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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1162/2019

ATAS/685/2021 du 28.06.2021 ( LAA ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1162/2019 ATAS/685/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 28 juin 2021

10ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié ______, à VERNIER, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Gustavo DA SILVA

 

 

recourant

 

contre

SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS, sise Fluhmattstrasse 1, LUCERNE

 

 

intimée

 


EN FAIT

1.        Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né en 1983, a travaillé en qualité d’employé de production (opérateur) auprès de B______ (ci-après : l’entreprise) à partir de 2002. À ce titre, il était assuré contre les accidents et les maladies professionnelles auprès de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (ci-après : la SUVA).

2.        À partir du 17 mars 2017, l’assuré a été en incapacité totale de travail et un dossier a été ouvert auprès de l’assureur perte de gain maladie.

3.        Dans un certificat du 3 novembre 2017, le docteur C______, spécialiste FMH en médecine interne générale, a indiqué que l’assuré présentait un problème de santé chronique contre-indiquant strictement le retour au travail. Il a évoqué une « relation vraisemblable » entre ledit problème de santé et une exposition permanente à différentes substances chimiques au sein de l’entreprise.

4.        Par déclaration du 30 novembre 2017, l’entreprise a annoncé le cas à la SUVA, mentionnant une incapacité de travail depuis le 3 novembre 2017 en raison de migraines.

5.        Le 30 janvier 2018, la doctoresse D______, spécialiste FMH en médecine du travail auprès de la Division médicale de la SUVA, a établi un rapport de visite. Elle a noté que l’assuré avait toujours travaillé sur le site de E______, dans le secteur des arômes. Depuis la construction du nouveau bâtiment « F______ », il intervenait « dans ce secteur ». L’ensemble des postes occupés était régulièrement suivi avec des campagnes de mesures atmosphériques, par l’équipe de ToxPro, et l’intéressé avait même porté des badges dans certaines campagnes. À chaque fois, les résultats étaient revenus avec des mesures inférieures ou au niveau des 10% de la « VME ». Elle avait profité de la visite pour regarder les « nouvelles installations ». Des modifications avaient été apportées pour les aspirations au poste de travail et des tubes avaient été installés au plafond et permettaient d’envoyer de l’air, lequel était aspiré par le sol. Cela permettait de faire descendre tous les solvants qui pouvaient être présents en particulier dans les manœuvres de remplissage de ces chargeurs à partir de fûts, par l’intermédiaire de cannes placées à l’orifice de ces fûts. La manœuvre était identique pour vider les chargeurs une fois le mélange effectué. En fonction des informations médicales qui lui seraient transmises, ce dossier serait complété avec les résultats des mesures correspondantes qui lui seraient communiqués par l’ingénieur sécurité de l’entreprise. Actuellement, elle n’avait aucune information en faveur d’éventuels produits mis en cause.

6.        Par rapport du 5 février 2018, le Dr C______ a indiqué que son patient était connu pour une colopathie fonctionnelle, une maladie de Gilbert, une migraine de longue date, des céphalées d’allure variable, voire mixte, pouvant correspondre à une migraine, à des céphalées de tension et parfois même à une sinusite, et un probable état dépressif chronique, pour lequel il était suivi par le docteur G______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. Il avait été consulté par l’intéressé dès 2006, principalement pour les céphalées dont l’intensité et la fréquence semblaient varier en fonction de l’état de stress général et de l’exposition aux cuves de mélange de produits chimiques. Ce problème avait été rapporté en 2007 au précédent médecin de l’entreprise, le docteur H______, spécialiste FMH en médecine interne, et s’était clairement aggravé au vu de l’augmentation de la productivité et du nombre de parfums développés. Ces céphalées se produisaient jusqu’à deux fois par semaine lorsque l’assuré était en activité, mais n’étaient survenues que deux fois depuis l’arrêt de travail de mars 2017. Ce dernier était dû aux céphalées liées au travail, devenant insupportables et entrainant des risques professionnels non négligeables. Il était possible que le stress généré par la pression de rentabilité de l’entreprise potentialise le problème. Par ailleurs, le patient n’était en général pas au courant de la nature exacte des produits qu’il manipulait et des informations précises étaient difficiles à obtenir. À l’examen clinique, l’état semblait plutôt rassurant, mais l’anamnèse était troublante au vu de la chronologie des céphalées correspondant aux pics d’exposition aux produits chimiques et la persistance d’un état dépressif chronique, probablement secondaire à des tensions professionnelles. Le problème s’était aggravé suite à un transfert de l’assuré le
1er décembre 2014 sur le nouveau site de production à I______ dans une nouvelle usine, qui n’était pas encore totalement fonctionnelle et qui présentait des vices de construction majeurs, avec notamment une ventilation très insuffisante et une dalle de sol poreuse. À plusieurs reprises, l’assuré avait été en incapacité de travail en raison de céphalées et un transfert avait été opéré vers l’ancien site en juin 2016, avec une période initiale assez favorable, puis une nouvelle aggravation. Il avait prescrit du Relpax à partir du 29 novembre 2017. Par ailleurs, le patient étant a priori quelqu’un de très loyal et sincère, il présentait une anamnèse évoquant un lien de cause à effet relativement suggestif. Il était toutefois difficile d’étayer la chose par manque d’information sur les substances en question, mais l’entreprise ne semblait clairement pas observer les règles et les recommandations de sécurité. En effet, le docteur J______, médecin du travail auprès de l’entreprise, lui avait affirmé que l’usine de I______ n’était pas encore terminée et prête à fonctionner, alors qu’elle fonctionnait déjà à plein régime, avec un rythme de production très élevé en raison des nombreuses commandes. Il lui avait même dit qu’il y avait eu des problèmes avec d’autres travailleurs, sans entrer dans les détails. L’assuré était persuadé de la nocivité de son lieu de travail sur le plan physique (« exposition ») et psychique (« harcèlement et rendement »). Il était très déçu de l’entreprise, qui semblait avoir occulté les problèmes de sécurité au travail par souci de rendement. Il avait consulté le professeur K______, spécialiste FMH en neurologie.

Le médecin traitant a joint à son rapport les documents suivants :

-          un rapport daté du 22 janvier 2007 du Dr H______, lequel a indiqué avoir vu l’assuré lors de ses visites dans l’entreprise ; l’intéressé n’arrivait pas à rattacher ses migraines de façon très claire à des contacts avec des produits de parfumerie et la relation entre l’exposition aux odeurs et le déclenchement des migraines ne semblait pas parfaitement claire ; depuis que l’intéressé travaillait uniquement le matin, et non plus en horaires du soir, les problèmes s’étaient pratiquement résolus ; il avait pu rassurer l’assuré sur l’absence de produits toxiques parmi ceux qu’il maniait ;

-          un rapport suite à une imagerie par résonnance magnétique, pratiquée le 23 mars 2017 ;

-          un rapport du 12 décembre 2017 du Prof. K______, faisant état de céphalées caractérisées par des douleurs diffuses, intenses, parfois associées à une sono- et une photophobie, ainsi que des nausées, voire des vomissements, notamment si elles étaient particulièrement intenses ; l’assuré travaillait dans un milieu où le rythme était très intense, parfois irrégulier, et était exposé à des solvants et des alcools parfois assez irritants pour les muqueuses ; il ne semblait pas y avoir de notion de toxicité à un composant particulier ; ils avaient discuté de la modulation des phénomènes migraineux notamment en fonction des changements de rythme ; il était important que l’assuré reprenne des activités physiques régulières qui lui procuraient détente et bien-être ; il ne connaissait pas de produits pouvant directement créer un tel tableau migraineux ; en revanche, des substances irritatives pouvant stimuler les voies sensitives, notamment le nerf trijumeau au niveau des muqueuses nasales, pouvaient certainement être des éléments déclencheurs ;

-          des résultats d’examens de laboratoire.

7.        Le 20 février 2018, la SUVA a reçu un rapport du 5 décembre 2017 du
Dr C______, mentionnant que le lien de causalité entre les diagnostics de migraines, de céphalées de tension et d’épisodes de rhinosinusite récidivante, et l’exposition répétée était probable. En effet, durant un arrêt de travail total puis partiel entre les mois de mars et juin 2015, la symptomatologie s’était fortement améliorée moyennant l’éloignement temporaire du milieu professionnel. À cette époque, il avait eu deux contacts avec le Dr J______, qui lui avait parlé de la nouvelle usine de parfumerie à I______ qui n’était pas encore totalement terminée et où des actions de contrôles et de mesures d’émanation de substances étaient en cours, mais rendues difficiles par la très forte production. Le Dr J______ avait pris note des troubles de l’assuré et avait dit qu’il n’était pas le seul dans ce cas, que d’autres employés s’étaient également plaints de problèmes en rapport avec les expositions à des substances chimiques, sans davantage de détails et sans se prononcer sur le lien de causalité entre la maladie et les expositions auxdites substances. Suite à ces entretiens, un changement de travail physique avait été proposé à l’assuré, qui avait ensuite repris son travail à l’ancienne usine en
juin 2015. Dès le début du mois de janvier 2017, le patient avait signalé une aggravation d’intensité et de fréquence des céphalées et des migraines qui ne répondaient plus aux antalgiques.

8.        Dans une appréciation du 20 février 2018, la Dresse D______ a rappelé que son rapport de visite ne comportait pas d’éléments détaillés, en l’absence d’informations médicales pour l’orienter plus précisément sur une exposition spécifique. Depuis lors, elle avait pris connaissance du rapport du Dr C______ du
5 février 2018 et de ses annexes. Ces éléments médicaux faisaient clairement apparaître un état migraineux, connu et évoluant de longue date chez l’assuré. Le Dr H______ avait noté en 2007 une amélioration lors du passage en horaires du matin plutôt que du soir, et relevé une grande inquiétude de la part de l’assuré vis-à-vis des produits chimiques dont il ne maîtrisait pas les risques. L’ensemble de ces données médicales permettrait d’orienter la recherche sur les postes de travail occupés par l’assuré et de compléter les informations reçues pour connaître les horaires de l’intéressé, les postes occupés avec des dates claires, et les résultats des différentes campagnes de suivi atmosphérique faites dans ces secteurs.

9.        Le 14 mars 2018, le Dr J______ a écrit à la Dresse D______ que les problèmes de santé de l’assuré étaient connus depuis 2006, soit bien avant la construction de la nouvelle manufacture « F______ ». Il avait rencontré l’intéressé les 29 mai 2015 et 21 décembre 2016. Après leur première rencontre, qui faisait suite à un arrêt de travail de deux mois pour la même problématique, il avait eu des contacts avec le Dr C______ et évoqué les plaintes d’autres collaborateurs au niveau des odeurs et des questions de ventilation. Il ne s’était toutefois pas prononcé sur le lien de causalité entre la maladie de l’assuré et son exposition professionnelle. Une proposition de changement de poste à l’interne avec un retour dans l’ancienne manufacture s’était ensuivie, ainsi qu’une demande de renseignements concernant la qualité de l’air dans la nouvelle manufacture. Le deuxième entretien avait été réalisé dans le cadre du suivi périodique obligatoire SUVA pour tout employé exposé aux solvants, et l’assuré lui avait alors relaté une aggravation de ses symptômes depuis deux mois. La problématique soulevée par les autres collaborateurs lors des débuts d’activité dans l’usine « F______ » concernait essentiellement les odeurs sur les postes de travail. Or, il n’y avait pas de lien entre odeurs et toxicité. Pour la gestion des risques toxicologiques, il renvoyait une fois encore aux résultats des mesures de ToxPro. En conclusion, il n’y avait pas, à sa connaissance, de cas d’intoxication aux solvants dans l’entreprise. De plus, ni lui ni ses prédécesseurs n’avaient jugé utile de déclarer l’assuré inapte, y compris au travail de nuit.

Étaient annexés les documents suivants :

-          la reconstitution des horaires de l’assuré depuis le 1er octobre 2006 ; il ressort de ce document que l’intéressé avait toujours travaillé en qualité d’opérateur de production chimique, avec des horaires variables ; le lieu de travail était « L______ » entre le 5 janvier et le 5 avril 2015, puis CL 17 depuis le
6 avril 2015 ;

-          la liste des arrêts de travail de l’assuré depuis 2014 ; il avait été absent du 23 au 27 avril et du 24 au 31 octobre 2014, du 19 mars au 28 juin 2015, du
3 au 11 janvier 2016 et dès le 17 mars 2017 ;

-          la description du poste composition CL 15 et CL 17 ;

-          divers résultats de mesures d’exposition, dont certains de 2013 et d’autres concernant le secteur des parfums à E______ « L______ » suite aux mesures effectuées entre juin et juillet 2017.

10.    Dans une nouvelle appréciation du 23 avril 2018, la Dresse D______ a rappelé avoir demandé divers documents au « service de santé au travail de M______ (sic!) » et avoir obtenu la liste des arrêts de travail de l’assuré. Ce dernier avait occupé différents postes de travail, dont « L______ » (dans le nouveau bâtiment) pendant 3 mois en 2015, durée théorique compte tenu d’une incapacité de travail, puis il avait été occupé au CL 17. Pour les expositions au poste de travail, les mesures faites en 2013 sur un poste alors tenu par l’intéressé donnaient des valeurs pour les solvants présents à ce poste à des niveaux inférieurs à 1% de la valeur référente qui correspondait aux valeurs VME moyennes d’exposition pour chaque substance, reconnues sur le plan international lorsqu’elles existaient. Elle avait également les résultats des mesures effectuées en 2017 sur la machine « L______ ». Là encore, les résultats pour les différentes substances étaient à des niveaux inférieurs à 1% des valeurs OEL pour la « L______ ». Pour les mesures faites sur des emplacements fixes, au niveau de ce poste, tous les résultats étaient à 0% sauf pour 2 substances mesurées à 2% et 2.1% des normes. Ces valeurs moyennes d’exposition étaient des références internationales en dessous desquelles, en l’état actuel des connaissances, il n’y avait pas de mise en danger de la santé de la très grande majorité des travailleurs sains qui étaient exposés, ce pour une durée de 42 heures hebdomadaires, à raison de 8 heures par jour pendant de longues périodes. Habituellement, les hygiénistes du travail demandaient des niveaux d’exposition très inférieurs à ces valeurs, à 50% de la VME, voire moins. Dans le cas présent, les résultats étaient vraiment loin de ces références internationales et ne pouvaient donc pas être considérés comme une exposition à risque pour ces solvants. Par contre, comme relevé par le Dr J______, cela ne présageait pas de la présence d’odeurs désagréables. L’assuré était suivi pour une maladie migraineuse depuis longtemps et il n’avait jamais été possible, comme précisé par le Dr H______, de faire un lien entre l’activité professionnelle et les céphalées. Les mesures de suivis atmosphériques des différents solvants utilisés aux postes occupés par l’assuré étaient rassurantes et permettaient de conclure à l’absence d’une exposition à risque. L’intéressé souffrait de crises de migraines anciennes, dont différents déclencheurs étaient reconnus sur le plan scientifique, comme le stress, la tension, les troubles du sommeil et toute exposition à un irritant respiratoire de manière non spécifique, données qui avaient été clairement précisées par le Prof. K______. L’assuré avait eu des horaires de travail très différents tout au long de sa vie professionnelle depuis 2006, avec des rythmes pouvant se faire sur 5, 6 ou 7 jours, ce qui pouvait nécessiter des adaptations physiologiques parfois difficiles, surtout sur un terrain déjà migraineux. Il était exposé, dans sa vie quotidienne comme dans sa vie professionnelle, à des déclencheurs possibles qui n’étaient pas strictement liés au travail, comme tout événement stressant ou perturbant le rythme du sommeil et tout irritant respiratoire. Les suivis réguliers aux postes de travail sur les expositions aux solvants révélaient des résultats largement dans les normes, avec des pourcentages très faibles, voire nuls. Aussi, ces expositions n’étaient pas en lien avec la présence éventuelle d’odeurs pouvant être ressenties comme désagréables. Elle attendait encore les résultats de la dernière campagne des mesures atmosphériques faites il y a quelques jours avant de conclure.

11.    Le 8 juin 2018, l’entreprise a communiqué à la Dresse D______ les analyses toxicologiques de l’exposition aux composés organiques volatils réalisées en 2018 par ToxPro à l’aide d’un badge, notamment sur CL 17.

12.    En date du 21 juin 2018, la Dresse D______ a considéré, après examen des mesures atmosphériques pour le secteur CL 17, que les résultats étaient toujours excellents pour toutes les substances y compris les solvants qui étaient à des niveaux d’exposition entre 0 et 0.2% de leur VME. Compte tenu de ces derniers résultats concordants avec les données antérieures, elle confirmait la teneur de ses précédents rapports et l’absence d’une exposition à risque. Il était clair que l’atteinte à la santé de l’assuré ne pouvait pas être reliée de manière exclusive ou nettement prépondérante à des expositions à des substances dans le cadre de son activité professionnelle au sein de l’entreprise. En conclusion, il n’était pas possible de retenir un lien de causalité entre l’atteinte à la santé et les éventuelles expositions au poste de travail, de sorte qu’il ne s’agissait pas d’une maladie professionnelle avec une vraisemblance prépondérante.

13.    Par décision du 4 juillet 2018, la SUVA a refusé l’octroi de prestations au motif que les conditions requises pour retenir l’existence d’une maladie professionnelle n’étaient pas réalisées.

14.    Le 4 septembre 2018, l’assuré a formé opposition et soutenu que ses troubles étaient dus à son activité professionnelle. Il a relevé avoir été en contact avec plusieurs substances figurant à l’annexe 1 de l’OLAA depuis son engagement en 2002, et constaté plusieurs erreurs dans les informations communiquées par l’entreprise s’agissant des dates et lieux de son travail, ainsi que dans les rapports de la Dresse D______, laquelle ne l’avait jamais questionné. Il n’avait jamais souffert de migraines avant de travailler pour l’entreprise et ses troubles s’étaient aggravés de manière importante en fonction des postes occupés. Il a cité divers exemples démontrant que les expositions subies n’étaient pas compatibles avec les normes de protection de la santé des travailleurs, et que les résultats des mesures atmosphériques transmises par l’entreprise n’étaient manifestement pas applicables comme tels à sa situation.

15.    Dans un avis du 11 décembre 2018, la Dresse D______ a maintenu ses conclusions après avoir complété le dossier en fonction des données avancées par l’assuré à l’appui de son opposition. Elle a en particulier relevé que l’intéressé avait participé à la campagne de mesures de 2013, dans la CL 12, et que ses résultats étaient largement conformes aux normes, puisque toutes inférieures à 1% des normes, à part pour trois substances inférieures à 10% de la norme. Les résultats de ces mesures confirmaient les données commentées dans ses précédents rapports. De plus, chaque opérateur avait des équipements de protection individuelle adaptés à son poste. Ainsi, aucune exposition significative ne pouvait être retenue, en particulier pour les solvants mis en cause par l’assuré. En effet, même si de telles substances étaient présentes, dont certaines étaient listées dans l’annexe 1 de l’OLAA, les mesures montraient des niveaux extrêmement inférieurs aux normes internationales actuelles. L’OEL (pour Occupational Exposure Limit) était la limite supérieure de la concentration acceptable d’une substance dangereuse dans l’air du lieu de travail pour une substance ou un groupe de substances auxquels les travailleurs pouvaient être exposés tout au long de leur vie professionnelle sans développer d’effets néfastes sur la santé. Les mesures atmosphériques étaient réalisées par un laboratoire externe, avec un suivi régulier des normes internationales dans ces domaines. L’assuré souffrait de migraines chroniques et le Dr H______ avait bien indiqué, dès ses premières consultations, que l’intéressé décrivait des crises de migraines sans lien avec son travail. La maladie migraineuse débutait le plus souvent avant l’âge de 40 ans, et il existait différents facteurs génétiques de susceptibilité et de déclenchement, comme les troubles du sommeil, les variations émotionnelles, hormonales, climatiques, sensorielles ou alimentaires. Ces facteurs étaient variables d’un individu à l’autre et inconstants pour le même individu. Aucun lien de causalité ne pouvait être établi entre les migraines de l’assuré et les substances auxquelles il aurait pu être exposé, selon les données scientifiques reconnues. Enfin, les documents techniques confirmaient que les substances présentes aux postes de travail l'étaient en quantités non détectables pour la plupart, les autres restant à des niveaux très faibles.

16.    Par décision sur opposition du 18 février 2019, la SUVA a confirmé sa décision du 4 juillet 2018. Elle a rappelé que la Dresse D______ avait visité à plusieurs reprises les postes de travail de l’entreprise avec des équipes de la Sécurité au travail. Les mesures atmosphériques avaient été effectuées par un laboratoire externe selon des protocoles reconnus et validés, avec un suivi régulier des normes internationales dans le domaine en question. L’un des tableaux, inclus dans le dossier, reprenait les résultats des mesures en fonction des différentes normes internationales pour chaque substance. L’opposition de l’assuré n’apportait aucun élément médical ou scientifique prouvé, propre à remettre en cause les résultats obtenus. Les migraines correspondaient à une maladie pour laquelle aucun lien de causalité ne pouvait être établi avec des substances auxquelles aurait pu être exposé l’assuré et les documents techniques confirmaient que l’exposition aux substances aux postes de travail était nulle, voire minime. Il convenait donc de nier l’existence d’une maladie professionnelle à l’origine des migraines affectant l’intéressé.

17.    Par acte du 21 mars 2019, l’assuré, par l’intermédiaire d’un conseil, a interjeté recours contre la décision sur opposition précitée. Il a conclu, sous suite de frais et dépens, préalablement, à ce qu’une comparution personnelle des parties et une expertise judiciaire soient ordonnées, et à l’audition des Drs C______, J______, H______, D______, K______ et G______. Principalement, il a conclu à l’annulation de la décision contestée, à ce qu’il soit dit et constaté qu’il souffrait d’une maladie professionnelle et qu’il avait droit aux prestations d’assurance, et à ce qu’il soit ordonné à l’intimée de lui servir des indemnités journalières dès le
3 novembre 2017.

En substance, le recourant a soutenu qu’il avait été exposé tout au long de son engagement, presque constamment et de manière importante, à de nombreuses substances chimiques dangereuses, dont l’acétate de méthyle, l’acétate d’éthyle, l’acétate de butyle, l’acétate d’amyle, l’acétone, l’acétylène, l’acide acétique, l’aldéhyde acétique, des désinfectants, le phénol et phénol E, lesquels figuraient à l’annexe 1 de l’OLAA. Il était en incapacité de travail depuis le 3 novembre 2017 en raison de graves migraines invalidantes, dont il n’avait jamais souffert avant son engagement au sein de l’entreprise. Il ne s’était pas entretenu avec la
Dresse D______, de sorte qu’il n’avait pas pu donner sa version des faits, notamment s’expliquer sur les installations et mesures de sécurité en place au moment où il avait occupé les différents postes de travail, ni se déterminer sur les données transmises par l’entreprise. Bien que la médecin ait fait état de plaintes d’autres collaborateurs, elle n’en avait pas tenu compte du tout et avait mis en avant le rapport du médecin d’entreprise de l’intimée. Pourtant, si des collaborateurs émettaient des plaintes concernant les odeurs, c’était bien parce que des émanations de substances chimiques étaient ingérées par voies respiratoires. En outre, les informations communiquées par l’entreprise à la Dresse D______ étaient incomplètes, voire erronées. À titre d’exemples, il n’avait jamais travaillé chez M______ et il manquait ses horaires pour les années 2002 à 2006. Il était manifeste que sa maladie migraineuse chronique était exclusivement, ou à tout le moins de manière prépondérante, en lien de causalité avec l’exposition constante et problématique aux substances chimiques qu’il était amené à manipuler dans le cadre de son activité, compte tenu du défaut des mesures de sécurité. Le
Dr C______ avait d’ailleurs retenu que ce rapport de causalité était probable. Cela apparaissait d’autant plus clairement au vu de la variation de l’intensité des migraines selon le poste de travail occupé, la situation ayant connu deux périodes d’aggravation importante : la première lorsqu’il avait été assigné à l’automate « L______ » et la seconde en janvier 2016 lorsqu’il avait été déplacé en CL 17. Il avait été transféré dans la nouvelle usine qui n’était pas encore fonctionnelle et qui présentait des vices de construction majeurs. Mais l’entreprise avait décidé de la faire tourner à plein régime au mépris des normes de sécurité et de ses obligations de préservation de la santé des employés. Les quelques résultats de mesures atmosphériques étaient dénués de toute valeur probante et ne reflétaient en rien la situation d’exposition réelle et effective subie tout au long de son activité. Dans le secteur CL 17, les locaux n’étaient pas munis d’aspiration (notamment des bras d’aspiration) pour les poudres, contrairement à d’autres secteurs ; dans le secteur CL 15-filtration, il n’y avait pas de système d’aspiration, notamment des bras Nedermann ; dans le secteur CL 17, la filtration des ballons envoyait des vapeurs directement sur l’opérateur ; dans la nouvelle usine, vu la taille des automates, le nombre important de vannes de produits et le fait que toutes les vannes de produits chauds se trouvaient en tête de ligne devant l’opérateur, la ventilation était largement insuffisante ; dans la nouvelle usine, des automates avec des lignes de dosage non confinées avaient été installés ; sur quasiment tous les lieux de travail, il y avait une absence totale de ventilation adéquate, la « ventilation » par l’ouverture constante des portes de secours et en particulier des velux dans le secteur CL 17 propageait des vapeurs toxiques dans l’environnement ; l’ouverture des fenêtres et des portes de sécurité constituait un danger grave au vu des accès non sécurisés de l’extérieur ; l’opérateur qui manipulait du phénol, produit extrêmement toxique, portait une combinaison étanche, mais pas les opérateurs qui se trouvaient à ses côtés et qui, par la force des choses, subissaient des émissions ; en outre, le phénol était chauffé au bain-marie, les jerricans contenant le phénol étaient alors ouverts sans qu’aucun système d’aspiration spécifique ne soit en place pour recueillir les vapeurs émanant du produit, malgré sa dangerosité. Une intervention des pompiers « internes » avait été nécessaire lors du montage des vannes de la station « L______ » suite à un déversement de produits sur des dalles poreuses. La visite de la Dresse D______ avait probablement été annoncée et était donc attendue, de sorte qu’il avait été loisible à l’entreprise d’adapter l’activité pour assurer une prise de mesures dont les résultats seraient dans les normes admises. Seule une visite et des prises de mesures effectuées de manière inopinée pouvaient permettre de garantir des résultats impartiaux et conformes à la réalité. En définitive, l’instruction de l’intimée était incomplète et les appréciations de la Dresse D______ se basaient uniquement sur des renseignements transmis par l’entreprise, ne prenaient aucunement en considération son avis, n’avaient pas été établies suite à une visite des lieux de travail en sa compagnie, n’aboutissaient pas à des résultats convaincants. Partant, il souffrait d’une maladie professionnelle qui était due exclusivement ou de manière prépondérante à des substances nocives.

18.    Dans sa réponse du 28 mai 2019, l’intimée a conclu au rejet du recours. Elle a rappelé que la Dresse D______ avait effectué une première visite des postes de travail de l’employeur le 30 janvier 2018, avec des équipes de la Sécurité de la SUVA, et relevé que l’ensemble des postes de travail tenus par le recourant était suivi régulièrement avec des campagnes de mesures atmosphériques. À chaque fois, les résultats étaient revenus avec des mesures inférieures ou au niveau des 10% de la valeur moyenne d’exposition. À réception des informations du médecin traitant, elle avait constaté que les éléments médicaux faisaient clairement apparaître un état migraineux connu et évoluant de longue date. Ses demandes à l’entreprise pouvaient dès lors être ciblées sur les postes occupés par le recourant. La médecin avait reçu un descriptif de ceux-ci, ainsi que des mesures effectuées à ces postes par la société ToxPro, et relevé que les valeurs moyennes d’exposition pour chaque substance étaient bien en dessous des références internationales et ne pouvaient donc pas être considérées comme une exposition à risque pour le recourant. Il n’y avait pas de lien entre la présence d’odeurs, certes désagréables, et les risques toxicologiques, comme relevé par les Drs J______ et H______. Les résultats de la dernière campagne de mesures atmosphériques réalisée courant 2018 avaient encore été remis à la spécialiste en médecine du travail, qui avait confirmé ses conclusions le 20 juin 2018. Le recourant ne pouvait se limiter à inférer d’une exposition quotidienne à certaines substances mentionnées dans la liste de l’annexe à l’OLAA l’existence d’une maladie professionnelle. D’une part, le Dr K______ et la Dresse D______ avaient clairement exposé qu’il existait de nombreux déclencheurs aux migraines qui étaient variables d’un individu à l’autre et inconstants pour le même individu. La Dresse D______ avait souligné que le recourant était arrivé comme intérimaire dans l’entreprise en 2002, soit à l’âge de 19 ans, et qu’une maladie migraineuse débutait habituellement à cette période de la vie, le plus souvent avant 40 ans. À cela s’ajoutait que les mesures montraient des niveaux extrêmement inférieurs aux normes internationales actuelles. D’autre part, la reconnaissance d’une maladie professionnelle supposait un lien de causalité qualifié entre l’influence de l’agent nocif et l’affection. Il ne suffisait donc pas que l’agent soit une cause parmi d’autres de celle-ci, raison pour laquelle la seule exposition à une substance nocive ne saurait présumer l’existence d’un lien de causalité entre celle-ci et l’affection, et encore moins établir l’exigence d’une relation prépondérante. Enfin, les mesures avaient été réalisées par une entreprise indépendante, respectivement un laboratoire externe, avec un suivi régulier des normes internationales dans le domaine en question. Il n’existait aucun élément de nature à mettre en doute la fiabilité et la pertinence des conclusions de la
Dresse D______.

19.    Par réplique du 19 septembre 2019, le recourant a persisté, concluant en outre à un transport sur place afin d’établir de manière exacte ses conditions de travail et de déterminer les différents postes occupés. Il a relevé que la Dresse D______ n’avait visité les locaux de l’entreprise qu’à une seule reprise, contrairement aux allégations de l’intimée. Le rapport y relatif omettait de mentionner la fréquence des campagnes régulières de mesures atmosphériques effectuées par ToxPro, mais on pouvait retenir que celles-ci étaient connues et organisées à l’avance par l’entreprise. Il ressortait des constatations de la Dresse D______ que les lieux visités ne coïncidaient pas avec les lieux dans lesquels il avait exercé son emploi puisque la médecin avait constaté de nouvelles installations et des modifications permettant désormais d’évacuer les solvants présents dans l’air, ce qui signifiait clairement que lorsqu’il y travaillait, les locaux présentaient alors des défauts auxquels il avait fallu remédier peu de temps avant la visite de la médecin. En outre, cette visite n’avait pas été opérée de manière contradictoire puisqu’il n’était pas présent. Le rapport de visite était lacunaire et il convenait d’entendre la Dresse D______ sur les circonstances de son transport sur place. Le rapport remis par l’entreprise recensant ses postes et horaires de travail était truffé d’erreurs. Ainsi, entre 2002 et 2006, il n’avait pas travaillé au poste CL 17 mais au poste CL 14. Il avait travaillé au poste « L______ » avant janvier 2015 et il avait changé de poste de travail. Sa présence lors de la visite litigieuse s’avérait d’autant plus importante que l’entreprise avait prétendu qu’il n’avait jamais changé de poste de travail. Ainsi, la Dresse D______ s’était prononcée sur la base exclusive des informations transmises par l’employeur, incomplètes et inexactes, de sorte que son rapport n’était pas probant. L’entreprise, qui s’opposait à tout contrôle inopiné d’un inspecteur, avait pu prendre les dispositions nécessaires afin d’assainir les locaux et modifier la production en optant pour des substances moins voire non nocives. Les mesures dont la Dresse D______ avait eu connaissance portaient sur les classe 12, 15, 17 et « L______ », alors qu’il avait également exercé aux postes 13 et 14. Les résultats avaient été transmis par une collaboratrice de l’entreprise, ce qui dénotait un dialogue entre ToxPro et l’entreprise, ainsi qu’un certain niveau de contrôle de cette dernière.

Le recourant a produit un échange de courriels aux termes desquels l’entreprise indiquait à l’assureur perte de gain que les ressources humaines devaient d’abord discuter avec le service juridique avant que l’assurance ne puisse organiser une visite d’un inspecteur.

20.    Lors d’une comparution personnelle des parties le 27 janvier 2020, le recourant a déclaré qu’il n’avait plus travaillé pour l’entreprise depuis son arrêt de travail à 100% qui avait commencé en mars 2017, et que son contrat avait pris fin au
31 mars 2019. Depuis le mois de septembre 2019, il exerçait une activité lucrative à plein temps au sein de la voirie de la Ville de Genève, activité qui était compatible avec ses migraines. Cet engagement était consécutif à des stages organisés par l’assurance-invalidité à compter de novembre 2018. Son salaire était de plus de 10% inférieur à celui qu’il réalisait dans l’entreprise. Il avait toujours des migraines, comme une personne normale, mais sans comparaison avec la fréquence de celles qu’il avait lorsqu’il était employé dans l’entreprise. En effet, aux derniers temps de son activité, la fréquence de ses migraines était quotidienne.

Le mandataire du recourant a relevé que l’intimée n’avait pas du tout pris position par rapport aux nombreux exemples donnés concernant les équipements et dispositifs de sécurité. Selon toute vraisemblance, l’intimée n'avait pas demandé à la Dresse D______ de se déterminer ou de diligenter de nouveaux contrôles suite à ces allégations. La valeur probante du rapport de visite de la
Dresse D______ était contestée dans la mesure où le recourant n'avait pas été invité à participer à cette visite, ce qui aurait notamment permis d'éviter que le contrôle s'effectue à d'autres endroits que ceux où il avait effectivement travaillé, respectivement à tous les endroits où il avait travaillé. À titre d’exemple, l’intéressé, contrairement à ce qui était mentionné dans le rapport, n’avait jamais travaillé sur le site de E______ affecté au secteur des arômes.

Le recourant a ajouté qu’il avait bien travaillé à E______, mais exclusivement dans le secteur des parfums. Il s’agissait de deux secteurs bien différents, et dans deux bâtiments distincts. De 2002 à 2017, soit pendant toute la durée de ses activités effectives dans l’entreprise, il avait toujours travaillé sur le site de E______-I______, et uniquement dans le bâtiment des parfums, jamais ailleurs.

La représentante de l’intimée a déclaré qu’elle soumettrait pour appréciation les éléments relevés par le recourant à la Dresse D______, quand bien même ces allégués n’étaient guère soutenus par des éléments de preuve, voire d'offres de preuve. Par rapport à l'appréciation de la Dresse D______, plus précisément la dernière qui faisait suite à l'opposition de décembre 2018, elle avait tenu compte de façon précise et confirmé avoir été informée de toutes les places occupées par le recourant. L’intimée n'avait jamais mis en doute l'existence des migraines du recourant, mais il convenait d’examiner le rapport de causalité entre ces troubles et les produits auxquels il avait été confronté. Or, d'autres éléments étaient intervenus au cours de l'affaire, qui, de son point de vue, ne permettaient pas d'établir ce lien de causalité et de reconnaître en l'occurrence sa responsabilité.

Sur question, le recourant a précisé que le Dr H______ était à l'époque le médecin d'entreprise et que le Dr J______ lui avait succédé. Les premières manifestations de ses migraines étaient intervenues très rapidement à l'époque de son engagement. En revanche, le degré des migraines, leur intensité et leur fréquence avaient significativement augmenté depuis la mise en exploitation du « nouveau bâtiment » en été 2014. Il a expliqué à ce sujet que l'entreprise n'avait pas construit un « nouveau bâtiment » distinct de l'ancien, mais surélevé le bâtiment d'origine, dans lequel il avait toujours travaillé. En revanche, il avait occupé divers postes et fonctions dans des secteurs différents du domaine des parfums, par exemple dans les secteurs « petits », « moyens » et « gros » mélanges, et aux différents automates.

Sur question de la représentante de l’intimée, qui l’a interrogé sur l’existence d’un éventuel suivi psychiatrique eu égard au contenu du rapport du Dr C______ du
5 février 2018, le recourant a confirmé avoir été suivi par le Dr G______, en raison de difficultés dans son travail. Toutefois, le terme utilisé par son médecin, soit « harcèlement » lui paraissait excessif. À son souvenir, le suivi avait débuté très rapidement à l'époque de son arrêt de travail de mars 2017, jusqu’en janvier 2018. Il s’agissait d'une psychothérapie, à raison d'une séance par semaine, avec un traitement médicamenteux. Il avait arrêté cette thérapie parce qu’il allait mieux, ses migraines ayant diminué.

21.    Le 11 mars 2020, l’intimée a considéré que les allégués du recourant n’étaient pas de nature à remettre en cause sa position. Elle s’est référée au dernier avis de la Dresse D______, laquelle avait tenu compte de façon précise des places occupées par le recourant. Les allégations de l’intéressé concernant l’absence de système d’aspiration ou de ventilation adéquat étaient dénuées de tout élément de preuve. Elles ne sauraient remettre en cause la valeur probante des résultats et des mesures atmosphériques, étant rappelé que ces dernières se faisaient notamment au moyen de badges portés par les collaborateurs.

L’intimée a joint une appréciation du 4 mars 2020 de la Dresse D______, laquelle a admis des erreurs de rédaction, en particulier dans son rapport de visite mentionnant que le recourant était intervenu dans le secteur des arômes, alors qu’il s’agissait de celui des parfums. Toutes les pièces qui avaient été ajoutées au dossier confirmaient que c’était bien ce secteur qui avait été examiné. En outre, elle admettait que le recourant n’avait pas travaillé à M______. La reconnaissance d’une maladie professionnelle supposait la présence d’une exposition significative pouvant être à l’origine d’une atteinte à la santé et une atteinte à la santé concordante avec cette exposition. S’agissant de l’exposition, compte tenu de l’ensemble de la documentation regroupée sur les postes de travail qui avaient été occupés par le recourant, qui avaient fait l’objet de suivis par badge des mesures atmosphériques, les résultats étaient à des niveaux plus que dans les normes. En effet, si au niveau international, il était retenu des valeurs maximales d’exposition ou VME, selon la pratique habituelle, des niveaux nettement inférieurs de l’ordre d’au moins 50% de ces valeurs étaient demandés. En l’occurrence, les mesures atmosphériques avaient été faites par un laboratoire externe reconnu par son expérience respectant les normes internationales. Pour une exposition chronique, il fallait donc une exposition régulière et significative, ce qui ne pouvait pas être mis en évidence dans le cas du recourant. S’agissant de l’atteinte à la santé, l’état migraineux ne faisait pas partie des atteintes reconnues dans le cadre d’une intoxication chronique aux solvants. S’il y avait des céphalées, elles étaient dans un cadre neurologique plus spécifique. Elle avait repris, dans ses conclusions du
23 avril 2018, l’importance des déclencheurs possibles non spécifiques en cas de migraines, qui pouvaient survenir tant dans la vie professionnelle que personnelle. La maladie migraineuse survenue à l’âge de 19 ans correspondait à la tranche d’âge habituelle. S’agissant des griefs soulevés par le recourant à l’encontre des mesures atmosphériques, ces dernières avaient été faites sur plusieurs années, par campagnes qui ciblaient les différents secteurs et s’étalaient entre 2013 et 2018. Le phénol E était connu pour avoir une odeur persistante et son action était toxique car elle était corrosive (risque de brûlure de la peau et lésions oculaires en cas de contact), raison pour laquelle un équipement de prévention individuel avait été mis en place pour les collaborateurs le manipulant. Mais ce risque de contact avec le produit ne concernait pas les autres opérateurs qui se trouvaient à côté, même s’ils pouvaient sentir l’odeur particulièrement forte qui n’avait aucun lien avec la toxicité de la substance.

22.    Par écriture du 15 juin 2020, le recourant a persisté dans toutes ses conclusions, en particulier quant aux actes d’instruction préalables requis. L’intimée n’ayant pas renouvelé son transport sur place, en dépit de l’importance des erreurs manifestes relatives aux lieux des prises de mesures atmosphériques, ni n’ayant procédé à un acte d’instruction, notamment en demandant un entretien ou des renseignements auprès du laboratoire ayant procédé aux relevés, il était sérieusement permis de douter de ses explications tendant à relativiser la gravité des erreurs en prétendant qu’il ne s’agissait que de « fautes de plume ». Un tel doute, qui ne pouvait que mettre à mal la valeur probante des examens, n’était pas acceptable au vu des conséquences graves sur sa santé et sur celles, potentielles, de l’ensemble du personnel de cette grande entreprise. Le fait que le laboratoire externe soit considéré comme « reconnu par son expertise respectant les normes internationales » ne saurait fonder, malgré les manquements signalés, la valeur probante des analyses. L’intimée ne pouvait être suivie dans ses démarches d’opposition à toutes mesures d’instruction au motif que des mesures atmosphériques effectuées dans différents secteurs et bâtiments de l’usine seraient suffisantes car nombreuses et régulières sur plusieurs années et par campagne. Preuve en était que durant ses 16 ans d’activité au sein de l’entreprise, les contrôles effectués n’avaient coïncidé qu’à une seule reprise avec un des postes qu’il occupait et il n’avait fait l’objet que d’un des suivis par badge des mesures atmosphériques. Il contestait formellement les affirmations de la Dresse D______ concernant le phénol. Une simple recherche sur Internet permettait de se convaincre du contraire au vu du nombre et de la constance des publications médicales et universitaires qui confirmaient l’extrême toxicité de ce produit, lequel était facilement absorbé par la peau et par les voies respiratoires et digestives. Il était en outre connu pour affecter le système nerveux central et provoquer des dommages au foie et aux reins. L’inhalation de vapeurs et de poussière de phénol pouvait aussi entraîner un empoisonnement. Enfin, les risques étaient plus importants encore lorsque le phénol était chauffé, comme c’était le cas en l’espèce. Les nombreuses fiches de sécurité chimique sur le phénol soulignaient qu’il rentrait dans deux catégories distinctes de danger : d’une part, matière très toxique ayant des effets immédiats graves et d’autre part, matière corrosive. Les procédures usuelles en cas d’exposition au phénol, singulièrement en cas d’inhalation de vapeurs et de poussières, étaient de faire respirer de l’air frais. Si la personne ne respirait plus, il fallait lui donner la respiration artificielle en attendant les secours. Le repos et un suivi médical étaient essentiels car les symptômes d’œdèmes pulmonaires pouvaient apparaitre plusieurs heures après l’inhalation. Ainsi, contrairement aux dénégations de l’intimée, il existait un danger d’atteinte en cas d’inhalation de ce produit, notamment de dommages du système nerveux central. Or, il était établi par la littérature médicale que les migraines chroniques étaient symptomatiques de telles atteintes neurologiques. Partant, il devait être retenu qu’il avait établi, au niveau de la vraisemblance prépondérante, qu’il avait été sujet, entre autres, à des inhalations de phénol du fait des nombreux manquements aux mesures de sécurité obligatoires.

Le recourant a produit une « Fiche de sécurité chimique # 9 Fiche d’information sur le phénol » établie par l’Université de Sherbrooke.

23.    En date du 2 juillet 2020, l’intimée a rappelé que la Dresse D______ avait indiqué le 9 mars 2020 que c’était bien la situation au secteur des parfums qui avait fait l’objet de son examen.

L’intimée a joint un document intitulé « Fiche de données de sécurité – Selon le Règlement (CE) n 0 2015 / 830 » relatif au phénol, fiche établie par l’entreprise et révisée au 23 juin 2019. Ce document mentionne les premiers secours à respecter en cas de contact du produit avec les yeux ou la peau, d’inhalation excessive, d’ingestion accidentelle. Parmi les mentions de mises en garde, il est noté de ne pas respirer les poussières. Il est recommandé de maintenir une bonne aération des locaux où le produit est manipulé. En l’absence de ventilation adéquate, il est recommandé de porter un appareil respiratoire autonome. Sous « principaux symptômes », il est noté « Pas de données spécifiques disponibles » et sous « Informations sur les effets toxicologiques », il est mentionné qu’un résumé des données est disponible sur demande.

24.    Le 28 juillet 2020, le recourant a regretté que l’intimée attende ses dernières écritures pour produire une pièce essentielle telle que la fiche de données de sécurité d’un des produits mis en cause. La fiche en question était une version postérieure à sa période d’activité. Les mesures de protection et les contrôles d’exposition qui y étaient détaillés démontraient, conformément à ce qu’il avait exposé, que l’absence, respectivement les défauts dans le système d’aération, était incompatible avec la manipulation de la substance en question puisqu’elle ne prévenait pas l’inhalation des poussières et des émanations volatiles produites par le réchauffement du produit au bain-marie en particulier. D’ailleurs, le fait que la substance toxique en question était chauffée au bain-marie à l’endroit même où se trouvaient les opérateurs sans qu’un système de ventilation et d'aération suffisant et adéquat existât constituait une violation totale des règles énoncées dans la fiche de sécurité produite. Les carences dans le système d’aération et de ventilation étaient d’autant plus manifestes que les fenêtres du bâtiment étaient régulièrement ouvertes pour permettre un semblant de renouvellement de l’air, ce qui au demeurant semblait très peu conforme aux normes de protection de l’environnement mais également aux nombreuses exigences strictes de l’OFAC dans le cadre de l’attribution et du maintien de l’agrément dont bénéficiait l’entreprise. Enfin, la fiche ne donnait aucune information sur les effets toxicologiques du produit concerné et le paragraphe de conclusion était peu intelligible. En tout état, au vu des carences que présentaient les contrôles mis en avant par l’intimée, la chambre de céans ne pouvait rejeter les différentes offres de preuve et mesures d’instruction complémentaires indispensables requises, dès lors que le doute important instauré par les erreurs manifestes et manquements rappelés empêchait purement et simplement toute appréciation des preuves.

 

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du
20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        À teneur de l'art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-accidents, à moins que la loi n'y déroge expressément.

Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Toutefois, dans la mesure où le recours était, au 1er janvier 2021, pendant devant la chambre de céans, il reste soumis à l'ancien droit (cf. art. 83 LPGA).

3.        Interjeté dans les forme et délai prévus par la loi, le recours du 21 mars 2019 contre la décision sur opposition du 18 février 2019 est recevable (art. 56 et 60 LPGA ;
art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985
[LPA - E 5 10]).

4.        Le litige porte sur le droit du recourant aux prestations de l’assurance-accidents à compter du 1er novembre 2017, singulièrement, sur la question de savoir si tout ou partie de ses troubles doivent ou non être qualifiés de maladie professionnelle.

5.        a. L’art. 6 al. 1 LAA dispose que les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle.

La responsabilité de l’assureur-accidents s’étend, en principe, à toutes les conséquences dommageables qui se trouvent dans un rapport de causalité naturelle (ATF 119 V 335 consid. 1 ; ATF 118 V 286 consid. 1b et les références) et adéquate avec l’événement assuré (ATF 125 V 456 consid. 5a et les références).

b. Selon l'art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies
(art. 3 LPGA) dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l'exercice de l'activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux ; le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu'ils provoquent.

Aux termes de l’art. 14 de l’ordonnance sur l'assurance-accidents du 20 décembre 1982 (OLAA - RS 832.202), les substances nocives et les maladies dues à certains travaux au sens de l'art. 9 al. 1 LAA sont énumérées à l'annexe.

Se fondant sur cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a dressé à l'annexe I de l'OLAA (mise à jour selon le ch. I de l’ordonnance du 21 février 2018, en vigueur depuis le 1er avril 2018) la liste des substances nocives, d'une part, et la liste de certaines affections, ainsi que des travaux qui les provoquent, d'autres part. Ces substances et travaux, ainsi que les affections dues à ceux-ci, sont énumérés de manière exhaustive (arrêt du Tribunal fédéral 8C_757/2018 du 28 mars 2019 consid. 4.2 et la référence).

La reconnaissance d’une maladie professionnelle suppose un lien de causalité qualifié entre l’influence de l’agent nocif et l’affection. Il ne suffit donc pas que l’agent soit une cause parmi d’autres de celle-ci. C’est pourquoi la seule exposition à une substance nocive ne saurait présumer l’existence d’un lien de causalité entre celle-ci et l’affection, et encore moins établir l’exigence d’une relation prépondérante (arrêts du Tribunal fédéral 8C_155/2020 du 1er avril 2020 et 8C_306/2014 du 27 mars 2015 consid. 5.2). Selon la jurisprudence, l'exigence d'une relation prépondérante requise par l'art. 9 al. 1 LAA est réalisée lorsque la maladie est due pour plus de 50% à l'action d'une substance nocive mentionnée à l'annexe 1 de l'OLAA (ATF 133 V 421 consid. 4.1 et les références).

À titre d’exemples, le Tribunal fédéral a déjà jugé qu’un carcinome des bronches (cancer du poumon) peut survenir à cause de l'amiante, mais qu’il existe également de nombreuses autres causes possibles. Partant, le diagnostic en tant que tel ne permet pas de répondre de manière fiable à la question de savoir si la maladie a été causée de manière prépondérante par la substance nocive et doit donc être considérée comme une maladie professionnelle. Au contraire, des éléments supplémentaires doivent être pris en compte (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_762/2008 du 7 mai 2009 consid. 5.2). Ainsi, des conditions plus strictes sont imposées à la preuve de la causalité professionnelle dans le cas de maladies qui surviennent fréquemment même sans exposition à une substance toxique (arrêt du Tribunal fédéral 8C_67/2010 du 8 juin 2010 consid. 4.1).

c. Conformément à l’art. 9 al. 2 LAA, sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu'elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l'exercice de l'activité professionnelle.

La condition d'un lien exclusif ou nettement prépondérant n'est réalisée que si la maladie a été causée à 75% au moins par l'exercice de l'activité professionnelle (ATF 126 V 183 consid. 2b ; ATF 119 V 200 consid. 2b et la référence). Cela signifie, pour certaines affections qui ne sont pas typiques d'une profession déterminée, que les cas d'atteinte pour un groupe professionnel particulier doivent être quatre fois plus nombreux que ceux que compte la population en général
(ATF 116 V 136 consid. 5c ; RAMA 2000 n° U 408 p. 407 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_73/2017 du 6 juillet 2017 consid. 2.2, publié in : SVR 2017 UV n° 46
p. 158).

d. En application de l’art. 9 al. 3 LAA, la maladie professionnelle est assimilée à un accident professionnel dès le jour où elle s'est déclarée, soit dès que la personne atteinte doit se soumettre pour la première fois à un traitement médical ou est incapable de travailler.

6.        a. La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l'accident, l'incapacité de travail, l'invalidité, l'atteinte à l'intégrité physique ou mentale) supposent l'instruction de faits d'ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit de l'assuré à des prestations, l'administration ou le juge a besoin de documents que le médecin doit lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d'assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1).

Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450
consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3).

b. Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux
(ATF 125 V 351 consid. 3b).

Le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d'un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l'assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l'objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l'égard de l'assuré. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l'impartialité d'une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Étant donné l'importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l'impartialité de l'expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).

En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc).

7.        La procédure est régie par le principe inquisitoire, d'après lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par le juge. Mais ce principe n'est pas absolu. Celui-ci comprend en particulier l'obligation de ces dernières d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves
(ATF 125 V 193 consid. 2 ; VSI 1994, p. 220 consid. 4). Car si le principe inquisitoire dispense les parties de l'obligation de prouver, il ne les libère pas du fardeau de la preuve. En cas d'absence de preuve, c'est à la partie qui voulait en déduire un droit d'en supporter les conséquences (ATF 117 V 261 consid. 3), sauf si l'impossibilité de prouver un fait peut être imputée à l'adverse partie
(ATF 124 V 372 consid. 3 ; RAMA 1999 n° U 344 p. 418 consid. 3).

Le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l'administration reste possible, notamment lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4 ; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

8.        a. En l'espèce, la chambre rappelle au préalable qu’il n’est pas contesté que le recourant a été en contact, dans le cadre de son activité professionnelle pour l’entreprise, avec plusieurs substances nocives figurant dans la liste de
l’annexe 1 OLAA, dont l’acétate d’amyle, l’acétone, l’acétylène, l’acide acétique, l’aldéhyde acétique, ou encore le phénol, de sorte que le cas doit être examiné en application de l’art. 9 al. 1 OLAA.

Conformément à la jurisprudence, il s’agit donc de déterminer si les symptômes présentés par l’intéressé sont dus pour plus de 50% à l’action des substances nocives auxquelles il a été exposé.

b. Elle observe ensuite que les divers rapports médicaux produits ne font pas état d’une maladie spécifique, mais attestent d’un ensemble de symptômes incapacitants, en particulier des migraines et des céphalées d’intensité variable, parfois accompagnées de nausées, de vomissements ou encore de phono - photophobie. Une telle symptomatologie n’est pas spécifiquement due à une intoxication et peut accompagner de multiples autres affections et diverses pathologies habituelles. En outre, les céphalées chroniques sont fréquentes dans la population.

Partant, dès lors que ces troubles surviennent fréquemment même sans exposition à une substance toxique, des conditions plus strictes sont imposées à la preuve de la causalité professionnelle.

9.        La décision litigieuse du 18 février 2019 est fondée sur les différentes appréciations de la Dresse D______, dont il convient d’examiner la valeur probante.

10.    a. La chambre de céans constate que les rapports de la médecin du travail, laquelle a reconnu certaines inexactitudes qualifiées de simples erreurs de rédaction (confusions entre le secteur des arômes et celui des parfums, entre le nom de l’entreprise et celui de l’un de ses concurrents), sont imprécis, voire incorrects, sur de nombreux autres points pourtant importants.

b. À titre d’exemples, concernant la visite en entreprise, la Dresse D______ n’a pas indiqué depuis quand existaient les « nouvelles installations » et « modifications » constatées en janvier 2018, ni les raisons pour lesquelles ces changements avaient été opérés. Ces informations sont pourtant primordiales au vu des nombreux manquements cités par le recourant. En l’état, on ignore donc si les infrastructures observées en janvier 2018 existaient déjà au mois de mars 2017, soit au début de l’incapacité de travail du recourant qui a été annoncée à l’intimée en novembre 2017.

On pourra également relever que la Dresse D______ a noté que le recourant avait toujours travaillé sur le site de E______ et intervenait dans le nouveau bâtiment « F______ » « depuis sa construction ». Or, le médecin traitant et le médecin d’entreprise ont clairement mentionné que l’intéressé avait été déplacé à l’interne et était retourné dans l’ancienne usine en juin 2015 suite à ses plaintes (cf. rapports du Dr C______ des 5 décembre 2017 et 5 février 2018, rapport du Dr J______ du
14 mars 2018). Il semblerait donc que les horaires établis par l’entreprise et transmis à la Dresse D______ sont effectivement erronés, comme le soutient le recourant.

c. S’agissant des résultats des mesures atmosphériques, la Dresse D______ a relevé que l’ensemble des postes occupés était régulièrement suivi avec des campagnes effectuées par ToxPro, sans indication quant à la fréquence desdits contrôles ou quant à leur déroulement (cf. rapports des 30 janvier 2018 et
4 mars 2020). On ne sait notamment pas comment sont choisis et ciblés les postes inspectés, et s’il est possible, suite à une campagne, de porter des déductions pour l’ensemble du site.

On ne dispose pas davantage de renseignements précis sur les différentes substances nocives auxquelles le recourant a été exposé, en particulier en
mars 2017, sur leur degré de toxicité et sur la valeur d’exposition qui doit être respectée.

À cet égard, la chambre de céans observera que l’argumentation de la médecin du travail, laquelle se réfère parfois à la « VME » (cf. rapports des 30 janvier et
21 juin 2018), parfois à la valeur « moyenne » d’exposition (cf. rapport du
23 avril 2018), parfois à la valeur « maximale » d’exposition (cf. rapport du
4 mars 2020), et parfois à la valeur « OEL » (cf. rapports des 23 avril et
11 décembre 2018), est peu accessible à la compréhension du profane. Elle a noté qu’il s’agissait de références internationales (cf. rapports des 23 avril et
11 décembre 2018, du 4 mars 2020), sans aucune explication, en particulier quant à la portée de ces références. On comprend d’ailleurs mal l’indication concernant le niveau d’exposition très inférieur, de l’ordre de 50%, « demandé » habituellement par les hygiénistes du travail (cf. rapport des 30 janvier 2018 et 4 mars 2020). De même, on peine à saisir l’éventuel impact des substances mesurées à 2% et 2.1% de ces normes (cf. rapport du 23 avril 2018), en particulier si la valeur maximale d’exposition aurait été dépassée. Enfin, on s’étonne que la médecin du travail n’ait pas mentionné la valeur limite d’exposition tolérée par les normes professionnelles établies par l’intimée.

Cela étant, les conclusions de la Dresse D______, selon lesquelles l’ensemble des mesures de suivi atmosphérique des différents solvants utilisés aux postes tenus par l’intéressé permettait de conclure à l’absence d’une exposition à risque, ne sauraient de toute façon être suivies car les campagnes discutées ne concernent pas la situation concrète du recourant au moment litigieux. En effet, la médecin a tout d’abord commenté les mesures réalisées sur un poste tenu par le recourant en 2013 (cf. rapport du 23 avril 2018), soit de nombreuses années avant le début de l’incapacité de travail de longue durée qui a commencé en mars 2017. De plus, la liste des arrêts de travail de l’intéressé produite ne remonte qu’à 2014, de sorte qu’on ignore si celui-ci était en incapacité de travail à l’époque de ces analyses, ce qui leur enlève toute pertinence. La médecin du travail a ensuite examiné les résultats communiqués pour 2017 sur la machine « L______ », mais le recourant n’y a plus travaillé depuis avril 2015 (cf. rapport du 23 avril 2018). Tout porte donc à croire que le poste de travail occupé par l’intéressé en 2017 n’a pas fait l’objet de mesures atmosphériques à cette époque, contrairement à ce que sous-entendent les appréciations de la Dresse D______. Enfin, cette dernière a observé des résultats « excellents » pour 2018 (cf. rapport du 21 juin 2018), ce qui n’est pas relevant puisque le recourant était en arrêt de travail depuis le mois de mars 2017.

Enfin, la médecin du travail a noté que le recourant avait, « dans certaines campagnes », porté des badges (cf. rapport du 30 janvier 2018). Elle n’a toutefois fait référence qu'aux mesures d’une seule campagne, celle de 2013 (cf. rapport du
23 avril 2018).

d. En ce qui concerne le lien de causalité entre les substances nocives et la symptomatologie présentée par le recourant, la Dresse D______ a indiqué que l’atteinte à la santé ne pouvait pas être reliée de manière « exclusive » ou « nettement prépondérante » à des expositions à des substances dans le cadre de l’activité professionnelle (cf. rapport du 21 juin 2018). Elle a écarté tout lien de causalité « selon les données scientifiques reconnues » (cf. rapport du
11 décembre 2018), faisant valoir que plusieurs facteurs étaient susceptibles de causer des migraines, que les substances nocives présentes aux postes de travail étaient en très faibles quantités, que la maladie migraineuse était survenue dans la tranche d’âge habituelle, et que les déclencheurs pouvaient survenir tant dans la vie professionnelle que privée (cf. rapport du 4 mars 2020).

La chambre de céans rappellera tout d’abord que les analyses produites ne concernent pas les postes effectivement occupés par le recourant au moment déterminant, de sorte que l’appréciation de la Dresse D______ ne repose pas sur des « données scientifiques ».

En outre, si la médecin a longuement expliqué que plusieurs facteurs étaient susceptibles de causer des migraines, notamment le stress, les troubles du sommeil, la tension et une exposition à un irritant respiratoire (cf. rapport du 23 avril 2018), ou encore des variations émotionnelles, hormonales, climatiques, sensorielles ou alimentaires (cf. rapport du 11 décembre 2018), et rappelé que l’intéressé avait eu des horaires de travail très irréguliers et que les adaptations physiologiques pouvaient être difficiles (cf. rapport du 23 avril 2018), elle n’a pas expliqué pour quelles raisons ces facteurs constitueraient la cause prépondérante des troubles. Elle n’a pas du tout examiné si l’inhalation des substances nocives auxquelles le recourant a été exposé, dans les conditions de travail décrites par l’intéressé, pouvait également être responsable de la symptomatologie présentée, le cas échéant dans quelle mesure.

Enfin, l’âge auquel les troubles sont survenus est manifestement insuffisant pour tirer des conclusions fiables quant au rapport de causalité prépondérante.

Une argumentation médicale motivée était indispensable, ce d’autant plus que le médecin traitant a, pour sa part, considéré que le lien de causalité entre les substances nocives et les diagnostics était probable (cf. rapport du
5 décembre 2017) et qu’il a relaté que les migraines de son patient avaient notablement diminué lorsqu’il était éloigné de son poste de travail (cf. rapport du
5 février 2018). C’est encore le lieu de relever que le Dr C______ a signalé que l’intéressé était atteint de la maladie de Gilbert. Or, aucun médecin ne s’est prononcé sur un éventuel lien de causalité entre cette pathologie et les symptômes migraineux, en particulier en présence d’autres facteurs déclenchants, comme des horaires irréguliers, un manque de sommeil ou le stress.

11.    On observera encore que la Dresse D______ n’a pas du tout investigué sur les vices de construction allégués par le recourant, en particulier une aération insuffisante et une dalle poreuse (cf. rapport du Dr C______ du 5 février 2018). Une instruction apparaissait pourtant essentielle, puisque le Dr J______ a signalé que d’autres collaborateurs s’étaient plaints de la ventilation et qu’une demande de renseignements concernant la qualité de l’air dans la nouvelle manufacture avait fait suite aux plaintes de 2015 (cf. rapport du 14 mars 2018). Il se serait avéré utile de savoir si d’autres collaborateurs avaient présenté des incapacités de travail pour des motifs similaires, ce qui ne ressort pas des pièces du dossier, et de connaître le résultat des mesures sollicitées à l’époque.

Il sera encore relevé que les allégations du recourant, selon lesquelles la nouvelle usine fonctionnait déjà « à plein régime » avant d’être terminée, sont plausibles puisque l’usine F______ a été inaugurée en automne 2016 (https://www.letemps.ch/economie/geneve-B______-se-dote-lusine-parfums-plus-moderne-monde), alors que le recourant a été affecté au CL 17 au printemps 2015 déjà (cf. horaires de travail et rapports du Dr C______ des 5 décembre 2017 et
5 février 2018). De plus, le Dr J______ n’a pas contesté les termes du rapport du Dr C______, lequel a écrit que le médecin de l’entreprise lui avait confié que la nouvelle usine n’était pas encore totalement terminée et que les contrôles des émanations des substances étaient difficiles en raison de la très forte productivité (cf. rapport du 5 décembre 2017).

12.    Eu égard à tout ce qui précède, la chambre de céans considère que les rapports de la Dresse D______ ne reposent pas sur une analyse détaillée et complète du cas, que ses appréciations n’ont pas été rendues en pleine connaissance du dossier du recourant, et que ses conclusions ne sont pas convaincantes.

13.    L’intimée ne pouvait donc pas se baser sur ces différents rapports pour nier un lien de causalité prépondérante entre les symptômes présentés par le recourant et les éventuelles expositions au poste de travail, et donc la présence d’une maladie professionnelle.

Compte tenu des allégations précises du recourant, il lui incombait au contraire de compléter son instruction en procédant à une nouvelle visite portant sur les différents postes occupés par le recourant, en particulier sur celui auquel il était affecté au mois de mars 2017 lorsque l’incapacité de travail litigieuse a débuté. Elle devait prendre position sur les nombreux manquements donnés en exemple par le recourant et ne saurait se retrancher derrière l’absence de « tout élément de preuve », alors que l’intéressé n’est plus retourné dans l’entreprise depuis le mois de mars 2017 et qu’il n’y a de toute évidence plus accès.

14.    Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis et la décision litigieuse annulée, la cause étant retournée à l'intimée pour instruction complémentaire et nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

 

15.    Le recourant obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 2'500.- lui sera allouée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ;
art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

16.    Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.      L’admet partiellement.

3.      Annule la décision sur opposition de l’intimée du 18 février 2019.

4.        Renvoie la cause à l’intimée pour instruction complémentaire et nouvelle décision dans le sens des considérants.

5.        Condamne l’intimée à verser au recourant une indemnité de CHF 2'500.- à titre de de participation à ses frais et dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Mario-Dominique TORELLO

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le