Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1000/2025 du 09.09.2025 sur JTAPI/509/2025 ( PE ) , REJETE
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/413/2025-PE ATA/1000/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 9 septembre 2025 2ème section |
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dans la cause
A______ recourante
représentée par Me Andrea VON FLÜE, avocat
contre
OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 mai 2025 (JTAPI/509/2025)
A. a. A______, née le ______ 1976, est ressortissante de Colombie.
b. Le 19 mai 2022, elle a épousé B______, ressortissant espagnol au bénéfice d’une autorisation d’établissement.
c. Elle a été mise au bénéfice d’une autorisation de séjour pour regroupement familial valable jusqu’au 18 mai 2024.
d. Par courrier du 6 juin 2023, son mari a informé l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) qu’elle avait quitté le domicile conjugal le 5 janvier 2023. Il n’avait aucune nouvelle de sa part depuis lors.
e. Par jugement du Tribunal civil de première instance du 17 novembre 2023, les époux ont été autorisés à vivre séparément.
f. A______ a sollicité, le 28 février 2024, le renouvellement de son autorisation de séjour.
g. L’OCPM l’a informée de son intention de révoquer son autorisation de séjour et de prononcer son renvoi.
h. A______ a indiqué ne pas contester que l’union conjugale avec son époux avait duré moins de trois ans, mais solliciter l’application de l’art. 50 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), à savoir que la séparation avait été rendue inévitable en raison du comportement de son époux découlant de violences conjugales. En décembre 2022, elle avait consulté le service de médecine de premier recours des Hôpitaux Universitaires de Genève (ci-après : HUG) et sollicité un suivi psychologique. La violence conjugale, verbale et psychologique, s’était intensifiée jusqu’à entraîner la séparation du couple. Elle était suivie sur le plan psychologique. C’était bien le comportement de son époux qui avait entraîné la séparation, qu’elle n’avait aucunement souhaitée.
Elle était financièrement indépendante et, en Suisse depuis août 2019, souhaitait continuer à résider dans ce pays. Elle n’envisageait pas de rentrer en Colombie, pays dans lequel elle ne pourrait compter que sur elle-même.
Elle a notamment produit un rapport de consultation du service de médecine de premier recours des HUG du 12 décembre 2022 et un rapport de consultation ambulatoire des HUG du 12 juillet 2024.
i. L’OCPM, par courrier du 25 septembre 2024, a sollicité la production d’autres preuves comme des attestations d’associations (LAVI, AVVEC) ou de suivi psychologique ou des témoignages d’amis proches ou de confidents. Les documents remis ne permettaient pas de constater que les violences subies revêtiraient l’intensité telle qu’exigée par la jurisprudence.
j. L’intéressée a transmis, le 31 octobre 2024, des documents médicaux établis en Colombie entre le 12 avril et le 1er août 2023, lorsqu’elle s’était rendue dans son pays après sa séparation, rédigés en espagnol. Elle n’était pas en mesure d’obtenir de retour de l’instance LAVI, qu’elle avait pourtant consultée à l’époque des faits.
k. Par décision du 3 janvier 2025, l’OCPM a refusé la prolongation de l’autorisation de séjour de A______ et prononcé son renvoi de Suisse et des États membres de l’Union européenne et des États associés à Schengen, avec un délai de départ au 3 avril 2025.
L’union conjugale avait duré moins de trois ans. Il n’était dès lors pas nécessaire d’examiner le degré d’intégration d’A______.
Aucun élément du dossier ne permettait d’arriver à la conclusion que la poursuite de son séjour s’imposait en Suisse pour des raisons majeures. Si l’OCPM ne minimisait pas ni ne contestait les violences conjugales subies, les justificatifs versés au dossier ne permettaient pas d’attester de l’intensité alléguée. En effet, seul un relevé des HUG établi le 12 juillet 2024 ainsi qu’un certificat médical daté du 12 avril 2023 avaient été produits. Ce dernier ne mentionnait pas l’existence de violences conjugales amenant au constat médical effectué par le médecin. Ainsi, malgré sa demande, l’intéressée n’avait pas été en mesure de fournir d’autres documents attestant de l’intensité des violences qu’elle avait subies, notamment une attestation de la LAVI.
Elle ne pouvait pas non plus se prévaloir d’une intégration sociale ou professionnelle particulièrement marquée au point de devoir admettre qu’elle ne put quitter la Suisse sans devoir être confrontée à des obstacles insurmontables. Elle vivait en Suisse depuis un peu plus de cinq ans et la durée de son séjour devait être relativisée en lien avec les années passées en Colombie avant sa venue à l’âge de 43 ans. Elle n’avait pas non plus acquis des connaissances professionnelles ou des qualifications spécifiques telles qu’elle ne pourrait les mettre en pratique en Colombie, pays où vivaient ses trois enfants majeurs avec lesquels elle maintenait des attaches certaines. En outre, aucun élément au dossier ne permettait de constater qu’un retour en Colombie la mettrait dans une situation de rigueur.
B. a. Par acte du 6 février 2025, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation et à ce qu’une autorisation de séjour lui soit accordée.
Elle avait produit de nombreux documents médicaux, lesquels rendaient hautement vraisemblables ses allégations de violences conjugales. Elle s’était adressée à plusieurs reprises aux HUG, lesquels avaient pris note de conflits à répétition avec son mari entraînant des troubles du sommeil et une inappétence dans ce contexte.
Son mari adoptait presque quotidiennement des comportements inadéquats, se montrant extrêmement agressif à son égard, l’insultant et pouvant rester de nombreux jours sans lui adresser la parole. Cette expérience avait été bouleversante ; elle ne s’était pas attendue à une telle situation à peine après quelques mois de vie conjugale. Ayant quitté son pays et tout ce qu’elle y avait construit au fil des années, elle s’était retrouvée dans une situation extrêmement difficile en Suisse. Elle demeurait marquée par cette vie conjugale difficile et extrêmement décevante. Il convenait de ne pas négliger les conséquences extrêmement difficiles de la violence psychologique, certes nettement plus difficiles à démontrer, en particulier sur le plan pénal, laquelle pouvait être tout aussi dévastatrice que les violences physiques.
Il apparaissait que, comme cela résultait des documents médicaux produits, la réalité des violences conjugales psychiques subies était importante et d’une intensité suffisante pour justifier le renouvellement de son titre de séjour.
Son intégration était tout à fait bonne, étant indépendante sur le plan financier, n’ayant pas de dettes et n’étant pas défavorablement connue des services de police.
b. L’OCPM a conclu au rejet du recours.
c. Par jugement du 14 mai 2025, le TAPI a rejeté le recours.
Les deux attestations émanant des HUG n’étaient que la transcription des propos tenus par l’intéressée et n’étaient corroborées par aucun constat médical spécifique. Malgré la demande de l’OCPM de compléter le dossier, elle n’avait pas produit d’autres documents que les attestations d’un suivi médical en Colombie, lesquelles ne faisaient aucunement référence à des violences conjugales.
Sans nier l’existence d’une forme de violence que son ex-mari avait pu exercer sur elle, force était de constater qu'à teneur du dossier, aucun élément hormis les propres déclarations de l’intéressée, ne démontrait qu’elle aurait subi des violences physiques de la part de son époux atteignant le degré de gravité exigé par la jurisprudence ou qu’elle aurait vécu une situation d'oppression domestique constante revêtant une intensité suffisante à fonder un cas de rigueur après la dissolution de la communauté conjugale au sens de l'art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEI.
Pour le surplus, elle n’établissait pas que sa réintégration dans son pays d’origine serait fortement compromise ni qu’elle se serait créé des attaches profondes avec la Suisse l’empêchant de retourner dans son pays. Le fait qu'elle soit financièrement indépendante, ne fasse pas l’objet de procédure pénales ni d’aucune poursuite n’était pas suffisant.
C. a. Par acte expédié le 16 juin 2025 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre ce jugement, dont elle a demandé l’annulation. Elle a conclu à l’octroi du titre de séjour sollicité.
Elle était divorcée depuis mars 2025. Le TAPI avait minimisé les violences qu’elle avait subies ainsi que les séquelles qui en découlaient. La relation avec son ex‑époux avait été marquée par l’agressivité verbale, l’humiliation et l’isolement affectif. Par ailleurs, son parcours d’intégration était exemplaire.
b. L’OCPM a conclu au rejet du recours.
c. La recourante ne s’est pas manifestée dans le délai imparti pour répliquer.
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. La recourante soutient qu’elle remplit les conditions de l’art. 50 al. 1 LEI permettant de prolonger son autorisation de séjour.
2.1 Outre les hypothèses retenues à l’art. 50 al. 1 let. a LEI suppsant l’existence d’une union conjugale ayant duré au moins trois ans – hypothèse non réalisée en l’espèce –, le droit au renouvellement de l’autorisation de séjour existe également si la poursuite du séjour en Suisse s’impose pour des raisons personnelles majeures (art. 50 al. 1 let. b LEI). Les raisons personnelles majeures visées à l’al. 1 let. b, sont notamment données lorsque le conjoint est victime de violence conjugale, que le mariage a été conclu en violation de la libre volonté d’un des époux ou que la réintégration sociale dans le pays de provenance semble fortement compromise (art. 50 al. 2 LEI).
Cette disposition a pour vocation d’éviter les cas de rigueur ou d’extrême gravité (ATF 137 II 1 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_500/2014 du 18 juillet 2014 consid. 7.1 ; 2C_165/2014 du 18 juillet 2014 consid. 3.1).
L’art. 50 al. 1 let. b LEI vise à régler les situations qui échappent aux dispositions de l’art. 50 al. 1 let. a LEI, soit parce que le séjour en Suisse durant le mariage n’a pas duré trois ans ou parce que l’intégration n’est pas suffisamment accomplie ou encore parce que ces deux aspects font défaut mais que – eu égard à l’ensemble des circonstances – l’étranger se trouve dans un cas de rigueur après la dissolution de la famille (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1 ; 137 II 1 consid. 4.1). À cet égard, c’est la situation personnelle de l’intéressé qui est décisive et non l’intérêt public que revêt une politique migratoire restrictive. Il s’agit par conséquent uniquement de décider du contenu de la notion juridique indéterminée « raisons personnelles majeures » et de l’appliquer au cas d’espèce, en gardant à l’esprit que l’art. 50 al. 1 let. b LEI confère un droit à la poursuite du séjour en Suisse, contrairement à l’art. 30 al. 1 let. b LEI (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1 ; 137 II 1 consid. 3 ; ATA/215/2020 du 25 février 2020 consid. 6a).
2.2 L’octroi d’un droit de séjour en faveur de victimes de violences conjugales a pour but d’empêcher qu’une personne faisant l’objet de violences conjugales poursuive la communauté conjugale pour des motifs liés uniquement au droit des migrations, quand bien même le maintien de celle-ci n’est objectivement plus tolérable de sa part, dès lors que la vie commune met sérieusement en péril sa santé physique ou psychique (ATF 138 II 229 consid. 3.1 et 3.2 et arrêts du Tribunal fédéral 2C_956/2013 du 11 avril 2014 consid. 3.1 et 2C_784/2013 du 11 février 2014 consid. 4.1). Lorsqu’une séparation se produit dans une telle constellation, le droit de séjour qui était originairement dérivé de la relation conjugale se transforme en un droit de séjour propre.
Sur la base de la ratio legis susmentionnée, il y a lieu de conditionner la présence d’un cas de rigueur à la suite de la dissolution de la famille pour violence conjugale à l’existence d’un rapport étroit entre la violence conjugale et la séparation du couple. Ce rapport n’est toutefois pas exclu du simple fait que l’initiative de la séparation n’a pas été prise par la personne qui prétend avoir fait l’objet de violence conjugale mais par son conjoint (arrêt du Tribunal fédéral 2C_915/2019 du 13 mars 2020 consid. 3.2) et une analyse du cas concret doit avoir lieu dans chaque affaire.
2.3 Selon la jurisprudence, il convient de prendre au sérieux toute forme de violence conjugale, qu’elle soit physique ou psychique. La violence conjugale doit toutefois revêtir une certaine intensité. Elle constitue une maltraitance systématique ayant pour but d’exercer pouvoir et contrôle sur celui qui la subit (ATF138 II 229 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1085/2017 du 22 mai 2018 consid. 3.1). À l’instar de violences physiques, seuls des actes de violence psychique d’une intensité particulière peuvent justifier l’application de l’art. 50 al. 1 let. b LEI (ATF 138 II 229 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_201/2019 du 16 avril 2019 consid. 4.1 ; 2C_12/2018 du 28 novembre 2018 consid. 3.19). Lorsque des contraintes psychiques sont invoquées, il incombe à la personne d’illustrer de façon concrète et objective, ainsi que d’établir par preuves le caractère systématique de la maltraitance, sa durée, ainsi que les pressions subjectives qui en résultent (arrêts du Tribunal fédéral 2C_465/2023 du 6 mars 2024 consid. 4.1 ; 2C_693/2019 du 21 janvier 2020 consid. 4.4). Des affirmations d’ordre général ou des indices faisant état de tensions ponctuelles sont insuffisants (ATF 138 II 229 consid. 3.2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_12/2018 précité consid. 3.2 ; 2C_401/2018 du 17 septembre 2018 consid. 4.2).
Des insultes proférées à l’occasion d’une dispute, une gifle assénée, le fait pour un époux étranger d’avoir été enfermé une fois dehors par son conjoint ne sont pas assimilés à la violence conjugale au sens de l’art. 50 al. 2 LEI (ATF 136 II 1 consid. 5). En effet, sans que cela légitime en rien la violence conjugale, n’importe quel conflit ou maltraitance ne saurait justifier la prolongation du séjour en Suisse, car telle n’était pas la volonté du législateur (arrêt du Tribunal fédéral 2C_654/2019 du 20 août 2019 consid. 2.1), ce dernier ayant voulu réserver l’octroi d’une autorisation de séjour aux cas de violences conjugales atteignant une certaine gravité ou intensité.
2.4 La personne étrangère qui soutient, en relation avec l’art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEI, avoir été victime de violences conjugales est soumise à un devoir de coopération accru. Il lui appartient de rendre vraisemblable, par des moyens appropriés, la violence conjugale ou l’oppression domestique alléguée. En particulier, il lui incombe d’illustrer de façon concrète et objective, ainsi que d’établir par preuves le caractère systématique de la maltraitance, sa durée, ainsi que les pressions subjectives qui en résultent (art. 77 al. 6 et 6bis OASA et arrêts du Tribunal fédéral 2C_465/2023 du 6 mars 2024 consid. 4.1 ; 2C_693/2019 du 21 janvier 2020 consid. 4.4 et 2C_68/2017 du 29 novembre 2017 consid. 5.4.1). L’art. 50 al. 2 LEI n’exige toutefois pas la preuve stricte de la maltraitance, mais se contente d’un faisceau d’indices suffisants (arrêts du Tribunal fédéral 2C_593/2019 du 11 juillet 2019 consid. 5.2 ; 2C_196/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.4) voire d’un certain degré de vraisemblance, sur la base d’une appréciation globale de tous les éléments en présence (ATF 142 I 152 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_671/2017 du 29 mars 2018 consid. 2.3 et 2C_831/2018 du 27 mai 2019 consid. 4.3.1). Ainsi, selon le degré de preuve de la vraisemblance, il suffit que l’autorité estime comme plus probable la réalisation des faits allégués que la thèse contraire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_915/2019 précité consid. 3.5).
Si la violence conjugale au sens de l’al. 1 let. b et de l’art. 50 al. 2 LEI, est invoquée, les autorités compétentes peuvent demander des preuves. Sont notamment considérés comme indices de violence conjugale : a) les certificats médicaux, b) les rapports de police, c) les plaintes pénales, d) les mesures au sens de l’art. 28b du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) et e) les jugements pénaux prononcés à ce sujet (art. 77 al. 5 et 6 OASA).
2.5 Lors de l'examen des raisons personnelles majeures au sens de l'art. 50 al. 1 let. b LEI, les critères énumérés à l'art. 31 al. 1 OASA peuvent entrer en ligne de compte, même si, considérés individuellement, ils ne sauraient fonder un cas individuel d'une extrême gravité (ATF 137 II 345 consid. 3.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_822/2013 du 25 janvier 2014 consid. 5.2 ; ATA/466/2023 du 2 mai 2023 consid. 4.7 et l'arrêt cité).
2.5.1 L’art. 31 al. 1 OASA prévoit que, pour apprécier l’existence d’un cas individuel d’extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l’intégration de la personne requérante sur la base des critères d’intégration définis à l’art. 58a al. 1 LEI (let. a), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f), ainsi que des possibilités de réintégration dans l’État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d’autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené une personne étrangère à séjourner illégalement en Suisse (SEM, Directives et commentaires, Domaine des étrangers, 2013 - état au 1er juin 2024, ch. 5.6.10 [ci-après : directives LEI] ; ATA/340/2020 du 7 avril 2020 consid. 8a).
2.5.2 L’art. 58a al. 1 LEI précise que pour évaluer l’intégration, l’autorité compétente tient compte des critères suivants : le respect de la sécurité et de l’ordre publics (let. a), le respect des valeurs de la Cst. (let. b), les compétences linguistiques (let. c), la participation à la vie économique ou l’acquisition d’une formation (let. d).
2.5.3 S’agissant de l’intégration professionnelle, celle-ci doit être exceptionnelle : le requérant doit posséder des connaissances professionnelles si spécifiques qu’il ne pourrait les utiliser dans son pays d’origine ou alors son ascension professionnelle est si remarquable qu’elle justifierait une exception aux mesures de limitation (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; ATA/764/2024 du 25 juin 2024 consid. 3.6).
2.5.4 S’agissant de la réintégration sociale dans le pays d’origine, l’art. 50 al. 2 LEI exige qu’elle soit fortement compromise. La question n’est donc pas de savoir s’il est plus facile pour la personne concernée de vivre en Suisse, mais uniquement d’examiner si, en cas de retour dans le pays d’origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de sa situation personnelle, professionnelle et familiale, seraient gravement compromises (arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1). Le simple fait que l’étranger doive retrouver des conditions de vie qui sont usuelles dans son pays de provenance ne constitue pas une raison personnelle majeure au sens de l’art. 50 LEI, même si ces conditions de vie sont moins avantageuses que celles dont cette personne bénéficie en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1188/2012 du 17 avril 2013 consid. 4.1).
Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, et les conditions pour la reconnaissance d’une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4). Elles ne confèrent pas de droit à l’obtention d’une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L’autorité doit néanmoins procéder à l’examen de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce pour déterminer l’existence d’un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/38/2019 du 15 janvier 2019 consid. 4c ; directives LEI, ch. 5.6).
2.6 En l’espèce, les pièces produites par la recourante à l’appui de son allégation des violences conjugales psychiques d’une certaine intensité sont les rapports des HUG des 12 décembre 2022 et 12 juillet 2024. Le premier rapport des HUG fait état, dans l’anamnèse, de problèmes que la recourante rencontre avec son mari, qu’il y a des conflits toutes les deux semaines, qu’elle se sent émotionnellement maltraitée par lui, qu’elle se sent désespérée, ayant l’impression que son mari lui « vole » son sommeil, sa vie et qu’elle est déjà partie à trois reprises, mais revenue à chaque fois. Le second indique que la recourante a consulté l’unité de médecine et de prévention de la violence les 4, 11 et 25 janvier 2023. Selon la patiente, peu après le mariage, elle avait quitté le foyer conjugal pour 24 heures, car son mari était en colère pour des broutilles, l’avait injuriée, lui avait manqué de respect et fait des injonctions et des reproches. Quand elle était revenue, il s’était à nouveau très bien comporté. Quelques mois plus tard, un nouvel épisode était survenu, comportant des hurlements, injures, une attitude corporelle menaçante ; elle avait eu peur. Son mari voulait l’obliger à lui demander pardon pour une chose qu’elle n’avait pas faite. À la suite de cet épisode, il ne lui avait, pendant cinq jours, plus adressé la parole et laissé les stores de l’appartement baissés. En juillet 2022, elle avait à nouveau quitté le domicile conjugal pour une période d’un mois. Ce rapport constate une thymie triste, une labilité émotionnelle, une fatigue psychique et physique, un sentiment de dévalorisation, des ruminations anxieuses, une baisse de l’appétit et des troubles du sommeil. La patiente indiquait vouloir retourner en Colombie et avoir le projet d’être hébergée par sa fille et de travailler avec elle dans le cabinet de manucure.
La recourante a encore produit des attestations d’un suivi médical en Colombie, établies entre avril et juillet 2023, qui ne font cependant pas état de violences conjugales. L’intéressée n’a produit aucune autre pièce, telle une attestation d’amis, de membres de la communauté religieuse qu’elle indique fréquenter, de voisins ou de ses enfants faisant état des violences verbales conjugales dont ils auraient été témoins directs ou indirects. Elle n’a pas non plus indiqué avoir déposé plainte pénale.
Au vu des pièces produites et explications données par la recourante, il n’y a aucun doute sur le fait que les relations avec son mari ont, rapidement après le mariage, été conflictuelles et disharmonieuses. Les allégations de la recourante, rapportées dans les documents médicaux produits, ne sont cependant pas comparables à des situations d'oppression domestique systématique ou d’humiliations constantes se rapprochant de l’intensité de violence verbale nécessaire pour bénéficier de l’octroi d’un titre de séjour au titre de l’application de l’art. 50 al. 1 let. b LEI.
Par ailleurs, il ne peut être considéré que l’intégration socio-professionnelle de la recourante serait particulièrement remarquable. Celle-ci ne soutient pas s’être investie dans la vie culturelle, associative ou sociale à Genève. Elle ne fait pas non plus état de liens d’amitié particulièrement forts qu’elle aurait tissés à Genève. Son activité dans le domaine de l’hôtellerie ne témoigne pas non plus d’une intégration professionnelle extraordinaire. Enfin, la recourante n’établit pas que sa réintégration dans son pays d’origine serait fortement compromise. Arrivée en Suisse à l’âge de 43 ans, elle a vécu toute son enfance, son adolescence et une partie de sa vie d’adulte en Colombie. Elle en connaît ainsi les us et coutumes. Elle y est retournée pendant environ trois mois en 2023 et y a conservé des liens familiaux puisque ses trois enfants adultes y vivent. Ces éléments faciliteront sa réintégration sociale. Rien ne permet non plus de considérer qu’elle ne serait pas en mesure de se réintégrer professionnellement, compte tenu de son âge (49 ans) et de son expérience professionnelle dans le domaine de l’hôtellerie, étant précisé qu’elle pourra mettre à profit les connaissances de la langue française acquises durant son séjour en Suisse.
Au vu de ce qui précède, l’OCPM n’a ni violé la loi ni abusé de son pouvoir d’appréciation en refusant d’octroyer à la recourante une autorisation de séjour.
3. Reste à examiner la légalité du renvoi de Suisse de l’intéressée.
3.1 Selon l’art. 64 al. 1 let. c LEI, l’autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l’encontre d’un étranger auquel l’autorisation de séjour est refusée ou dont l’autorisation n’est pas prolongée. Elle ne dispose à ce titre d’aucun pouvoir d’appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d’une demande d’autorisation. Le renvoi d’une personne étrangère ne peut être ordonné que si l’exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI).
3.2 En l’espèce, dès lors qu’il a, à juste titre, refusé l’octroi d’une autorisation de séjour à la recourante, l’intimé devait prononcer son renvoi. Par ailleurs, rien ne permet de retenir que l’exécution du renvoi ne serait pas possible, licite ou raisonnablement exigible.
En tous points mal fondé, le recours sera rejeté.
4. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 16 juin 2025 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 mai 2025 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de CHF 400.- à la charge d’A______ ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Andrea VON FLÜE, avocat de la recourante, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.
Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
| la greffière-juriste :
D. WERFFELI BASTIANELLI
|
| la présidente siégeant :
F. KRAUSKOPF |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
|
Genève, le |
| la greffière : |
Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html
| Recours en matière de droit public | Recours constitutionnel subsidiaire |
| Art. 82 Principe Le Tribunal fédéral connaît des recours : a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ; … Art. 83 Exceptions Le recours est irrecevable contre : … c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent : 1. l’entrée en Suisse, 2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit, 3. l’admission provisoire, 4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi, 5. les dérogations aux conditions d’admission, 6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ; d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues : 1. par le Tribunal administratif fédéral, 2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ; … Art. 89 Qualité pour recourir 1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque : a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ; b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification. … Art. 95 Droit suisse Le recours peut être formé pour violation : a. du droit fédéral ; b. du droit international ; c. de droits constitutionnels cantonaux ; d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ; e. du droit intercantonal. Art. 100 Recours contre une décision1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète. ______________________________________________ | Art. 113 Principe Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89. Art. 115 Qualité pour recourir A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque : a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée. Art. 116 Motifs de recours Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels. Art. 100 Recours contre une décision 1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète. ___________________________________________
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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)
1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.
2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.
3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.