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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1820/2024

ATA/1178/2025 du 28.10.2025 sur JTAPI/1180/2024 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1820/2024-PE ATA/1178/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 octobre 2025

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Gazmend Elmazi, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 2 décembre 2024 (JTAPI/1180/2024)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1985, est ressortissant du Kosovo. Son épouse et ses deux filles, vivent au Kosovo.

b. Il n’a jamais touché de prestations d’aide financière de l’Hospice général et ne figure pas au casier judiciaire.

c. Il a sollicité des visas de retour les 25 octobre 2019, 3 décembre 2019, 19 février 2021, 18 mars 2021 (pour deux mois), le 26 janvier 2022, le 21 juillet 2022 afin de rendre visite à sa famille au Kosovo.

d. Le 1er février 2024, il est devenu associé gérant unique, avec signature individuelle, de la société B______ Sàrl.

B. a. Le 5 août 2019, A______ a déposé une demande d'autorisation de séjour auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), mentionnant une date d'arrivée à Genève le 30 décembre 2007.

b. Le 12 mai 2020, l’OCPM a dénoncé l’intéressé au Ministère public pour suspicion de faux documents.

c. Entendu par la police en qualité de prévenu le 8 décembre 2023, l’intéressé, assisté d’un traducteur, a notamment déclaré qu’il était marié et avait deux filles, âgées de 10 et 5 ans. Son épouse et ses filles vivaient au Kosovo, de même que ses parents et ses deux sœurs. Il avait trois frères qui vivaient à Genève. Il était venu pour la première fois en Suisse en 2006. Il vivait à Genève de manière fixe depuis 2018. Avant, il n’y résidait que « temporairement ». Il avait travaillé pour C______ Sàrl en 2018 pendant treize mois. Depuis 2021, il travaillait pour l’entreprise de son frère, D______.

d. Par ordonnance du 25 novembre 2024, le Ministère public a classé la procédure pénale dirigée contre lui. Il a notamment retenu que, dans le cadre de cette procédure, E______, directeur de succursale de l’entreprise F______ SA, avait confirmé qu’A______ avait travaillé pour lui au plus tard en 2008.

e. Le 26 janvier 2024, l’OCPM a informé l’intéressé de son intention de refuser d’accéder à sa requête et de refuser de soumettre son dossier avec un préavis positif au secrétariat d’État aux migrations (ci‑après : SEM).

Il ne résidait à Genève, de manière fixe, que depuis 2018. Dès lors, il ne répondait pas aux critères légaux, notamment un séjour prouvé et continu de dix ans minimum à Genève pour une personne célibataire et sans enfants scolarisés. Il ne comptabilisait que six ans sur le territoire cantonal. Arrivé en Suisse à l’âge de 38 ans, il avait passé toute son enfance, son adolescence et une grande partie de sa vie d'adulte au Kosovo, pays auquel il était encore attaché dans une large mesure, son épouse et ses filles y vivant. Par ailleurs, son intégration au milieu socioculturel suisse n'était pas si profonde et irréversible qu'un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet. Les critères des art. 30 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et 31 de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201) n’étaient pas remplis. L'exécution de son renvoi n'apparaissait pas impossible, illicite ou inexigible.

f. Le 12 avril 2024, l’intéressé s’est opposé au projet de décision.

Depuis 2006, il revenait chaque année en Suisse pour des séjours de plusieurs mois. Il avait décidé de s’y installer définitivement en 2018. Il avait travaillé dans de nombreuses entreprises en Suisse. Un séjour de douze ans devait ainsi être comptabilisé, étant précisé qu’il avait vécu autant en Suisse qu’au Kosovo durant cette période. Il avait activement participé au développement économique du canton. Il n’avait commis aucune infraction et n’avait jamais fait appel à l’aide sociale. Il avait créé de véritables liens d’amitié et des relations de travail solides.

g. Par décision du 22 avril 2024, reprenant la motivation de sa lettre d’intention, l’OCPM a refusé sa requête et lui a imparti un délai au 22 juillet 2024 pour quitter la Suisse.

C. a. Par acte du 24 mai 2024, A______ a formé recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI).

Il devait être tenu compte d'un séjour de douze ans entre 2006 et 2018. Il travaillait pour le compte de la société D______, s'était parfaitement intégré en Suisse, maîtrisait le français, n'avait fait l'objet d'aucune poursuite ni jamais sollicité l'aide sociale et était sans antécédents judiciaires. Ayant quitté son pays depuis de nombreuses années, sa réintégration dans celui-ci paraissait impossible. Ses liens avec le Kosovo étaient quasiment inexistants.

b. Dans ses observations du 1er juillet 2024, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

Il a produit son dossier dont :

-          des attestations de salaire de F______ SA pour les mois de décembre 2007 à décembre 2008 ;

-          un contrat de travail entre A______ et la société C______ Sàrl du 19 janvier 2018, pour un emploi en qualité de carreleur, à raison de douze heures par semaine, dès le 22 octobre 2018 ;

-          une attestation des Transports publics genevois (ci-après : TPG ) du 25 juin 2019 attestant d'achat d'abonnements d'août 2018 à début décembre 2018 et de mars à juillet 2019 ;

-          une attestation du frère du recourant datée du 7 octobre 2019 indiquant que ce dernier vivait chez lui, avenue G______ 1______ à H______, depuis le 1er octobre 2019 ;

-          plusieurs demandes de visa pour des retours au Kosovo afin de rendre visite à sa famille ;

-          un procès-verbal d'audition par-devant la police du 18 décembre 2023 d'où il ressort que le recourant a déclaré que son épouse, ses enfants âgés de 5 et 10 ans, ses deux sœurs et ses parents vivaient au Kosovo, qu'il avait suivi son école obligatoire et une école de commerce dans son pays d'origine, qu'il était venu en Suisse pour la première fois en 2009 où il avait effectué de courts séjours pour y travailler durant deux à trois mois par année jusqu'en 2018, hormis durant une année entre 2009 et 2010 et qu'avant 2018, il ne se trouvait en Suisse que temporairement.

c. Par courrier du 8 juillet 2024, l'OCPM a transmis au TAPI un rapport de l'office fédéral de la police d'où il ressortait que le recourant avait quitté l'espace Schengen par la Croatie le 2 juillet 2024 et que le recours apparaissait sans objet.

d. Le 18 juillet 2024, A______ a répondu se trouver sur le territoire suisse et s'être uniquement rendu au Kosovo pour cinq jours en raison de l'état de santé de son père.

e. Par jugement du 2 décembre 2024, le TAPI a rejeté le recours.

L’autorité intimée n’avait pas mésusé de son pouvoir d’appréciation en considérant qu’A______ ne satisfaisait pas aux conditions strictes requises par les art. 30 al. 1 let. b LEI et 31 OASA pour la reconnaissance d’un cas de rigueur. Il n’avait pas démontré qu’au moment du dépôt de sa requête, il totalisait un séjour ininterrompu d’au moins dix ans. Sur la base des pièces au dossier, on pouvait admettre un séjour continu en Suisse depuis août 2018, date de l'achat du premier abonnement mensuel TPG, soit seulement un an avant le dépôt de la demande auprès de l'OCPM. Auparavant, il n’avait effectué que des séjours temporaires discontinus en Suisse, hormis de décembre 2007 à décembre 2008, période durant laquelle il avait travaillé pour le compte de F______ SA. Ces séjours temporaires, dont il n'y avait pas lieu de tenir compte dans l'examen de la durée de son séjour, n’étaient pas étayés.

Son intégration socio-professionnelle ne justifiait pas non plus, à elle seule, l’octroi d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur. Certes, il n’émargeait pas à l’aide sociale, exerçait une activité lucrative lui permettant de subvenir à ses besoins et parlait le français selon ses allégations. Cependant une telle situation ne revêtait aucun caractère exceptionnel. Il n’avait pas établi avoir acquis des connaissances et qualifications spécifiques pendant son séjour qu’il ne pourrait pas mettre à profit ailleurs, notamment au Kosovo. Sous l’angle de l’intégration socioculturelle en Suisse, il n’était pas parvenu à démontrer que sa relation avec la Suisse serait si étroite et profonde que l’on ne pourrait exiger de lui d’aller vivre dans un autre pays, notamment dans son pays d’origine. Âgé de moins de 40 ans, marié avec deux enfants vivant au Kosovo, il avait vécu pratiquement toute sa vie dans son pays d'origine. Il avait gardé de fortes attaches avec sa patrie, comme en attestaient les nombreuses demandes de visa figurant au dossier, où vivaient encore plusieurs membres de sa famille, notamment son épouse, ses enfants, ses deux sœurs et ses parents.

D. a. Par acte du 20 janvier 2025, il a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation à l’octroi d’une autorisation de séjour.

La juridiction précédente ne s’était pas penchée suffisamment sur sa situation, puisqu’il avait effectivement pris racine en Suisse après tant d’années de séjour en Suisse, où il avait manifestement toutes ses attaches. Il avait toujours été indépendant financièrement et n’avait aucune dette. Son revenu lui permettait largement de subvenir à ses besoins. Il exploitait sa propre société depuis 2024 et réalisait un excellent chiffre d’affaires. Il n’avait jamais envisagé de quitter la Suisse dans la mesure où il s’y était enraciné et y avait créé des liens particuliers avec des membres de sa famille vivant en Suisse, ses amis, ses collègues et employeurs. Il maîtrisait le français. Le TAPI avait donc commis un abus de son pouvoir d’appréciation en refusant de préaviser favorablement sa demande d’autorisation de séjour auprès du SEM. Compte tenu de son activité professionnelle, de son intégration et de son attachement à la Suisse, il risquait, en cas de retour au Kosovo, de se retrouver dans une situation financière et personnelle inextricable dans un pays avec lequel il n’avait plus d’attaches.

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours.

c. Le 17 avril 2025, le recourant a produit les pièces comptables relatives à sa société B______ Sàrl. Cela démontrait qu’il s’était parfaitement intégré dans la société.

d. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit du jugement confirmant la décision de l'OCPM de refuser de transmettre au SEM le dossier du recourant avec un préavis favorable, et prononçant son renvoi de Suisse.

2.1 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la LEI et de l’OASA. Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme en l'espèce, après cette date sont régies par le nouveau droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1075/2019 du 21 avril 2020 consid. 1.1).

La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l’OASA, règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 al. 1 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants du Kosovo.

2.2 Aux termes de l'art. 30 al. 1 let. b LEI, il est possible de déroger aux conditions d'admission (art. 18 à 29 LEI) notamment dans le but de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

Dans sa teneur depuis le 1er janvier 2019, l’art. 31 al. 1 OASA prévoit que, pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration de la personne requérante sur la base des critères d'intégration définis à l'art. 58a al. 1 LEI (let. a), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f), ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené une personne étrangère à séjourner illégalement en Suisse (directives LEI ch. 5.6.10 ; ATA/756/2023 du 11 juillet 2023 consid. 2.4).

2.3 L'art. 58a al. 1 LEI précise que pour évaluer l'intégration, l'autorité compétente tient compte des critères suivants : le respect de la sécurité et de l'ordre publics (let. a), le respect des valeurs de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (let. b), les compétences linguistiques (let. c), la participation à la vie économique ou l'acquisition d'une formation (let. d).

2.4 Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4 ; ATA/257/2020 du 3 mars 2020 consid. 6c). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/92/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4d).

2.5 L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire la personne requérante aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique que la personne concernée se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'elle tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question et auxquelles la personne requérante serait également exposée à son retour, ne sauraient davantage être prises en considération, tout comme des données à caractère structurel et général, telles que les difficultés d'une femme seule dans une société donnée (ATF 123 II 125 consid. 5b/dd ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.245/2004 du 13 juillet 2004 consid. 4.2.1 ; 2A.255/1994 du 9 décembre 1994 consid. 3). Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par la personne requérante à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3 ; ATA/700/2025 précité consid. 4.9).

La reconnaissance de l'existence d'un cas d'extrême gravité implique que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine ou une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2).

La question est ainsi de savoir si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de sa situation personnelle, professionnelle et familiale, seraient gravement compromises (arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1).

La jurisprudence requiert, de manière générale, une très longue durée (Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, LEtr, vol. 2, 2017, p. 269). Par durée assez longue, la jurisprudence entend une période de sept à huit ans (arrêt du Tribunal administratif fédéral [ci‑après : ATAF] C-7330/2010 du 19 mars 2012 consid. 5.3 ; Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, op. cit., p. 269). Après un séjour régulier et légal de dix ans, il faut en principe présumer que les relations sociales entretenues en Suisse par la personne concernée sont devenues si étroites que des raisons particulières sont nécessaires pour mettre fin à son séjour dans ce pays (ATF 144 I 266 consid. 3.8). La durée d'un séjour illégal, ainsi qu'un séjour précaire, ne doivent normalement pas être pris en considération ou alors seulement dans une mesure très restreinte (ATF 130 II 39 consid. 3 ; ATAF 2007/45 consid. 4.4 et 6.3 ; 2007/44 consid. 5.2).

Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit néanmoins être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2).

D’une manière générale, lorsqu'une personne a passé toute son enfance, son adolescence et le début de sa vie d'adulte dans son pays d'origine, elle y reste encore attachée dans une large mesure. Son intégration au milieu socioculturel suisse n'est alors pas si profonde et irréversible qu'un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet. Il convient de tenir compte de l'âge du recourant lors de son arrivée en Suisse, et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, de la situation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d'exploiter ses connaissances professionnelles dans le pays d'origine (ATAF F‑646/2015 du 20 décembre 2016 consid. 5.3).

L’intégration professionnelle doit être exceptionnelle : le requérant doit posséder des connaissances professionnelles si spécifiques qu'il ne pourrait les utiliser dans son pays d'origine ou alors son ascension professionnelle est si remarquable qu'elle justifierait une exception aux mesures de limitation (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; ATA/981/2019 du 4 juin 2019 consid. 6c et l'arrêt cité).

2.6 L’« opération Papyrus » développée par le canton de Genève a visé à régulariser la situation des personnes non ressortissantes de l’UE/AELE bien intégrées et répondant à différents critères, à savoir, selon le livret intitulé « Régulariser mon statut de séjour dans le cadre de Papyrus » (disponible sous https://www.ge.ch/regulariser-mon-statut-sejour-cadre-papyrus/criteres-respecter), avoir un emploi ; être indépendant financièrement ; ne pas avoir de dettes ; avoir séjourné à Genève de manière continue sans papiers pendant cinq ans minimum (pour les familles avec enfants scolarisés) ou dix ans minimum pour les autres catégories, à savoir les couples sans enfants et les célibataires ; faire preuve d'une intégration réussie ; absence de condamnation pénale (autre que séjour illégal).

L’« opération Papyrus » a pris fin le 31 décembre 2018.

2.7 En l’espèce, la demande de régularisation du recourant a été formée le 5 août 2019, alors que l’« opération Papyrus » avait pris fin le 31 décembre 2018. Il suit de là que sa situation ne peut être examinée que sous l’angle du cas de rigueur, ce qu’il ne conteste d’ailleurs pas.

Le recourant peut certes se prévaloir d’un séjour d’assez longue durée. Les pièces au dossier, en particulier l’attestation d’achat d’abonnement des TPG indiquant l’achat d’abonnements mensuels d’août 2018 à juillet 2019 ainsi que le contrat de travail conclu entre l’intéressé et la société C______ Sàrl en 2018, attestent d’une présence effective et continue depuis 2018, soit depuis sept ans. Devant la chambre de céans, le recourant fait valoir qu’il séjourne en Suisse depuis 2007. Or, si les pièces au dossier permettent de confirmer une présence effective de décembre 2007 à décembre 2008, période durant laquelle il a travaillé pour le compte de la société F______ SA, elles ne suffisent pas pour retenir un séjour effectif en Suisse pendant la période subséquente. Il ressort par ailleurs des déclarations du recourant devant la police et de ses écritures devant le TAPI et la chambre de céans, qu’il n’y séjournait que de manière sporadique. Or, quoi qu’en dise l’intéressé, des séjours temporaires en Suisse, interrompus par des séjours de même durée au Kosovo pour rejoindre son épouse et ses enfants, ne suffisent pas à établir un transfert du centre de ses intérêts à Genève. Quoi qu’il en soit, même à retenir un séjour effectif depuis 2007, force est de rappeler que, selon la jurisprudence applicable en la matière, le simple fait pour un étranger de séjourner en Suisse pendant de longues années ne permet pas d’admettre un cas personnel d’une extrême gravité. En outre, la durée d’un séjour illégal ou accompli à la faveur d'une simple tolérance doit être relativisée. Il y a donc lieu d’examiner si des critères d’évaluation autres que la seule durée du séjour en Suisse seraient de nature à faire admettre qu’un départ de ce pays placerait l’intéressé dans une situation excessivement rigoureuse.

Tel n’est toutefois pas le cas en l’espèce. Son intégration professionnelle en Suisse ne saurait être qualifiée d’exceptionnelle au sens de la jurisprudence précitée. Le recourant est certes indépendant financièrement, n’a pas recouru à l’aide sociale et n’a pas de dettes. Depuis 2024, il est associé gérant unique d’une entreprise de carrelage. L’indépendance économique est toutefois un aspect qui est attendu de tout étranger désireux de s'établir durablement en Suisse et ne constitue donc pas un élément extraordinaire en faveur du recourant. Ainsi, si cet élément est à mettre à son crédit, il relève du comportement que l’on est en droit d’attendre de toute personne séjournant dans le pays. Par ailleurs, son activité dans le secteur du carrelage n’est pas constitutive d'une ascension professionnelle remarquable et ne l’a pas conduit à acquérir des connaissances professionnelles spécifiques à la Suisse qu'il ne pourrait mettre à profit dans un autre pays, en particulier son pays d'origine. L'activité professionnelle exercée par le recourant en Suisse ne lui permet donc pas de se prévaloir d'une intégration professionnelle exceptionnelle au sens de la jurisprudence précitée.

Quant à son intégration sociale, elle ne saurait être qualifiée de remarquable. Le recourant n'établit pas qu’il se soit créé avec la Suisse des attaches professionnelles à ce point profondes et durables qu’il ne puisse plus raisonnablement envisager un retour dans son pays d’origine. Or, les seules relations de travail, d'amitié, de voisinage que l'étranger noue durant son séjour en Suisse ne constituent pas, à elles seules, des circonstances de nature à justifier un cas de rigueur. Le recourant n'allègue pas non plus qu'il se serait investi dans la vie sociale ou culturelle à Genève. Enfin, s’il prétend certes maîtriser le français, il a néanmoins dû se faire assister par un traducteur lorsqu’il a été entendu par la police le 8 décembre 2023. Il ne peut dès lors être retenu qu'il aurait fait preuve d'une intégration sociale exceptionnelle en comparaison avec d'autres étrangers qui travaillent en Suisse depuis plusieurs années.

Enfin, sa réintégration au Kosovo n’est pas gravement compromise. Il n’est pas contesté qu’il a y passé toute son enfance, son adolescence et le début de sa vie d’adulte. Or, ces années apparaissent comme essentielles, puisque c'est précisément pendant cette période que se forge la personnalité, en fonction notamment de l'environnement culturel. Il a gardé des liens très étroits avec le Kosovo, où résident son épouse et leurs deux enfants, âgés de 12 ans et 7 ans. Depuis sa demande d’autorisation de séjour en 2019, il a requis six visas de retour pour se rendre au Kosovo pour « raisons familiales » et s’y est encore rendu en juillet 2024. Il n'est ainsi pas concevable que son pays d'origine, où vivent ses parents, ses deux sœurs, son épouse et ses enfants, lui soit devenu à ce point étranger qu'il ne serait plus en mesure d'y retrouver ses repères. Enfin, âgé de 40 ans et en bonne santé, le recourant pourra compter sur l’appui de sa famille pour se réintégrer au Kosovo et mettre à profit son expérience professionnelle et les connaissances linguistiques acquises en Suisse.

C’est partant à juste titre que tant l’autorité intimée, qui n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation, que le TAPI, ont retenu que les conditions d’octroi d’une autorisation de séjour n’étaient pas remplies.

3.             Reste à examiner la conformité au droit du renvoi qui a été prononcé.

3.1 Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, l'autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel l'autorisation de séjour est refusée ou dont l'autorisation n'est pas prolongée. Elle ne dispose à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d'une demande d'autorisation.

3.2 Le recourant ne fait pas valoir que son renvoi serait impossible, illicite ou ne pourrait être exigé. Il ne ressort par ailleurs pas de la procédure que tel serait le cas, de sorte que le prononcé du renvoi apparaît conforme au droit.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 janvier 2025 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 2 décembre 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge d’A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Gazmend ELMAZI, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au Secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.