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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3559/2015

ATAS/1177/2018 du 18.12.2018 ( LAA ) , REVISION

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3559/2015 ATAS/1177/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt en révision du 18 décembre 2018

1ère Chambre

 

Madame A______, domiciliée à ONEX, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Cristobal ORJALES

demanderesse en révision

contre

ARRÊT DE LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES DU 12 avril 2016, ATAS/282/2016

dans la cause A/3559/2015 opposant

Madame A______, domiciliée à ONEX, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Cristobal ORJALES

 

à

ZURICH COMPAGNIE D'ASSURANCES SA, ZURICH VERSICHERUNG

 


EN FAIT

1.        Madame A______ (ci-après l'assurée), née en 1987, travaillait depuis le 1er avril 2012 en tant que planificatrice financière auprès de B______ AG (ci-après l'employeur) et était, à ce titre, assurée contre les accidents professionnels et non professionnels auprès de Zurich compagnie d'assurances SA (ci-après l'assureur).

2.        Le 15 juin 2013, l'assurée a été victime d'un accident de la circulation.

3.        L'assureur a pris en charge le cas.

4.        À compter du 17 octobre 2013, l'assurée a été à nouveau en incapacité de travail totale.

5.        Le contrat de travail de l'assurée a été résilié avec effet au 31 octobre 2013.

6.        Le 16 décembre 2013, l'assurée a informé l'assureur qu'elle continuait à souffrir de douleurs cervicales et de nausées.

7.        Par courriel du 10 mars 2014, l'assureur a indiqué que les éléments au dossier ne lui permettaient pas de verser les prestations au-delà du 12 janvier 2014. Une instruction complémentaire était en cours afin d'examiner la poursuite de la prise en charge du cas.

8.        Le 12 mai 2014, l’assurée a signalé qu’elle souffrait encore de maux de tête, de nausées, de vertiges, de troubles de la concentration, de fatigue, etc. Selon elle, elle avait dû taper sa tête dans l'habitacle du véhicule. Avant l'accident, elle n'avait pas de problème de santé particulier.

9.        Dès le 4 août 2014, l'assurée a travaillé en tant que juriste à 50% dans une étude d'avocats.

10.    Le 12 septembre 2014, l'assureur a informé l'assurée de la mise en œuvre d'une expertise pluridisciplinaire auprès de la clinique Corela, et lui a soumis le nom des experts et la liste des questions qu'il entendait leur poser.

11.    Par rapport du 20 janvier 2015, le professeur C______, neurochirurgien, le docteur D______, psychiatre, et Monsieur E______, neuropsychologue, ont retenu, suite à l'examen de l'assurée les 1er, 4 et 30 octobre et le 12 novembre 2014, que l'accident avait entraîné, sur le plan somatique, une commotion cérébrale, une contusion cervicale avec des cervicalgies et un syndrome cervical, ainsi que des céphalées de tension post-traumatiques. Ces atteintes n’étaient toutefois plus en lien de causalité naturelle avec l’accident, depuis le 18 octobre 2013, s’agissant de la commotion cérébrale, et depuis le 11 novembre 2013, s’agissant des autres diagnostics. Depuis cette dernière date, la capacité de travail de l'assurée était entière, sans baisse de rendement. Sur le plan psychiatrique, l'assurée avait présenté, en relation de causalité certaine avec l’événement, un syndrome post-commotionnel (F07.2) sans répercussion sur sa capacité de travail, avec des céphalées, des vertiges, une fatigue, des troubles du sommeil et des difficultés de concentration. Dès le 11 novembre 2013, ce diagnostic était passé au premier plan et dès le 31 décembre 2014, il était en rémission totale.

12.    Par courriel du 2 mars 2015, l'assurée a contesté le rapport d’expertise. Les experts avaient déformé ses propos et s'étaient fondés sur des faits non avérés.

13.    Par décision du 14 avril 2015, confirmée sur opposition le 8 septembre 2015, l'assureur, se fondant sur le rapport d’expertise du 20 janvier 2015, a informé l'assurée qu'il cessait le versement des indemnités journalières à partir du 13 janvier 2014 et la prise en charge du traitement médical à partir du 29 janvier 2015.

14.    Saisie d’un recours interjeté par l’assurée le 9 octobre 2015, la chambre de céans a, par arrêt du 12 avril 2016 (ATAS/282/2016), rejeté le recours. Elle a considéré que l’expertise réalisée par la clinique Corela le 20 janvier 2015 avait valeur probante.

15.    Le 22 mars 2018, l’assurée, représentée par Me CristobalORJALES, a déposé auprès de la chambre de céans une demande en révision de l’arrêt du 12 avril 2016. Elle fait à cet égard valoir qu’un arrêt rendu par le Tribunal fédéral le 22 décembre 2017 confirmant la suspension de l’autorisation de pratiquer de la clinique Corela, constitue un fait nouveau.

Elle a, préalablement, conclu à ce que le rapport d’expertise du 20 janvier 2015 de la clinique Corela soit écarté de la procédure et à ce que soit ordonnée la mise en œuvre d’une expertise judiciaire pluridisciplinaire comprenant les volets neurologique, psychiatrique, neuropsychologique, rhumatologique et orthopédique et, principalement, à ce que la décision sur opposition du 8 septembre 2015 soit annulée, à ce que l’assureur soit condamné à reprendre le versement de toutes les prestations prévues par la LAA suite à l’accident du 15 juin 2013 et notamment des indemnités journalières au-delà du 13 janvier 2014, et à prendre en charge les frais de traitements médicaux pour la période postérieure au 29 janvier 2015. Elle a également sollicité l’effet suspensif depuis la demande du 22 mars 2018 jusqu’à droit jugé ou le rétablissement de l’effet suspensif précédemment retiré.

16.    Dans sa réponse du 31 mai 2018, l’assureur a conclu au rejet de la demande, considérant que même si la mesure disciplinaire infligée à la clinique Corela par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 22 décembre 2017 peut constituer un fait nouveau, l’ensemble des expertises réalisées par cette clinique ne saurait être remis en cause sans examen.

Par courrier du 19 juin 2018, l’assureur a par ailleurs attiré l’attention de la chambre de céans sur une intervention de Monsieur F______ selon laquelle « à l’exception de onze cas mentionnés dans la question (qui lui était posée lors d’une séance du conseil national qui s’est tenue le 11 juin 2018), les autres expertises réalisées par la clinique Corela l’ont été correctement ».

17.    Par arrêt incident du 16 juillet 2018 (ATAS/644/2018), la chambre de céans a rejeté la requête visant à l’octroi de l’effet suspensif à la demande et a rejeté la demande en révision de l’arrêt incident du 4 novembre 2015.

EN DROIT

1.        Il y a d’emblée lieu de préciser que la composition de la chambre de céans pour le présent arrêt a dû être modifiée, en ce sens que Monsieur G______, juge assesseur, a remplacé Madame H______, juge assesseur, au vu de la démission de celle-ci au 31 décembre 2017.

2.        À teneur de l'art. 89I al. 2 et 3 de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), l'art. 61 let. i LPGA est applicable pour les causes visées à l'art. 134 al. 1 LOJ et l'art. 80 LPA pour les causes visées à l'art. 134 al. 3 LOJ. Cependant, la LPGA renvoyant au droit cantonal s'agissant de la procédure devant le tribunal cantonal des assurances, il convient d'appliquer l'art. 80 LPA dans toutes les hypothèses.

Aux termes de cette disposition légale, il y a lieu à révision lorsque, dans une affaire réglée par une décision définitive, il apparaît :

a) qu'un crime ou un délit, établi par une procédure pénale ou d'une autre manière, a influencé la décision ;

b) que des faits ou des moyens de preuve nouveaux et importants existent, que le recourant ne pouvait connaître ou invoquer dans la procédure précédente ;

c) que, par inadvertance, la décision ne tient pas compte de faits invoqués et établis par pièce ;

d) que la juridiction n'a pas statué sur certaines conclusions des parties de manière à commettre un déni de justice formel ;

e) que la juridiction qui a statué n'était pas composée comme la loi l'ordonne ou que les dispositions sur la récusation ont été violées.

Conformément à l’art. 89B al. 1 LPA - auquel renvoie l’art. 89I de la même loi -, la demande doit comporter un exposé succinct des faits ou des motifs invoqués et des conclusions.

S’agissant plus spécifiquement d’une demande de révision, l’art. 81 al.1 LPA ajoute que celle-ci doit être adressée par écrit à la juridiction qui a rendu la décision dans les trois mois dès la découverte du motif de révision. Elle doit indiquer le motif de révision et contenir les conclusions du requérant pour le cas où la révision serait admise et une nouvelle décision prise (al. 3).

Il y a en l’espèce lieu de constater que, dans la mesure où l’assurée a déposé sa demande en révision trois mois à compter de l’arrêt du Tribunal fédéral du 22 décembre 2017, date à laquelle elle a eu connaissance du retrait de l’autorisation de pratiquer de la Clinique, elle a respecté le délai prévu par l’art. 81 al. 1 LPA. La demande en révision est donc recevable.

3.        À l'appui de sa demande de révision, l’assurée a invoqué les reproches qui ont été faits à la clinique Corela, et le fait que c’est sur cette base que l’assureur et la chambre de céans se sont fondés pour statuer.

4.        Dans son arrêt du 22 décembre 2017 (2C_32/2017), le Tribunal fédéral a retenu que les expertises pratiquées auprès du "département expertise" de la clinique avaient un poids déterminant pour de nombreux justiciables, de sorte que l'on devait attendre de ces expertises qu'elles soient rendues dans les règles de l'art. Il existait ainsi un intérêt public manifeste à ce que des acteurs intervenant dans des procédures administratives en tant qu'experts, et qui, au demeurant, facturaient d'importants montants à la charge de la collectivité, rendent des expertises dans lesquelles l'administré et l'autorité pouvaient avoir pleine confiance, ceux-ci n'étant le plus souvent pas des spécialistes des domaines en cause. Or, de très importants manquements avaient été constatés dans la gestion de l'institution de santé, en particulier des graves violations des devoirs professionnels incombant à une personne responsable d'un tel établissement. En particulier, cette personne - responsable médical du "département expertise" - avait modifié (notamment sur des points non négligeables) et signé des dizaines d'expertises sans avoir vu les expertisés et sans l'accord de l'expert, ce qui constituait un comportement inadmissible relevant d'un manquement grave au devoir professionnel. C'est pourquoi le Tribunal fédéral a jugé qu'une mesure de retrait de trois mois de l'autorisation d'exploiter le "département expertise" n'était pas contraire au droit (consid. 6 et 7 de l'arrêt cité).  

Dans un arrêt plus récent du 16 août 2018 (9F_5/2018), le Tribunal fédéral a répété qu’en droit des assurances sociales, une évaluation médicale effectuée dans les règles de l'art revêt une importance décisive pour l'établissement des faits pertinents (ATF 122 V 157 consid. 1b p. 159). Elle implique en particulier la neutralité de l'expert, dont la garantie vise à assurer notamment que ses conclusions ne soient pas influencées par des circonstances extérieures à la cause et à la procédure (cf. ATF 137 V 210 consid. 2.1.3 p. 231), ainsi que l'absence de toute intervention à l'insu de l'auteur de l'expertise, les personnes ayant participé à un stade ou à un autre aux examens médicaux ou à l'élaboration du rapport d'expertise devant être mentionnées comme telles dans celui-ci. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a considéré que les manquements constatés au sein du "département expertise" dans la procédure relative au retrait de l'autorisation de la clinique Corela soulevaient de sérieux doutes quant à la manière dont des dizaines d'expertises avaient été effectuées au sein de cet établissement (arrêt 2C_32/2017 consid. 7.1) et portaient atteinte à la confiance que les personnes assurées et les organes de l'assurance-invalidité étaient en droit d'accorder à l'institution chargée de l'expertise (voir aussi arrêt 8C_657/2017 du 14 mai 2018 consid. 5.2.2). Dès lors, de même que l'organe d'exécution de l'assurance-invalidité ou le juge ne peut se fonder sur un rapport médical qui, en soi, remplit les exigences en matière de valeur probante (sur ce point, cf. ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352) lorsqu'il existe des circonstances qui soulèvent des doutes quant à l'impartialité et l'indépendance de son auteur, fondés non pas sur une impression subjective mais une approche objective (ATF 137 V 210 consid. 6.1.2 p. 267 ; 132 V 93 consid. 7.1 p. 109 et la référence ; arrêt 9C_104/2012 du 12 septembre 2012 consid. 3.1), il n’était pas admissible de reprendre les conclusions d'une expertise établie dans des circonstances ébranlant de manière générale la confiance placée dans l'institution mandatée pour l'expertise en cause (arrêt 9F_5/2018 consid. 2.3.2).

5.        En l'espèce, l'expertise rendue le 20 janvier 2015 par les médecins de la clinique Corela, sur laquelle se sont fondés tant l’assureur que la chambre de céans, a été réalisée à une époque où le responsable médical du "département expertise" modifiait illicitement le contenu de rapports. En conséquence, cette expertise ne saurait servir de fondement pour statuer sur le droit de l’assurée aux prestations LAA. Peu importe de savoir si ledit responsable est concrètement intervenu dans la rédaction du rapport d’expertise, voire en a modifié le contenu à l'insu de son auteur, parce qu'il n'est en tout état de cause pas possible d'accorder pleine confiance au rapport du 3 septembre 2014, établi sous l'enseigne de la clinique Corela (cf. arrêt 9F_5/2018 consid. 2.3.2). Les exigences liées à la qualité de l'exécution d'un mandat d'expertise médicale en droit des assurances sociales ne pouvaient être considérées comme suffisamment garanties au sein du "département expertise" de celle-ci (sur l'importance de la garantie de qualité de l'expertise administrative, Susanne LEUZINGER, Die Auswahl der medizinischen Sachverständigen im Sozialversicherungsverfahren [Art. 44 ATSG], in Soziale Sicherheit - Soziale Unsicherheit, Mélanges à l'occasion du 65ème anniversaire de Erwin Murer, 2010, p. 438).

Il ressort de ce qui précède que les faits en cause sont de nature à modifier l'état de fait à la base de l'arrêt dont la révision est demandée, dès lors que, eussent-ils été connus de l’assureur et de la chambre de céans, ils auraient conduit ceux-ci à donner une autre issue au litige, singulièrement à nier que l'expertise pût servir de fondement pour le refus de prestations. Il s'impose dès lors d'annuler l'arrêt rendu le 12 avril 2016 par la chambre de céans et de renvoyer la cause à l’assureur pour mise en œuvre d’une nouvelle expertise pluridisciplinaire et nouvelle décision portant sur le droit de l’assurée aux indemnités journalières au-delà du 13 janvier 2014 et à la prise en charge du traitement médical à compter du 29 janvier 2015.

6.        D'après la jurisprudence, le juge cantonal qui estime que les faits ne sont pas suffisamment élucidés a en principe le choix entre deux solutions : soit renvoyer la cause à l'assureur pour complément d'instruction, soit procéder lui-même à une telle instruction complémentaire. Un renvoi à l'assureur, lorsqu'il a pour but d'établir l'état de fait, ne viole ni le principe de simplicité et de rapidité de la procédure, ni le principe inquisitoire. Il n’en va autrement que lorsqu’un tel renvoi constitue en soi un déni de justice ; cela peut être le cas notamment lorsque, en raison des circonstances, un simple mandat d'expertise judiciaire ou une mesure d'instruction ponctuelle édictée par le juge suffirait à élucider l'état de fait, ou qu'un renvoi apparaîtrait disproportionné (cf. ATF 122 V 163 consid. 1d, RAMA 1993 n° U 170 p. 136 et la critique de G. Aubert parue in SJ 1993 p. 560), ce qui n’est pas le cas en l’occurrence.

On relèvera à cet égard que le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 16 août 2018 (9F_5/2018), a du reste renvoyé la cause pour instruction complémentaire à l’autorité administrative et non au tribunal cantonal.


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant sur révision

A la forme :

1.        Déclare la demande de révision recevable.

Statuant sur révision

2.        L’admet et annule l'arrêt rendu le 12 avril 2016, ATAS/282/2016.

Cela fait et statuant à nouveau :

3.        Admet partiellement le recours interjeté par l’assurée contre la décision de l’assureur du 8 septembre 2015 au sens des considérants.

4.        Renvoie la cause à l’assureur pour mise en œuvre d’une nouvelle expertise pluridisciplinaire et nouvelle décision.

5.        Condamne l’assureur à verser à l’assurée la somme de CHF 3'000.- à titre de participation à ses frais et dépens.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente

 

 

 

 

Doris GALEAZZI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le