et donner lieu à prestations de l’intimée.

3.              

3.1 Aux termes de l'art. 6 LAA, l'assureur-accidents verse des prestations à l'assuré en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle. Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d'accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés : une atteinte dommageable; le caractère soudain de l'atteinte; le caractère involontaire de l'atteinte; le facteur extérieur de l'atteinte; enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur. Il suffit que l'un d'entre eux fasse défaut pour que l'événement ne puisse pas être qualifié d'accident (ATF 129 V 402 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_235/2018 du 16 avril 2019 consid. 3.1).

3.2 Suivant la définition même de l'accident, le caractère extraordinaire de l'atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même. Dès lors, il importe peu que le facteur extérieur ait entraîné des conséquences graves ou inattendues. Le facteur extérieur est considéré comme extraordinaire lorsqu'il excède le cadre des événements et des situations que l'on peut objectivement qualifier de quotidiens ou d'habituels, autrement dit des incidents et péripéties de la vie courante (ATF 129 V 402 consid. 2.1). Pour des lésions dues à l'effort (soulèvement, déplacement de charges notamment), il faut examiner de cas en cas si l'effort doit être considéré comme extraordinaire, en tenant compte de la constitution physique et des habitudes professionnelles ou autres de l'intéressé (arrêt du Tribunal fédéral 8C_827/2017 du 18 mai 2018 consid. 2.1). Il n'y a pas d'accident, au sens de ce qui précède, lorsque l'effort en question ne peut entraîner une lésion qu'en raison de facteurs maladifs préexistants, car c'est alors une cause interne qui agit, tandis que la cause extérieure – souvent anodine – ne fait que déclencher la manifestation du facteur pathologique (ATF 116 V 136 consid. 3b).

3.2.1 Selon la jurisprudence, le critère du facteur extraordinaire extérieur peut résulter d'un mouvement non coordonné. Lors d'un mouvement corporel, l'exigence d'une incidence extérieure est en principe remplie lorsque le déroulement naturel d'un mouvement corporel est influencé par un empêchement « non programmé », lié à l'environnement extérieur. Dans le cas d'un tel mouvement non coordonné, l'existence du facteur extérieur doit être admise, parce que le facteur extérieur – la modification entre le corps et l'environnement extérieur – constitue en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117 consid. 2.1). On peut ainsi retenir à titre d'exemples de facteurs extérieurs extraordinaires le fait de trébucher, de glisser ou de se heurter à un objet (RAMA 2004 n° U 502 p. 184 consid. 4.1 ; RAMA 1999 n° U 345 p. 422 consid. 2b).

3.2.2 Dans un arrêt 8C_726/2009 du 30 avril 2010, le Tribunal fédéral avait à se prononcer sur l'existence d'un facteur extraordinaire dans le cas d'un infirmier qui s'était fait mal au niveau des cervicales en se retournant brusquement pour tenter de retenir une patiente, laquelle s'était levée de sa chaise roulante. Le Tribunal fédéral a considéré que si la condition du facteur extérieur était réalisée au travers du mouvement de torsion brusque effectué par l'infirmier, ce mouvement ne revêtait pas un caractère extraordinaire justifiant d'admettre la survenance d'un accident. La rotation effectuée dans la précipitation pour retenir une patiente n'était pas inhabituelle pour un infirmier et il n'apparaissait pas non plus que le mouvement corporel se fût déroulé de manière non programmée, en tant qu'un fait extérieur particulier serait venu interférer avec celui-ci (consid. 5). L'arrêt 8C 1019/2009 du 26 mai 2010 concernait une aide-soignante qui s'était blessée à l'épaule en rattrapant une caisse de livres qui lui avait glissé des mains. Selon le Tribunal fédéral, le déroulement naturel du mouvement corporel n'avait pas été modifié par un phénomène non programmé. Rien n'indiquait non plus une sollicitation de l'organisme plus élevée que la normale. Enfin, le facteur extérieur n'était pas suffisamment inhabituel pour supprimer l'influence de l'élément endogène, en l'occurrence une instabilité chronique de l'épaule (consid. 5.1.2) (arrêt du Tribunal fédéral 8C_605/2020 du 8 juin 2021, consid. 4.2).

Le Tribunal fédéral a également jugé qu’une aide-soignante qui, en retenant un patient pour empêcher sa chute, subit un craquement à l’épaule, n’effectue aucun effort involontaire sur lequel elle n’aurait eu aucune maitrise (par exemple sous la forme d'un mouvement de torsion forcée du bras ou de la main) de sorte qu’il n’y a pas de mouvement non programmé et non maitrisé ; même en admettant que l’activité de déplacer un patient d'un fauteuil vers un lit - ou inversement - constitue une suite d'opérations complexes, celle-ci n'avait pas été influencée par la survenance d'une circonstance rendant incontrôlable un geste qu'une aide-soignante était fréquemment appelée à accomplir dans le cadre de son activité. En particulier, il était constant en l'espèce que ce geste n'avait pas été effectué dans une position instable susceptible d'entraîner un mouvement violent non maîtrisé. En outre, il n'était pas non plus question d'un changement de position du corps brusque ou incontrôlé, apte à provoquer une lésion corporelle selon les constatations de la médecine des assurances. Au moment de l’incident, la recourante ne soulevait pas le patient mais l'avait retenu pour l'empêcher de tomber. Dès lors que le patient était assis, ce n'était pas non plus tout le poids du patient (90 kg) qui avait dû être retenu par l’aide-soignante (arrêt du Tribunal fédéral 8C_650/2020 précité, consid. 4.3).

En revanche, dans un arrêt 8C_404/2020 du 11 juin 2021, le Tribunal fédéral a admis l’existence d’un accident dans le cas d’un chauffeur poids-lourd qui, occupé à livrer une porte chez un client, et alors qu’il tenait celle-ci avec l’aide du client, a reçu tout le poids de la porte qui s’était décalée sur son bras gauche ; en voulant la stabiliser, le chauffeur poids-lourd s’était blessée à l’épaule gauche (arrêt du Tribunal fédéral 8C_404/2022 du 11 juin 2021).

3.3 En vertu de l'art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l'atteinte à la santé n'est que partiellement imputable à l'accident. Lorsqu'un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l'assurance-accidents d'allouer des prestations cesse si l'accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l'accident. Tel est le cas lorsque l'état de santé de l'intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l'accident (« statu quo ante ») ou à celui qui existerait même sans l'accident par suite d'un développement ordinaire (« statu quo sine »). A contrario, aussi longtemps que le « statu quo sine vel ante » n'est pas rétabli, l'assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l'état maladif préexistant, dans la mesure où il s'est manifesté à l'occasion de l'accident ou a été aggravé par ce dernier. En principe, on examinera si l'atteinte à la santé est encore imputable à l'accident ou ne l'est plus selon le critère de la vraisemblance prépondérante, étant précisé que le fardeau de la preuve de la disparition du lien de causalité appartient à la partie qui invoque la suppression du droit, soit à l'assureur (ATF 146 V 51 consid. 5.1 et les références).

4.              

4.1 Aux termes de l’art. 6 al. 2 LAA dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2017, l’assurance alloue aussi ses prestations pour les lésions corporelles suivantes, pour autant qu'elles ne soient pas dues de manière prépondérante à l'usure ou à une maladie : les fractures (let. a) ; les déboîtements d'articulations (let. b) ; les déchirures du ménisque (let. c) ; les déchirures de muscles (let. d) ; les élongations de muscles (let. e) ; les déchirures de tendons (let. f) ; les lésions de ligaments (let. g) ; les lésions du tympan (let. h).

On précisera que l’art. 6 al. 2 LAA, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2016, conférait au Conseil fédéral la compétence d’étendre la prise en charge par l’assurance-accidents à des lésions assimilables à un accident. L’ancien art. 9 al. 2 de l'ordonnance sur l'assurance-accidents (OLAA - RS 832.202), adopté sur la base de cette disposition, contenait la liste exhaustive des lésions corporelles assimilées à un accident pour autant qu’elles ne fussent pas manifestement imputables à une maladie ou à des phénomènes dégénératifs. La liste des lésions énumérées par l’art. 6 al. 2 LAA dans sa nouvelle teneur est identique à celle auparavant contenue dans l’art. 9 al. 2 aOLAA.

4.2 Dans un arrêt de principe du 24 septembre 2019 (ATF 146 V 51), le Tribunal fédéral a précisé que selon l’interprétation de l’art. 6 al. 2 LAA, l’application de cette disposition ne présuppose aucun facteur extérieur et donc aucun événement accidentel ou générant un risque de lésion accru au sens de la jurisprudence relative à l'art. 9 al. 2 aOLAA. Cependant, la possibilité pour l’assureur-accidents de rapporter la preuve prévue par l’art. 6 al. 2 LAA impose de distinguer la lésion corporelle assimilée, d’une lésion corporelle figurant dans la liste due à l'usure et à la maladie à charge de l’assurance-maladie. Dans ce contexte, la question d'un événement initial reconnaissable et identifiable est également pertinente après la révision de la LAA – notamment en raison de l'importance d'un lien temporel (couverture d'assurance; compétence de l'assureur-accidents; calcul du gain assuré; questions juridiques intertemporelles). Par conséquent, dans le cadre de son devoir d’instruction (cf. art. 43 al. 1 LPGA), l'assureur-accidents doit clarifier les circonstances exactes du sinistre à l’annonce d’une lésion selon la liste. Si celle-ci est imputable à un événement accidentel au sens de l'art. 4 LPGA, l'assureur-accidents est tenu de verser des prestations jusqu'à ce que l'accident ne représente plus la cause naturelle et suffisante, c'est-à-dire que l’atteinte à la santé est fondée uniquement et exclusivement sur des causes autres qu’accidentelles (voir consid. 5.1 et 8.5). Si, en revanche, tous les critères de la définition de l'accident au sens de l'art. 4 LPGA ne sont pas remplis, l'assureur-accidents est généralement responsable pour une lésion selon la liste selon l'art. 6 al. 2 LAA dans la version en vigueur depuis le 1er janvier 2017, à moins qu’il puisse prouver que la lésion est principalement due à une usure ou maladie (consid. 9.1).

5.              

5.1 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

5.2 Les explications d'un assuré sur le déroulement d'un fait allégué sont au bénéfice d'une présomption de vraisemblance. Il peut néanmoins arriver que les déclarations successives de l'intéressé soient contradictoires avec les premières. En pareilles circonstances, selon la jurisprudence, il convient de retenir la première affirmation, qui correspond généralement à celle que l'assuré a faite alors qu'il n'était pas encore conscient des conséquences juridiques qu'elle aurait, les nouvelles explications pouvant être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (ATF 143 V 168 consid. 5.2.2 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_662/2016, déjà cité, consid. 4.3).

6.             En l’occurrence, l’intimée nie l’existence d’un accident le 28 juin 2021, singulièrement la présence d’un facteur extérieur extraordinaire, ce que conteste la recourante.

6.1 S’agissant du déroulement de l’événement, la recourante a, lors de ses premières déclarations, indiqué qu’elle levait une résidente quand celle-ci avait commencé à paniquer et que, tout en la tenant, elle avait saisi une chaise roulante, ce qui avait entrainé une vive douleur à son épaule (questionnaire du 14 juillet 2021). Par la suite, et par l’intermédiaire de son avocat, la recourante a précisé les circonstances de l’événement, en relevant, dans son opposition du 6 octobre 2021, que la patiente était plâtrée à une jambe et qu’elle ne s’était pas comportée comme d’habitude ; elle avait paniqué en criant qu’elle allait tomber et en glissant vers l’arrière, ce qui avait interrompu les mouvements programmés d’elle-même et sa collègue et elle avait été contrainte à la fois de saisir la patiente tout en récupérant la chaise afin de l’y asseoir, ce qui était un mouvement non programmé (opposition de la recourante du 6 octobre 2021). Dans son recours, elle a indiqué qu’elle avait tenté, dans un bref laps de temps, de retenir sa patiente d’une chute, tout en essayant d’attraper la chaise roulante afin de l’y asseoir ; alors que ses bras étaient en extension, elle avait ressenti une vive douleur à l’épaule gauche. Dans sa réplique du 24 janvier 2023, la recourante a relevé que la patiente avait soudainement paniqué en déclarant « je vais tomber », de sorte qu’elle avait, dans un mouvement non coordonné, tenu la patiente et la chaise roulante. Enfin, lors de l’audience de comparution personnelle des parties, la recourante a décrit l’événement avec précision, en ajoutant que le lit de la résidente était posé contre le mur, que celle-ci, plâtrée au pied, avait d’abord été assise sur le lit par elle-même et une collègue, puis mise debout ; à ce moment-là, la résidente avait commencé à paniquer en disant qu’elle allait tomber, en bougeant beaucoup, avec le corps tout crispé ; elle avait dû la tenir fortement du bras gauche pour la soutenir et avait tiré la chaise roulante du bras droit de façon brusque ; lors de ce mouvement de torsion pour tenir la chaise, la résidente était tombée sur son épaule gauche en se penchant en arrière ; elle avait crié de douleur avant de réussir à asseoir la résidente dans la chaise roulante. La résidente était plus grande et plus corpulente qu’elle-même (soit plus de 67 kg et plus de 162 cm). Sa collègue n’avait pas pu retenir la résidente lorsqu’elle était tombée sur son épaule.

Par ailleurs, les médecins-traitants de la recourante ont mentionné que l’assurée, alors qu’elle aidait une patiente à se soulever, celle-ci avait commencé à paniquer et chuter en arrière, de sorte que l’assurée l’avait rattrapée et fait une extension du membre supérieur gauche rapide et forcée en même temps pour attraper la chaise roulante (rapport du Dr C______ du 30 juin 2021). L’assurée avait fait un faux mouvement forcé en hyperextension (rapport du Dr C______ du 8 juillet 2021). Les rapports d’IRM du 23 juillet 2021 et d’échographie mentionnent une indication de traumatisme ; celui de l’IRM du 8 septembre 2021, relève une indication de bilan post-traumatique. Les arrêts de travail des Drs G______, D______ et C______ mentionnent un motif d’accident et le Dr G______ relève un geste subit de la recourante pour rattraper une autre personne (rapport du 18 octobre 2021).

6.2 Au vu de ce qui précède, on constate que les déclarations de la recourante n’ont pas varié au cours du temps et que ses premières déclarations ont été précisées par la suite de façon cohérente et plausible :

Si lors des premières déclarations (questionnaire du 14 juillet 2021), la recourante n’a pas spécifié une chute de la résidente sur son épaule, mais seulement mentionné qu’elle avait attrapé la chaise roulante tout en tenant la résidente, elle a précisé, dans son opposition, que la résidente avait glissé vers l’arrière, ce qui l’avait contrainte à la soutenir et, lors de l’audience de comparution personnelle des parties, que la résidente était tombée sur son épaule gauche en se penchant en arrière. Ces ajouts ne sont pas contraires aux premières déclarations mais les complètent et apparaissent crédibles, particulièrement au vu du résumé du Dr C______ effectué le 30 juin 2021, soit antérieurement au questionnaire rempli par la recourante le 14 juillet 2021 (correspondant à ses première déclarations), lequel expose clairement que la résidente, après avoir commencé à paniquer, avait chuté en arrière et que la recourante l’avait rattrapée. En outre, les médecins-traitants de la recourant ont tout mentionné une origine accidentelle de la lésion et, pour certains, relevé un faux mouvement en hyperextension (Dr C______) et un geste subit (Dr G______).

Au demeurant, il convient de retenir que la recourante, alors qu’elle soutenait avec une collègue aide-soignante une résidente en position debout, laquelle était plâtrée à une jambe et corpulente, à tout le moins plus grande et d’un poids plus important que la recourante, soit plus de 162 cm et de 67 kg (ce qui n’est pas contesté par l’intimée), a, suite à la panique de la résidente qui criait qu’elle allait tomber en bougeant et crispant son corps, allongé son bras droit pour tirer une chaise roulante et, alors qu’elle effectuait ce mouvement de torsion, son bras gauche soutenant la résidente, a reçu le poids de celle-ci sur son épaule gauche, la collègue aide-soignante n’ayant pas été en mesure de retenir la résidente.

6.3 La description de l’événement en cause se rapproche de celle résumée dans l’arrêt récent 8C_404/2020 précité, soit un assuré, chauffeur poids-lourd, qui s’était blessé à l’épaule gauche en retenant, par un mouvement du membre supérieur gauche, un panneau d’environ 80 kg lequel avait glissé des mains de la personne qui l’aidait à le transporter. Le Tribunal fédéral a considéré que cet événement était constitutif d’un accident et relevé que si la jurisprudence prend en considération les habitudes professionnelles d'une personne qui sollicite des prestations d'assurance, elle le fait avant tout dans le cadre des lésions dues à des efforts (soulèvement et déplacement de charges notamment) pour examiner si l'effort doit être considéré comme extraordinaire (arrêt 8C_36/2013 du 14 janvier 2014 consid. 5 et la référence). Or, dans le cas d'espèce, ce n'était pas l'effort déployé pour soutenir le panneau qui était à l'origine des plaintes de l'assuré, mais bien le mouvement du bras gauche pour retenir l'objet en train de glisser, soit un mouvement corporel non programmé. Au demeurant, on ne pouvait retenir que le fait de rattraper des panneaux en train de glisser fasse partie du cadre usuel des activités d'un chauffeur-livreur poids-lourd. On se trouvait en présence d’un mouvement non programmé et non maitrisé qui avait présenté une certaine intensité. On pouvait ainsi retenir qu'il y avait eu une sollicitation de l'organisme plus élevée que la normale et conclure à l'existence d'une cause extérieure extraordinaire à l'origine des douleurs de l'épaule annoncées par l’assuré.

Tel est également le cas en l’espèce, la recourante ayant effectué un mouvement avec le bras gauche pour retenir la résidente, laquelle glissait en arrière, alors qu’avec son bras droit elle saisissait, dans un mouvement de torsion, la chaise roulante. Cet enchainement correspond à un mouvement non programmé et non maitrisé, sollicitant l’organisme d’une façon plus élevée que la normale, ce d’autant que la résidente était corpulente.

Par ailleurs, contrairement au cas de l’aide-soignante précité, laquelle avait retenu - sans effort involontaire - un patient pour empêcher sa chute (arrêt du Tribunal fédéral 8C_650/2020), la recourante s’est retrouvée dans une position instable, avec le bras gauche devant soutenir le poids soudain de la résidente et le bras droit allongé, à l’opposé, pour saisir la chaise roulante, dans un mouvement de torsion, de sorte qu’elle a effectué un effort involontaire sur lequel elle n’avait pas de maitrise. Cette circonstance permet d’admettre, contrairement à l’avis de l’intimée, que la recourante n’a pas effectué un geste habituel dans le cadre de son activité d’aide-soignante.

6.4 Partant, une cause extérieure extraordinaire est à l’origine des douleurs de la recourante, de sorte qu’il convient d’admettre la survenance d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA, les autres conditions constitutives n’étant pas contestées.

7.             Reste à déterminer si un lien de causalité entre l’accident et les lésions à l’épaule gauche de la recourante est donné. À cet égard, les avis des médecins-conseils de l’intimée et des médecins traitants semblent opposés, les premiers considérant que les lésions de l’épaule sont uniquement dégénératives (avis du Dr H______ du 8 février 2022 et I______ du 25 octobre 2022) alors que les médecins traitants estiment qu’elles sont manifestement d’origine traumatique (avis du Dr C______) ou, à tout le moins, prioritairement en lien avec l’accident (avis du Dr G______ du 18 octobre 2021). Cependant, les médecins-conseils de l’intimée ont analysé le cas sous l’angle de la lésion assimilée, en excluant l’existence d’un accident. La question du status quo sine ou ante n’a pas été spécifiquement examinée par l’intimée.

Il convient dans ces conditions de renvoyer la cause à l’intimée pour examiner le droit aux prestations de la recourante, étant relevé que, vu l’avis des médecins-traitants, si l’intimée entend nier l’existence d’un lien de causalité entre l’accident, avéré, et les lésions à l’épaule gauche de la recourante, il lui incombe de mettre en œuvre une expertise administrative, au sens de l’art. 44 LPGA (à cet égard arrêt du Tribunal fédéral 8C_404/2020 précité consid. 6).

8.             Partant le recours sera partiellement admis, la décision litigieuse annulée et la cause sera renvoyée à l’intimée, dans le sens des considérants.

La recourante obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 2'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émolument et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA – E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA).

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision de l’intimée du 17 novembre 2022.

4.        Renvoie la cause à l’intimée dans le sens des considérants.

5.        Alloue à la recourante une indemnité de CHF 2'000.- à charge de l’intimée.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le