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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4601/2018

ATAS/1274/2021 du 10.12.2021 ( LAMAL ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4601/2018 ATAS/1274/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 10 décembre 2021

8ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à 1206 Genève, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître GIARDINA Sara

 

 

recourant

 

contre

INSTITUTION COMMUNE LAMAL, sise Industriestrasse 78, 4600 Olten

 

 

intimée

 


EN FAIT

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’intéressé ou le recourant), né le ______ 1949, et son épouse, Madame B______, née le ______ 1945, tous deux ressortissants français, ont été domiciliés en France jusqu’à ce que, le 23 décembre 2006, ils s’installent en Suisse, dans le canton de Genève, en tant que rentiers français sans activité lucrative.

b. Ils étaient couverts pour la maladie par l’assurance-maladie française et une assurance complémentaire couvrant les coûts de traitements médicaux en Suisse à hauteur des prestations prévues pour l’assurance de base des soins par la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10).

c. Ils se sont inscrits auprès de l’Institution commune LAMal (ci-après : IC LAMal ou l’intimée) pour l’entraide internationale en matière de prestations d’après le Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de Sécurité sociale (ci-après : Règlement n° 883/2004).

B. a. Par une décision de la Caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : CCGC) du 12 mars 2015 (pce 10 REC), l’épouse de l’intéressé a été mise au bénéfice, avec effet rétroactif au 1er octobre 2009, d’une rente de vieillesse de l’assurance-vieillesse et survivants suisse (ci-après : AVS), calculée sur la base de deux années de cotisation.

A la suite d’une demande de l’épouse de l’intéressé de renoncer au versement de sa rente AVS, la CCGC avait dans un premier temps, le 24 septembre 2009, décidé d’ajourner le versement de sa rente, puis, le 26 février 2010, lui avait confirmé cette décision. Toutefois, sur indication de l’office fédéral des assurances sociales (ci-après : OFAS), auquel elle avait soumis le dossier de l’épouse de l’intéressé, la CCGC a, par sa décision précitée du 12 mars 2015, annulé la confirmation d’ajournement de rente précitée, se disant obligée de verser à cette dernière la rente AVS lui étant due depuis le début du droit. La CCGC a invité l’épouse de l’intéressé à présenter une demande d’exemption de l’assurance maladie obligatoire suisse, conformément à l’art. 2 al. 8 de l’ordonnance sur l'assurance-maladie du 27 juin 1995 (OAMal - RS 832.102).

b. Par une décision de la CCGC du 5 mai 2017 (pce 9 REC), l’intéressé a été mis au bénéfice d’une rente AVS à partir du 1er juin 2014, calculée sur la base de sept années de cotisation.

c. L’intéressé et son épouse ont obtenu du service de l’assurance-maladie (ci-après : SAM), respectivement les 16 février et 10 mars 2017 (pce 7 REC et pce 3 IC LAMal), une dispense à l’assurance obligatoire des soins, valable du 1er février 2017 au 31 janvier 2018 s’agissant de l’intéressé et au 31 janvier 2019 s’agissant de l’épouse de l’intéressé. Ces décisions du SAM étaient prises en application de l’art. 2 al. 8 OAMal, compte tenu des documents qu’avait établis leur assureur « CEAM – CPAM de (respectivement) Vesoul et Belfort », à teneur desquels ils bénéficiaient durant leur séjour en Suisse d’une couverture privée d’assurance-maladie et accident valable en Suisse et sur tout le territoire de la Communauté européenne.

C. a. Sur les questionnaires relatifs au formulaire E 121/S1 qu’ils ont remplis concernant les années 2016 à 2018 pour l’inscription à l’entraide internationale en matière de prestations (pce 2 IC LAMal), l’intéressé et son épouse ont indiqué à l’IC LAMal qu’ils étaient bénéficiaires, en plus d’une retraite française, d’une retraite de Suisse respectivement depuis juin 2017 s’agissant de l’intéressé et mai 2017 s’agissant de l’épouse de ce dernier, et qu’ils n’exerçaient aucune activité professionnelle. Ils ont joint à ces questionnaires les décisions précitées de dispense de l’obligation de s’assurer auprès d’un assureur-maladie en Suisse que le SAM leur avait délivrée.

b. Le 19 mars 2018 (pce 4 IC LAMal), l’IC LAMal a indiqué à l’intéressé que, du fait qu’il touchait une retraite de Suisse, il avait l’obligation de s’affilier auprès d’un assureur-maladie en Suisse, même s’il percevait en plus une retraite d’un autre Etat ; le montant de la retraite n’avait aucune incidence ; il n’existait pas de droit d’option. Elle a invité l’intéressé à s’affilier jusqu’au 30 juin 2018 à un assureur-maladie suisse de son choix, rétroactivement au 1er avril 2018.

c. Le même jour, l’IC LAMal a adressé à la Caisse nationale d’assurance vieillesse de France (ci-après : CNAV) le formulaire E 108 l’informant que le droit à prestation que cette dernière avait attesté le 22 octobre 2015 en faveur de l’intéressé par le formulaire E 121 était suspendue ou supprimé parce qu’il avait l’obligation de s’assurer en Suisse à partir du 1er avril 2018.

d. Par courriel du 27 mars 2018 (pce 5 IC LAMal), l’intéressé a contesté le point de vue de l’IC LAMal. Il remplissait les conditions prévues par l’art. 2 al. 8 OAMal d’être dispensé de s’affilier à un assureur-maladie en Suisse, dès lors qu’il disposait d’une assurance étrangère couvrant des prestations supérieures à l’assurance de base suisse et qu’au vu de son âge (alors 68 ans) et de son état de santé (une polyarthrite depuis plus de 25 ans) il n’avait aucune perspective de conclure en Suisse une assurance complémentaire, telle qu’il en bénéficiait en France. Il avait sollicité la reconduction de sa dispense de s’affilier à un assureur-maladie suisse en application de l’art. 2 al. 8 OAMal pour l’année 2018 ; en réponse, le SAM lui avait fait parvenir des documents, qu’il avait transmis aux organismes français concernés pour validation.

e. Le 7 mai 2018 (pce 6 IC LAMal), l’IC LAMal a transmis à l’épouse de l’intéressé un projet de décision de mettre fin le 31 mai 2018 à son inscription à l’entraide internationale en matière de prestations, si bien que le coût des traitements médicaux en Suisse dans le cadre de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10) ne serait plus remboursé par l’IC LAMal. Selon l’art. 23 du Règlement n° 883/2004, primant sur toutes dispositions et décisions nationales ou cantonales (comme l’art. 2 al. 8 OAMal), les personnes qui recevaient une rente en provenance de leur Etat de résidence étaient tenues de s’y assurer ensemble avec leurs membres de famille sans activité lucrative.

f. Le même 7 mai 2018 (pce 6 IC LAMal), l’IC LAMal a adressé à l’intéressé une décision libellée dans les mêmes termes que ce projet de décision envoyé à son épouse, fixant cependant au 31 mars 2018 la date à laquelle l’inscription de l’intéressé à l’entraide internationale en matière de prestations prenait fin. Elle a retiré tout effet suspensif à une opposition que l’intéressé formerait contre cette décision.

g. Le 17 mai 2018 (pce 7 IC LAMal), l’épouse de l’intéressé s’est opposée à cette décision annoncée. Selon le ch. 3.3 d’une lettre d’information du 9 mars 2012 de l’office fédéral de la santé publique (ci-après : OFSP), les rentiers bénéficiant de rentes versées par plusieurs pays étaient soumis à l’assurance-maladie obligatoire dans le pays dans lequel ils avaient cotisé le plus longtemps à la sécurité sociale, soit pour eux en France (pays dans lequel ils avaient cotisé, elle pendant une dizaine d’années, et lui pendant 35 années). Ils subiraient une dégradation importante de leur couverture d’assurance, si bien qu’ils avaient droit à une dispense de l’obligation de s’affilier à un assureur-maladie suisse en application de l’art. 2 al. 8 OAMal.

h. Par décision du 22 mai 2018 (pce 10 IC LAMal), déclarée exécutoire nonobstant opposition, l’IC LAMal a mis fin au 31 mai 2018 à l’inscription de l’épouse de l’intéressé à l’entraide internationale en matière de prestations, avec l’effet que le coût des traitements médicaux en Suisse dans le cadre de la LAMal ne serait plus remboursé par l’IC LAMal. La règle selon laquelle une personne est soumise à la législation du pays dans lequel elle a cotisé le plus longtemps à la sécurité sociale ne s’appliquait que dans les cas où – contrairement à l’épouse de l’intéressé – une telle personne ne touchait pas de rente de son pays de résidence.

i. Le 25 mai 2018 (pce 8 IC LAMal), l’intéressé a formé opposition à la décision précitée du 7 mai 2018 le concernant, pour les mêmes motifs que ceux que son épouse avait indiqués dans son opposition précitée du 17 mai 2018.

j. Le 29 mai 2018 (pce 9 IC LAMal), la CNAV a retourné à l’IC LAMal une notification d’annulation de son attestation du droit aux soins de santé concernant l’intéressé. Ce dernier n’avait plus droit à prestations dès le 1er avril 2018.

k. Donnant suite au conseil pressant de l’IC LAMal, attirant leur attention sur le fait qu’à teneur des décisions précitées des 7 et 22 mai 2018 l’entraide internationale en matière de prestations avait pris le 31 mars 2018 pour l’intéressé et le 31 mai 2018 pour son épouse, ces derniers se sont affiliés auprès d’Assura-Basis SA pour l’assurance obligatoire des soins, avec effet respectivement au 1er avril 2018 et au 1er juin 2018 (pce 4 REC).

l. Le 9 juin 2018, souhaitant par ce biais pouvoir rester (ou redevenir) assurés contre la maladie en France, l’intéressé et son épouse ont adressé à la CCGC une demande de renonciation à leurs rentes AVS, demande que la CCGC a fait suivre à l’OFAS le 14 juin 2018. Consultées par ce dernier, les autorités françaises ont fait part de leur refus d’ouvrir à des pensionnés la possibilité de renoncer à leur pension suisse avec l’effet d’entraîner la compétence de la France en matière d’assurance-maladie. Le 3 juillet 2018 (pce 12 IC LAMal), l’OFAS a prié la CCGC de rendre une décision de rejet de la demande de renonciation de l’intéressé et son épouse à leurs rentes AVS ; selon l’art. 28 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1), une renonciation à des prestations de l’AVS était nulle lorsqu’elle était préjudiciable aux intérêts notamment d’institutions d’assurance ou d’assistance ou tendait à éluder des dispositions légales ; or, la renonciation en question tendrait à éluder la règle posée par l’art. 23 du Règlement n° 883/2004 et porterait préjudice à l’autre Etat que celui de résidence en tant qu’elle impliquerait à la charge de ce dernier un transfert de compétence pour l’assurance-maladie, auquel les autorités françaises s’opposaient.

m. Par courrier du 3 août 2018 (pce 8 REC), la Sécurité sociale française a informé l’intéressé qu’il n’était plus affilié à l’assurance-maladie française depuis le 1er avril 2018, ce qui impliquait qu’il n’était plus couvert non plus par l’assurance complémentaire française, dépendante de l’affiliation à la Sécurité sociale.

D. Le 31 octobre 2018, par deux décisions sur opposition distinctes mais au libellé quasiment identique (pce 13 IC LAMal), reçues le 5 novembre 2018, l’IC LAMal a rejeté les oppositions de l’intéressé et de son épouse, en faisant référence à l’art. 23 du Règlement n° 883/2004, stipulant que les personnes percevant une pension du pays de résidence ainsi que les membres de leur famille sans emploi étaient soumis à l’assurance-maladie dans le pays de résidence. L’IC LAMal avait mis un terme à l’entraide internationale en matière de prestations le 31 mars 2018 s’agissant de l’intéressé et le 31 mai 2018 s’agissant de l’épouse de ce dernier, et elle avait informé par écrit les organismes de liaisons étrangers dans le domaine de l’assurance-maladie par la voie des formulaires habituels. Recours pouvait être formé contre ces décisions auprès du Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF).

E. a. Par un acte unique du 5 décembre 2018, l’intéressé et son épouse, désormais représentés par une avocate, ont recouru contre ces deux décisions auprès du TAF, qui a enregistré leur recours sous le numéro de cause C-6893/2018.

b. Conformément à l’art. 24 du Règlement n° 883/2004, prévoyant des dispositions particulières dérogatoires pour les prestations auxquelles les retraités avaient droit en cas de maladie, la Suisse avait adopté l’art. 3 al. 2 LAMal permettant au Conseil fédéral de prévoir des exceptions à l’obligation d’assurance, ce que celui-ci avait fait à l’art. 2 OAMal, dont l’al. 8, visant les personnes ayant une assurance privée étrangère et remplissant en outre d’autres conditions, leur était applicable, au demeurant sans qu’il soit nécessaire qu’ils renoncent à leurs rentes AVS. Ils étaient venus s’installer en Suisse en 2007 en tant que rentiers français sans activité lucrative, au bénéfice, pour le risque maladie, de la Sécurité sociale française par la Caisse primaire d’assurance-maladie, ainsi que d’une assurance complémentaire couvrant l’intégralité des coûts des traitements médicaux en Suisse. Depuis qu’ils percevaient une rente AVS, ils avaient obtenu du SAM une dispense à l’obligation d’être assurés auprès d’un assureur-maladie suisse. Vu leur âge respectif et l’état de santé de l’intéressé, il était impossible qu’ils puissent conclure en Suisse une assurance complémentaire à l’assurance obligatoire des soins de la LAMal afin d’avoir une couverture d’assurance aussi complète que celle dont ils bénéficiaient jusque-là grâce à la Sécurité sociale française et leur assurance complémentaire française, de surcroît pour des primes d’assurance équivalentes (€ 3'245.- pour la cotisation annuelle 2018 pour les deux [pce 2 REC] et CHF 12'086.- pour l’assurance obligatoire des soins auprès d’Assura-Basis SA pour les deux [pce 4 REC]).

L’intéressé et son épouse se prévalaient en outre d’une violation du principe de la bonne foi. Alors qu’ils avaient annoncé aux autorités suisses qu’ils percevaient chacun une rente AVS et obtenu des dispenses de l’obligation de s’affilier à un assureur-maladie en Suisse, ils avaient ensuite été placés devant le fait accompli d’avoir perdu leur assurance en France, y compris leur assurance complémentaire, du fait qu’une dispense ne leur serait pas renouvelée et des démarches de l’IC LAMal auprès des autorités françaises.

c. Ils concluaient à l’annulation des décisions de l’IC LAMal et à la reconnaissance de leur droit à l’obtention d’une dispense de l’obligation de s’affilier auprès d’un assureur-maladie en Suisse.

F. a. Par mémoire du 29 janvier 2019, l’IC LAMal a conclu au rejet du recours et à la confirmation de ses deux décisions précitées du 31 octobre 2018.

Ces dernières étaient dictées par l’art. 23 du Règlement n° 883/2004, auquel il ne pouvait être dérogé en application de l’art. 2 al. 8 OAMal en vertu du principe de la primauté du droit européen de coordination du système de sécurité sociale. L’autorité compétente française avait communiqué à l’OFAS qu’un refus a posteriori de prestations de retraite suisses ne pouvait mener à une compétence internationale incombant à l’Etat français.

Les personnes qui, à l’instar de l’intéressé et son épouse, percevaient une pension de leur pays de résidence ainsi que les membres de leur famille sans emploi étaient soumis à l’assurance de leur pays de résidence. L’art. 24 par. 2 point b du Règlement n° 883/2004 ne s’appliquait que dans les cas où une personne touchait des rentes de différents pays hormis son pays de résidence, donc pas à l’intéressé et son épouse. Concernant l’octroi de dispenses de l’affiliation à un assureur-maladie en Suisse, le SAM avait changé d’avis, surtout pour des personnes qui, à l’instar de l’assuré et son épouse, avaient été inscrits dans un système d’assurance obligatoire d’un Etat membre de l’Union européenne, et non auprès d’un assureur privé ; une dispense, supposée encore valable, ne pouvait au demeurant mener à une compétence de l’Etat français.

b. Par réplique du 5 mars 2019 – adressée, pour les motifs évoqués plus loin, à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS) –, l’intéressé et son épouse ont persisté dans les termes et conclusions de leur recours. Ils revendiquaient l’application de l’art. 2 al. 8 OAMal (et non de l’art. 2 al. 1 let. e OAMal, cité par l’OFAS dans son courrier précité du 3 juillet 2018). C’était par erreur et sans aucune intention qu’ils avaient indiqué, sur les questionnaires relatifs au formulaire E 121/ S1 concernant les années 2016 à 2018, qu’ils percevaient une rente AVS depuis respectivement juin 2017 et mai 2017, sans faire mention de la rétroactivité des décisions leur ayant alloué leurs rentes AVS, mais ils avaient joint les décisions du SAM les dispensant de l’obligation de s’affilier à un assureur-maladie en Suisse.

c. Par duplique du 25 mars 2019 (adressée à la CJCAS), l’IC LAMal a indiqué que la question (évoquée plus loin) de la compétence du TAF ou de la CJCAS devait être résolue à titre préjudiciel, et elle a réfuté les arguments repris par l’intéressé et son épouse dans leur réplique. Elle devait appliquer l’art. 23 du Règlement n° 883/2004, dès lors que ces derniers habitaient en Suisse et percevaient des rentes du système de la Sécurité sociale de France et du système suisse de l’AVS. L’art. 2 al. 8 OAMal s’appliquait dans des situations avec une solution d’assurance privée, mais pas dans la situation de l’intéressé et son épouse, qui revendiquaient d’être dispensés de l’obligation de s’affilier à un assureur-maladie en Suisse dans le but que leur risque maladie reste à la charge du système étatique de la Sécurité sociale française ; une décision fondée sur l’art. 2 al. 8 OAMal ne pouvait forcer un système étatique d’un pays de l’Union européenne de continuer à assumer des prestations par le biais de l’entraide internationale ; les autorités françaises s’y étaient d’ailleurs refusées dès l’instant qu’elles avaient su que l’intéressé et son épouse bénéficiaient de rentes AVS en plus de leurs pensions françaises de retraités.

G. a. Dans l’intervalle, par un courrier motivé du 25 janvier 2019, le juge instructeur du TAF avait, pour raison de compétence, transmis le recours C-6893/2018 à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS), qui l’avait alors enregistré sous les numéros de cause A/4600/2018 s’agissant de l’épouse de l’intéressé et A/4601/2018 s’agissant de l’intéressé.

b. L’IC LAMal avait indiqué, le 30 janvier 2019, ne pas partager le point de vue dudit juge du TAF.

c. Comme dans deux autres causes qu’un juge instructeur du TAF lui avait également transmises, la CJCAS, après échange avec le TAF annonçant qu’il statuerait sur la question de sa compétence dans une cause concernant un autre canton que celui de Genève, a, par arrêts incidents du 8 avril 2019 (ATAS/292/2019 et ATAS/295/2019), suspendu l’instruction des recours A/4600/2018 et A/4601/2018 jusqu’à droit jugé sur ladite cause pendant devant le TAF.

d. Par arrêt du 9 mars 2020, qu'il a communiqué le 16 mars 2020 à la CJCAS en une version anonymisée, le TAF s'est déclaré incompétent pour traiter des recours contre les décisions de l'IC LAMal relatives à la suppression de l'inscription pour l'entraide internationale dans le domaine de l'assurance-maladie et il a transmis la cause dans laquelle il a rendu cet arrêt (soit la cause C-6251/2018) au tribunal cantonal des assurances compétent (soit à celui du canton de Bâle-Ville).

e. Cet arrêt du TAF n'ayant pas fait l'objet d'un recours au Tribunal fédéral, la CJCAS a, par arrêt incident du 7 septembre 2020 (ATAS/738/2020 et ATAS/739/2020), ordonné la reprise de l’instruction des recours A/4600/2018 et A/4601/2018, en relevant que, dans une des autres causes similaires pendantes devant elle (A/303/2019), elle avait admis sa compétence ratione materiae pour statuer sur un recours contre une décision de l'IC LAMal rendue en application de l'art. 18 al. 3 LAMal, par un arrêt incident du 27 août 2020 (ATAS/697/2020). Elle a imparti à l'intéressé et à son épouse un délai pour formuler d'éventuelles observations complémentaires.

f. Le 10 septembre 2020, l’intéressé et son épouse ont indiqué à la CJCAS n’avoir pas d’observations complémentaires à formuler.

g. Le 14 septembre 2020, la CJCAS a informé les parties que les causes A/4600/2020 et A/4601/2020 étaient gardées à juger.

H. a. L’épouse de l’intéressé est décédée le 16 décembre 2020, ce que la CJCAS a appris le 1er décembre 2021 par la consultation de la banque de données de l’office cantonal de la population et des migrations.

b. Par ordonnance du 10 décembre 2021, rendue le même jour que l’arrêt sur le recours A/4601/2018, la CJCAS a suspendu l’instruction de la cause A/4600/2018 et invité l’intéressé à indiquer comment la communauté héréditaire se déterminait sur la suite à donner audit recours de feue son épouse, en application de l’art. 78 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

EN DROIT

1.             1.1. La décision objet du recours A/4601/2018 est une décision sur opposition de l'IC LAMal supprimant au recourant, dès le 1er avril 2018, l'entraide internationale en matière de prestations pour le risque de maladie, prévue par les règles de coordination européenne des régimes nationaux de sécurité sociale applicables entre la Suisse et l'Union européenne à teneur de l'Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681).

Comme l'ont retenu tant le TAF dans son arrêt du 9 mars 2020 dans la cause C-6251/2018 que la CJCAS dans son arrêt incident du 27 août 2020 dans la cause A/303/2019 (ATAS/697/2020), le recours contre une telle décision, rendue en application de l'art. 18 al. 3 LAMal en corrélation avec l'art. 19 al. 1 phr. 2 OAMal, relève de la compétence non du TAF, mais du tribunal cantonal des assurances institué en application de l'art. 57 LPGA, à savoir, dans le canton de Genève, de la CJCAS (art. 134 al. 1 let. a ch. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 [LOJ - E 2 05] en relation avec la LAMal), étant précisé que le recourant avait son domicile dans le canton de Genève au moment du dépôt de son recours (art. 58 al. 1 LPGA).

1.2. Le recours a été interjeté en temps utile (art. 60 al. 1 LPGA ; art. 36 al.1 LaLAMal), étant précisé que la décision attaquée a été reçue le 5 novembre 2018 et qu’en cas de recours adressé à une autorité incompétente (en l’occurrence le TAF) il est transmis à la juridiction compétente (la CJCAS) et est réputé avoir été déposé à la date à laquelle il a été adressé à la première autorité (art. 64 al. 2 LPA).

Il respecte les exigences de forme et de contenu posées par la loi (art. 61 let. b LPGA ; cf. aussi art. 89B LPA).

Touché par la décision attaquée et ayant un intérêt digne de protection à son annulation ou sa modification, le recourant a qualité pour recourir (art. 59 LPGA ; art. 60 al. 1 let. a et b et 89A LPA).

1.3. Le recours est donc recevable.

2.             Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Toutefois, dans la mesure où le recours était pendant devant la chambre de céans au 1er janvier 2021, il reste soumis à l'ancien droit (cf. art. 82a LPGA ; RO 2020 5137 ; FF 2018 1597 ; erratum de la CdR de l’Ass. féd. du 19 mai 2021, publié le 18 juin 2021 in RO 2021 358).

3.             3.1. A teneur de l'art. 3 LAMal, toute personne domiciliée en Suisse doit s'assurer pour les soins en cas de maladie (ou être assurée par son représentant légal) dans les trois mois qui suivent sa prise de domicile (ou sa naissance) en Suisse (al. 1) ; le Conseil fédéral peut d'une part excepter de l'assurance obligatoire certaines catégories de personnes (al. 2) et d'autre part étendre l'obligation de s'assurer à des personnes qui n'ont pas de domicile en Suisse (al. 3). Les cantons veillent au respect de l'obligation de s'assurer ; l'autorité qu'ils désignent affilie d’office toute personne tenue de s’assurer qui n’a pas donné suite à cette obligation en temps utile (art. 6 LAMal) ; dans le canton de Genève, c'est le SAM qui contrôle l’affiliation des assujettis (art. 4 LaLAMal) et, s'il y a lieu, prononce leur affiliation d'office (art. 6 LaLAMal).

3.2. Déjà dans sa version d'origine (RO 1995 1328), entrée en vigueur le 1er janvier 1996, la LAMal garantissait l'effectivité du principe de l'obligation d'assurance en imposant aux assureurs-maladie l'obligation d'accepter toute personne tenue de s'assurer, indépendamment de son âge et de son état de santé (art. 4 aLAMal ; Stéphanie PERRENOUD, L'assurance-maladie, in Ghislaine FRESARD-FELLAY / Bettina KAHIL-WOLFF / Stéphanie PERRENOUD [éd.], Droit suisse de la sécurité sociale, vol. II, 2015, p. 1 ss,, n. 16, 33 et 65). Corolairement, le législateur fédéral a prévu la création d'une institution commune aux assureurs – à savoir l'IC LAMal –, dont la fonction primaire était de prendre en charge les coûts afférents aux prestations légales en lieu et place des assureurs insolvables (art. 18 al. 2 LAMal ; Gebhard EUGSTER, Krankenversicherung, in Ulrich MEYER [éd.], Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht, Bd XIV : Soziale Sicherheit – Sécurité sociale, 3ème éd., 2016, p. 385 ss, n. 237), mais à laquelle il a prévu que d'autres tâches pouvaient être confiées, en particulier par le Conseil fédéral "notamment afin de remplir des engagements internationaux" (art. 18 al. 3 LAMal).

Comme l'expliquait le Message concernant la révision de l'assurance-maladie du 6 novembre 1991 (FF 1992 I 77), cette disposition permettait au Conseil fédéral de confier à l'IC LAMal "l'entraide administrative internationale (c'est-à-dire le remboursement de frais de soins occasionnés en Suisse par des personnes soumises à la législation de sécurité sociale d'un autre Etat) lorsqu'elle est prévue par une convention de sécurité sociale ou un autre texte international (ou européen) liant la Suisse" (FF 1992 I 130). C'est ce que le Conseil fédéral a stipulé dans la version d'origine de l'OAMal (RO 1995 3867) entrée en vigueur le 1er janvier 1996, à son art. 19 al. 1, selon lequel l'IC LAMal était "chargée de l'exécution de l'entraide en matière de prestations dans l'assurance-maladie, conformément aux engagements internationaux pris par la Suisse. "

3.3. Tant la LAMal que l'OAMal ont été révisées en considération des engagements internationaux pris par la Suisse et ses parties contractantes par l'ALCP (ainsi que par l'Accord du 21 juin 2001 amendant la Convention du 4 janvier 1960 instituant l'Association européenne de libre-échange [ci-après : AELE]). Les normes dont ces accords prévoient l'application par les parties contractantes sont cependant d'application directe, et elles priment sur les législations nationales, plus précisément, pour la Suisse, sur les législations fédérale, cantonales et communales (Bettina KAHIL-WOLFF, La coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale, in Ulrich MEYER [éd.], Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht, Bd XIV : Soziale Sicherheit – Sécurité sociale, 3ème éd., p. 167 ss, n. 8 s. ; Bettina KAHIL-WOLFF, La coordination européenne des systèmes de sécurité sociale, in Droit suisse de la sécurité sociale [op. cit.], vol. II, p. 591 ss, n. 2). Aussi, pour la mise en œuvre de l'ALCP, le législateur fédéral a-t-il opté pour la technique du renvoi, plutôt que pour celle de l'adaptation de toutes les dispositions concernées de la législation suisse de sécurité sociale, en particulier sur l'assurance-maladie (cf. Message du 23 juin 1999 relatif à l'approbation des accords sectoriels entre la Suisse et la CE, in FF 1999 5440 ss,, not. 5662s. et 5665), sans préjudice de la reprise ou concrétisation de certaines règles européennes, notamment dans l'OAMal, dans un souci de transparence ou de lisibilité (Bettina KAHIL-WOLFF, op. cit., n. 8 in fine).

Ainsi, comme le prévoit l'art. 95a (al. 1) LAMal – actuellement dans sa teneur issue du ch. I de la loi fédérale du 30 septembre 2016 (Adaptation de dispositions à caractère international), en vigueur depuis le 1er janvier 2018 (RO 2017 6717 ; FF 2016 1) –, pour les personnes qui sont ou qui ont été soumises à la législation sur la sécurité sociale de la Suisse ou de l’un ou de plusieurs États membres de l’Union européenne et qui sont des ressortissants suisses ou des ressortissants de l’un des États membres de l’Union européenne, pour les réfugiés ou les apatrides qui résident en Suisse ou dans un État membre de l’Union européenne, ainsi que pour les membres de la famille et les survivants de ces personnes, sont applicables aux prestations comprises dans le champ d’application de la LAMal les actes suivants dans leur version qui lie la Suisse en vertu de l’annexe II, section A de l'ALCP, à savoir le règlement (CE) no 883/2004, le règlement (CE) no 987/2009, le règlement (CEE) no 1408/71, le règlement (CEE) no 574/72 (cf. art. 95a al. 2 LAMal pour la Suisse, l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein).

3.4. En l’espèce, il appert que le litige présente des éléments d'extranéité, autrement dit a un caractère transfrontalier. En effet, le recourant est ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, la France ; depuis la fin décembre 2006, il réside en Suisse ; il est bénéficiaire d'une rente AVS (qui lui a été allouée par une décision du 5 mai 2017 avec effet rétroactif au 1er juin 2014). La question est de savoir s'il doit obligatoirement être assuré en Suisse contre le risque de maladie. Il n'est dès lors pas contestable que le recourant et le litige entrent dans le champ d'application personnel, matériel, temporel et géographique de l'ALCP, appelant en l'occurrence l'application du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des régimes de sécurité sociale (ci-après : règlement n° 883/2004 - RS 0.831.109.268.1) et du règlement (CE) n° 987/2009 des mêmes autorités du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement n° 883/2004 (ci-après : règlement n° 987/2009 - RS 0.831.109.268.11 ; cf. décision n° 1/2012 du Comité mixte du 31 mars 2012 [RO 2012 2345] ; ATAS/1027/2020 du 29 octobre 2020 consid. 4 et 5).

3.5. C’est le lieu de relever – avant d'aborder la question de fond soulevée par le recours – qu'aux fins de l'application de diverses dispositions du règlement n° 883/2004 traitant du droit à l'entraide internationale (dont les art. 17 et 24), l'art. 24 du règlement n° 987/2009 prévoit que les personnes assurées résidant dans un Etat membre autre que l'Etat membre compétent sont tenues de se faire inscrire auprès de l'institution du lieu de résidence (al. 1 phr. 1), et que l’institution du lieu de résidence avise l’institution compétente de toute inscription à laquelle elle a procédé et de tout changement ou annulation de ladite inscription (al. 3). Pour la Suisse, c'est l'IC LAMal qui remplit les tâches d'institution d'entraide au lieu de résidence, ou de séjour, des assurés pour lesquels il existe un droit à l'entraide internationale (art. 19 OAMal).

4.             4.1. Comme l'ALCP l'indique à son art. 8, les parties contractantes règlent, conformément à l’annexe II, la coordination des systèmes de sécurité sociale. Ladite annexe II fait référence, à sa section A points 1 et 2, aux règlements n° 883/2004 et 987/2009.

L'un des buts de cette coordination est de déterminer la législation applicable (art. 8 let. b ALCP).

Les règles de conflit européennes résolvent la question du droit applicable et déterminent l’État compétent, soit l’État dans lequel l’intéressé est assuré (ATAS/1027/2020 du 29 octobre 2020 consid. 6 ; Bettina KAHIL-WOLFF, La coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale, in Ulrich MEYER [éd.], Soziale Sicherheit - Sécurité sociale, vol. XIV, 3ème éd., précité, p. 212 n. 54 ; p. 225 n. 76).

4.2. Le titre II du règlement n° 883/2004 (art. 11 à 16) comprend des règles générales de conflit pour déterminer la législation applicable. L'art. 11 par. 1 du règlement n° 883/2004 pose le principe de l'unicité du droit applicable, selon lequel les personnes auxquelles le règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre (ATF 146 V 290 consid. 3.1; Stéphanie PERRENOUD, L’accès aux soins de santé des travailleurs frontaliers dans les relations entre la Suisse et l’Union européenne, in REAS 2020 p. 408 ; Gebhard EUGSTER, op. cit., n. 85).

Les règles de caractère général qui figurent sous le titre II du règlement n° 883/2004 ne s'appliquent cependant que dans la mesure où les dispositions particulières aux différentes catégories de prestations qui constituent le titre III dudit règlement (« Dispositions particulières applicables aux différentes catégories de prestations » [art. 17 à 70]) n'y dérogent pas (ATF 146 V 290 consid. 3.1 et les références). Le titre III du règlement n° 883/2004 contient des règles de conflit pour des situations spéciales dans des branches particulières du système de la sécurité sociale, singulièrement, au chapitre 1 (art. 17 à 35) en ce qui concerne les prestations de maladie, de maternité et de paternité assimilées.

4.3. L’application des règles de conflit du règlement n° 883/2004, qui déterminent la législation applicable, est obligatoire pour les États membres (cf. art. 5 al. 4 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 - selon lequel la Confédération et les cantons respectent le droit international ; art. 95a LAMal). Ces dispositions forment un système de règles de conflit dont le caractère complet a pour effet de soustraire aux législateurs nationaux le pouvoir de déterminer l'étendue et les conditions d'application de leur législation nationale en la matière, quant aux personnes qui y sont soumises et quant au territoire à l'intérieur duquel les dispositions nationales produisent leurs effets (ATF 146 V 290 consid. 3.2 et les références).

5.             5.1. Selon l'art. 11 par. 2 let. e du règlement n° 883/2004, les personnes autres que celles visées aux let. a à d sont soumises à la législation de leur lieu de résidence. Sous réserve des art. 12 à 16 dudit règlement, cette disposition vise les personnes qui – à l'instar du recourant – n'exercent pas d'activité lucrative salariée ou non salariée (let. a), ni ne réalisent l'une des autres éventualités prévues au let. b à d (ici manifestement non pertinentes), sans préjudice d'autres dispositions du règlement n° 883/2004 qui leur garantissent des prestations en vertu de la législation d'un ou de plusieurs autres Etats membres.

D'après l'art. 16 par. 2 du règlement n° 883/2004, la personne qui perçoit une pension ou des pensions en vertu de la législation d’un ou de plusieurs Etats membres et qui réside dans un autre Etat membre peut être exemptée, à sa demande, de l’application de la législation de ce dernier Etat, à condition qu’elle ne soit pas soumise à cette législation en raison de l’exercice d’une activité salariée ou non salariée. Cette disposition ne s'applique pas au recourant, puisque celui-ci réside dans un des Etats membres (la Suisse) lui servant une pension.

5.2. Au titre des règles de conflit pour des situations spéciales dans les branches particulières du système de la sécurité sociale, soit des titulaires de pension et membres de leur famille, il sied de citer les art. 23 s. du règlement n° 883/2004 (ATAS/1027/2020 du 29 octobre 2020 consid. 7).

Selon l’art. 23 dudit règlement, la personne qui perçoit une pension ou des pensions en vertu de la législation de deux ou plusieurs États membres, dont l’un est l’État membre de résidence, et qui a droit aux prestations en nature en vertu de la législation de cet État membre, bénéficie, tout comme les membres de sa famille, de ces prestations en nature servies par et pour le compte de l’institution du lieu de résidence, comme si l’intéressé n’avait droit à la pension qu’en vertu de la législation de cet État membre. Cette disposition désigne l’État compétent pour l’octroi des prestations en nature lorsque le titulaire de pensions réside dans l’État membre qui lui verse une pension et perçoit en même temps des pensions d’un ou plusieurs États membres. L’État membre de résidence est alors compétent, pour autant que le titulaire de la pension en question ait effectivement droit aux soins de santé en vertu du système de sécurité sociale de cet État. Si tel n’est pas le cas, l’art. 24 du règlement n° 883/2004 s’applique, intitulé « Absence de droit aux prestations en nature en vertu de la législation de l’État membre de résidence » (Bettina KAHIL-WOLFF, Droit social européen : Union européenne et pays associés, Dossiers de droit européen n° 25, 2017, p. 424 s., n. 696).

L'art. 24 du règlement n° 883/2004 règle la situation dans laquelle les titulaires de la pension n'ont pas de droit originaire à des prestations en nature en cas de maladie dans l'État de résidence, faute d'un rapport suffisant avec le système des rentes de l'État de résidence. Cette disposition comprend aussi une règle de conflit, en tant qu'elle implique l'obligation de telles personnes de s'assurer à l'assurance-maladie dans l'Etat qui leur verse la rente, tout en leur assurant la fourniture de prestations dans leur Etat de résidence au titre de l'entraide internationale, la charge des coûts incombant finalement à l'institution compétente de l'Etat membre qui verse la rente (ATF 146 V 290 consid. 3.3.2 ; ATAS/1027/2020 du 29 octobre 2020 consid. 7b et 7c).

Comme l'a relevé la IIe Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal fribourgeois dans un arrêt du 30 mars 2021 (faisant l'objet d'un recours au Tribunal fédéral dans la cause 9C_263/2021), l'articulation de ces art. 23 et 24 du règlement n° 883/2004 démontre que le législateur européen a entendu établir une distinction au sein des personnes au bénéfice de pensions, selon qu'elles disposent ou non d'un droit originaire à des prestations en nature en cas de maladie dans leur Etat de résidence, lequel dépend lui-même de l'existence d'un rapport suffisant avec le système des rentes de cet Etat (consid. 3.1).

5.3. Ainsi, le ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (ou de l'AELE) qui ne perçoit qu'une rente suisse est soumis à l'obligation d'assurance prévue par la LAMal, qu'il soit ou non domicilié en Suisse ; inversement, s'il ne perçoit qu'une rente d'un Etat membre et s'installe en Suisse, il reste affilié à l'assurance-maladie de l'Etat qui la lui verse. S'il perçoit des rentes de plusieurs Etats membres, son obligation de s'assurer en cas de maladie se détermine d'après le droit de son Etat de résidence si celui-ci lui verse aussi une rente et s'il a effectivement droit aux soins de santé en vertu du système de sécurité sociale de cet État (Gebhard EUGSTER, op. cit., n. 47 et 110 s. ; ch. 4.3.3 du Guide concernant l'assurance-maladie en rapport avec l'UE/AELE et l'entraide en prestations pour les personnes assujetties à l'assurance-maladie obligatoire [LAMal] en Suisse, éd. par l'IC LAMal, 2020, état au 21 décembre 2020, accessible sur internet à l'adresse https://www.kvg.org/fr/guide-_content---1--1079.html).

5.4. C’est pour tenir compte (notamment) de l'art. 24 précité du règlement n° 883/2004 – fondant le droit et même le devoir des personnes visées par cette disposition de s'assurer à l'assurance-maladie dans l'Etat qui leur verse la rente qui n'est pas leur Etat de résidence – que l'art. 2 al. 1 let. e OAMal prévoit une exception à l'obligation de s'assurer en Suisse pour les soins en cas de maladie en cas de domicile en Suisse (art. 3 al. 1 LAMal), à savoir pour les "personnes qui n’ont pas droit à une rente suisse, mais qui, en vertu de l’Accord sur la libre circulation des personnes et de son annexe II, ont droit à une rente d’un État membre de l’Union européenne ou qui, en vertu de l’Accord AELE, de son annexe K et de l’appendice 2 de l’annexe K, ont droit à une rente islandaise ou norvégienne" (ATF 146 V 290 consid. 3.3.3, avec citation de la Lettre circulaire du 28 juin 2002 de l'OFAS aux gouvernements cantonaux, aux services cantonaux responsables du contrôle de l'obligation de s'assurer et aux services cantonaux responsables de l'application de la réduction de primes [www.bag.admin.ch sous Assurance-maladie/Assureurs et surveillance/Circulaires et lettres d'information / Lettres d'information Affaires s/n° 27]).

Cette exception, dictée par le droit européen, ne vise que les personnes qui n'ont pas droit à une rente suisse, donc pas au recourant.

  5.5. Il faut ajouter que le montant de la pension versée par l'Etat de résidence ne joue pas de rôle s'agissant de l'obligation, le cas échéant, de s'assurer pour le risque maladie dans l'Etat de résidence (Gebhard EUGSTER, op. cit., n. 111 in fine ; ch. 4.3.3.1 du Guide précité), sans qu'il n'en résulte de violation des principes d'égalité de traitement et de proportionnalité (arrêt fribourgeois précité du 30 mars 2021 consid. 3.2).

5.6. En l’espèce, le recourant se trouve dans la situation visée par l'art. 23 du règlement n° 883/2004. Il perçoit des pensions de France et de Suisse et il réside en Suisse. Depuis qu’il perçoit une rente AVS, le fait qu’il était domicilié en Suisse induisait pour lui, juridiquement, un transfert de rattachement au régime d'assurance-maladie de la France à celui de la Suisse.

L’intimée l’avait inscrit antérieurement à juste titre comme bénéficiaire de l'entraide internationale en matière de prestations en cas de maladie. Dès l’instant qu’il percevait une rente AVS, elle devait mettre fin à son inscription à ladite entraide et en aviser les autorités françaises compétentes.

Il sied de relever que si elle a fait mention, en cours de procédure, du fait que, dans les questionnaires relatifs au formulaire E 121/S1 concernant les années 2016 à 2018, le recourant avait indiqué qu’il percevait une rente AVS depuis juin 2017 sans préciser que la décision de la CCGC lui reconnaissant le droit à une telle rente avait été prise certes le 5 mai 2017 mais avec effet rétroactif au 1er juin 2014, elle n’en a pas tiré de conclusion. Sa décision, confirmée par la décision sur opposition litigieuse, a mis fin au 31 mars 2018 à l’inscription du recourant à l’entraide internationale en matière de prestations qu’elle lui accordait jusque-là. Il n’y a pas de litige pour la période antérieure à cette date-ci.

6.             6.1. Il faut encore examiner si le recourant a droit, ainsi qu'il le prétend, à l’exception à l'obligation de s'assurer en Suisse contre la maladie en application de l’art. 2 al. 8 OAMal.

6.2. Dans ce contexte, il sied de signaler que dans sa version d'origine, du 27 juin 1995 (FF 1995 3867), l'OAMal prévoyait, à son art. 2 al. 3, qu'étaient, sur requête, exceptées de l'obligation de s'assurer les personnes qui bénéficiaient, dans le cadre de l'entraide internationale en matière de prestations d'assurance-maladie, d'une couverture d'assurance équivalente pour les traitements en Suisse, mais que cette disposition a été abrogée par modification du 22 mai 2002 de l'OAMal, dès le 1er juin 2002 (RO 2002 1633), en considération des engagements internationaux pris par la Suisse et ses parties contractantes par l'ALCP (ainsi que par l'Accord AELE).

6.3. Selon l’art. 2 al. 8 OAMal,sont exceptées sur requête les personnes dont l’adhésion à l’assurance suisse engendrerait une nette dégradation de la protection d’assurance ou de la couverture des frais et qui, en raison de leur âge et/ou de leur état de santé, ne pourraient pas conclure une assurance complémentaire ayant la même étendue ou ne pourraient le faire qu’à des conditions difficilement acceptables.

Contrairement à d'autres des clauses d'exception à l'assurance figurant à l'art. 2 OAMal, cet al. 8 ne fait pas référence à des normes européennes dont l'ALCP (ou l'Accord AELE) appellerait l'application et qu'en d'autres termes il concrétiserait. Il ne s'en déduit toutefois pas qu'il ne trouverait application que dans des situations comportant des éléments d’extranéité avec des Etats non-membres de l’Union européenne ou de l’AELE, autrement dit qu’il ne saurait s’appliquer dans des situations transfrontalières auxquelles l'ALCP ou l'Accord AELE et, partant, les règlements n° 883/2004 et 987/2009 s'appliquent. Il a été introduit par une modification de l'OAMal du 3 juillet 2001 entrée en vigueur le 1er juin 2002 (RO 2002 915), en même temps que nombre d'autres dispositions prises en considération desdits engagements européens. Le Tribunal fédéral a d'ailleurs jugé qu'il ne violait pas l'ALCP (pas non plus la constitution ou la LAMal), dans une cause concernant un ressortissant allemand s'étant installé en Suisse (ATF 132 V 310 consid. 8 et 9).

Toutefois, comme le relève la doctrine (Gebhard EUGSTER, op. cit., n. 60), cette disposition a été adoptée en faveur de personnes retraitées disposant d’une assurance-maladie privée étrangère qui s’installent en Suisse, et qui n’émargent donc pas au système public de sécurité sociale étranger.

6.4. Or, comme l’intimée l’a relevé dans ses écritures, le recourant entend – par le biais d’une exception à l’obligation de s’affilier à un assureur-maladie en Suisse bien qu’il perçoive une rente AVS en Suisse, son pays de résidence – pouvoir continuer à être (ou redevenir) bénéficiaire d’une couverture de son risque maladie par le système étatique français de la Sécurité sociale, prolongé pour les soins médicaux reçus en Suisse par une assurance complémentaire, dont il dit lui-même qu’elle est dépendante de la Sécurité sociale française.

Une autorité de l’Etat de résidence (qu’il s’agisse notamment de l’intimée ou du SAM) ne saurait contraindre les organismes compétents du système étatique de la sécurité sociale d’un autre Etat de l’Union européenne ou de l’AELE (ici la France) d’accepter de continuer à prendre des prestations en charge (ou de le reprendre en charge). En l’espèce, les autorités françaises s’y sont refusées, même au titre d’une solution amiable. Le recourant n’a d’ailleurs pas introduit de procédure en France pour contester leur position.

6.5. Le recourant ne saurait donc être mis au bénéfice de l’exception figurant à l’art. 2 al. 8 OAMal.

7. 7.1. Selon le recourant, la décision attaquée violerait le principe de la bonne foi.

Ce principe protège le citoyen dans la confiance légitime que ce dernier met dans les assurances reçues des autorités lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration (ATF 141 V 530). Il faut que l'autorité soit intervenue dans une situation concrète à l'égard de personnes déterminées, qu'elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et que l'administré n'ait pas pu se rendre compte immédiatement de l'inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore que l'administré se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice, et que la réglementation n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée (ATF 131 II 627 consid. 6.1 et les références citées).

7.2. Or, en l’espèce, l’intimée n’a jamais donné au recourant une quelconque assurance qu’il avait droit à l’entraide internationale, en particulier depuis qu’elle a appris qu’il percevait une rente AVS. C’est bien elle qui est compétente en la matière (art. 19 OAMal), et non le SAM. Au demeurant, ce dernier n’a pas donné au recourant l’assurance qu’il continuerait à bénéficier d’une dispense en application, de surcroît erronée, de l’art. 2 al. 8 OAMal au-delà du 31 janvier 2018. De plus, le recourant a pris à temps, quoique sous la pression de l’intimée, les mesures pour s’affilier à un assureur-maladie en Suisse avec effet au 1er avril 2018. Il ne saurait en conséquence revendiquer de l’intimée de bénéficier de l’entraide internationale en matière de prestations en vertu du principe de la bonne foi.

8.             8.1. En conclusion, c’est à bon droit que l’intimée – ayant appris que le recourant, domicilié en Suisse et étant sans activité professionnelle, percevait une rente AVS – a mis un terme au 31 mars 2018 à son inscription à l’entraide internationale en matière de prestations en Suisse.

Son recours doit être rejeté.

8.2. Sous réserve d'exceptions ici non réalisées, la procédure en matière d’assurances sociales, en particulier d'assurance-maladie, est gratuite pour les parties (art. 61 let. a aLPGA ; art. 89H al. 1 LPA).

8.3. Il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité de procédure au recourant, qui n'obtient pas gain de cause (art. 61 let. g LPGA ; art. 89H al. 3 LPA), ni d'ailleurs aux intimés, dès lors qu'il s'agit d'administrations publiques dotées d'un service juridique (Jean METRAL, in CR-LPGA, n. 98 et 100 ad art. 61 ; Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 1041).

 

* * * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare recevable le recours A/4601/2018 de Monsieur A______.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure aux parties.

5.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Marguerite MFEGUE AYMON

 

Le président suppléant

 

 

 

 

Raphaël MARTIN

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties et à l’Office fédéral de la santé publique, et communiqué au Service de l’assurance-maladie, par le greffe le