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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3211/2024

ATA/810/2025 du 24.07.2025 ( DIV ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 15.09.2025, 2C_540/2024, 2C_532/2025
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3211/2024-DIV ATA/810/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 24 juillet 2025

 

dans la cause

 

A______
et
B______
représentés par Me Romain JORDAN, avocat recourants

 

contre

CONSEIL D'ÉTAT intimé

 



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : A______), avec siège à Genève, est une association de protection des animaux à but non lucratif, organisée conformément aux art. 60ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210). Selon ses statuts, elle a pour buts la protection, la dignité et le bien-être des animaux. Elle vise notamment à remplacer l’expérimentation animale par des méthodes plus éthiques, scientifiques et sûres pour la santé publique ; à obtenir sur l’ensemble du territoire suisse, une législation qui garantisse la défense et le respect des animaux ; à promouvoir l’amélioration constante de cette législation et contrôler en permanence son application stricte et à produire du contenu informatif et factuel, soutenu par des sources contrôlées, en lien avec les buts et objectifs de A______.

b. Son président est B______, domicilié à C______.

B. a. Le 18 octobre 2023, le Conseil d’État a autorisé par voie d’arrêté le tir des cerfs dans la région de Versoix et de Collex-Bossy. 25 cerfs ont été tirés entre le 1er décembre 2023 et le 31 janvier 2024.

b. Par courrier du 26 octobre 2023, A______ a invité le Conseil d’État à renoncer aux tirs prévus de cerfs, et plus globalement, à renoncer à l’abattage des animaux commettant des dégâts et à mettre sur pied une étude pilote visant la limitation des naissances des populations d’animaux concernés par l’administration d’un vaccin immuno-contraceptif comme le GonaCon. En cas de résultats positifs de l’étude, il convenait de planifier l’utilisation du GonaCon sur tout le territoire cantonal afin de promouvoir une gestion éthique et efficace de la faune sauvage.

c. Par courrier du 7 décembre 2023, le Conseil d’État a répondu que l’utilisation d’un vaccin immuno-contraceptif ne faisait pas partie des « mesures préventives à épuiser ». Il partageait l’avis des professionnels de la gestion de la faune sauvage selon lequel il n’était pas judicieux d’interférer avec des produits chimiques dans la biologie des espèces sauvages. Les cerfs faisaient partie de la biodiversité et, en raison notamment des dégâts dont ils étaient responsables, faisaient l’objet d’une attention particulière. Leur population, trop dense à certains endroits devait être gérée afin de permettre la cohabitation avec les activités humaines. À cet effet, des zones de tranquillité avaient été créées et les corridors de migration transfrontaliers mieux protégés. Au niveau de la gestion forestière, tout avait été entrepris pour que les cerfs puissent couvrir leurs besoins physiologiques dans les bois : création de lisières pour la diversité de la nourriture ligneuse, forêts claires, clairières pour la nourriture herbacée et fourrés pour la tranquillité. Toutes les cultures sensibles avaient été protégées par des clôtures électriques. La limite des efforts raisonnables de prévention avait été dépassée et une régulation mesurée était devenue nécessaire.

d. En février 2024, mandatée par l’État de Genève, D______ a réalisé une analyse sur l’application du « vaccin contraceptif » GonaCon. Cette étude retient que le contrôle de la fertilité des animaux sauvages ne peut pas complètement substituer le contrôle des densités par des méthodes létales, en particulier pour des populations présentant des densités élevées, lorsque l’objectif est de réduire ou de maintenir les effectifs.

e. Lors d’une séance du 16 mai 2024, A______ et E______(ci-après : E______) ont discuté de l’opportunité de mener une étude pilote sur l’utilisation du GonaCon sur les ongulés.

f. Par courrier du 20 juin 2024 adressé au Conseil d’État, A______ a regretté que sa demande d’utilisation du vaccin contraceptif GonaCon à titre de mesure préventive aux tirs n’ait pas été retenue. Le Conseil d’État était invité à réaliser une étude pilote afin d’évaluer l’efficacité du GonaCon, notamment sur le sanglier.

g. Par courrier du 28 août 2024 adressé à A______, le Conseil d’État a relevé que la stérilisation temporaire par vaccination appartenait aux mesures de régulation, tout comme les tirs, leur objectif étant de réduire le nombre d’animaux sauvages vivant sur un territoire. Les mesures préventives ayant de leur côté pour but de diminuer les dégâts, en particulier en empêchant des animaux de pénétrer dans les cultures. Or, toutes les mesures préventives possibles avaient été épuisées, telles que la mise en place de surfaces de gagnage en forêt, la délimitation de zones de tranquillité, la régulation du trafic routier ou la mise en place de clôtures de protection des cultures. Il était ainsi adéquat et conforme à la législation de procéder à des tirs de régulation afin de réduire la densité des ongulés sauvages présents à Genève. La question d’une expérimentation de la stérilisation temporaire avec le GonaCon avait été soumise à la F______ (ci-après : F______), qui était très largement défavorable à une telle expérimentation. Au vu de l’impact durable d’une stérilisation sur le fonctionnement hormonal des animaux, sur leur biologie et sur leur étiologie, il considérait que la mise en place d’une telle mesure n’était pas opportune et portait atteinte au bien-être et à la dignité des animaux. Cette analyse s’appuyait notamment sur les positions défavorables exprimées par l’office fédéral de l’environnement et par l’office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires.

h. Par arrêté du 28 août 2024, publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 30 août 2024, le Conseil d’État, se référant au préavis favorable de la F______ du 6 juin 2024 et au préavis divergent (un oui, un non) émis par la G______ (ci-après : G______) du 6 juin 2024, a autorisé le tir des cerfs dans la région de Versoix et de Collex-Bossy. Le nombre d’animaux à prélever serait évalué par la F______, en fonction de la situation. Seuls les gardes de l’environnement de l’E______ étaient habilités à procéder à des tirs. En cas de nécessité, les tirs pouvaient avoir lieu dans les secteurs protégés.

L’arrêté tenait compte de l’importance des dégâts que les cerfs provoquaient localement aux cultures, de l’impossibilité de les réduire suffisamment par des mesures préventives proportionnées, sans générer d’autres problèmes importants, des risques d’accident entre véhicules et cerfs (notamment le long de la route de Sauverny) et des demandes des partenaires français et vaudois (forestiers et gestionnaires de la faune) de contribuer à l’effort de régulation de cette espèce au niveau régional, réitérées lors de la séance « plateforme cerf » du 24 avril 2024.

Les dispositions de l’arrêté étaient limitées à la période du 1er novembre 2024 au 31 janvier 2025.

C. a. Par acte du 30 septembre 2024, A______ et B______ ont recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre cet arrêté, concluant à son annulation. Sur effet suspensif, ils ont conclu à sa restitution et à la suspension de la mise en œuvre de l’arrêté. Ils ont également sollicité la tenue d’une audience publique de plaidoiries au sens de l’art. 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).

B______ disposait de la qualité pour recourir. Son engagement pour la protection des animaux et de la faune sauvage était notoire. Résidant à Genève et promeneur régulier des Bois de Versoix, il était davantage touché que la majorité des administrés. L’arrêté attaqué heurtait ses convictions fondamentales attachées à l’interdiction de la chasse, laquelle était inscrite dans la Constitution cantonale depuis plus de 50 ans. Quant à A______, elle sollicitait la mise en place d’un projet-pilote mesuré et réaliste de vaccination immuno-contraceptive. Complexe et multifactorielle, la question justifiait sa qualité pour agir au regard de la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme
(ci-après : CourEDH) et de la Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement (Convention d’Aarhus - RS 0.814.07).

Il se justifiait de « restituer » l’effet suspensif au recours. Le Conseil d’État n’avait jamais allégué d’urgence particulière. Il s’agissait uniquement de préserver l’intégrité de la population de cerfs le temps de la procédure de recours et non d’accorder aux recourants ce qu’ils requéraient au fond.

L’arrêté entrepris violait leur droit d’être entendus, le principe de la proportionnalité et les art. 10, 15 et 16 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) ainsi que 9 CEDH. Alors que les deux derniers préavis de la G______ s’étaient révélés « divergents », A______, pourtant initiatrice de la discussion relative à la vaccination immuno-contraceptive, n’avait jamais été conviée à présenter ses arguments auprès de la G______ et de la F______. Le département H______ (ci-après : le département) s’était écarté sans motif du préavis de la G______, lequel aurait dû l’enjoindre à clarifier la situation au moyen d’une étude de terrain. Le Conseil d’État ne s’était même pas basé sur le rapport scientifique de février 2024 commandité par le département.

La faune locale était au bénéfice d’un statut similaire aux espèces strictement protégées sous l’angle de la Convention de Berne. Or, selon l’art. 6 de cette convention, toute mise à mort intentionnelle était strictement interdite. Elle devait constituer une ultima ratio. Or, l’utilisation du GonaCon n’était pas une mesure de régulation mais une mesure préventive pouvant intervenir en amont de l’ultima ratio que représentait le tir.

b. Par réponse du 14 octobre 2024, l’E______ a conclu à l’irrecevabilité du recours et de la demande de restitution de l’effet suspensif et sollicité le retrait de l’effet suspensif au recours.

La conclusion des recourants en « restitution de l’effet suspensif » était doublement irrecevable. D’une part, le recours était lui-même irrecevable, faute pour les recourants d’avoir la qualité pour recourir. D’autre part, le recours avait automatiquement effet suspensif.

Les convictions personnelles et les engagements de B______ constituaient à l’évidence un intérêt idéal qui ne fondait pas sa qualité pour recourir. Se déclarer être promeneur régulier des Bois de Versoix n’établissait pas qu’il fût touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés. L’arrêté contesté ne comprenait au demeurant aucune mesure de limitation ou de restriction de la circulation des piétons dans les Bois de Versoix. Les tirs étaient effectués de nuit et avec des moyens techniques spéciaux. La probabilité qu’un promeneur, même régulier, des Bois de Versoix soit touché par une action de régulation apparaissait dès lors « hypothétique ».

La législation ne conférait pas de droit de recours spécial en faveur des associations d’importance cantonale. A______ recourante ne faisait pas partie des organisations habilitées à recourir dans les domaines de la protection et de l’environnement ainsi que de la protection de la nature et du paysage désignée par l’ordonnance du 27 juin 1990 relative à la désignation des organisations habilitées à recourir dans les domaines de la protection de l'environnement ainsi que de la protection de la nature et du paysage (ODO - RS 814.076) en application des art. 55, 55f de la loi fédérale sur la protection de l’environnement du 7 octobre 1983 (loi sur la protection de l’environnement, LPE - RS 814.01), 28 de la loi fédérale sur l'application du génie génétique au domaine non humain du 21 mars 2003 (loi sur le génie génétique, LGG – RS 814.91) ou 12 de la loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage du 1er juillet 1966 (LPN - RS 451). Ni la protection de la nature, ni la protection de la faune sauvage ne faisaient partie des buts de A______, à teneur de ses statuts. Les conditions du recours corporatif n’étaient pas remplies, chacun de ses membres n’ayant pas, à titre individuel, la qualité pour recourir. Il n’était pas établi que la Convention d’Aarhus s’appliquât à la gestion de la faune sauvage. Ses dispositions ne conféraient du reste pas aux organisations environnementales un droit de recours plus large que celui prévu par les art. 55 LPE et 12 LPN. L’arrêt de la CourEDH dans l’affaire des Aînées pour le climat n’était pas pertinent puisqu’il concernait des questions climatiques, ce qui n’avait aucune connexion avec le litige. Enfin, WWF Suisse et Pro Natura auraient pu recourir en application de l’art. 12 LPN.

Au cas où le recours serait néanmoins déclaré recevable, il sollicitait le retrait de l’effet suspensif. Les conditions cumulatives d’une lésion grave des intérêts de la partie requérante et de l’absence d’intérêts opposés prépondérants étaient réalisées.

Les mesures préventives avaient non seulement été épuisées, mais leur quantité dépassait des proportions acceptables pour les travaux agricoles et nuisait à la biodiversité en affaiblissant la fonctionnalité des corridors biologiques. Les enjeux de régénération de la forêt et de réduction des dégâts aux cultures étaient forts. Les autorités françaises et vaudoises concernées attendaient une participation active et constante du canton pour contribuer à l’effort collectif de réduction des effectifs de la population des cerfs, après des années d’absence. Les 25 cerfs tirés en hiver
2023-2024 avaient permis d’infléchir la courbe, l’indice kilométrique d’abondance était passé de 164 à 144. Le plan de tir devait toutefois être constant pour que l’accroissement naturel de la population de cerfs ne vienne pas compenser la diminution consécutive aux tirs effectués chaque année. Le plan de tir de 40 animaux envisagé en 2024-2025 ne menaçait pas la présence du cerf au vu de son indice kilométrique d’abondance et de la densité de ses effectifs. Ce plan de tir restait d’ailleurs prudent.

c. Le 28 octobre 2024, les recourants ont répliqué sur effet suspensif.

d. Par décision du 29 octobre 2024, la chambre administrative a retiré l’effet suspensif au recours.

L’autorité intimée pouvait se prévaloir d’un intérêt public important au retrait de l'effet suspensif, à savoir le maintien d’un équilibre entre activités sylvicoles, agricoles et de loisirs, d’une part, et la présence de la faune, dont font partie les cerfs, d’autre part. La mesure sollicitée avait pour but d’éviter le problème des surdensités des cerfs impactant négativement l’agriculture et la forêt. Elle visait également à diminuer les risques d’accidents entre véhicules et cerfs (notamment le long de la route de Sauverny) et à contribuer à l’effort de régulation de cette espèce au niveau régional. La protection des animaux, et l’intérêt à la conservation d’une population de cerfs dans les Bois de Versoix, constituent certes également des intérêts publics importants. La mesure sollicitée ne menaçait pas la présence du cerf au vu de son indice kilométrique d’abondance et de la densité de ses effectifs. Quant à l’intérêt à la protection des animaux, il apparaissait a priori avoir été pris en compte au vu des nombreuses mesures préventives déjà prises par le canton de Genève depuis plusieurs années, soit en particulier la mise en place de surfaces de gagnage en forêt, la délimitation de zones de tranquillité, la régulation du trafic routier et la mise en place de clôtures de protection des cultures. L’autorité intimée a notamment expliqué que ces mesures avaient été mises en place depuis 2013 et qu’en 2023-2024, la longueur des clôtures électrifiées nécessaires à la protection des cultures avait atteint 24 kilomètres, soit 80% des cultures de la région de Versoix. L’intérêt – purement idéal – des recourants à la protection des animaux ne saurait ainsi l’emporter, à ce stade de la procédure, face aux enjeux publics de régénération de la forêt et de réduction des dégâts aux cultures.

Quant aux chances de succès du recours, elles n’apparaissaient prima facie pas évidentes. À première vue, le seul fait pour le recourant de s’engager pour la protection des animaux et de la faune sauvage était, en soi, insuffisant à démontrer qu’il était touché dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l’intérêt général. Le fait qu’il soit un promeneur régulier des Bois de Versoix ne suffisait pas non plus à lui fonder une qualité pour recourir, l’intéressé n’apparaissant pas plus touché qu’un autre usager des Bois de Versoix. Quant à A______ recourante, elle ne contestait pas qu’aucune disposition légale – fédérale ou cantonale – ne lui conférait la qualité pour recourir. Ses buts statutaires se rapportaient au remplacement de l’expérimentation animale par des méthodes plus éthiques, à l’adoption d’une législation qui garantisse la défense et le respect des animaux et à la production d’un contenu informatif et factuel en lien avec les buts et objectifs de A______. La protection de la nature et de la faune sauvage ne faisait a priori pas partie de ses buts statutaires. A______ recourante n’avait pas non plus démontré que chacun de ses membres avait, à titre individuel, qualité pour recourir. Il était enfin douteux que l’art. 2 par. 4 de la Convention d’Aarhus s’applique à la question de la régulation de la faune sauvage. S’ajoutait à cela que dans l’arrêt Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse rendu par la Grande Chambre de la CourEDH le 9 avril 2024, cité par les recourants, la qualité pour recourir de A______ découlait notamment de la nature particulière du changement climatique, sujet de préoccupation pour l’humanité toute entière. Or, une telle configuration ne ressortait pas de la présente affaire. Partant, la question de la recevabilité du recours paraissait prima facie douteuse sous l’angle de la qualité pour recourir.

e. Par acte du 31 octobre 2024, A______ et B______ ont recouru contre cette décision devant le Tribunal fédéral.

f. Le même jour, le Tribunal fédéral a admis la demande d’effet suspensif à titre superprovisoire.

g. Par arrêt du 16 janvier 2025, le Tribunal fédéral a rejeté le recours.

La population de cerfs était devenue depuis quelques décennies très importante dans le canton de Genève et, plus particulièrement, dans les bois de Versoix en hiver, ce en raison de leur reproduction rapide et du fait qu’un grand nombre de ces animaux venait hiverner à Genève en provenance de la France ou du canton de Vaud. Or, il était notoire qu’outre le danger qu’ils représentaient pour la sécurité du trafic, les cerfs, comme d’autres animaux sauvages d’ailleurs, à l’instar des sangliers, pouvaient causer des dégâts importants aux forêts et aux champs, même lorsque des mesures de protection étaient mises en place. Le droit fédéral obligeait ainsi les cantons à maîtriser leur nombre sur leur territoire, afin, notamment, de permettre une régénération naturelle des forêts, sans mesure de protection des arbres, tout en n’autorisant leur régulation ou chasse que durant une période limitée, débutant le 1er août et s’achevant le 31 janvier. Il n’était ainsi pas manifestement insoutenable de considérer qu’il existait vraisemblablement un intérêt public important à une régulation de la population de cerfs vivant actuellement dans les bois de Versoix. Seule l’exécution immédiate de cette mesure permettait de prime abord au canton de contribuer à l’objectif régional de régulation de ces ongulés et de protection des cultures et de la forêt avant le 31 janvier 2025, d’autant que leur nombre pourrait sinon augmenter rapidement par accroissement naturel, malgré la légère diminution de leur effectif obtenue grâce aux précédents ordres de tirs, et que cet accroissement risquerait de conduire à des dégâts supplémentaires aux forêts et à la nature et, potentiellement, à un ordre de tir plus important ultérieurement.

h. Le 20 janvier 2025, les recourants ont répliqué.

Leur qualité pour recourir devait être admise. B______, habitant du canton de Genève dont l’engagement pour la protection des animaux et de la faune sauvage était notoire, avait été membre de la G______ de 2006 à 2014, en qualité de représentant des organisations de protection des animaux. Amateur de la faune locale et promeneur régulier des Bois de Versoix auxquels il était particulièrement attaché, il était davantage touché que la généralité des administrés par l’acte attaqué. Ce dernier heurtait fondamentalement ses convictions liées à l’interdiction de la chasse, laquelle était inscrite dans la Constitution cantonale depuis plus de 50 ans et faisait partie de l’identité genevoise depuis lors. L’arrêté l’exposait par ailleurs à être confronté à une pratique heurtant fondamentalement ses convictions personnelles les plus intimes et à être restreint dans sa liberté de mouvement, la pratique de la chasse l’obligeant à devoir éviter les Bois de Versoix durant la période de tir. Il était donc bien touché de façon directe, concrète et avec une intensité plus grande que la généralité des administrés par l’arrêté litigieux.

A______ demandait, quant à elle, la mise en place, sur une base scientifique, d’un projet-pilote mesuré et réaliste de vaccination immuno-contraceptive, lequel prendrait place dans la boîte à outils de l’autorité en vue d’une gestion de la faune raisonnée et conforme à la Constitution et à la loi. Complexe et multifactorielle, cette question justifiait que sa qualité pour recourir soit admise, en application de l’arrêt Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse rendu par la Grande Chambre de la CourEDH du 9 avril 2024. Nier sa qualité pour recourir reviendrait à admettre qu’il n’existait aucun moyen d’avoir accès à un tribunal pour les associations et les particuliers souhaitant contester un tel arrêté de tir sous l’angle de la protection animale, et ce alors même que l’arrêté litigieux contenait une voie de droit. Le modèle de A______ destinataire de la décision, disposant d’un droit de recours légal ou le modèle du recours corporatif égoïste étaient inopérants : les associations de protection animale n’étaient généralement pas propriétaires des animaux à protéger, aucun droit de recours légal ne leur était ouvert et il était hautement improbable que la majorité de leurs membres puisse avoir individuellement qualité pour recourir. L’obligation, pour l’État, de prendre en compte la protection des animaux, devait pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif.

Le préavis divergeant de la G______ aurait dû conduire l’autorité intimée à faire preuve de davantage de circonspection. Alors que les intérêts de la protection des animaux n’avaient pas pu être régulièrement pris en compte au stade de l’élaboration de l’arrêté, il ne saurait être admissible que les intérêts de la protection des animaux ne puissent être dûment représentés au stade du recours.

En raison de l’interdiction cantonale de la chasse, le tir de régulation devait toujours représenter une ultima ratio. Or, c’était précisément ce caractère de dernier recours que ne respectait pas l’arrêté de tirs litigieux, l’autorité n’ayant jamais de façon scientifiquement rigoureuse envisagé le recours à la mesure préventive que représentait le GonaCon. L’autorité se basait de façon manifeste sur des informations scientifiquement lacunaires, vieillissantes et interprétées de façon biaisée. Le rapport « D______ » avait été conçu à la « va-vite » dans le seul but de contrer le sondage qu’ils avaient lancé. Le seul article produit par l’intimé datait de plus de quinze ans et était issu d’une revue de vulgarisation.

L’urgence alléguée de prévenir les risques d’accidents entre véhicules et cerfs et d’assurer le maintien d’un équilibre entre activités sylvicoles, agricoles et de loisirs n’était matérialisé par aucun fait : l’autorité ne faisait état d’aucun accident de la route, ni d’augmentation des dommages aux forêts ou aux cultures depuis que l’arrêté litigieux avait été suspendu. L’intimé n’expliquait pas non plus en quoi l’abattage du tiers d’une population saisonnière de cervidés serait urgent, dans la mesure où une large majorité de ces animaux quitterait par définition le territoire cantonal dès la fin de l’hiver. À supposer que la population de cerfs représentait une densité élevée, celle-ci n’était que temporaire et diminuait au moment précis où débutaient les semis de printemps. Il était par ailleurs établi que, depuis 2013, le coût des dégâts afférents aux cerfs s’était stabilisé grâce aux mesures de prévention mises en place pour protéger les cultures. L’intimé admettait d’ailleurs que la régulation des cerfs ne représentait que peu d’intérêt pour la forêt de Versoix. Ainsi, dès lors que les tirs des animaux ne répondaient pas à un objectif cantonal de régulation officielle et n’épuisaient pas de façon scientifiquement convaincante les mesures préventives adéquates, ceux-ci enfreignaient manifestement l’interdiction cantonale de la chasse.

i. Le 18 mars 2025, les recourants ont persisté dans leur demande d’audience publique de plaidoiries.

j. Une audience de plaidoiries a eu lieu le 20 mai 2025. Les parties ont plaidé et persisté dans leurs argumentations et conclusions.

La cause a été gardée à juger à l’issue de l’audience.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La chambre de céans examine d’office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATA/364/2025 du 2 avril 2025 consid. 1).

2.1 Selon l’art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir non seulement les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a), mais aussi toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée (let. b) et aux autorités, personnes et organisations auxquelles la loi reconnait le droit de recourir (let. e).

Cette notion de l’intérêt digne de protection est identique à celle qui a été développée par le Tribunal fédéral sur la base de l’art. 103 let. a de la loi fédérale d’organisation judiciaire du 16 décembre 1943 (OJ - RS 173.110) et qui était, jusqu’à son abrogation le 1er janvier 2007, applicable aux juridictions administratives des cantons. Elle correspond aux critères exposés à l’art. 89 al. 1 let. c de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005, en vigueur depuis le 1er janvier 2007 (LTF - RS 173.110) que les cantons sont tenus de respecter, en application de la règle d’unité de la procédure qui figure à l’art. 111 al. 1 LTF (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_433/2021 du 5 juillet 2022 consid. 3.1 ; Message du Conseil fédéral concernant la révision totale de l’organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, FF 2001 pp. 4126 ss et 4146 ss).

2.2 Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1) ; si l’intérêt s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4).

Il est toutefois exceptionnellement renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 140 IV 74 consid. 1.3 ; 139 I 206 consid. 1.1) ou lorsqu’une décision n’est pas susceptible de se renouveler mais que les intérêts des recourants sont particulièrement touchés avec des effets qui vont perdurer (ATF 136 II 101 ; 135 I 79). Cela étant, l’obligation d’entrer en matière sur un recours, dans certaines circonstances, nonobstant l’absence d’un intérêt actuel, ne saurait avoir pour effet de créer une voie de recours non prévue par le droit cantonal (ATF 135 I 79 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 du 4 juin 2009 consid. 3).

2.3 Le recourant doit être touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés, et l’intérêt invoqué, qui n’est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé, mais qui peut être un intérêt de fait, doit se trouver, avec l’objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d’être pris en considération (ATF 143 II 506 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2019 du 19 août 2020 consid. 1.2).

Il faut donc que le recourant ait un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 143 II 578 consid. 3.2.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_536/2021 du 7 novembre 2022 consid. 1). Un intérêt purement théorique à la solution d'un problème est insuffisant (ATF 144 I 43 consid. 2.1). Le recourant doit donc démontrer que sa situation factuelle ou juridique peut être avantageusement influencée par l’issue du recours. Tel n’est pas le cas de celui qui n’est atteint que de manière indirecte, médiate ou encore « par ricochet » (ATF 135 I 43 consid. 1.4 ; 133 V 239 consid. 6.2). Un intérêt seulement indirect à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée n’est donc pas suffisant (ATF 138 V 292 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_446/2020 du 27 avril 2021 consid. 3.3). Le recours d'un particulier formé dans l’intérêt de la loi ou d’un tiers est irrecevable. Cette exigence a été posée de manière à empêcher l’action populaire (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; 139 II 499 consid, 2.2 ; 137 II 30 consid. 2.2.3).

Le Tribunal fédéral a ainsi estimé qu'en tant qu'abonné au Journal de Genève et à la Gazette de Lausanne, le recourant n'avait pas un lien suffisamment étroit avec la décision de fusionner les deux quotidiens, qui le touchait comme n'importe quel lecteur (ATF 124 II 499 consid. 3c). Il a pareillement dénié la qualité pour recourir à des consommateurs qui s'en prenaient à une décision autorisant la mise sur le marché d'aliments produits sur la base d'organismes manipulés génétiquement pour des raisons idéales et qui n'étaient pas plus touchés par cette décision que le public en général (ATF 123 II 376 consid. 4b/bb). Le Tribunal fédéral a également dénié au propriétaire foncier abonné au réseau public de distribution d'eau potable ou au consommateur d'eau approvisionné par l'intermédiaire de propriétaires abonnés la qualité pour critiquer, par la voie du recours de droit administratif, la délimitation des zones de protection des sources autour d'un captage faute d'un lien suffisamment étroit avec l'objet de la contestation (ATF 121 II 39 consid. 2c/cc). Il a dénié à l'usager d'une voie publique la qualité pour recourir contre une mesure de restriction de la circulation ou de parcage qui touchait l'ensemble des usagers de la même manière (ATF 113 Ia 426 consid. 3b/cc et 3b/dd). Il a confirmé l’absence de qualité pour recourir d’une fondation, ayant pour but de contribuer, soutenir et participer à tous projets visant à sauvegarder, conserver ou mettre en valeur le patrimoine culturel russe et orthodoxe, contre une autorisation de construire portant sur la restauration complète de l’église orthodoxe russe de Genève (arrêt du Tribunal fédéral 1C_38/2015 du 13 mai 2015). Il a également dénié la qualité pour recourir d’un administré faisant valoir l'attachement sentimental qu'il avait développé avec une villa, où il avait vécu plusieurs décennies, le parc et les arbres qui l'entouraient (arrêt du Tribunal fédéral 1C_574/2024 du 8 octobre 2024 consid. 3.2). Enfin, dans le domaine de la radio-télévision, la qualité pour recourir a été déniée à une association de protection des animaux militant contre l'instauration d'usines d'animaux, en rapport avec une émission ayant pour objet une proposition tendant à supprimer les effectifs maxima légaux dans la production de viande ; A______ recourante ne se distinguait en effet pas de n'importe quel téléspectateur soucieux de protéger les animaux (ATF 134 II 120 consid. 2.3).

2.4 Selon la jurisprudence constante, une association, sans être elle-même touchée par la décision entreprise, ni pouvoir se prévaloir d'un droit de recours légal, peut être admise à agir par la voie du recours en matière de droit public (nommé alors recours corporatif égoïste) pour autant qu'elle ait pour but statutaire la défense des intérêts dignes de protection de ses membres, que ces intérêts soient communs à la majorité ou au moins à un grand nombre d'entre eux et, enfin, que chacun de
ceux-ci ait qualité pour s'en prévaloir à titre individuel. En revanche, elle ne peut prendre fait et cause pour l'un de ses membres ou pour une minorité d'entre eux (ATF 150 II 123 consid. 4.4).

2.4.1 L’art. 12 al. 1 let. b LPN confère la qualité pour recourir contre les décisions des autorités cantonales et fédérales aux organisations qui se vouent à la protection de la nature, à la protection du paysage, à la conservation des monuments historiques ou à des tâches semblables. Une organisation n'a qualité pour recourir que pour autant qu'elle soit active au niveau national (ch. 1) et qu'elle poursuive un but non lucratif, les éventuelles activités économiques servant le but lucratif (ch. 2). En outre, l'organisation a le droit de recourir uniquement dans les domaines du droit visés depuis dix ans au moins par ses statuts (art. 12 al. 2 LPN). Les organisations visées par l'art. 12 al. 1 let. b LPN ont qualité pour recourir contre les autorisations de tir des espèces protégées fondées sur la loi fédérale du 20 juin 1986 sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages (loi sur la chasse, LChP - RS 922.0 (ATF 141 II 233 consid. 4). La liste des organisations habilitées à recourir au sens de l'art. 12 al. 1 let. b LPN figure dans l’annexe à l’ODO.

Sur la base de cette disposition, la Cour administrative du Tribunal cantonal du canton de Fribourg, puis le Tribunal fédéral, ont admis la qualité pour recourir de l’ASPO et de Pro Natura contre des autorisations de tirs de hérons cendrés (ATF 136 II 101 consid. 1.1). Le Tribunal cantonal du canton du Valais a également admis la qualité pour recourir de WWF Suisse contre l’autorisation d’abattage d’un loup (ATF 131 II 58). Le Tribunal cantonal du canton de Berne, puis le Tribunal fédéral, ont admis la qualité pour recourir de BirdLife suisse contre une instruction donnée à une unité administrative d’abattre des oiseaux protégés (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1176/2013 du 17 avril 2015, consid. 1.3 non publié in ATF 141 233). La Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois (CDAP) a, en revanche, déclaré irrecevables plusieurs recours formés par des associations de défense des animaux contre des autorisations de tirs de loups, faute pour les associations recourantes de figurer dans la liste des organisations habilitées à recourir au sens de l’art. 12 al. 1 let. b LPN (arrêts de la CDAP GE.2025.0152 du 3 juillet 2025 ; GE.2025.0132 du 5 juin 2025 ; GE.2024.0133 du 31 mars 2024 ; GE.2021.0192 du 10 novembre 2021).

2.4.2 Sur le plan cantonal, l’art. 63 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05) confère la qualité pour recourir aux communes et aux associations d’importance cantonale et actives depuis plus de trois ans qui, aux termes de leurs statuts, se vouent par pur idéal à l’étude de questions relatives à l’aménagement du territoire, à la protection de l’environnement ou à la protection des monuments, de la nature ou des sites.

Selon l’art. 62 al. 2 LPMNS, le Tribunal administratif de première instance connaît en première instance des recours contre les décisions prises en vertu de la LPMNS ou de ses dispositions d’application, sous réserve de l’al. 3, qui prévoit, dans certains cas, un recours direct à la chambre administrative.

2.4.3 Conclue le 25 juin 1998, la convention d'Aarhus a été approuvée par l’Assemblée fédérale le 27 septembre 2013 ; elle est entrée en vigueur pour la Suisse le 1er juin 2014 (RO 2014 1027). Son art. 3 par. 4 prévoit que chaque partie accorde la reconnaissance et l’appui voulus aux associations, organisations ou groupes qui ont pour objectif la protection de l’environnement et fait en sorte que son système juridique national soit compatible avec cette obligation.

3.             En l’occurrence, la décision querellée autorise le tir des cerfs dans la région de Versoix et de Collex-Bossy du 1er novembre 2024 au 31 janvier 2025. Cette période étant désormais écoulée, se pose d’abord la question de l’intérêt actuel du recours.

3.1 La question du tir des cerfs dans la région de Versoix et de Collex-Bossy n’est pas nouvelle puisqu’en 2023, le Conseil d’État l’avait déjà autorisé pendant la période du 1er décembre 2023 au 31 janvier 2024. Elle est par ailleurs susceptible de se poser à nouveau, dans des circonstances similaires, même si l’autorisation n’est pas reconduite automatiquement d’année en année. Il existe ainsi un intérêt actuel à ce que la chambre de céans examine la question de la qualité pour recourir de A______ et de B______. Cela se justifie à plus forte raison que la période de validité des décisions rendues en la matière est toujours limitée dans le temps, si bien qu’il n’est pas certain qu’une nouvelle contestation puisse être tranchée par la chambre de céans avant qu’elle ne perde son actualité (ATF 136 II 101 consid. 1.1). Il convient donc de renoncer à l’exigence d’un intérêt actuel au recours, et ce nonobstant l’écoulement de la période de tirs.

3.2 Encore faut-il que les recourants aient la qualité pour recourir contre l’arrêté litigieux, ce que l’intimé conteste.

3.2.1 Il n’est pas contesté que A______ recourante ne figure pas dans la liste des associations habilitées à recourir au sens de l’art. 12 al. 1 let. b LPN (annexe à l’ODO) et que les cerfs ne font pas partie des espèces protégées au sens du droit fédéral (art. 2 et 7 LChP).

A______ ne peut pas non plus fonder sa qualité pour recourir sur l’art. 63 LPMNS, la décision litigieuse n’étant pas fondée sur cette loi (art. 62 al. 2 LPMNS), mais sur la loi sur la faune du 7 octobre 1993 (LFaune – M 5 05), laquelle a notamment pour but de protéger et maintenir la faune indigène dans des proportions respectant l’équilibre naturel et l’activité humaine et de déterminer les conditions de tir ou de capture d’animaux sauvages vivant en liberté (art. 1 let. a et c LFaune), et qui ne contient pas de disposition similaire à l'art. 63 LPMNS.

Il s’ensuit que A______ recourante ne peut se prévaloir d’aucun droit de recours fondé sur une disposition spécifique de droit fédéral ou cantonal.

Il convient encore d’examiner si A______ recourante peut invoquer la clause générale de l’art. 60 al. 1 let. b LPA qui confère la qualité pour recourir à toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée. S’agissant plus particulièrement des associations, la jurisprudence leur reconnaît, comme on l’a vu, la qualité pour recourir si elles sont personnellement touchées par la décision attaquée, c'est-à-dire, lorsqu'elles possèdent un intérêt propre et direct à la modification ou à l'annulation de la décision. La jurisprudence admet aussi qu'une association agisse pour défendre les intérêts de ses membres, alors qu'elle n'est pas touchée elle-même par l'acte entrepris (recours dit corporatif ou égoïste).

Il ressort des statuts de A______ recourante que celle-ci est une association de protection des animaux, ayant pour but la protection, la dignité et le bien-être des animaux. Elle vise notamment à remplacer l’expérimentation animale par des méthodes plus éthiques, scientifiques et sûres pour la santé publique, à obtenir une législation qui garantisse la défense et le respect des animaux et à produire du contenu informatif et factuel en lien avec ses buts et objectifs. Ses buts statutaires sont ainsi de nature purement idéale. Il en va de même de son intérêt à recourir puisqu’elle agit pour la protection des cerfs, par la mise en place d’un projet pilote de vaccination immuno-contraceptive. Or, d’après la jurisprudence, l’existence d’un intérêt de cette nature ne saurait à lui seul fonder la qualité pour recourir d’une partie ; il est à cet égard insuffisant de s’intéresser spécialement à une question pour des motifs idéaux ou par conviction personnelle (ATF 123 II 376 consid. 4a). Encore faut-il se trouver dans un rapport étroit, spécial et digne d’être pris en considération avec l’objet de la contestation, ce qui sous-entend notamment l’existence d’un intérêt pratique ou juridique à l’annulation de la décision litigieuse. Or, il n’apparaît pas que l’autorisation de tirs ait une influence concrète et pratique sur le fonctionnement ou l’activité de A______, ni que cette dernière serait atteinte dans ses droits. On ne discerne ainsi pas que A______ soit touchée de manière plus intense que tout autre administré témoignant d’un intérêt marqué pour la protection des animaux. A______ ne prétend enfin pas qu’elle défendrait les intérêts de la majorité de ses membres qui seraient personnellement atteints par cet acte. Elle ne saurait ainsi se voir reconnaitre la qualité pour recourir sur la base de l’art. 60 al. 1 let. b LPA.

Dans ses écritures, la recourante se prévaut de l’art. 3 par. 4 de la Convention d’Aarhus et de l’arrêt Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse rendu par la Grande Chambre de la CourEDH du 9 avril 2024.

Toutefois, à rigueur de texte, l’art. 3 par. 4 de la Convention d’Aarhus ne confère aucun droit de recours légal aux associations de protection des animaux, ce que les recourants ne prétendent d’ailleurs pas. Cette disposition s’adresse, selon son libellé, aux États contractants et exige que leur système juridique soit compatible avec l’obligation de reconnaissance et d’appui voulus aux associations qui ont pour objectif la protection de l’environnement. Or, sur le plan fédéral, celle-ci est assurée par les dispositions qui consacrent un droit de recours spécifique aux organisations en application des art. 12 LPN, 28 LGG, 55 et 55f LPE, et 46 al. 3 de la loi fédérale sur les forêts du 4 octobre 1991 (loi sur les forêts, LFo - RS 921.0). On précisera, au demeurant, que la Convention d’Aarhus ne permet pas de contester devant les tribunaux n’importe quel acte au motif qu’il émane d’une ou plusieurs autorités ou entités publiques (ATA/636/2025 du 10 juin 2025 consid. 4.8 et les références mentionnées).

On ne peut, enfin, suivre A______ recourante en tant qu’elle tire un droit de recours de l’arrêt Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse. Dans cet arrêt de principe, la Grande chambre de la CourEDH a notamment condamné la Suisse pour violation de l’art. 6 CEDH au motif que les recours de A______ Verein Klimaseniorinnen Schweiz n’avaient pas été déclarés recevables par les autorités nationales. Selon la CourEDH, les considérations particulières liées au changement climatique plaident pour que l’on reconnaisse aux associations la possibilité, sous certaines conditions, d’avoir qualité pour représenter devant la Cour les adhérents dont elles allèguent qu’ils ont été ou seront touchés dans leurs droits. De plus, la nature particulière du changement climatique, sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière, et la nécessité de favoriser la répartition intergénérationnelle de l’effort dans ce domaine militent également en faveur de l’octroi aux associations de la qualité pour agir dans les affaires climatiques portées devant la Cour. Étant donné l’urgence de la lutte contre les effets néfastes du changement climatique et la gravité des conséquences de ce phénomène, notamment le grave risque d’irréversibilité, les États doivent engager une action adéquate, en particulier par l’adoption de mesures générales propres à garantir les droits conventionnels non seulement aux personnes qui sont actuellement touchées par le changement climatique, mais aussi à celles qui relèvent de leur juridiction et dont l’exercice desdits droits pourrait être gravement et irrévocablement compromis à l’avenir si rien n’est fait en temps voulu. Aussi la Cour estime-t-elle opportun, dans ce contexte spécifique, de reconnaître l’importance d’autoriser une association à recourir à l’action en justice dans le but d’obtenir la protection des droits fondamentaux des personnes qui sont ou qui risquent d’être touchées par les effets néfastes du changement climatique, plutôt que de se reposer exclusivement sur des procédures entamées par chaque individu pour son propre compte.

Cet arrêt innove en ouvrant un droit d’accès au juge très étendu pour les organisations de défense du climat. Contrairement à la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, A______ n’est pas tenue de démontrer que ses membres ont eux-mêmes la qualité pour agir. Certains auteurs se demandent si la CourEDH n’aurait pas introduit une « action populaire associative » en matière climatique, où l’absence de qualité pour recourir des particuliers n’est plus un obstacle au recours, mais en devient une condition (Alexandre Flückiger, L’arrêt KlimaSeniorinnen c. Suisse : un nouveau standard de qualité légistique pour la législation finalisée, in LeGes, 2024, vol. 35, n° 2 ; Stéphane Grodecki, Contentieux climatique et action populaire : la CourEDH impose-t-elle une (r)évolution à la Suisse ?, Plaidoyer 3/2024, pp. 34 ss ; Arnaud NUSSBAUMER-LAGHZAOUI/Arnaud LAMBELET, Aînées pour le climat : une décision historique et démocratique, in Revue de l’avocat 2024, p. 282ss, p. 286).

Il résulte de ces développements que l’arrêt de la CourEDH s’inscrit dans le contexte particulier du contentieux climatique. La CourEDH rappelle en effet l’importance du rôle que jouent les associations dans la défense de causes spéciales en matière de protection de l’environnement, élément déjà relevé dans sa jurisprudence, ainsi que la pertinence particulière de l’action collective face au changement climatique, phénomène mondial dont les effets néfastes ne préoccupent pas qu’un individu ou groupe d’individus en particulier mais sont en fait « un sujet de préoccupation pour l’humanité toute entière ». On ne se trouve toutefois pas dans un tel cas de figure ici. Il n’est pas question pour A______ recourante d’obtenir la protection des droits fondamentaux de personnes qui sont ou qui risquent d’être touchées par les effets néfastes du changement climatique. Il ne s’agit pas d’un sujet de préoccupation pour l’humanité toute entière, pour lequel, faute d’accès à un tribunal, l’octroi à A______ de la qualité pour recourir servirait l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Comme il a déjà été exposé supra, le droit suisse consacre déjà un droit de recours spécifique aux associations de défense de l’environnement. Il en va notamment ainsi des organisations WWF, Association Suisse pour la Protection des Oiseaux ASPO/BirdLife Suisse et Pro Natura (annexe à l’ODO), qui disposent d’un droit de recours spécial contre les décisions des autorités cantonales ou fédérales prises en matière de protection de la nature. Ainsi, et contrairement à ce que soutiennent les recourants, l’arrêté litigieux n’apparaît pas dépourvu de tout moyen de contrôle.

Il convient donc de nier la qualité pour recourir de A______.

3.2.2 Reste à examiner si B______ dispose de la qualité pour recourir contre l’arrêté litigieux.

Dans ses écritures, le recourant explique qu’il est amateur de la faune locale et promeneur régulier des Bois de Versoix, auxquels il est particulièrement attaché. Or, au regard de la jurisprudence précitée (consid. 2.3), il convient de retenir que l’intérêt du recourant se confond avec celui de tous les promeneurs qui apprécient les Bois de Versoix, qu’ils soient ou non domiciliés sur la commune, sans que l’on puisse retenir qu’il est touché dans une mesure et avec une intensité particulière par l’autorisation de tir des cerfs, ni qu’il se trouve être dans un rapport étroit, spécial et digne d’être pris en considération avec l’objet de la contestation. L’arrêté entrepris ne comprend au demeurant aucune mesure de limitation ou de restriction de la circulation des piétons dans les Bois de Versoix, étant rappelé que les tirs sont effectués de nuit et avec des moyens techniques spéciaux. Le fait qu’il ait été membre de la G______ de 2006 à 2014 n’enlève pas aux objectifs poursuivis leur nature idéale. Admettre le contraire reviendrait à reconnaître à tout administré un intérêt propre et personnel à la protection des animaux, pour peu qu’il s’y intéresse, et ouvrirait la voie de l’action populaire prohibée par la jurisprudence. Il convient donc de lui dénier la qualité pour recourir.

Il résulte de ce qui précède que le recours est irrecevable. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les griefs en lien avec la conformité de l’autorisation de tirs des cerfs avec le principe de proportionnalité et les art. 162 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE – A 2 00) et 16 al. 1 LFaune.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge solidaire des recourants et il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 1 et 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 30 septembre 2024 par B______ et l’A______ contre l’arrêté du Conseil d’État du 28 août 2024 ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge solidaire de l’A______ et de B______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain JORDAN, avocat des recourants, au Conseil d'État, ainsi qu’à l’office fédéral de l’environnement (OFEV), pour information.

Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

E. McGREGOR

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :