Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1628/2020

ATAS/254/2022 du 16.03.2022 ( AVS ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1628/2020 ATAS/254/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 16 mars 2022

8ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, à Carouge

 

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION, sise Service juridique; Rue des Gares 12; Case postale 2595, 1211 Genève 2

 

 

intimée

 


EN FAIT

1.        B______ SA (ci-après : la société ou B______), ayant pour but tous travaux, conseils et services dans les secteurs de la construction et du bâtiment et son siège dans le canton de Genève, a été inscrite au registre du commerce le 17 avril 1991. A______ (ci-après : M. A______, l'administrateur, l'intéressé ou le recourant) en a été l'administrateur (unique) avec signature individuelle de sa fondation au 10 juillet 1998, puis du 16 septembre 2010 jusqu'à la faillite de la société, prononcée le 17 décembre 2015. Monsieur C______ (ci-après : M. C______ ou l'actionnaire), actionnaire unique de la société, et sa fille, Madame D______ (ci-après : Mme D______ ou la directrice), ont été inscrits au registre du commerce respectivement comme titulaire d'une procuration individuelle dès le 17 juin 1997 et comme directrice avec signature individuelle dès le 10 mars 2005. La société a eu pour organe de révision la Fiduciaire E______ SA du 16 septembre 2010 au 10 avril 2015, puis, dès cette date-ci, F______ SA.

2.        La société a été affiliée à la Caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse, la CCGC ou l'intimée) du 1er mai 1991 au 31 décembre 2015.

3.        Le 12 septembre 2014, l'administrateur a déposé auprès du Tribunal de première instance un avis de surendettement de la société conformément à l'art. 725 al. 2 de la loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse (CO - RS 220).

4.        Le 3 novembre 2014, sous la plume de l'administrateur, B______ a requis l'ajournement de sa faillite, en présentant un plan d'assainissement constitué de plusieurs mesures, dont une augmentation du capital de CHF 100'000.- à CHF 1'600'000.-, qui a été libéré à hauteur de CHF 400'000.-, M. C______ ayant fait un apport en espèces de CHF 200'000.- et compensé une créance de CHF 100'000.- qu'il avait contre la société.

5.        Le 12 février 2015, la CCGC a adressé à la société une facture finale de cotisations sociales pour 2014 de CHF 380'032.35. Un solde de CHF 2'694.25 y figurait en faveur de B______, compte tenu d'une redistribution Taxe CO2 de CHF 1'955.55, de paiement de CHF 110'061.15 et d'un montant en poursuite de CHF 270'709.90. Cette facture finale n'a pas été contestée par B______.

6.        Par jugement du 17 décembre 2015, le Tribunal de première instance a refusé l'ajournement de la faillite de la société et prononcé la faillite de cette dernière.

Au vu des pièces produites (notamment d'un rapport de l'organe de révision du 19 juin 2015 sur les comptes et bilans 2014 et d'un bilan intermédiaire au 31 août 2015 aux doubles valeurs de liquidation et d'exploitation), il ne pouvait être tenu compte, sur un plan économique, ni de la part du capital non libérée, ni de la plausibilité d'un assainissement. Les liquidités injectées de CHF 200'000.- n'avaient pas servi à diminuer le passif de la société, ni à obtenir des arrangements avec des créanciers. Le développement envisagé de nouvelles affaires ne s'était à tout le moins pas traduit dans les chiffres. Le chiffre d'affaires à fin 2014 était moindre qu'à fin 2013 ; et si la perte d'exploitation de l'exercice 2014 était moins importante que celle de l'exercice 2013, elle n'augurait pas d'un redressement ; la comparaison du volume global des actifs circulants à fin 2014 et à fin août 2015 dénotait un problème de trésorerie et une lacune dans la facturation et le recouvrement des travaux effectués ; il n'y avait pas de provision pour débiteurs douteux en valeur d'exploitation, et les pertes probables sur débiteurs en valeur de liquidation étaient sous-évaluées. Les charges courantes de la société n'apparaissaient pas maîtrisées ; la comparaison des bilans d'exploitation à fin 2014 et à fin août 2015 démontrait que les créanciers de droit public, en particulier le fisc, n'étaient pas régulièrement payés, et les charges fiscales arriérées augmentaient. La société était, à fin août 2015, en retard dans le paiement des salaires dus à ses employés, alors qu'elle était à jour à ce propos à fin 2014. Une postposition de la créance de l'actionnaire ne faisait pas disparaître le surendettement et ne constituait pas une mesure structurelle visant à un assainissement durable de la société.

7.        Le 9 mars 2016, la CCGC a adressé à B______ en liquidation, "c/o Monsieur A______", une facture finale de cotisations sociales pour 2015 de CHF 316'165.75. Un solde de CHF 307'188.95 y figurait en faveur de la CCGC, compte tenu d'une redistribution Taxe CO2 de CHF 2'005.55 et de paiement de CHF 6'971.25. Cette facture finale n'a pas été contestée par la masse en faillite.

8.        a. Le 15 novembre 2016, suite au non-versement à l'Administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) de sommes dues au titre de l'impôt à la source pour les années 2013 et 2014 – retards de paiement dont tant l'administrateur que la directrice de la société avaient été informés personnellement par un courrier comminatoire de l'AFC du 16 octobre 2015 –, l'AFC a déposé plainte pénale contre eux deux pour détournement de l'impôt à la source.

M. A______ et Mme D______ formeront opposition aux ordonnances pénales du 30 mai 2017 par lesquelles le Ministère public les condamnera pour détournement de l'impôt à la source. La directrice retirera son opposition, mais l'administrateur sera successivement acquitté par jugement du Tribunal de police du 22 janvier 2018, puis, sur appel du Ministère public et appel joint de l'AFC, condamné du chef précité par arrêt de la Chambre pénale d'appel et de révision (ci-après : CPAR) du 17 juillet 2018, puis, après annulation de cet arrêt et renvoi de la cause à la CPAR par arrêt du Tribunal fédéral du 14 décembre 2018, acquitté par arrêt de la CPAR du 27 août 2019.

b. Il y a lieu de reproduire les passages suivants de la partie En fait de cet arrêt-ci de la CPAR :

b.aa. "Entendu par le MP, A______ a déclaré avoir tout mis en œuvre pour que les créanciers soient désintéressés et que l'impôt à la source soit réglé. Il avait suivi les procédures, notamment celle de l'art. 725 CO. Jusqu'au prononcé de la faillite, il avait fait tout son possible pour régler les arriérés et avait attiré l'attention de D______ sur les conséquences de tels retards de paiement. Il n'avait ni pouvoir de signature ni procuration sur les comptes bancaires de B______ et ne participait pas à la gestion courante de la société, apanage de C______ et D______, ainsi que du comptable engagé par la société pour gérer les factures. Lui-même s'assurait que B______ ( ) avait une activité saine, avec des projets et des chantiers. Il se rendait deux à trois fois par mois au siège. Parfois, il était consulté ou posait des questions sur un point précis. Au fil des années et constatant que tout allait bien, un lien de confiance s'était installé. Il avait dit à C______ et à D______ qu'il était à disposition en cas d'urgence ou de problème. Personne n'avait jamais attiré son attention sur les problèmes financiers de la société, dont il n'avait eu connaissance que lors de l'établissement du rapport de révision, immédiatement suivi de l'avis de surendettement au juge. Il en avait été surpris. Il n'avait découvert l'arriéré d'impôt à la source pour l'année 2014 qu'à la mi-octobre 2015, à réception à son domicile d'un courrier de rappel de l'AFC, et avait demandé à D______ de faire le nécessaire. Il ignorait ce qu'il avait pu advenir des montants prélevés auprès des salariés et non versés à l'AFC" (p. 6-7, B.i.a).

"Devant le premier juge, A______, outre confirmer ses précédentes explications, a précisé qu'il avait été amené à devenir administrateur de la société en 1991 par l'intermédiaire d'un ami commun, afin de permettre à C______ de créer et d'exploiter une société en Suisse, le droit de la société anonyme (SA) exigeant à l'époque qu'il y ait au moins un administrateur suisse. Il n'avait jamais eu d'autre rôle que celui d'administrateur formel sans aucune attribution de gestion sur le plan matériel et n'avait jamais été rémunéré pour ce rôle ( ). Lorsque le droit de la SA s'était assoupli, il n'avait pas quitté son poste d'administrateur, parce que les affaires fonctionnaient et n'étaient pas source de préoccupation, et que C______ restait domicilié en France. La société s'était développée et avait eu jusqu'à 50 employés. Il ne s'était pas inquiété concernant la marche des affaires jusqu'à ce que le réviseur l'informe, aux alentours de juin 2014, que la situation était critique et lui recommande d'adresser un avis de surendettement au juge civil, ce qu'il avait fait trois mois plus tard. Ce n'était qu'à partir de ce moment qu'il avait pris part à la gestion de la société, en particulier s'agissant des mesures pouvant être prises pour son assainissement. A sa connaissance, les salaires des employés de B______ avaient été entièrement payés pour l'année 2014 ; il ignorait ce qu'il en était de l'année 2015. C______ et D______ lui avaient dit qu'ils avaient renoncé au versement de tout ou partie de leurs propres salaires, mais il ignorait pendant combien de temps" (p. 7, B.i.b).

"Il ne savait comment les CHF 200'000,- injectés dans la société lors de l'augmentation de capital, partiellement libérée, intervenue en décembre 2014, avaient été utilisés. En 2015, lorsqu'il avait appris par le courrier de l'AFC le problème relatif à l'impôt à la source, il avait immédiatement pris contact avec D______ et lui avait demandé de "régler ça tout de suite". Elle lui avait répondu qu'elle le ferait, avec son père" (p. 8, B.i.b).

b.bb. "D______ a déclaré qu'elle avait commencé à travailler pour B______ en 2004, société qu'elle dirigeait avec son père, C______, actionnaire. A______ n'intervenait pas du tout dans la gestion et n'était pas rémunéré. Il était informé de la marche des affaires lors des bouclements des comptes annuels, mais pas régulièrement. Il n'avait pas accès aux comptes bancaires de la société et ignorait quels étaient les employés soumis à l'impôt à la source, tout comme le fait que les montants retenus n'étaient pas régulièrement reversés à l'AFC" (p. 8, B.j.a).

"Les problèmes remontaient à 2013, avec de mauvaises décisions concernant certains chantiers ou certaines soumissions ou adjudications. La situation s'était péjorée en 2014, puis en 2015. Pour 2014, les salaires nets avaient été intégralement payés ( ). En 2015, les salaires nets avaient été honorés, mais la situation de trésorerie commençait à être difficile, que ce soit pour payer les postes de retenues sur salaire ou encore les fournisseurs" (p. 8. B.j.a).

"Dans le cadre de la gestion du manque de liquidités et des mesures de redressement de B______, A______ était intervenu après avoir été alerté par le réviseur aux comptes, afin d'étudier des solutions, par exemple concernant l'effectif du personnel ou le matériel et les machines. Il n'était pas intervenu spécifiquement concernant les dettes fiscales de la société ( ) A réception du courrier de l'AFC du 15 octobre 2015, A______ était venu la voir et ils étaient convenu de solliciter un arrangement de paiement, qu'ils avaient d'ailleurs obtenu. A______ avait attiré son attention sur les conséquences pénales d'un défaut de paiement" (p. 8-9, B.j.a).

c. Dans cet arrêt du 27 août 2019, la CPAR jugera que la société avait disposé des ressources nécessaires au versement de l'impôt à la source afférent aux salaires nets des employés des mois de juillet, août, novembre et décembre 2014, mais qu'elle ne l'avait pas versé à l'AFC pour ces quatre mois à la dernière date possible pour le faire. Encore fallait-il examiner si l'administrateur avait effectivement connu et voulu (au moins par dol éventuel) les faits constitutifs de l'infraction de détournement de l'impôt à la source, et était ainsi (co)auteur d'une telle infraction. Pour la CPAR, on se trouvait dans un cas limite entre la négligence et le dol éventuel, à teneur des considérants reproduits ci-après dans la mesure utile :

Selon ses propres déclarations, l'administrateur n'avait eu connaissance des problèmes financiers de la société "que lors de l'établissement du rapport de révision, en juin 2014. Lors du second semestre 2014, il avait ainsi conscience de la gravité de la situation financière, ayant d'ailleurs lui-même déposé un avis de surendettement au sens de l'art. 725 CO au mois de septembre 2014. Dès ce moment, il a(vait) pris part à la gestion de la société, en particulier en prenant des mesures d'assainissement. Contrairement à D______, il ignorait que les montants retenus n'étaient pas mensuellement reversés à l'AFC, notamment en 2014, ce qu'elle a(vait) confirmé ( ). Il n'a(vait) découvert l'arriéré d'impôt à la source pour l'année 2014 qu'à la mi-octobre 2015, à réception à son domicile d'un courrier de rappel de l'AFC. Certes, il avait violé son devoir de prudence, vu son manque d'efforts blâmable, en omettant de s'informer de la situation de l'impôt à la source alors qu'il savait que la société était surendettée. Cependant, dès sa connaissance des faits, il a(vait) demandé à D______ de faire le nécessaire, ce qui a(vait) débouché sur l'arrangement avec l'AFC. Jusqu'au prononcé de la faillite, il a(vait) pris des mesures pour régler les arriérés et attiré l'attention de la directrice sur les conséquences de tels retards de paiement, ce qu'elle a(vait) confirmé. Sa réactivité démontr(ait) qu'il n'aurait pas accepté le détournement d'impôt pour le cas où il se produirait, mais plutôt qu'il a(vait) escompté qu'un tel détournement n'aurait pas lieu. Bien qu'il savait que la société était surendettée, (l'administrateur) ne s'(était) pas accommodé du détournement de l'impôt à la source au cas où il se produirait. Il a(vait) en revanche fait preuve de négligence" (p. 21, consid. 2.8).

La CPAR jugera donc que l'administrateur devait être acquitté de détournement d'impôt à la source, dès lors que cette infraction n'était pas réprimée par négligence. Elle le condamnera cependant aux frais de la procédure de première instance et au quart des frais de la première procédure d'appel, considérant que l'administrateur avait violé ses devoirs de diligence découlant de sa fonction d'administrateur "pour s'être abstenu de toute forme de contrôle sur les finances de la société en 2014, notamment les dettes d'impôt à la source, lequel (était) échu dès le paiement des salaires ( ), et l'attribution des liquidités alors disponibles à leur acquittement pour les mois de juillet, août, novembre et décembre ( , et qu'il avait) de la sorte permis notamment à D______ et son père de "privilégi[er]" certaines dépenses au détriment des impôts, et causé l'ouverture d'une enquête pénale" (p. 21-22, consid. 3.2 à 3.4).

9.        a. Dans l'intervalle, en date du 24 avril 2017, le Tribunal de première instance avait ordonné la liquidation sommaire de la faillite de la société.

b. D'après l'état de collocation que l'office des faillites (ci-après : OF) a publié le 29 août 2017, le dividende prévisible qui serait distribué dans la faillite de B______ serait de 0.00 %.

c. Le 12 octobre 2018, la CCGC a produit dans la faillite de B______ une créance totale de CHF 557'320.10, à savoir CHF 550'499.10 en 2ème classe (soit CHF 509'746.25 de cotisations sur salaires versés au 31 décembre 2015, CHF 12'121.60 de frais administratifs, CHF 0.00 de frais de poursuites, CHF 28'631.25 d'intérêts moratoires), ainsi que, en 3ème classe, CHF 6'821.- de frais de sommation, amendes et taxes de formation professionnelle.

d. L'OF a inventorié dans la faillite de B______ une prétention litigieuse contre C______ de CHF 1'200'000.-, correspondant à la part non libérée du capital social, créance estimée à CHF 1.-. La masse en faillite a renoncé à la faire valoir elle-même, et, le 18 octobre 2018, elle a autorisé deux créanciers à en poursuivre la réalisation en son lieu et place, à savoir M. A______ (dont une créance avait été colloquée en 3ème classe à hauteur de CHF 61'500.-) et le Groupement Genevois des Entreprises du bâtiment et du génie civil (ci-après : GGE).

e. Le 20 juin 2019, l'OF a adressé à la CCGC deux actes de défaut de biens dans la faillite de B______, l'un pour un découvert colloqué en 2ème classe de CHF 550'499.10 de cotisations sur salaires versés au 31 décembre 2015, frais administratifs et intérêts moratoires, et l'autre pour un découvert colloqué en 3ème classe de CHF 6'821.- de taxes de sommation, amendes et taxes de formation professionnelle.

f. Le 27 juin 2019, le Tribunal de première instance a clôturé la procédure de faillite de la société, si bien que celle-ci a été radiée d'office.

10.    Par recommandé du 15 août 2019 (pce 3 CCGC), la CCGC a adressé à M. A______ une décision de réparation du dommage qu'elle subissait du fait que sa créance dans la faillite de la société n'était pas couverte, soit d'un dommage de CHF 554'999.10, représentant les sommes qui étaient dues par B______ au titre des cotisations paritaires (y compris les frais et les intérêts moratoires) et étaient exigibles lorsqu'il avait pris ses fonctions d'administrateur de la société et qui étaient échues au cours de son mandat d'administrateur. Il en était solidairement responsable avec D______, en application de l'art. 52 de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10), prévoyant que l'employeur ou ses organes qui, intentionnellement ou par négligence grave, causaient un préjudice à la caisse de compensation étaient tenus de la dédommager.

Pour l'exercice 2014, cela faisait CHF 396'286.05, calculés sur des salaires de CHF 2'457'218.60, sous déduction de CHF 149'790.65 de versements et de CHF 1'955.55 de redistribution Taxe CO2 ; cela représentait donc CHF 244'539.85.

Pour l'exercice 2015, cela faisait CHF 320'985.60, calculés sur des salaires de CHF 2'032'864.65, sous déduction de CHF 8'520.80 de versements et de CHF 2'005.55 de redistribution Taxe CO2 ; cela représentait donc CHF 310'459.25.

11.    Le 15 septembre 2019, l'intéressé a déclaré son opposition à cette décision, en annonçant que sa conseillère juridique allait motiver son opposition, ce que cette dernière a fait par écriture du 13 décembre 2019 (pce 2 CCGC). Il contestait que le dommage allégué avait été causé par une faute intentionnelle ou une négligence grave de sa part. Il n'était pas en charge de la gestion courante de la société et ne disposait d'aucun accès sur les comptes bancaires de la société ; cette dernière était gérée par C______ et D______ ; jusqu'en 2014, la marche des affaires de B______ était bonne ; rien ne justifiait qu'il s'inquiétât. L'intéressé avait avisé le juge civil du surendettement après en avoir été informé, en septembre 2014, par le réviseur, et il avait ensuite œuvré à la tentative de redressement de la société. Concernant le paiement des charges sociales, l'intéressé avait exercé son devoir de haute surveillance en demandant à D______ de régler les retards de paiement. La masse en faillite avait renoncé à faire valoir la prétention de CHF 1'200.000.- en libération de la totalité du capital social contre M. C______, actionnaire unique ; il allait requérir la réinscription de la société au registre du commerce et demander la prolongation du délai d'action pour agir contre M. C______. Un séquestre requis le 9 février 2017 par la masse en faillite en mains d'un notaire du produit d'une vente immobilière devant revenir à M. C______ avait abouti à un non-lieu de saisie le 16 février 2018 (annexes 5 et 6 à pce 2 CCGC). L'intéressé avait été trompé dans la confiance qu'il avait placée dans les engagements financiers pris par l'actionnaire pour assainir la société. L'intéressé demandait à la CCGC de s'en prendre prioritairement à C______ pour obtenir le règlement de la créance qu'elle faisait valoir, eu égard à la responsabilité de ce dernier comme organe de fait, à son rôle effectif dans la déconfiture de la société et à sa position décisionnelle par rapport aux cotisations impayées.

12.    Par décision sur opposition du 11 mai 2020, la CCGC a rejeté quant au fond l'opposition de l'intéressé à sa décision du 15 août 2019 et a confirmé cette dernière. L'intéressé avait violé les obligations de diligence et de surveillance lui incombant en sa qualité d'administrateur en ne veillant pas personnellement au paiement des cotisations et contributions paritaires courantes et arriérées et en ne mettant pas en œuvre toute mesure ou vérification propre à ce que la société remplisse ses obligations d'employeur ; il n'avait pas cherché à savoir si la société payait régulièrement les charges sociales, ni ne s'en était assuré, ne serait-ce qu'en contactant la CCGC à ce sujet. Il assumait, du fait d'une négligence grave, le non-paiement desdites charges. Peu importait qu'il n'avait pas accès aux comptes bancaires ni ne participait à la gestion de la société.

13.    Par acte du 10 juin 2020, l'intéressé a recouru contre cette décision sur opposition auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS), en concluant à ce que la réparation du dommage causé à la CCGC par le non-paiement des charges sociales soit exigée exclusivement des deux autres organes de la société qu'étaient C______ et D______, et à ce que la CCGC prouve avoir entrepris le nécessaire, du 1er janvier 2014 au 16 décembre 2015, pour lui éviter d'avoir à assumer, lui, la réparation de ce dommage.

Lors de la création de la société, il avait déféré, par amitié et pour rendre service, à la demande de C______, de nationalité française résidant en France, d'en être l'administrateur, qualité qu'il a conservée, étant devenu un proche de la famille C______ et D______, dont la fille, D______, avait dans l'intervalle été nommée directrice de la société. La gestion des salaires avait été déléguée au GGE, sur la base des données que D______ transmettait à ce dernier, et toute la comptabilité était tenue par une fiduciaire. L'intéressé avait toujours pris soin de se tenir au courant des affaires et de la situation de la société. L'activité de cette dernière s'était déployée durant plus de vingt-quatre ans sans qu'aucun problème majeur ne remonte à lui, et rien n'avait justifié qu'il remette en cause la confiance qu'il plaçait dans les organes internes ou externes de la société. C'est au courant de l'année 2014 que l'organe de révision l'avait informé d'un possible surendettement de la société ; C______ avait alors expliqué la situation difficile de la trésorerie par le cumul d'une malfaçon survenue sur un chantier et le défaut de paiement d'un client, et assuré qu'il avait les moyens de renflouer la société du fait qu'il possédait des biens immobiliers en France et en Suisse. L'intéressé avait néanmoins avisé le juge d'un surendettement de la société, et, au vu des assurances données par C______ qu'il allait assainir la situation financière de la société, le juge avait d'abord différé de statuer sur l'avis de surendettement, mais avait finalement prononcé la faillite de la société, notamment du fait que C______ n'avait pas libéré entièrement l'augmentation du capital social ayant été décidée, nonobstant sa promesse de le faire par la vente de biens privés. Dans l'intervalle, C______ et D______ avaient rassuré l'intéressé sur la bonne marche des affaires et sur une prudente gestion des comptes et des liquidités de la société. L'intéressé avait été effondré d'apprendre, par C______, que la société avait été mise en faillite, puis que, le temps ayant passé, il n'y avait plus rien à faire. L'intéressé n'avait jamais été informé par la CCGC qu'il y avait des factures de cotisations sociales impayées, et il n'avait appris l'ampleur des sommes dues à ce titre que lorsque la CCGC avait, tardivement, produit dans la faillite une créance de CHF 557'320.10. Durant son mandat d'administrateur, l'intéressé n'avait jamais eu à faire directement à la CCGC. Le montant lui étant réclamé paraissait excessif en tant qu'il englobait des cotisations sociales sur des salaires n'étant pas encore dus lors du prononcé de la faillite le 17 décembre 2015.

La CCGC n'avait pas suivi la procédure de recouvrement des cotisations dues, alors qu'elle disposait d'éléments que des cotisations sociales apparaissaient, d'après la production tardive faite par la CCGC, n'avoir pas été payées régulièrement dès l'année 2012. La caisse aurait dû prendre contact avec l'administrateur de la société pour éviter que la situation s'aggrave ; elle subissait un dommage du fait de son laxisme. Durant la période incriminée (soit les années 2014 et 2015), la société avait versé quelque CHF 530'000.- à la CCGC, soit (la somme réclamée étant de CHF 554'999.10) l'équivalent des cotisations dues pour la période de janvier 2014 à novembre 2015. C'est à C______, actionnaire unique et directeur avec signature individuelle et donc "vrai patron" de la société, que la CCGC devait réclamer la réparation du dommage lié aux cotisations sociales restées impayées. Il ne pouvait être retenu de négligence grave à la charge de l'intéressé.

14.    Le 8 juillet 2020, la CCGC a conclu au rejet du recours. L'intéressé s'était peut-être inquiété des déboires de la société à l'égard de l'AFC, qui l'avait mis directement en cause, mais pas s'agissant du paiement des cotisations sociales ; il n'avait pris aucun contact avec la caisse. Celle-ci n'avait ni l'obligation ni la possibilité de contacter personnellement les organes de la société afin de les informer du non-paiement des charges sociales. L'intéressé avait vraisemblablement totalement ignoré le volet "cotisations sociales" dans l'exercice de son activité d'administrateur, en violation de ses obligations. Le montant réclamé avait été calculé sur la base effective des cotisations dues, hors de la procédure auprès de l'OF, soit sur la base des attestations de salaires remplies par l'employeur et reçues par la caisse ; pour 2015, l'attestation de salaires reçue par la CCGC faisait état de salaires versés jusqu'en décembre 2015. La CCGC pouvait d'ailleurs se fonder sur les factures qu'elle avait émises pour établir la portée du dommage, et ne pas prendre en compte les montants établis par l'OF ; en l'occurrence, la CCGC avait fixé le dommage sur la base de la facturation définitive des périodes 2014 et 2015.

15.    Par réplique du 12 août 2020, l'intéressé a déclaré maintenir son recours. A teneur de l'art. 52 LAVS, la CCGC ne devait pas s'en prendre qu'à lui, mais aux membres de l'administration de la société et à toutes les personnes s'étant occupées de sa gestion ou de sa liquidation, toutes responsables solidairement du dommage. Contrairement à la CCGC, l'AFC s'était inquiétée de la situation et avait initié des démarches directement auprès de lui, comme administrateur, et de D______ ; c'était donc possible. S'il avait su que la société serait mise en faillite et ce qui l'attendait, il ne serait pas resté administrateur.

16.    Par duplique du 2 septembre 2020, la CCGC a persisté dans les termes et conclusions de la décision attaquée et de sa réponse au recours. Elle n'avait ni le devoir ni la possibilité d'intervenir dans la gestion commerciale des quelque 10'000 sociétés dont elle gérait les comptes AVS ; elle leur adressait directement un nombre important de documents et d'informations, au vu desquels les administrateurs s'intéressant aux sociétés qu'ils étaient censés gérer pouvaient avoir une idée précise de leur situation et prendre au besoin des mesures. Il était impossible d'exiger des caisses de compensation qu'elles recherchent l'ensemble des administrateurs d'une société pour les avertir personnellement que la gestion de cette dernière était problématique. En prétendant que la CCGC aurait dû le faire, l'intéressé admettait indirectement qu'il n'avait pas lui-même rempli les obligations de contrôle découlant de sa qualité d'administrateur de la société.

17.    Dans une écriture du 24 septembre 2020, l'intéressé s'est dit étonné que la CCGC s'évertuait beaucoup plus à justifier sa décision qu'à obtenir la réparation du dommage en trouvant et poursuivant les vrais responsables du dommage que lui avait causé la société, à savoir C______ et D______. Il persistait dans les termes et conclusions de son recours et de ses écritures.

18.    Le 5 octobre 2021, la CJCAS a demandé à la CCGC de lui fournir divers renseignements, pièces justificatives à l'appui, à savoir depuis quand la société avait été en retard dans le paiement des cotisations sociales et quelle avait été depuis lors l'évolution à cet égard, si elle avait notifié une décision de réparation du dommage lié au non-paiement des cotisations sociales à d'autres personnes qu'à l'administrateur (en particulier à D______ et à C______), si elle avait requis une cession des droits de la masse dans la faillite de la société (en particulier de la prétention litigieuse de CHF 1'200.000.- inventoriée contre C______), et elle a annoncé la tenue prochaine d'une audience de comparution personnelle des parties et d'auditions de témoins (soit de D______ et C______), audience qu'elle a convoquée pour le 3 novembre 2021.

19.    Le 26 octobre 2021, la CCGC a indiqué à la CJCAS qu'en ce qui concernait les périodes de cotisations 2014 et 2015, base du calcul du dommage qu'elle avait subi, la société avait commencé à accumuler du retard systématique dans le paiement (mensuel, selon son choix) des cotisations sociales à partir des premiers mois de 2014, étant précisé que pour 2013 elle avait dû intenter à son encontre des poursuites en recouvrement de cotisations sociales, que la société avait fini par payer. La CCGC avait adressé à la société 19 (recte : 21) sommations pour les cotisations sociales relatives aux périodes 2014 et 2015, ainsi qu'introduit à son encontre 19 réquisitions de poursuite, qui avaient abouti à la délivrance, le 20 juin 2019, de deux actes de défaut de biens après faillite, étant précisé que la CCGC avait produit l'ensemble de ses créances à l'OF le 12 octobre 2018. Le 15 août 2019, la CCGC avait envoyé à D______ une même décision en réparation d'un dommage de CHF 554'999.10 que celle qu'il avait adressée le même jour à l'administrateur, décision contre laquelle D______ n'avait pas formé opposition mais était entrée en pourparlers en vue du paiement du montant réclamé. La CCGC n'avait pas notifié une semblable décision à C______, n'ayant alors pas, en l'état du dossier, suffisamment d'éléments concrets permettant de le qualifier d'organe de fait de la société ; elle se réservait de le faire le cas échéant. La CCGC n'avait pas requis la cession de créance inventoriée dans la faillite de la société à l'encontre de C______.

20.    Par un courrier recommandé du 2 novembre 2021 (parvenu à la connaissance de la CJCA après l'audience du 3 novembre 2021), l'administrateur a commenté l'écriture précitée de la CCGC du 26 octobre 2021. Il estimait que la CCGC, qui avait déjà entamé des poursuites contre la société pour 2013, avait laissé la situation se détériorer ; il s'étonnait qu'elle n'avait pas demandé elle-même la mise en faillite de la société et avait attendu le 12 octobre 2018 pour produire l'ensemble de ses créances à l'OF. Il espérait que les pourparlers entamés avec la directrice aient déjà produit un résultat concret, et souhaitait pouvoir mener lui aussi des pourparlers avec la caisse afin de trouver des solutions satisfaisantes pour chacune des parties. Il y avait des éléments permettant de considérer l'actionnaire comme un organe de fait de la société. Il admettait n'avoir pas été à la hauteur de la situation comme administrateur de B______.

21.    a. Le 3 novembre 2021, la CJCAS a procédé à la comparution personnelle des parties. Les deux témoins précités auxquels une convocation avait été envoyée ne se sont pas présentés devant la CJCAS pour audition.

b. L'administrateur a admis qu'il n'avait pas les compétences requises pour être administrateur de B______, fonction qu'il avait acceptée pour rendre service à l'actionnaire, avec lequel, de même qu'avec sa fille D______, s'était développé un fort lien de confiance. Il avait eu des contacts avec le comptable et avec l'organe de révision de la société, mais, s'agissant notamment du paiement des cotisations sociales, il avait fait confiance à la directrice qu'elles étaient dûment payées, sans jamais le vérifier. Dès qu'il avait appris, vers juin 2014, qu'un avis de surendettement allait devoir être adressé au juge, il s'était enquis plusieurs fois auprès de la directrice et de l'administrateur que toutes les factures (pas spécifiquement celles concernant les cotisations sociales) étaient payées, et il avait chaque fois obtenu d'eux l'assurance que "tout était sous contrôle" ; il n'avait pas su que la CCGC avait adressé à la société des sommations et des commandements de payer pour le paiement des cotisations sociales. Devant le juge de la faillite, l'actionnaire avait affirmé qu'il allait assainir la situation financière de la société, notamment par une augmentation du capital social qui serait effectivement libéré, pour permettre le paiement des fournisseurs, de la TVA, des factures, des salaires (sans qu'il soit question spécifiquement des cotisations sociales). L'administrateur faisait valoir à l'encontre de l'actionnaire, devant un tribunal français à Thonon, la prétention litigieuse dont il avait obtenu la cession de la masse en faillite (étant précisé que l'autre cessionnaire de cette prétention, soit le GGE, avait renoncé à l'exercer).

L’administrateur a pris note du fait que la CCGC avait notifié une même décision (entrée en force) en réparation du dommage à la directrice, ainsi que du fait que – ainsi que son représentant l'a déclaré en audience – la CCGC pourrait désormais envisager d'en notifier une aussi à l'actionnaire, au vu d'indices qu'il était organe de fait de la société, voire, au vu du montant en jeu, d'entreprendre des démarches judiciaires en France à l'encontre de la directrice et de l'actionnaire, ou aussi de faire une dénonciation pénale à leur encontre pour non-paiement des cotisations sociales retenues sur salaire en application de l'art. 87 LAVS. Il a alors déclaré qu'il n'excluait pas de retirer son recours, ne niant pas qu'une responsabilité puisse lui être imputée, en application de l'art. 52 LAVS, pour le non-paiement des cotisations sociales en sa qualité d'administrateur unique de la société.

c. La procédure a été suspendue pour trois mois, d'accord entre les parties. Un délai au 7 février 2022 a été imparti à l'administrateur pour se déterminer sur la suite de la procédure.

22.    Le 22 novembre 2021, la CCGC a informé la CJCAS, de même que l’administrateur, d’une part que, le 5 novembre 2021, elle avait adressé à C______ pris comme organe de fait de B______ une même décision en réparation du dommage de CHF 554'999.10 qu’elle avait subi du fait du non-paiement des cotisations sociales, et d’autre part qu’elle allait entamer à l’encontre de D______ une procédure de recouvrement fondée sur l’art. 84 du règlement (CE) n° 987/2009 relatif à la coordination des systèmes de sécurité sociale européens.

23.    Le 7 février 2022, l’administrateur a demandé à la CJCAS de suspendre la procédure pour une nouvelle durée de trois mois ou de procéder à une comparution personnelle des parties pour faire le point sur les démarches et tractations en cours concernant C______ et D______.

24.    Invitée à se déterminer à ce propos, la CCGC a indiqué à la CJCAS, le 24 février 2022, que C______ avait complété une opposition qu’il avait formée contre la décision en réparation précitée du 5 novembre 2021 et que son avocat, qui était aussi celui de D______, allait prendre contact prochainement avec elle pour faire le point sur la situation de ses clients. La CCGC s’opposait à une nouvelle suspension de la procédure, la responsabilité de l’administrateur étant totalement engagée indépendamment de l’évolution des procédures à l’encontre de C______ et D______.

25.    Le 28 février 2022, la CJCAS a informé l’administrateur qu’elle n’entendait pas suspendre à nouveau cette procédure ni convoquer une nouvelle audience de comparution personnelle des parties, et qu’elle statuerait sur le recours à défaut de retrait de ce dernier d’ici au 7 mars 2022.

26.    Le 7 mars 2022, l’administrateur lui ayant indiqué, par courrier du 5 mars 2022, qu’il maintenait son recours et sollicitait la convocation d’une nouvelle audience de comparution personnelle des parties, la CJCAS a informé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la CJCAS connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1), relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10). Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

Le recours a été interjeté en temps utile (art. 60 al. 1 LPGA), dans le respect des exigences de forme et de contenu posées par la loi (art. 61 let. b LPGA ; cf. aussi art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA – E 5 10 LPA).

Touché par la décision attaquée et ayant un intérêt digne de protection à son annulation ou sa modification, le recourant a qualité pour recourir (art. 59 LPGA ; art. 60 al. 1 let. a et b et 89A LPA).

Le recours est donc recevable.

2.        Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Le recours reste cependant soumis à l'ancien droit, dès lors qu'il était pendant devant la chambre de céans au 1er janvier 2021 (cf. art. 82a LPGA ; RO 2020 5137 ; FF 2018 1597 ; erratum de la CdR de l’Ass.féd. du 19 mai 2021, publié le 18 juin 2021 in RO 2021 358).

3.        a. L’art. 14 al. 1 LAVS, en corrélation avec les art. 34 ss du règlement sur l'assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 (RAVS - RS 831.101), prescrit l’obligation pour l’employeur de déduire sur chaque salaire la cotisation du salarié et de verser celle-ci à la caisse de compensation avec sa propre cotisation. Pendant l’année, les employeurs doivent verser périodiquement des acomptes de cotisations ; pour fixer les acomptes, la caisse de compensation se base sur la masse salariale probable (art. 35 al. 1 RAVS). Les employeurs sont tenus d’informer la caisse de compensation chaque fois que la masse salariale varie sensiblement en cours d’année (art. 35 al. 2 LAVS). Les employeurs doivent fournir le décompte des salaires dans les trente jours qui suivent le terme de la période de décompte, qui comprend une année civile (art. 36 al. 2 et 3 phr. 1 RAVS), de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l’objet de décisions. La caisse de compensation établit le solde entre les acomptes versés et les cotisations effectivement dues, sur la base du décompte ; les cotisations encore dues doivent être versées dans les trente jours à compter de la facturation ; les cotisations versées en trop sont restituées ou compensées (art. 36 al. 4 RAVS).

La LAVS s'applique par analogie à la fixation et la perception des cotisations de l'assurance-invalidité (art. 3 al. 1 phr. 1 de la loi sur l’assurance invalidité - LAI - RS 831.20), des cotisations dues pour les allocations pour perte de gain (art. 27 al. 2 phr. 1 de la loi fédérale sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité du 25 septembre 1952 - LAPG - RS 834.1) et des cotisations dues pour les prestations de l’assurance-chômage (art. 6 de la loi fédérale sur l'assurance chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 25 juin 1982 - LACI - RS 837.0). Il incombe aux caisses de compensation pour allocations familiales admises de fixer et prélever les cotisations (art. 15 al. 1 let.b de la loi fédérale sur les allocations familiales du 24 mars 2006 LAFam – RS 836.2), au nombre desquelles figurent celles qui sont gérées par des caisses de compensation AVS (art. 14 let. c LAFam).

b. L’obligation de payer les cotisations et de fournir les décomptes est, pour l’employeur, une tâche de droit public prescrite par la loi, dont la violation entraîne l’obligation de réparer le dommage ainsi occasionné (ATF 118 V 193 consid. 2a).

4.        a. En effet, à teneur de l’art. 52 LAVS, l’employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n’observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à l’assurance, est tenu à réparation (al. 1). Si l’employeur est une personne morale, les membres de l’administration et toutes les personnes qui s’occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage ; lorsque plusieurs personnes sont responsables d’un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage (al. 2).

Une des conditions pour que la responsabilité subsidiaire des organes puisse être engagée est que la personne mise en cause soit un organe d’une personne morale tenue, à titre d’employeur, de payer des cotisations sociales, ce qu’était sans conteste la société.

La notion d’organe selon l’art. 52 LAVS est en principe identique à celle qui se dégage de l’art. 754 al. 1 CO (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 234/02 du 16 avril 2003 consid. 7.3 publié in REAS 2003 p. 251). Elle comprend tant les organes formels que matériels et de fait de la personne morale employeur.

b. Les organes formels sont les organes décisionnels et de contrôle prévus par les dispositions organisationnelles de la personne morale considérée et nommés pour occuper lesdites fonctions (ATF 114 V 211 consid. 4). Ils représentent la personne morale à l’extérieur (ch. 8005 des directives de l’office fédéral des assurances sociales sur la perception des cotisations dans l’AVS, AI et APG [en abrégé : DP]). Ont notamment cette qualité, impliquant la haute surveillance sur la direction de la personne morale, les membres du conseil d’administration d’une société anonyme ou d’une société coopérative, les gérants d’une société à responsabilité limitée formellement désignés en cette qualité, les membres du comité d’un conseil de fondation ou d’une association. Les organes formels répondent, au sens de l’art. 52 LAVS, indépendamment de leur fonction ou de leur influence sur la marche des affaires de la société, de leur titularité ou non d’un pouvoir de signature ainsi que des motifs de leur mandat (ATF 126 V 237 ; Michel VALTERIO, Droit de l’assurance-vieillesse et survivants [AVS] et de l’assurance-invalidité [AI], 2011, n. 2393 s.).

Sont des organes matériels les personnes auxquelles l’exécution de certaines tâches, incluant le domaine des cotisations sociales, a été déléguée par un acte juridiquement valable sur le plan interne de la personne morale considérée, en sorte de détenir en la matière des compétences allant au-delà d’un travail préparatoire et de collaboration technique ou juridique, autrement dit les faisant participer à la formation de la volonté de la société (Michel VALTERIO, op. cit., n. 2395 s.).

Les organes de fait englobent les personnes qui, sans être désignées formellement en qualité d’organes sur un plan externe ou purement interne, prennent dans les faits les décisions réservées aux organes formels ou matériels ou se chargent de la gestion proprement dite de la personne morale, à telle enseigne qu’elles concourent de manière déterminante à la formation de la volonté sociale et exercent effectivement une influence sur la marche des affaires de la société (ch. 8005 DP ; ATF 132 III 523 consid. 4.5). La qualité d’organe de fait doit être niée s’agissant de personnes qui ne détiennent aucune maîtrise sur la société et ne prennent pas de décisions réservées aux organes, mais n’effectuent que des tâches de bureau, comme l’échange de correspondances avec la caisse de compensation, la tenue de la comptabilité, la signature d’attestations de salaire, la réception de commandements de payer (Michel VALTERIO, op. cit., n. 2397 ss et jurisprudences citées).

c. En l'espèce, le recourant a été organe formel de la société, en tant qu'administrateur (unique) avec signature individuelle, du 17 avril 1991, date de la création de la société, au 10 juillet 1998, puis du 16 septembre 2010 jusqu’à la faillite de la société, prononcée le 17 décembre 2015.

5.        a. L’obligation légale de réparer le dommage ne doit être reconnue que dans les cas où le dommage est dû à une violation intentionnelle ou par négligence grave, par l’employeur, des prescriptions régissant l’assurance-vieillesse et survivants (RCC, 1978, p. 259 ; RCC, 1972, p. 687). Pour savoir s’il y a un manquement d’une certaine gravité, il convient de tenir compte de toutes les circonstances du cas concret (ATF 121 V 243 consid. 4b). La caisse de compensation qui constate qu’elle a subi un dommage par suite de la non-observation de prescriptions peut admettre que l’employeur a violé celles-ci intentionnellement ou du moins par négligence grave, dans la mesure où il n’existe pas d’indice faisant croire à la légitimité de son comportement ou à l’absence d’une faute (RCC, 1983, p. 101).

Selon la jurisprudence constante, se rend coupable d’une négligence grave l’employeur qui manque de l’attention qu’un homme raisonnable aurait observée dans la même situation et dans les mêmes circonstances. La mesure de la diligence requise s’apprécie d’après le devoir de diligence que l’on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d’un employeur de la même catégorie que celle de l’intéressé. En présence d’une société anonyme ou d’une société à responsabilité limitée, il y a en principe lieu de poser des exigences sévères en ce qui concerne l’attention qu’elle doit accorder au respect des prescriptions (ATAS/79/2020 du 30 janvier 2020 consid. 8).

Une différenciation semblable s’impose également lorsqu’il s’agit d’apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l’employeur. Les faits reprochés à une entreprise ne sont pas nécessairement imputables à chacun des organes de celle-ci. Il convient d’examiner si et dans quelle mesure ces faits peuvent être attribués à un organe déterminé, compte tenu de la situation juridique et de fait de ce dernier au sein de l’entreprise. Savoir si un organe a commis une faute dépend des responsabilités et des compétences qui lui ont été confiées par l’entreprise (ATF 108 V 199 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.2). Un organe formel – comme l’était le recourant – n’en est pas moins tenu par un strict devoir de surveillance à l’endroit des autres organes de droit ou de fait de la société (Michel VALTERIO, op. cit., n. 2392, 2399 ; cf. arrêt du Tribunal cantonal des assurances du canton d’Argovie du 19 décembre 2017 dans la cause VBE.2017.584, in RSJ 114/2018 p. 481 s., selon lequel une incarcération ne libère pas un membre du conseil d’administration de son obligation de veiller au paiement correct des cotisations d’assurance sociale de la société).

b. En l’espèce, il appert qu'en sa qualité d'administrateur (au surplus unique) de la société, inscrit comme tel au registre du commerce, le recourant était tenu de veiller à l'acquittement des cotisations sociales courantes et le cas échéant arriérées. Or, ainsi qu’il l’a d’ailleurs admis, il ne s’est pas soucié de cette question.

Alors qu’il n’en avait pas les compétences, il a accepté de devenir et rester actionnaire unique de la société pour rendre service à l’actionnaire, domicilié à l’étranger, et à sa fille devenue directrice, sans exercer les tâches de surveillance inhérentes à cette fonction, qui ne l’autorisaient pas à faire confiance audit actionnaire et à ladite directrice que « tout était sous contrôle », tant avant qu’a fortiori après avoir appris, vers juin 2014, qu’un avis de surendettement devait être adressé au juge. Jamais il n’a vérifié que la société s’acquittait régulièrement notamment du paiement des cotisations sociales. Il n’était nullement dispensé de le faire du fait qu’il ne disposait pas d’un accès aux comptes bancaires de la société, ni du fait qu’il n’avait eu d’autre rôle – d’après ce qu’il a déclaré dans le cadre de la procédure pénale – que celui d’administrateur formel sans aucune attribution de gestion sur le plan matériel et n’avait jamais été rémunéré pour ce rôle. Il devait s’assurer spécifiquement de l’acquittement des cotisations sociales en exigeant la production de pièces l’établissant, et, surtout dès juin 2014, en s’adressant à ce propos à l’intimée.

C’est à tort qu’il prétend que l’intimée n’a pas entrepris les démarches propres à obtenir le paiement des cotisations sociales dues. Cette dernière a intenté des poursuites à l’encontre de la société déjà pour 2013 ; pour 2014 et 2015, elle lui a adressé 21 sommations de payer et lui a fait notifier 19 commandements de payer, qui ont abouti à la délivrance de deux actes de défaut de biens après faillite. L’intimée n’avait pas à suppléer aux carences du recourant en l’avertissant personnellement des retards pris par la société pour le paiement des cotisations sociales.

Son inaction en la matière représente une négligence grave, engageant sa responsabilité subsidiaire d'organe de la société pour le dommage subi par l'intimée du fait du non-paiement des cotisations sociales.

Le recourant ne saurait déduire aucun argument en sa faveur du fait qu’il a finalement été acquitté de l’infraction de détournement d’impôt à la source, qui n’est réprimée que lorsqu’elle a été commise par intention (y compris dol éventuel). La CPAR a retenu qu’il s’agissait d’un cas limite entre la négligence et le dol éventuel ; le recourant avait violé son devoir de prudence, vu son manque d’efforts blâmable, en omettant de s’informer de la situation de l’impôt à la source alors qu’il savait que la société était surendettée ; il a été condamné au paiement de frais de procédure, parce qu’il avait violé ses devoirs de diligence découlant de sa fonction d’administrateur pour s’être abstenu de toute forme de contrôle sur les finances de la société et avait ainsi permis à l’actionnaire et à la directrice de privilégier certaines dépenses au détriment des impôts (ce qui vaut aussi pour les cotisations sociales).

c. C'est donc à bon droit que, sur le plan du principe, l'intimée a fait obligation au recourant de réparer le dommage consécutif au défaut de paiement des cotisations sociales.

6.        a. L’art. 52 al. 2 phr. 2 LAVS précise que lorsque plusieurs personnes sont responsables d’un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage.

Cette disposition offre à la caisse de compensation la possibilité, à son gré, d’exiger la réparation du dommage à l’une, quelques-unes ou toutes les personnes répondant du dommage, étant entendu qu’il est loisible à la ou les personnes dont elle obtiendrait la réparation du dommage de se retourner contre les autres pour en obtenir un partage entre elles.

b. En l’espèce, l’intimée s’en est prise d’emblée non seulement au recourant, mais aussi à la directrice, qui n’a pas formé d’opposition contre une même décision de réparation du dommage et est entrée en pourparlers avec elle en vue du règlement de cette dette. A la suite de l’audience devant la chambre de céans, l’intimée a notifié une même décision à l’actionnaire, ayant été convaincue dans l’intervalle que la qualité d’organe de fait doit lui être reconnue, et celui-ci a formé opposition à cette décision.

Il n’y a pas lieu, compte tenu de la solidarité prévue par la loi, d’ajourner davantage de statuer sur le recours du recourant.

L’intimée est en droit de s’en prendre au recourant. Elle a au demeurant fait part de son intention d’effectuer des démarches mêmes judiciaires aussi à l’encontre de la directrice et de l’actionnaire unique, au besoin dans leur pays de domicile, en France voisine.

7.        Concernant le montant du dommage dont l’intimée réclame la réparation notamment au recourant, rien ne permet de contester qu’il s’élève – ainsi que le détaille le décompte annexé à la décision initiale du 15 août 2019 confirmée par la décision attaquée – à CHF 244'539.85 pour 2014 (déduction faite de CHF 149'790.65 de versements et de CHF 1'955.55 de redistribution Taxe CO2) et à CHF 310'459.25 pour 2015 (déduction faite de CHF 8'520.80 de versements et de CHF 2'005.55 de redistribution Taxe CO2), soit à un total de CHF 554'999.10. Il a été calculé sur la base des attestations des salaires versés pour 2014 (soit CHF 2'457'218.50) et pour 2015 (soit CHF 2'032'864.65), que l’intimée avait reçus respectivement le 9 février 2015 et le 24 février 2016 (pce 6 CCGC) ; il inclut les frais administratifs ainsi que les frais de sommation, les intérêts moratoires et les frais de poursuite (art. 14 al. 4 et 15 LAVS ; art. 34 ss RAVS ; ATAS/894/2021 du 1er septembre 2021 consid. 4a) ; en sont déduits les versements opérés et la redistribution Taxe CO2 en tant que sont concernées les années 2014 et 2015.

8.        a. Le recours est donc mal fondé. Il doit être rejeté.

b. La procédure est gratuite (art. 61 al. 1 let. a aLPGA ; cf. art. 61 al. 1 let. fbis LPGA).

Il n’y a lieu d’allouer une indemnité de procédure ni au recourant, qui n’obtient pas gain de cause (art. 61 al. 1 let. g LPGA), ni à l’intimée, dès lors qu'il s'agit d'une administration publique dotée d'un service juridique (Jean METRAL, in CR-LPGA, n. 98 et 100 ad art. 61 ; Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 1041).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure aux parties.

5.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon l’art. 85 LTF, s’agissant de contestations pécuniaires, le recours est irrecevable si la valeur litigieuse est inférieure à 30’000 francs (al. 1 let. a). Même lorsque la valeur litigieuse n’atteint pas le montant déterminant, le recours est recevable si la contestation soulève une question juridique de principe (al. 2). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

 

La greffière

 

 

 

 

Marguerite MFEGUE AYMON

 

Le président suppléant

 

 

 

 

Raphaël MARTIN

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le