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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/908/2021

ATAS/729/2022 du 23.08.2022 ( AI ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/908/2021 ATAS/729/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 23 août 2022

2ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à LES AVANCHETS, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Julien FIVAZ, avocat

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant), né le ______ 1964, divorcé et père de deux enfants adultes nés respectivement en 1995 et 1997, titulaire d’un certificat fédéral de capacité (ci-après: CFC), a travaillé en qualité de convoyeur de fonds auprès de la Poste Suisse jusqu’en juillet 1999, période à laquelle il a subi une contusion du genou et de la cheville droite pendant une randonnée. L’assuré n’a plus exercé d’activité lucrative depuis lors. À la fin de l’année 1999, il a séjourné à la Clinique romande de réadaptation. En raison de troubles chroniques des genoux (syndrome rotulien bilatéral), les médecins de cet établissement ont préconisé une réorientation professionnelle dans une profession légère, exercée principalement en position assise.

b. En juillet 2000, l’assuré a déposé une première demande de prestations, tendant à l’octroi d’un reclassement, auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé), dans laquelle il a indiqué souffrir de luxations chroniques des rotules. À l’issue d’examens psychotechniques, l’OAI lui a proposé un reclassement en qualité d’employé de commerce. L’assuré s’y est opposé, faisant valoir que ses capacités intellectuelles lui paraissaient insuffisantes pour suivre une telle formation et qu’il aurait préféré en suivre une autre (en informatique à mi-temps sur deux ans). Après avoir adressé à l’assuré une sommation, demeurée sans réponse, l’OAI, par décision entrée en force du 22 novembre 2004, a rejeté la demande, au motif que l’assuré s’était soustrait à la mesure de réadaptation professionnelle – exigible – qui lui avait été proposée.

c. En mai 2007, l’assuré a déposé une seconde demande de prestations, dans laquelle il a invoqué un syndrome rotulien bilatéral et des troubles bipolaires. Par décision entrée en force du 6 novembre 2008, l’OAI a rejeté cette seconde demande, sur la base d’un degré d’invalidité de 2%, après avoir notamment obtenu un rapport rédigé le 3 juillet 2007 par le docteur B______, médecin généraliste, ainsi qu’un rapport daté du 17 octobre 2007 et émanant de la doctoresse C______, du service médical régional de l’assurance-invalidité (ci-après : le SMR), qui concluait à une capacité de travail de 100% dans toute profession adaptée.

d. Le 17 septembre 2019, l’assuré a déposé une troisième demande de prestations auprès de l’OAI, dans laquelle il a invoqué diverses atteintes (subluxations chroniques des genoux ; acouphène de l’oreille gauche ; troubles de l’oreille interne ; diverticulite ; crises d’angoisses ; insomnie ; agoraphobie ; dilatation du ventricule cardiaque gauche).

e. À la demande de l’OAI, le docteur D______, spécialiste FMH en médecine interne, a complété un questionnaire le 21 octobre 2019, dans lequel il a retenu les diagnostics avec effet sur la capacité de travail de luxations récidivantes de la rotule, d’angoisses et de vertiges paroxystiques. En outre, il a fait état d’une dilatation cardiaque et d’une thrombose veineuse profonde, qu’il a jugées sans répercussions sur la capacité de travail. Il a conclu à une capacité de travail nulle dans toute activité depuis 1999.

f. Également invité à répondre à un questionnaire (que l’OAI lui a transmis le 23 septembre 2019), le docteur E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, l’a complété le 1er novembre 2019. Il y a retenu les diagnostics avec effet sur la capacité de travail d’épisode dépressif modéré (F32.1) et de trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (ci-après: TDAH). L’assuré vivait isolé en montagne, mais demeurait autonome pour accomplir les actes de la vie quotidienne. Il bénéficiait d’un soutien de son ex-femme. Dormant cinq à six heures par nuit, il manquait d’énergie et présentait une distractibilité dans ses activités quotidiennes. L’assuré était traité par Mirtazapine à visée anxiolytique, tandis que le traitement du TDAH était contre-indiqué, en raison d’une atteinte cardiaque. À la question de savoir quelle était la capacité de travail de l’assuré, le Dr E______ a répondu « inévaluable, dernière activité en 1998. Selon notre observation, 0% du fait du déconditionnement, des signes aigus et du TDAH non traité ». Le Dr E______ a suggéré la mise en œuvre d’une expertise.

g. Invité par l’OAI à répondre à des questions complémentaires, le Dr D______ a indiqué, le 14 avril 2020, que le diagnostic incapacitant était celui d’arthrose des genoux. Les limitations fonctionnelles étaient des difficultés à rester assis et à rester concentré. Le patient était en attente d’une prothèse et son état de santé était stationnaire. Le Dr D______ a joint, entre autres, copie d’un rapport d’échocardiographie transthoracique et d’un test d’effort, datés du 3 janvier 2019.

h. L’OAI a diligenté une expertise pluridisciplinaire, avec volets en médecine interne générale, en orthopédie et en psychiatrie, auprès du Centre médical expertises (CEMEDEX). Dans leur rapport du 15 octobre 2020, les docteurs F______, spécialiste en médecine interne générale, G______, spécialiste en chirurgie orthopédique, ainsi que H______, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, ont retenu les diagnostics suivants : gonarthrose bilatérale (plus importante du côté droit) avec importante chondrocalcinose (M174, Q741) ; dysplasie trochléo-patellaire ; rhizarthrose et arthrose capo-radiale bilatérale (M180, M1993) ; trouble anxieux et dépressif mixte (F41.2) ; déconditionnement professionnel (Z73.6) ; accentuation de traits de personnalité (Z73.1) ; myocardiopathie dilatée (I420) ; extrasystoles ventriculaires (I493) ; sclérose aortique avec insuffisance mitrale minime (I080) ; diverticulose colique (K573) et syndrome du canal carpien droit subaigu (G560). À l’issue d’une appréciation consensuelle du cas, les experts ont conclu que, depuis son accident en juillet 1999, l’assuré était totalement incapable d’exercer sa profession antérieure de chauffeur poids lourds. Dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles d’ordre somatique et psychique, sa capacité de travail avait été de 100% avec une perte de rendement de 20% du 1er février 2000 au 22 septembre 2019, puis de 0% du 23 septembre 2019 jusqu’en novembre 2019 (en raison d’une décompensation dépressive, conformément au rapport du Dr E______). Dès le mois de décembre 2019 et « jusqu’alors », la capacité de travail globale était de 70%, compte tenu de diminutions de rendement de 30% au plan psychiatrique et de 20% au plan orthopédique, dont les experts précisaient qu’elles ne s’additionnaient pas. Enfin, moyennant une adaptation du traitement psychiatrique et dans un délai de six mois, on pouvait s’attendre, selon les experts, à ce que l’assuré recouvre une capacité de travail de 80% (autrement dit une capacité de travail de 100% avec une baisse de rendement durable de 20%).

i. Par rapport du 5 novembre 2020, le SMR s'est rallié aux conclusions de l'expertise.

B. a. Le 9 novembre 2020, l’OAI a transmis à l’assuré un préavis (projet) de décision, à teneur duquel il envisageait de lui refuser tout droit à une rente et à des mesures d’ordre professionnel.

b. Par plis des 13 novembre et 8 décembre 2020, l’assuré s’y est opposé, arguant qu’il n’avait jamais recouvré la moindre capacité de travail depuis 2001, son état de santé s’étant au contraire aggravé, vu la survenance de complications cardiaques, intestinales, et de l’apparition de troubles psychiatriques handicapants au quotidien (crises d’angoisse, insomnie et agoraphobie).

c. Par décision du 1er février 2021, l’OAI a confirmé son refus d’accorder à l’assuré une rente d’invalidité et des mesures d’ordre professionnel. L’office a retenu que, suite à une péjoration de son état de santé, l’assuré avait présenté une capacité de travail nulle dans toute activité dès le 23 septembre 2019. Grâce à une amélioration subséquente, il avait toutefois recouvré, en décembre 2019, une capacité de travail de 70% dans toute activité adaptée. À l’issue du délai de carence d’un an, en septembre 2020, la comparaison des revenus ne mettait en évidence qu’une perte de gain de 32%, insuffisante pour ouvrir droit à une rente. Des mesures d’ordre professionnel n’étaient pas susceptibles d’augmenter sensiblement la capacité de gain. Enfin, les griefs invoqués par l’assuré à l’appui de ses objections au préavis de décision ne modifiaient pas l’appréciation de l’office, l’expert ayant déjà tenu compte des problèmes de santé invoqués.

C. a. Par acte du 4 mars 2021, l’assuré a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la CJCAS) d’un recours, concluant principalement à l’annulation de la décision du 2 février 2021 et à l’octroi d’une rente entière d’invalidité dès le mois de septembre 2019, subsidiairement au renvoi de la cause à l’OAI afin qu’il mette en œuvre une expertise psychiatrique « complémentaire ».

Il a contesté la pleine capacité de travail retenue dans l’expertise, dont le volet psychiatrique lui paraissait « incohérent » et « lacunaire ». À son sens, il convenait de se fonder sur les rapports de ses médecins, les Drs D______ et E______, lesquels avaient conclu à une capacité de travail nulle, dans la mesure où son état de santé somatique et psychique n’avait cessé de se détériorer. Du point de vue somatique, en sus d’une gonarthrose bilatérale existant depuis plusieurs années, il souffrait désormais de rhizarthrose bilatérale, d’arthrose carpo-radiale, de chondrocalcinose, de diverticulose et d’une dilatation du ventricule gauche. Sous l’angle psychiatrique, il était sujet à des épisodes dépressifs modérés, ainsi qu’à des troubles anxieux persistants. Un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité lui avait par ailleurs été diagnostiqué. Au regard de ses problèmes de santé, de ses nombreuses limitations, mais également de son absence de formation et de sa proximité avec l’âge de la retraite, l’exercice d’une profession lui paraissait irréaliste, de sorte qu’il estimait avoir droit à une rente entière d’invalidité. Pour le reste, le revenu sans invalidité retenu dans la décision attaquée (CHF 81'845.-) lui paraissait contradictoire avec le salaire mensuel brut de CHF 5'500.- dont il avait fait état dans sa dernière demande de prestations.

b. Dans sa réponse, l’intimé a conclu au rejet du recours.

Le recourant ne mettait pas en évidence d’élément objectif susceptible d’avoir été ignoré par l’expert. Par ailleurs, il ne ressortait de l’expertise ni trouble de la personnalité, ni limitations dans les actes de la vie quotidienne, mais au contraire des ressources amicales et familiales, ainsi qu’un potentiel d’amélioration en cas de modification du traitement. L’assurance-invalidité n’avait pas à répondre de facteurs étrangers à l’invalidité, tels que l’âge, une formation insuffisante ou des difficultés linguistiques. S’agissant enfin du revenu sans invalidité, l’office l’avait fixé à bon droit sur la base du salaire de chauffeur à la Poste, selon les indications fournies par l’ex-employeur, en tenant compte de l’évolution des salaires. La décision attaquée était fondée.

c. Le recourant a répliqué, persistant dans les conclusions de son recours. Le raisonnement de l’experte psychiatre lui paraissait contradictoire, puisqu’il consistait à relativiser la symptomatologie anxio-dépressive dont avait fait état le Dr E______, tout en préconisant un traitement antidépresseur et anxiolitique, ce qui suggérait l’existence de troubles dépressifs avérés. S’agissant du potentiel d’amélioration qu’un traitement était censé lui apporter, selon l’expertise, le recourant soulignait que le Dr E______ avait au contraire relevé la résistance des troubles psychiques aux cinq traitements qui lui avaient été prescrits depuis 2018, ceci malgré sa bonne adhésion thérapeutique. Il lui paraissait donc « illusoire » de lui reconnaître une capacité de travail de 70%, sur la base du bénéfice potentiel induit par le traitement préconisé dans l’expertise. Pour le reste, l’experte-psychiatre avait omis de tenir compte de limitations psychiques, qui ressortaient pourtant de certains passages de l’expertise et du rapport du Dr E______ de septembre 2019. À son sens, l’expertise du CEMEDEX se révélait incomplète et contradictoire, de sorte que l’on ne pouvait se fonder sur celle-ci pour lui reconnaître une quelconque capacité résiduelle de travail.

d. Le 1er février 2022, la CJCAS a tenu une audience d’enquêtes et de comparution personnelle des parties. À cette occasion, elle a entendu le recourant, ainsi que les Drs D______ et E______ en qualité de témoins.

Entendu en premier, le Dr D______ a expliqué suivre le recourant depuis 2009, approximativement une à deux fois par année. Il n’avait pas lu l’expertise diligentée par l’assurance-invalidité. S’agissant de son rapport du 21 octobre 2019, il a exposé que la capacité de travail de « 0% » qu’il avait attestée était erronée ; en réalité, il évaluait la capacité de travail à 0% dans l’activité habituelle et à 100% théoriquement dans une activité adaptée, tout en précisant néanmoins que ce serait un défi de trouver une profession qui tienne compte à la fois des limitations d’ordre somatique et de celles d’ordre psychique. En l’absence de bilan rhumatologique détaillé, il n’avait pas énoncé de limitations dans son rapport d’octobre 2019 ; cela étant, sur la base de son appréciation de généraliste, il estimait que l’assuré présentait une mobilité restreinte, en raison de douleurs chroniques des genoux, ainsi qu’une altération de la fonction cardiaque (actuellement stable grâce à un traitement). L’assuré avait enfin évoqué en consultation des vertiges paroxistiques, ainsi qu’une anxiété et des troubles du sommeil, pour lesquels il bénéficiait d’un suivi psychiatrique. Le Dr D______ confirmait ne pas attester de limitations en relation avec l’accomplissement des tâches ménagères quotidiennes. Enfin, l’évolution de la situation au plan somatique lui paraissait stationnaire, en-dehors d’une lente péjoration des douleurs affectant les genoux.

La CJCAS a ensuite entendu le Dr E______, lequel a indiqué avoir suivi le recourant à raison d’une à deux fois par mois dès le 12 novembre 2018, tout en déléguant le suivi psychothérapeutique à un psychologue. Depuis l’été 2020, le recourant était suivi par un nouveau psychiatre, le Dr I______. Il n’avait pas lu l’expertise du CEMEDEX. Il avait suivi le recourant alors que celui-ci présentait un épisode dépressif, ce qui ne reflétait pas son fonctionnement dans la durée, le patient n’étant pas toujours dépressif. Durant la période où il l’avait suivi et du fait de son état déprimé, le recourant était en retrait social par rapport à ses habitudes et ses activités plutôt limitées aux choses de la vie quotidienne. Cet épisode dépressif modéré avait duré depuis novembre 2019, avant quoi le recourant n’avait pas présenté un état dépressif caractérisé mais plutôt un état réactionnel (CIM-10, F43.2) lié à ses problèmes de santé physique. En novembre 2018, il avait prescrit un premier antidépresseur (Trazodone) à une dose faible, non pas contre la dépression mais plutôt pour le sommeil, auquel il avait substitué, en janvier 2019, un autre antidépresseur (Mirtazapine) également administré à faible dose en raison d’un effet indésirable. Ensuite, il y avait eu une évolution vers une dépression caractérisée (état dépressif modéré) et en novembre 2019, il avait augmenté l’antidépresseur à la dose minimale permettant une action antidépressive. S’il n’avait pas prescrit d’antidépresseurs à proprement parler avant novembre 2019, c’était parce qu’il n’y avait alors pas encore de dépression caractérisée et que les bonnes pratiques commandaient de ne pas en prescrire dans ces circonstances. Après une augmentation subséquente de l’antidépresseur jusqu’à la dose maximale, en janvier 2020, le traitement avait été arrêté en raison d’effets indésirables, en février 2020, puis substitué par un autre traitement avec effet anxiolytique (Pregabaline) ; l’humeur s’était améliorée, mais des symptômes d’insomnie et d’anxiété subsistaient. Par la suite, le suivi avait été entravé par le confinement et le fait que le recourant séjournait alors en France, des entretiens n’ayant eu lieu que le 3 mars 2020, puis par téléphone le 4 avril 2020 et en juillet 2020, pour parler du changement de suivi. En avril 2020, le symptôme qui subsistait était une insomnie, raison pour laquelle il avait represcrit le Trazodone.

Toujours selon le Dr E______, s’agissant de la capacité de travail, elle était difficile à évaluer lorsqu’un patient n’avait plus travaillé depuis vingt ans. Un épisode dépressif modéré n’entraînait une incapacité de travail que pour une durée limitée. Bien qu’il ne s’était pas particulièrement préoccupé de la capacité de travail, dans la mesure où il n’avait pas eu à établir de certificats d’arrêt de travail, le Dr E______ estimait que l’incapacité de travail avait été d’au moins 50% de novembre 2018 à novembre 2019, ensuite de quoi elle avait atteint 100%, ceci jusqu'à la dernière consultation en présentiel en mars 2020. En effet, durant la période de l’état dépressif modéré, la capacité de travail était nulle, car il s’agissait d’une dépression de type « agité », ce qui tenait également au trouble de l’attention avec hyperactivité (TDAH) que présentait le recourant. Dès février 2020, l’état dépressif s’était amélioré de façon significative, avec toutefois la persistance de symptômes d’anxiété, d’insomnie et d’un comportement agoraphobique.

Interrogé sur le trouble affectif bipolaire évoqué par l’experte-psychiatre, le Dr E______ a indiqué qu’il ne voyait pas d’argument en ce sens. Quant à l’évaluation consensuelle des experts selon laquelle une amélioration de la capacité de travail à 80% était attendue dans les six mois après adaptation du traitement psychiatrique, le Dr E______ relevait qu’avec un – éventuel – trouble bipolaire, l’évolution demeurait incertaine et qu’il était très difficile de prédire une amélioration après six mois.

Entendu à son tour, le recourant a indiqué être entré à la Poste à 15 ans et demi en 1980, alors qu’il était sportif d’élite. Il y avait reçu une formation de facteur. Après son service militaire et une courte période à la Légion étrangère, il était retourné à la Poste en tant que chauffeur poids lourds, où il avait finalement travaillé dans les transports de fonds à 100%. Il avait dû arrêter le sport à haut niveau à cause de problèmes aux deux genoux (rotules) et en raison de cette problématique, la Poste l’avait mis en retraite médicale anticipée et avec un montant pour formuler une demande AI qui s'appelait le « pont ». Il avait ainsi déposé une demande de réinsertion auprès de l’AI en 2000. Après cela, il s’était désociabilisé et n’avait plus travaillé, mais s’était occupé de ses deux enfants. Par la suite, la Poste lui avait demandé de déposer une nouvelle demande AI en 2007, à défaut de quoi il perdrait le « pont » ; l’AI n’était pas entrée en matière et il avait dû rembourser CHF 43'000.- environ à la Poste à cause du système du « pont », qu’il n’avait pas compris avant. Dès 2012-2013, il avait commencé à avoir des problèmes de santé plus compliqués, notamment des problèmes d'intestin qui l’empêchaient de prendre un anti-inflammatoire. Il avait arrêté de faire des activités, ce qui avait entraîné des problèmes de comportement. Il avait également eu un accident de voiture en 2010-2011 dont il avait résulté des acouphènes à l'oreille gauche. Depuis deux ans et demi-trois ans, il avait entamé une psychothérapie. En parallèle, des problèmes cardiaques avaient été trouvés et les bétabloquants rendaient ses déplacements plus fatigants, au même titre que les antidépresseurs. Il avait alors commencé à souffrir de crises d’angoisse, qui l’empêchaient de dormir et le rendaient irritable, et n’avait plus supporté les gens. Pendant le premier confinement en 2020, il s’était isolé à la montagne dans le chalet de son ex-épouse, ce qui avait amoindri encore davantage sa capacité à entretenir des relations sociales. Il n’avait plus vu sa fille depuis quatre ans, mais maintenait une bonne entente avec son fils, qui l’aidait, tout comme son ex-épouse. Depuis trois-quatre ans, sa vie sociale avait sensiblement diminué et les changements de médicaments, notamment d’antidépresseurs à plusieurs reprises, s’étaient révélés problématiques. Parfois, des amis venaient le voir, mais les relations humaines ne l'intéressaient plus, et il n’avait plus non plus l’envie de faire des choses. Il était en outre angoissé par le fait qu’il y avait des contre-indications pour certains médicaments.

S’agissant des troubles de la main droite, évoqués dans le rapport du SMR de novembre 2020, ils correspondaient à ceux qu’il avait indiqués à l’expert et dont il souffrait depuis une quinzaine d’années, avec une péjoration dans le temps ; en effet, les sports de combats qu’il avait pratiqués quinze ans auparavant avaient provoqué des micro-fractures dans les poignets et les mains, de sorte qu’il avait des problèmes pour tenir un stylo dans les mains. En mars 2020, il avait subi une opération du tunnel carpien en raison de difficultés à fermer la main. En outre, il avait perdu la sensibilité de trois doigts de la main gauche, après s’être coupé avec un sécateur. Depuis deux ans, il était suivi par le docteur J______, cardiologue FMH, pour le cœur et son essoufflement s’était aggravé pendant cette période. Il y a environ deux ans, il avait également eu une thrombose à la jambe gauche, traitée par anticoagulant. Par ailleurs, il devait faire attention à son mollet gauche, notamment s’il restait trop longtemps en voiture ou dans un avion (bas de contention). Au plan ORL, outre les accouphènes qu’il entendait du côté gauche, il présentait occasionnellement des vertiges.

Sur question, le recourant a exposé que, dans l’expertise du CEMEDEX, il n’avait pas compris certaines choses. En particulier, il avait dit à l’experte psychiatre qu’il ne voyait pas comment il pourrait doubler la dose d'antidépresseurs, comme elle l’avait proposé. Il n’avait pas eu de problème avec l'expert orthopédiste, mais avait été choqué par le fait que l'expert généraliste avait occulté ses problèmes de cœur. Cet expert était stressé et s'intéressait à son habillement. Il n’avait pas pu lui décrire tous ses problèmes de santé, en raison du manque de temps.

L’avocat du recourant a précisé que c’était l’ensemble du volet de l’expertise psychiatrique qui était contesté, mais pas les deux autres volets. Le recourant ne contestait pas les constatations de l’experte-psychiatre, mais plutôt ses appréciations, notamment en relation avec les passages de l’expertise que le juge de la CJCAS avait lu au Dr E______ (NDR : ceux ayant trait à l’évaluation consensuelle des experts de la capacité de travail et à la difficulté, relatée par l’experte-psychiatre, de retenir un diagnostic précis en raison d’une superposition de symptômes). S’agissant des diminutions de rendement, les aspects somatique et psychique devraient être pris comme un tout de sorte qu'il devrait y avoir une addition des baisses de rendement sous l’angle somatique et psychiatrique (20% chacune) pour établir la capacité de travail.

La représentante de l’intimé a rétorqué que les experts avaient jugé de façon consensuelle que les diminutions de rendement de 20% au niveau orthopédique et 20 % – après traitement – au niveau psychiatrique ne s’additionnaient pas. C’était précisément le rôle des experts de se déterminer sur la question du rendement et de la capacité de travail.

e. Suite à l’audience, le recourant a transmis à la CJCAS un rapport du Dr J______, daté du 19 février 2022, attestant qu’il présentait une cardiomyopathie dilatée, d’origine indéterminée, laquelle lui avait été diagnostiquée entre 2019 et 2020. Un récent bilan échocardiographique, daté du 15 février 2022, avait montré une stabilité de dysfonction ventriculaire gauche, grâce au traitement. Le recourant se plaignait d’un essoufflement en cas d’effort modéré, d’une fatigue et de palpitations occasionnelles. Le Dr J______ estimait qu’au vu de l’état cardiaque actuel, l’incapacité de travail était d’au moins 50%.

f. À la demande de la CJCAS, le Dr I______ a répondu à un questionnaire le 25 février 2022. Il a indiqué suivre le recourant depuis le mois de décembre 2020. Les diagnostics retenus étaient ceux d’anxiété généralisée (F41.1), d’agoraphobie modérée (F40.0), de trouble dépressif récurrent, actuellement en rémission (F33.4), d’accentuation de traits de personnalité, structure de personnalité émotionnellement labile de type impulsif avec traits narcissiques et anankastiques (Z73.1), de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation d’alcool et de cocaïne, utilisation nocive pour la santé (F10.1 et 14.1), ainsi que de possible TDAH (F90). L’évolution de l’état de santé psychique était « fluctuante », essentiellement en raison du fait que le recourant gérait mal le stress face à sa situation sociale précaire et à ses incertitudes par rapport aux démarches en cours auprès de l’assurance-invalidité. Le suivi psychiatrique était moyennement investi. Le réseau social et familial était restreint, en-dehors de fréquentations au moins une fois par semaine au « Club des motards ». À la question de savoir si le recourant était capable d'exercer une activité lucrative adaptée, le psychiatre a répondu par la négative (avec mention du " 0 %"), sans autres précisions (notamment concernant le type d'activité). Interrogé ensuite sur le point de savoir depuis quand la capacité de travail était réduite et comment celle-ci avait évolué, le Dr I______ a répondu qu’il ne pouvait se déterminer sur cette question, qui relevait du domaine d’une expertise ; son évaluation était « strictement clinique ». Le pronostic lui paraissait mauvais, au vu du déconditionnement du recourant, de son isolement social, de son âge et de la longue période pendant laquelle il avait été sans emploi.

g. Dans ses observations après enquêtes, l’intimé a persisté dans ses conclusions tendant au rejet du recours, rétorquant qu’une analyse des indicateurs jurisprudentiels topiques en matière d’atteinte à la santé psychique ne permettait pas de retenir une totale incapacité de travail, comme le faisait le Dr I______, tandis que le Dr J______ attestait d’une incapacité de travail de 50% sur la base d’une fraction d’éjection inférieure à 40%, soit d’un fait postérieur à la décision litigieuse, qui ne permettait pas de modifier les conclusions du SMR.

L’intimé a joint à son écriture un nouvel avis médical rédigé le 28 mars 2022 par la Dresse K______, du SMR : le Dr I______ avait essentiellement mis en exergue des facteurs extra-médicaux et n’avait pas examiné les répercussions des atteintes psychiques sur les activités de la vie quotidienne. Il avait fait état d’un suivi psychiatrique moyennement investi, sans en préciser la fréquence. Par ailleurs, l’échocardiographie annexée au rapport du Dr J______ témoignait d’une fraction d’éjection de 39%. Une incapacité de travail de 50% ne pouvait être retenue qu’à partir d’une fraction d’éjection inférieure à 40%, mais il s’agissait-là d’un fait postérieur à la décision litigieuse.

h. Le recourant a également transmis des observations après enquête, persistant lui aussi dans ses conclusions. Il a relevé, en particulier, que le Dr E______ avait retenu une capacité de travail nulle, en lien avec une dépression « agitée » et un trouble de l’attention avec hyperactivité, ce qui rejoignait les conclusions du Dr I______. Quant au Dr J______, il avait fait état d’une incapacité de travail d’au moins 50%, en lien avec une altération cardiaque. À son sens, l’administration des preuves démontrait sa totale inaptitude à travailler, vu son état de santé rhumatologique, cardiaque et psychiatrique, ainsi que ses limitations.

i. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             La LPGA, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, est applicable.

3.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]). Interjeté dans la forme et le délai prescrits par la loi, le recours est recevable.

4.             Le 1er janvier 2022 sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées ci-après dans leur ancienne teneur.

5.             Le litige porte sur le droit du recourant à une rente (au vu des conclusions du recours), dans le cadre de la nouvelle demande qu'il a déposée en 2019.

6.             L'assuré a droit à une rente lorsqu'il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d'au moins 40 % en moyenne durant une année sans interruption notable et qu'au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40 % au moins (cf. art. 28 al. 1 let. b et c LAI, en sa teneur en vigueur dès le 1er janvier 2008 - 5ème révision AI). En vertu de l'art. 28 al. 2 LAI, l'assuré a droit à une rente entière s'il est invalide à 70 % au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60 % au moins, à une demi-rente s'il est invalide à 50 % au moins, ou à un quart de rente s'il est invalide à 40 % au moins.

7.             Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l'art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique ou mentale et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l'atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d'une incapacité de gain. De plus, il n'y a incapacité de gain que si celle-ci n'est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

La notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale ; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L'atteinte à la santé n'est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l'assuré (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).

8.              

8.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c ; ATF 102 V 165 consid. 3.1; VSI 2001 p. 223 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanant d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; ATF 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1 ; ATF 130 V 396 consid. 5.3 et 6).

Dans sa jurisprudence récente (ATF 143 V 409 consid. 4.5 et ATF 143 V 418 consid. 6 et 7), le Tribunal fédéral a modifié sa pratique lors de l'examen du droit à une rente d'invalidité en cas de troubles psychiques. La jurisprudence développée pour les troubles somatoformes douloureux, selon laquelle il y a lieu d'examiner la capacité de travail et la capacité fonctionnelle de la personne concernée dans le cadre d'une procédure structurée d'administration des preuves à l'aide d'indicateurs (ATF 141 V 281), s'applique dorénavant à toutes les maladies psychiques (ATF 143 V 409 consid. 4.5.1).

En cas de troubles psychiques, la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée, en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs incapacitants et, d'autre part, des potentiels de compensation (ressources) (ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4). L'accent doit ainsi être mis sur les ressources qui peuvent compenser le poids de la douleur et favoriser la capacité d'exécuter une tâche ou une action (arrêt du Tribunal fédéral 9C_111/2016 du 19 juillet 2016 consid. 7 et la référence). 

Il y a lieu de se fonder sur une grille d’analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (ATF 141 V 281 consid. 4). Ces indicateurs sont classés comme suit :

-       Catégorie « Degré de gravité fonctionnel » (ATF 141 V 281 consid. 4.3)

A.      Complexe « Atteinte à la santé » (consid. 4.3.1)

Expression des éléments pertinents pour le diagnostic (consid. 4.3.1.1), succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à cet égard (consid. 4.3.1.2), comorbidités (consid. 4.3.1.3)

B.       Complexe « Personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles ; consid. 4.3.2) 

C.       Complexe « Contexte social » (consid. 4.3.3)

-       Catégorie « Cohérence » (aspects du comportement ; consid. 4.4) 

Limitation uniforme du niveau d'activité dans tous les domaines comparables de la vie (consid. 4.4.1), poids des souffrances révélé par l'anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation (consid. 4.4.2).

Les indicateurs appartenant à la catégorie « degré de gravité fonctionnel » forment le socle de base pour l’évaluation des troubles psychiques (ATF 141 V 281 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2).

8.2 Cela étant, pour des motifs de proportionnalité, on peut renoncer à une appréciation selon la grille d’évaluation normative et structurée si elle n’est pas nécessaire ou si elle est inappropriée. Il en va ainsi notamment lorsqu’il n’existe aucun indice en faveur d’une incapacité de travail durable ou lorsque l’incapacité de travail est niée sous l’angle psychique sur la base d’un rapport probant établi par un médecin spécialisé et que d’éventuelles appréciations contraires n’ont pas de valeur probante du fait qu’elles proviennent de médecins n’ayant pas une qualification spécialisée ou pour d’autres raisons (arrêt du Tribunal fédéral 9C_101/2019 du 12 juillet 2019 consid. 4.3 et la référence ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_724/2018 du 11 juillet 2019 consid. 7). En l’absence d’un diagnostic psychiatrique, une telle appréciation n’a pas non plus à être effectuée (arrêt du Tribunal fédéral 9C_176/2018 du 16 août 2018 consid. 3.2.2).

8.3 Le Tribunal fédéral a récemment rappelé qu’en principe, seul un trouble psychique grave peut avoir un caractère invalidant. Un trouble dépressif de degré léger à moyen, sans interférence notable avec des comorbidités psychiatriques, ne peut généralement pas être défini comme une maladie mentale grave. S'il existe en outre un potentiel thérapeutique significatif, le caractère durable de l'atteinte à la santé est notamment remis en question. Dans ce cas, il doit exister des motifs importants pour que l'on puisse néanmoins conclure à une maladie invalidante. Si, dans une telle constellation, les spécialistes en psychiatrie attestent sans explication concluante (éventuellement ensuite d'une demande) une diminution considérable de la capacité de travail malgré l'absence de trouble psychique grave, l'assurance ou le tribunal sont fondés à nier la portée juridique de l'évaluation médico-psychiatrique de l'impact (ATF 148 V 49 consid. 6.2.2 et les références).

9.              

9.1 Selon l'art. 87 al. 2 et 3 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI - RS 831.201), lorsque la rente ou l'allocation pour impotent a été refusée parce que le degré d'invalidité était insuffisant ou parce qu'il n'y avait pas d'impotence, la nouvelle demande ne peut être examinée que si l'assuré rend plausible que son invalidité ou son impotence s'est modifiée de manière à influencer ses droits.

Cette exigence doit permettre à l'administration qui a précédemment rendu une décision de refus de prestations entrée en force, d'écarter sans plus ample examen de nouvelles demandes dans lesquelles l'assuré se borne à répéter les mêmes arguments, sans alléguer une modification des faits déterminants (ATF 125 V 410 consid. 2b).

9.2 Lorsque l'administration entre en matière sur une nouvelle demande de prestations, elle doit examiner la cause au plan matériel - soit en instruire tous les aspects médicaux et juridiques - et s'assurer que la modification du degré d'invalidité rendue vraisemblable par l'assuré est effectivement survenue (arrêt du Tribunal fédéral 9C_142/2012 du 9 juillet 2012 consid. 4). Si elle constate que les circonstances prévalant lors de la dernière décision entrée en force et reposant sur un examen matériel du droit à la rente (cf. ATF 133 V 108) ne se sont pas modifiées jusqu'au moment de la nouvelle décision, et que le degré d'invalidité n'a donc pas changé, elle rejette la nouvelle demande. Dans le cas contraire, elle est tenue d'examiner s'il y a désormais lieu de reconnaître un taux d'invalidité ouvrant le droit à une prestation ou augmentant celle-ci. En cas de recours, le même devoir d'examen matériel incombe au juge (ATF 117 V 198 consid. 3a, 109 V 114 consid. 2a et b).

10.         Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

On ajoutera qu'en cas de divergence d’opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. À cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2008 du 5 mars 2009 consid. 2.2).

11.         Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; ATF 126 V 353 consid. 5b ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

12.         En l’espèce, il convient tout d’abord de rappeler que dans sa décision entrée en force du 6 novembre 2008 – dernière décision reposant sur un examen matériel du droit aux prestations –, l’intimé avait rejeté la seconde demande de prestations du recourant, au motif que ce dernier, bien que totalement incapable d’exercer son activité antérieure de convoyeur de fonds, disposait néanmoins d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée d’employé de commerce, pour laquelle un reclassement lui avait été proposé, ce dont il résultait un degré d’invalidité de 2%. L’intimé avait fondé sa décision, entre autres, sur un rapport rédigé le 3 juillet 2007 par le Dr B______, ainsi qu’un rapport daté du 17 octobre 2007 et émanant du SMR, lequel concluait à une capacité de travail de 100% dans toute profession adaptée aux limitations fonctionnelles.

Saisi en 2019 d'une nouvelle demande, l'intimé est entré en matière sur celle-ci et a diligenté une expertise pluridisciplinaire en médecine interne, psychiatrie et orthopédie, à l’issue de laquelle les experts ont conclu à une capacité de travail de 80% dans toute activité adaptée jusqu’au 22 septembre 2019, de 0% du 23 septembre 2019 au 30 novembre 2019, en raison d’une décompensation dépressive, puis de 70% dès le 1er décembre 2019. Sur cette base, l'intimé, dans la décision attaquée, a rejeté la nouvelle demande.

Dans son recours, l’assuré conteste (implicitement) la valeur probante du volet psychiatrique de l’expertise du CEMEDEX, qu’il juge « incohérent » et « lacunaire ». À son sens, il convient de se fonder sur les rapports de ses médecins, les Drs D______ et E______, lesquels ont conclu à une capacité de travail nulle. Le recourant souligne notamment que, sous l’angle psychiatrique, il est sujet à des épisodes dépressifs modérés, ainsi qu’à des troubles anxieux persistants. En outre, un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) lui a été diagnostiqué. Au regard de ses problèmes de santé, de ses nombreuses limitations, mais également de son absence de formation et de sa proximité avec l’âge de la retraite, l’exercice d’une profession lui paraît irréaliste, de sorte qu’il estime avoir droit à une rente entière d’invalidité.

13.          

13.1 La chambre de céans constate que l'expertise pluridisciplinaire du CEMEDEX est fondée sur une anamnèse complète et détaillée, intégrant un résumé des pièces pertinentes versées au dossier, mais également sur les indications subjectives de l'assuré, des examens cliniques complets, ainsi qu'une évaluation consensuelle du cas. En outre, ses conclusions sont motivées, de sorte qu'elle satisfait aux réquisits jurisprudentiels topiques en matière de valeur probante.

13.2 Il ressort de cette expertise qu’au plan orthopédique, le recourant présente essentiellement une gonarthose bilatérale (M174), au niveau du compartiment interne et fémoro-patellaire, une chondrocalcinose, ainsi qu’une rhizarhrose (M180) et une arthrose carpo-radiale bilatérales (M1993). En substance, l’expert en chirurgie orthopédique a exposé que le recourant ne travaillait plus depuis 1999, après avoir subi une distorsion du genou et de la cheville droite. Les radiographies effectuées dans le cadre de l’expertise démontraient que ses genoux avaient développé une arthrose, plus marquée du côté droit. Depuis une quinzaine d’années, il souffrait également de douleurs aux poignets, ce qui limitait l’accomplissement d’activités manuelles (force de préhension limitée). Enfin, depuis mars 2020, il présentait un syndrome du tunnel carpien à droite, pour lequel il devait être opéré. De ces troubles découlaient certaines limitations fonctionnelles (limiter la marche, éviter les positions agenouillées, accroupies, les montées et descentes d’échelles ou d’escaliers, nécessité de bouger les membres inférieurs en cas de positions statiques), lesquelles n’empêchaient toutefois pas l’exercice d’une activité adaptée à plein temps, moyennant une diminution de rendement de 20%, visant à permettre au recourant de prendre des pauses pour changer de position et de reposer ses mains lorsqu’il effectuait des travaux manuels. De son côté, l’expert en médecine interne a indiqué que le recourant présentait, au plan cardiaque, un ventricule gauche légèrement dilaté, dont la fonction contractive globale était discrètement diminuée (insuffisance mitrale et aortique). Un test d’effort diligenté par le Dr J______ avait pu être effectué complètement et témoignait d’une bonne aptitude physique. L’intéressé bénéficiait d’un suivi cardiologique régulier et était traité par un bêtabloquant, associé à un inhibiteur de l’ECA. Par ailleurs, il présentait une diverticulose pancolique, pour laquelle aucune chirurgie n’était préconisée et qui ne nécessitait qu’un traitement occasionnel. Ces atteintes, relevant de la médecine interne, n’entraînaient pas de limitations particulières et ne restreignaient pas la capacité de travail.

13.3 En ce qui concerne le volet psychiatrique de l’expertise et sous l’angle du diagnostic (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1 ; ATF 143 V 409 consid. 4.5.2), l’experte-psychiatre a retenu un trouble anxieux et dépressif mixte (F41.2), ainsi qu’une accentuation de traits de la personnalité (Z.73.1). Elle a également fait état d’un « possible » TDAH, toutefois sans formellement retenir ce diagnostic, dès lors qu’il existait une superposition de symptômes susceptibles d’évoquer aussi bien un TDAH qu’une accentuation de traits de la personnalité ; à cet égard, elle a encore précisé que le fait que le recourant ne décrivait ni difficultés d’apprentissage, ni difficultés comportementales durant l’enfance plaidait plutôt contre un TDAH. L’experte-psychiatre a par ailleurs écarté l’hypothèse d’un léger trouble affectif bipolaire, dans la mesure où le recourant n’avait jamais fait d’épisode maniaque franc, ni n’avait perdu le contact avec la réalité. S’agissant du diagnostic retenu par l’experte d’accentuation de traits de la personnalité, on relèvera d’emblée que, selon la jurisprudence, des traits de personnalité signifient que les symptômes constatés ne sont pas suffisants pour retenir l’existence d’un trouble spécifique de la personnalité. Ils n'ont, en principe, pas valeur de maladie psychiatrique et ne peuvent, en principe, fonder une incapacité de travail en droit des assurances au sens des art. 4 al. 1 LAI et 8 LPGA (arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2019 du 17 mars 2020 consid. 5.3 et les références). Pour le reste, l’experte a précisé qu’il n’existait pas de maladie psychiatrique « au long cours », le recourant ayant pu travailler durant de nombreuses années et gérer ses comportement et vulnérabilités émotionnelles par des stratégies adaptatives efficaces. Le recourant ne présentait qu’un état anxio-dépressif depuis 2011, lequel avait motivé un suivi psychiatrique intégré chez le Dr E______ dès 2018, sans jamais nécessiter d’hospitalisation. Une décompensation psychiatrique (transitoire) s’était produite pendant deux mois dès le 23 septembre 2019, date du rapport du Dr E______, ensuite de quoi l’état de santé s’était amélioré. Au vu des constatations ressortant de l’expertise, on ne saurait déduire des diagnostics et des symptômes pertinents un degré de gravité important de la maladie psychique (cf. ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.1).

S'agissant du traitement (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.2), l’experte-psychiatre a précisé que, dès 2018, le recourant avait entamé un suivi psychiatrique auprès du Dr E______, jugé bénéfique. Selon l’experte, il existait encore un potentiel d’amélioration de la symptomatologie, moyennant une adaptation du traitement psychotrope, notamment par l’introduction de la Velafaxine ou de la Quiétapine à faible dose. Grâce à une telle adaptation, on pouvait s’attendre à une augmentation de la capacité de travail (de 10%) dans les six mois après le début de ladite adaptation. Par ailleurs, l’experte a précisé que le dosage sanguin de Trazodone avait montré un taux inférieur à la fourchette thérapeutique, en raison de la faible dose prescrite et de la courte demi-vie du produit. Au regard de ce qui précède, force est de constater que l’expertise ne met pas en évidence l’échec de tout traitement conforme aux règles de l'art, pas plus que l'échec d'une réadaptation conduite de manière adéquate, étant rappelé que l’assuré a jadis refusé de se soumettre à une mesure de reclassement qui lui avait été proposée par l’AI en tant qu’employé de commerce (parce qu’il estimait ne pas en avoir les capacité, bien que des tests psychotechniques avaient démontré le contraire, et qu’il ne souhaitait pas suivre une formation à plein temps afin de faire face à ses « obligations de père »), ce qui a conduit au rejet de sa première demande de prestations (cf. décision entrée en force du 22 novembre 2004, en relation avec la sommation du 21 octobre 2004).

Concernant le contexte social et familial (ATF 141 V 281 consid. 4.3.3), l’expertise indique que le recourant présente un retrait social, lequel n’est toutefois que partiel. En effet, à teneur de l'expertise, malgré l’isolement qu’il déplore, le recourant garde de bons contacts avec son fils majeur ainsi qu’avec son ex-femme, avec laquelle il vit en colocation; il a en outre une nouvelle compagne, avec laquelle il entretient une relation suivie; de plus, le recourant continue de voir des amis, notamment dans le cadre d’un club de moto, quand bien même ces rencontres sont moins fréquentes qu’auparavant. Selon la chambre de céans, ces éléments ne permettent pas de conclure à un retrait social important et il convient d’admettre, avec les experts, que le recourant conserve des relations sociales suffisantes, malgré les restrictions dont il fait état.

S'agissant des ressources (ATF 141 V 281 consid. 4.3.2), il ressort de l’expertise que le recourant présente quelques limitations fonctionnelles d’ordre psychique, à savoir des troubles de l’attention, une tolérance à la frustration diminuée, ainsi que des difficultés d’organisation et de gestion du stress, limitations dont l’experte-psychiatre a considéré qu’elles diminuaient le rendement de 30% au moment de l’expertise, de sorte que la capacité de travail s’élevait à 70%. Selon l’experte, on pouvait néanmoins s’attendre, moyennant une adaptation du traitement psychiatrique, à une amélioration de la capacité de travail jusqu’à 80%. L’experte a précisé que le recourant, titulaire d’un CFC, paraissait avoir une intelligence normale et une mémoire adéquate. Il demeurait capable de se déplacer seul, que ce soit en voiture, en moto ou en transports publics, ainsi que d’effectuer des tâches ménagères légères (vaisselle, lessive, etc.), des petites commissions, et de préparer les repas de midi pour son fils. Pour la CJCAS, ces éléments tendent à démontrer que le recourant dispose encore de ressources mobilisables, susceptibles d’être mises à profit dans le domaine professionnel.

En ce qui concerne l’aspect de la « cohérence » (ATF 141 V 281 consid. 4.4), les experts n'ont pas mis en évidence de divergences significatives entre les symptômes décrits par le recourant et son comportement en situation d'examen. Cela étant, il ne ressort pas non plus de leurs constatations l’existence d’une limitation uniforme des niveaux d'activité dans tous les domaines comparables de la vie, le recourant demeurant autonome dans pratiquement toutes les fonctions de la vie quotidienne. Pour le reste, les experts ont dûment pris en considération les limitations psychiques et somatiques pour quantifier la capacité résiduelle de travail, qu’ils ont chiffrée à 70% (taux d’activité exigible de 100%, avec une diminution de rendement de 30%), tout en relevant l’existence d’options thérapeutiques susceptible d’augmenter encore légèrement ladite capacité à l’avenir. Enfin, on relèvera qu’à lui seul, l’échec du reclassement proposé par l’OAI en tant qu’employé de commerce au début des années 2000 ne permet pas de conclure à l’existence de lourdes souffrances, dans la mesure où cet échec résulte du refus du recourant de se soumettre à une mesure de réadaptation pourtant exigible, comme en atteste la décision du 22 novembre 2004, entrée en force.

13.4 C'est le lieu de rappeler que lorsqu'une expertise repose sur une évaluation médicale complète, comme l'est celle du CEMEDEX, elle ne saurait être remise en cause pour le seul motif qu'un ou plusieurs médecins ont une opinion divergente. Pour qu'il en aille différemment, il appartient à la partie recourante de mettre en évidence des éléments objectivement vérifiables - de nature notamment clinique ou diagnostique - qui y auraient été ignorés et qui seraient suffisamment pertinents pour en remettre en cause le bien-fondé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_578/2009 du 29 décembre 2009 consid. 3.2).

En l'occurrence, ni le recourant, ni ses médecins ne mettent de tels éléments en évidence. Contrairement à ce que semble considérer le recourant, la problématique cardiaque pour laquelle il est suivi par le Dr J______ a été discutée par l'expert en médecine interne (pp. 8-9, 12 et 14 de l'expertise) et n'a donc pas été omise. Par ailleurs, le recourant ne peut être suivi lorsqu'il fait valoir que l'exercice d'une profession serait inenvisageable au regard de ses problèmes de santé, de ses limitations fonctionnelles, de son absence de formation et de sa proximité avec l'âge de la retraite. En effet, la capacité résiduelle de travail fixée à 70 % tient déjà compte de ses limitations somatiques et psychiques (qui correspondent essentiellement à des mesures d'épargne des membres inférieurs et, dans une moindre mesure, des poignets, ainsi qu'à la nécessité de privilégier des professions n'exigeant pas une forte concentration ni un travail de groupe), lesquelles ne sont pas de nature à l'empêcher de trouver une activité sur un marché du travail équilibré, par exemple une activité de bureau. À cet égard, on relèvera que, selon la jurisprudence, il n'y a pas lieu d'examiner la question de savoir si un invalide peut être placé eu égard aux conditions concrètes du marché du travail, mais uniquement de se demander s'il pourrait encore exploiter économiquement sa capacité résiduelle de travail lorsque les places de travail disponibles correspondent à l'offre de la main d'œuvre (ATF 130 V 346 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 9C_695/2010 du 15 mars 2011 consid. 5 et les arrêts cités). Par ailleurs, âgé de 56 ans au moment de l'expertise du CEMEDEX, le recourant n'avait pas atteint le seuil à partir duquel la jurisprudence considère généralement qu'il n'existe plus de possibilité réaliste d'exploiter la capacité résiduelle de travail sur un marché du travail supposé équilibré (arrêt du Tribunal fédéral 9C_695/2010 du 15 mars 2011 consid. 6.2 et les arrêts cités). On relèvera encore que, s'il est vrai que des facteurs tels que l'âge et le manque de formation jouent un rôle non négligeable pour déterminer dans un cas concret les activités que l'on peut encore raisonnablement exiger d'un assuré, le Tribunal fédéral a rappelé à maintes reprises qu'ils ne constituent pas des circonstances supplémentaires qui, à part le caractère raisonnablement exigible d'une activité, sont susceptibles d'influencer l'étendue de l'invalidité, même s'ils rendent parfois difficile, voire impossible la recherche d'une place et, partant, l'utilisation de la capacité de travail résiduelle (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 381/06 du 30 avril 2007 consid. 5.2 et les références).

Les avis des médecins du recourant ne permettent pas non plus de s'écarter de celui des experts : entendu en audience, le Dr E______ a expliqué qu'un épisode dépressif modéré n'entraînait une incapacité de travail que pour une durée limitée et qu'en l'occurrence, cet épisode dépressif avait commencé en novembre 2019 (avant quoi le recourant n'avait pas présenté un état dépressif caractérisé, mais plutôt un état réactionnel). C'était également en novembre 2019 que ce psychiatre avait augmenté l'antidépresseur à la dose minimale permettant une action antidépressive. Dès février 2020, l'état dépressif s'était amélioré de façon significative (même si quelques symptômes persistaient). Lors d'un entretien téléphonique avec l'experte-psychiatre, en août 2020, le Dr E______ a jugé adéquate une reprise d'activité à 50% "avec limitations". L'avis du Dr E______ converge donc avec celui de l'experte-psychiatre sur deux éléments essentiels, à savoir, d'une part, le caractère transitoire de l'épisode dépressif modéré et, d'autre part, l'exigibilité d'une reprise d'activité à temps partiel. Il ne remet donc pas en question l'avis de l'experte-psychiatre, étant précisé que le Dr E______ n’a pas cherché à étayer par une motivation circonstanciée son appréciation légèrement différente du taux de la capacité de travail.

De son côté, le Dr I______ - qui a repris le suivi psychiatrique du recourant dès décembre 2020 - a notamment indiqué que le trouble dépressif récurrent était actuellement "en rémission", ce qui paraît corroborer le point de vue de l'experte-psychiatre quant au caractère transitoire de l'épisode dépressif. Le Dr I______ ne s'est pas déterminé clairement sur la date à partir de laquelle la capacité de travail du recourant était réduite et sur la façon dont celle-ci avait évolué, questions dont il a estimé qu'elles relevaient du domaine d'une expertise. Pour le reste, ce médecin a indiqué que l'évolution " fluctuante " de l'état de santé psychique était liée, entre autres, à une situation sociale précaire et aux incertitudes du recourant vis-à-vis de sa situation financière, soit à des facteurs psychosociaux, qui ne sont pas pertinents du point de vue des assurances sociales (ATF 127 V 299 consid. 5a). En outre, il a lié son pronostic pessimiste quant à une potentielle reprise d'activité au déconditionnement professionnel du recourant et à son âge, soit à des facteurs étrangers à l'invalidité, dont l'intimé n'a pas à répondre. Enfin, ce médecin n'a pas fait état non plus d'éléments objectifs qui pourraient avoir été ignorés par les experts, de sorte que son point de vue ne remet pas non plus en question les conclusions du CEMEDEX.

Enfin, le Dr D______, également entendu en audience, a évalué la capacité de travail à 100% dans une activité adaptée, tout en soulignant la difficulté de trouver une profession tenant compte des limitations somatiques et psychiques du recourant. Son appréciation ne s'écarte pas fondamentalement de celle des experts et ne remet pas davantage en cause leurs conclusions.

13.5 Au vu de ce qui précède, la chambre de céans retient que les experts ont apprécié de manière satisfaisante les indicateurs déterminants pour conclure à une capacité de travail de 70% (susceptible d’être augmentée à l’avenir jusqu’à 80%, moyennant une adaptation du traitement), compte tenu d’une diminution de rendement de 30%. À cet égard, on précisera qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de l’appréciation consensuelle des experts concernant la capacité de travail et le rendement, laquelle résulte d’une évaluation globale intégrant aussi bien les aspects somatiques que psychiatriques, les experts ayant expressément exclu toute addition arithmétique des diminutions de rendement retenues dans les volets orthopédique et psychiatrique de l’expertise.

Ceci exclut toute nécessité d'une éventuelle expertise judiciaire ou d'un éventuel complément d'expertise.

14.          

14.1 Au vu de ce qui précède, c'est à bon droit que l'intimé s'est rallié aux conclusions de l'expertise du CEMEDEX. Il en résulte, au degré de la vraisemblance prépondérante, une capacité de travail nulle dans toute profession dès la date du rapport adressé à l’OAI par le Dr E______ (décompensation dépressive), puis de 70%, deux mois plus tard, dans toute activité adaptée aux limitations du recourant.

Bien que cela ne modifie en rien l’issue du litige, on relèvera incidemment que, contrairement à ce qu’ont retenu les experts, le Dr E______ a complété le questionnaire destiné à l’OAI le 1er novembre 2019 (et non le 23 septembre 2019, date qui correspond en réalité à la date à laquelle le questionnaire a été imprimé par l’administration, en vue de le transmettre au Dr E______). Il en résulte que la période de deux mois pendant laquelle le recourant a été totalement incapable de travailler, en raison d’une décompensation dépressive, s’étend du 1er novembre 2019 au 30 janvier 2020 (et non du 23 septembre au 30 novembre 2019, comme l’ont indiqué par erreur les experts en se référant à la date d’impression du questionnaire complété par le Dr E______), l’intéressé ayant ensuite recouvré, dès le 1er février 2020, une capacité de travail de 70% dans toute activité adaptée.

14.2 À l’issue du délai de carence d’un an, en 2020, l'intimé a arrêté le degré d'invalidité à 32%, en comparant le revenu sans invalidité (CHF 81’845.-) que le recourant aurait perçu en bonne santé selon son ex-employeur, en tenant compte de l'évolution des salaires, avec le revenu statistique d'invalide (CHF 55'922.-) qu'il aurait été en mesure de réaliser en exerçant à 70% une activité (adaptée) de type employé de commerce, selon la table statistique déjà utilisée dans la décision entrée en force de 2008 (tableau TA7, ligne 23 [autres activités commerciales et administratives], niveau 3 de l’Enquête suisse sur la structure des salaires [ESS] 2006, abattement de 10%), et en tenant compte de l’évolution des salaires jusqu’en 2020.

Il n’y a pas lieu de revenir, dans le détail, sur le calcul des revenus avec et sans invalidité résultant de la décision attaquée, lesquels ne sont pas sérieusement contestés par le recourant. Dans ses écritures, l’intéressé se limite en effet à relever que, dans sa dernière demande de prestations, il a déclaré avoir perçu un revenu mensuel brut de CHF 5'500.-, dans le cadre de sa dernière activité exercée auprès de la Poste. Ce faisant, il ne démontre pas l’inexactitude du revenu sans invalidité retenu par l’intimé, lequel se fonde, comme le préconise la jurisprudence (ATF 129 V 222 consid. 4.3.1), sur le dernier salaire qu’il a obtenu, selon les indications fournies par son ex-employeur (cf. p. 225 du dossier de l’intimé) et en tenant compte de l’évolution des salaires jusqu’en 2020.

En conclusion, il convient d’admettre qu’entre la décision entrée en force du 6 novembre 2008 et la décision litigieuse du 1er février 2021, l’état de santé du recourant ne s’est pas péjoré dans une mesure suffisante pour ouvrir le droit à une rente, le taux d’invalidité étant demeuré inférieur à 40% (art. 28 al. 1 LAI). Le recours sera donc rejeté.

15.         Postérieurement à la décision du 1er février 2021, l'état de santé du recourant pourrait s'être aggravé au plan cardiaque, le dossier ne permettant toutefois pas en l'état de se prononcer sur ce point. En effet, le bilan échocardiographique et le rapport du Dr J______ (datés des 15 et 19 février 2022), que le recourant a transmis dans le cadre de la présente procédure de recours, témoignent d’une fraction d’éjection de 39% – contre 43 % selon un "rapport d'épreuve d'effort" rédigé par le Dr J______ le 3 janvier 2019 – et d’une incapacité de travail évaluée à « au moins 50% » par ce cardiologue. Dans son avis du 28 mars 2022, le SMR semble concéder qu’une incapacité de travail de 50% pourrait être retenue, en présence d’une fraction d’éjection inférieure à 40%.

De jurisprudence constante, le juge des assurances sociales apprécie la légalité des décisions attaquées d’après l’état de fait existant au moment où la décision litigieuse a été rendue. Les faits survenus postérieurement et ayant modifié cette situation doivent faire l’objet d’une nouvelle décision administrative (ATF 131 V 242 consid. 2.1 p. 243 ; ATF 121 V 362 consid. 1b p. 366).

En l’occurrence, dès lors que le constat d’une fraction d’éjection inférieure à 40% a été effectué en février 2022, soit postérieurement à la décision attaquée, Il n’y a pas lieu d’examiner, dans le cadre de la présente procédure, si cette aggravation justifie une révision de la décision attaquée pour l’avenir. L'aggravation constatée étant postérieure à la décision litigieuse, il incombera à l’intimé de rendre une nouvelle décision sur ce point, après avoir complété l’instruction s’il le juge nécessaire.

16.         La procédure de recours en matière de contestation portant sur l'octroi ou le refus de prestations de l'assurance-invalidité étant soumise à des frais de justice, le recourant sera condamné au paiement d'un émolument, arrêté au montant minimal de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

***


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge du recourant.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Diana ZIERI

 

Le président

 

 

 

 

Blaise PAGAN

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le