Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3305/2024

ATA/589/2025 du 27.05.2025 ( AIDSO ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3305/2024-AIDSO ATA/589/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 mai 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

HOSPICE GÉNÉRAL intimé

_________



EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1963, a bénéficié avec ses enfants de prestations d'aide financière versées par l'Hospice général (ci-après : l'hospice) du 1er décembre 2009 au 31 mars 2012 ainsi que du 1er août au 30 septembre 2015. Elle a ensuite bénéficié de telles prestations à titre individuel du 1er juin 2022 au 30 juin 2024.

b. Elle a, notamment les 2 juin 2022 et 7 juillet 2023, signé le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l’Hospice général », confirmant avoir pris acte de la subsidiarité des prestations d’aide financière versées par l’hospice à toute autre ressource provenant du travail, de la famille, de la fortune et de prestations sociales, s'engager à tout mettre en œuvre pour améliorer sa situation sociale et financière, s'engager à donner immédiatement et spontanément à l’hospice tout renseignement et toute pièce nécessaire à l’établissement de sa situation personnelle, familiale et économique, tant en Suisse qu’à l’étranger, s'engager à informer immédiatement et spontanément l’hospice de tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant de ses prestations d’aide financière, notamment de toute modification de sa situation personnelle, familiale et économique tant en Suisse qu’à l’étranger, et s'engager à rembourser à l’hospice toute prestation exigible perçue indûment, prendre acte qu'en cas de violation de la loi et en particulier de ses engagements, l'hospice se réservait le droit de réduire ou de supprimer les prestations d'aide financière accordées et, le cas échéant, de déposer une plainte pénale à leur encontre.

B. a. Ls 10 juin 2022 et 25 juillet 2023, A______ a complété et signé le document intitulé « Demande de prestations d’aide sociale financière » dans lequel elle a indiqué n’être titulaire que d’un seul compte bancaire (auprès de B______) et ne disposer d'aucune ressource ou fortune propre.

b. Des prestations d'aide financière ont été versées à A______ respectivement le 25 avril et le 23 mai 2024 pour les mois de mai et juin 2024.

c. Le 27 mai 2024, l'hospice a constaté que A______ avait reçu sur son compte B______, le 16 avril 2024, une somme de CHF 37'685.94 de C______ (ci-après : C______), versement suivi de deux retraits en espèces de, respectivement, CHF 1'000.- et CHF 36'680.-.

d. Le 30 mai 2024, A______ a eu un entretien téléphonique avec son assistante sociale, laquelle lui a annoncé qu'il allait être mis fin à ses prestations d'aide financière en raison de ce versement.

e. Par courrier du 10 juin 2024, A______ s'est adressée à l'hospice en indiquant qu'elle avait, au mois d'avril 2024, demandé le versement de son avoir de libre passage, car les conditions en étaient réunies. Son but était d'avoir ses économies à sa portée afin de pouvoir compléter l'aide qu'elle recevait de l'hospice, afin de « pouvoir vivre un minimum correctement ». En effet, elle éprouvait de la difficulté à boucler ses fins de mois, se retrouvant chaque fois sans argent plusieurs jours avant la fin du mois. Son unique objectif était de vivre un peu plus décemment et paisiblement. Elle avait des problèmes de santé qui ne lui permettaient plus de consacrer beaucoup d'énergie à ses démarches administratives et à la gestion de ses affaires.

f. Par décision du 27 juin 2024, le centre d'action sociale (ci-après : CAS) de l'hospice à D______ a confirmé la demande de restitution de l'aide financière perçue pour les mois de mai et juin 2024, soit CHF 2'717.70.

Elle avait transmis le 21 mai l'extrait de son compte B______ d'avril 2024. Contactée le 29 mai 2024 à ce sujet, elle avait informé l'hospice que la somme reçue le 16 avril 2024 était sa part de la prévoyance professionnelle de son ex-mari désormais retraité.

Il était fait référence aux art. 36 et 42 de la loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI).

C. a. Par courrier du 19 juillet 2024, l'hospice a informé A______ que son courrier du 10 juin 2024 allait être traité comme une opposition à la décision de restitution des prestations versées en mai et juin 2024, suivie de l'arrêt des prestations dès le 1er juillet 2024.

b. Par décision du 10 septembre 2024, l'hospice a rejeté l'opposition.

Le 27 mai 2024, le CAS de D______ avait constaté le crédit en sa faveur de CHF 37'685.94 suivi de deux retraits en espèces. Contactée par téléphone à ce sujet, elle avait expliqué avoir encaissé son avoir de libre passage, en pensant pouvoir continuer à bénéficier en parallèle de l'aide sociale ; « la LPP » lui avait en effet dit que l'aide sociale ne serait pas affectée par la réception de ce capital. Le 31 mai 2024, son assistante sociale lui avait indiqué que le montant reçu la plaçait en dehors des barèmes d'intervention de l'hospice, ce qui avait pour conséquence la fin de son droit aux prestations financières d'aide sociale.

Il était établi et non contesté que le montant litigieux correspondait à une prestation en capital versée par une institution de prévoyance professionnelle et qu'il devait ainsi être pris en compte au titre de la fortune. Ce montant étant manifestement supérieur à la limite de fortune admise pour une personne seule, c'était à juste titre que le CAS de D______ lui avait demandé la restitution des prestations reçues pour les mois de mai et juin 2024 et mis un terme aux prestations d'aide sociale dès le 1er juillet 2024. Elle pouvait toutefois continuer à bénéficier d'un accompagnement social indépendamment de son droit à des prestations d'aide financière.

D. a. Par acte posté le 8 octobre 2025, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision sur opposition précitée, concluant à l'admission de son recours « ou à défaut au moins faire en sorte que l'hospice reprenne [s]on dossier afin [qu'elle] puisse bénéficier de son soutien pour gérer [s]es affaires médicales (factures) et que le montant de [s]on avoir de libre passage soit pris en compte de manière à ce que [s]es prestations d'aide financière soient diminuées de manière plus progressive plutôt que totalement supprimées ».

Dès lors qu'elle avait le droit de percevoir son capital de prévoyance qui était destiné à sa retraite, elle était loin de se douter que cela engendrerait de telles complications et que l'hospice la « jetterait dehors sans ménagement ». Son objectif était seulement de pouvoir vivre décemment. À cause de la décision litigieuse, elle n'avait pas pu procéder au renouvellement de ses meubles et appareils électroménagers qui avaient besoin d'être remplacés. Elle ne pouvait plus aller chez le médecin.

Elle avait déjà dépensé une partie du capital qu'elle estimait à CHF 20'000.- et ne pensait pas pouvoir subvenir à ses besoins au-delà de la fin de l'année. Dès lors qu'elle serait obligée de revenir demander l'aide de l'hospice, il eût été préférable d'attendre ce moment et de régler à ce moment-là la question des CHF 2'717.70 en les récupérant par exemple au moyen d'une retenue mensuelle sur ses futures prestations.

b. Le 21 novembre 2024, l'hospice a conclu au rejet du recours.

À la suite du versement de son avoir de prévoyance professionnelle le 16 avril 2024, la recourante était entrée en possession d'une fortune d'un montant bien supérieur à la limite de fortune admise pour une personne majeure vivant seule, à savoir CHF 4'000.-. Elle n'avait pas informé immédiatement et spontanément son assistante sociale de ses échanges avec C______ et du versement du capital. Il n'était pas démontré que l'institution de prévoyance lui eût assuré que le versement n'aurait pas d'incidence sur l'aide sociale, et cela était quoi qu'il en soit sans incidence puisque selon la jurisprudence, il n'appartenait pas au bénéficiaire de l'aide sociale de décider de la pertinence de ses éléments de fortune pour la détermination de ses prestations, l'hospice étant seul compétent pour apprécier sa situation financière.

Il ne pouvait être donné suite à la demande de la recourante consistant à prendre en compte de façon échelonnée sa fortune dans l'évaluation de son droit aux prestations financières, dès lors que cela serait contraire à plusieurs dispositions légales.

c. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 10 janvier 2025 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 9 janvier 2025, la recourante a persisté dans les termes de son recours. Elle n'avait pas eu l'intention de cacher à l'hospice le versement de son avoir de libre passage, mais avait remis ses documents mensuels, comme à son habitude, en imaginant que son relevé bancaire ferait office de preuve pour démontrer la réception de la somme en cause.

e. L’hospice a quant à lui indiqué ne pas avoir de requêtes ni d’observations complémentaires à formuler.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 72 de la loi sur l’aide sociale et la lutte contre la précarité du 23 juin 2023 - LASLP - J 4 04).

2.             Le litige porte sur la demande de restitution de CHF 2'717.70 et la fin des prestations d'aide financière allouées à la recourante. La question du sort du remboursement en cas de nouvelle demande de prestations d'aide financière déposée par la recourante est donc exorbitante au présent litige et ne sera pas traitée dans le présent arrêt.

2.1 Le 1er janvier 2025 sont entrés en vigueur la LASLP et son règlement d’application (RASLP - J 4 04.01), abrogeant ainsi la LIASI et son règlement d’application (RIASI - J 4 04.01).

La LASLP s’applique dès son entrée en vigueur à toutes les personnes bénéficiant des prestations prévues par la LIASI (art. 81 al. 1 LASLP). Les art. 48 à 54 LASLP s’appliquent aux prestations d’aide financière versées en application de l’ancienne loi, dans la mesure où elles auraient donné lieu à restitution selon cette loi et si l’action en restitution n’est pas prescrite au moment de l’abrogation de ladite loi (art. 81 al. 2 LASLP).

C'est donc la LASLP qui s'applique au présent litige relatif à une demande de restitution au sens de l'art. 48 LASLP rendus avant l’entrée en vigueur du nouveau droit, étant précisé que les dispositions pertinentes ont un contenu similaire à celles de la LIASI.

2.2 Aux termes de l’art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine.

Ce droit à des conditions minimales d’existence fonde une prétention des justiciables à des prestations positives de l’État. Il ne garantit toutefois pas un revenu minimum, mais uniquement la couverture des besoins élémentaires pour survivre d’une manière conforme aux exigences de la dignité humaine, tels que la nourriture, le logement, l’habillement et les soins médicaux de base. L’art. 12 Cst. se limite, autrement dit, à ce qui est nécessaire pour assurer une survie décente afin de ne pas être abandonné à la rue et réduit à la mendicité (ATF 142 I 1 consid. 7.2.1 ; 136 I 254 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_9/2013 du 16 mai 2013
consid. 5.1 ; ATA/457/2017 du 25 avril 2017 consid. 9a et les arrêts cités).

L'art. 39 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst - GE - A 2 00) reprend ce principe en prévoyant que toute personne a droit à la couverture de ses besoins vitaux afin de favoriser son intégration sociale et professionnelle.

En droit genevois, ce sont la LASLP et le RASLP qui concrétisent l’art. 12 Cst., tout en allant plus loin que ce dernier.

2.3 Les prestations de l'aide sociale individuelle sont fournies notamment sous forme de prestations financières (art. 3 let. b LASLP), qui sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 22 al. 1 LASLP).

Ont droit aux prestations d'aide financière les personnes dont le revenu mensuel déterminant n'atteint pas le montant destiné à la couverture des besoins de base et dont la fortune ne dépasse pas les limites fixées par règlement du Conseil d'État (art. 31 al. 1 LASLP).

2.4 Selon l’art. 35 al. 1 LASLP, sont prises en compte la fortune et les déductions sur la fortune prévues aux art. 6 et 7 de la loi sur le revenu déterminant unifié du 19 mai 2005 (LRDU - J 4 06), sous réserve des exceptions figurant aux al. 3 et 4 de l'art. 35 LASLP.

Ne sont pas considérés comme fortune : a) les biens grevés d’un usufruit ; b) l’allocation destinée à la création d’une activité indépendante au sens de l’art. 57 al. 6 LASLP, ainsi que les autres aides obtenues pour la création d’une telle activité (art. 35 al. 3 LASLP).

Le Conseil d’État fixe par règlement les limites de fortune permettant de bénéficier des prestations d’aide financière (art. 35 al. 5 LASLP). Cette limite est de CHF 4'000.-pour une personne seule majeure (art. 3 al. 1 let. a RASLP).

2.5 Conformément à l’art. 6 LRDU, le socle du revenu déterminant unifié comprend les éléments de fortune immobilière et mobilière énumérés aux let. a à g, dont : c) l’argent comptant, les dépôts dans les banques, les soldes de comptes courants ou tous titres représentant la possession d’une somme d’argent ; d) les créances hypothécaires et chirographaires ; g)  tout autre élément de fortune, à l’exclusion des meubles meublants et du capital versé à titre d’épargne à une institution de prévoyance.

2.6 Les prestations d’aide financière sont versées mensuellement (art. 39 al. 3 LASLP). Pour le calcul du droit aux prestations d’aide financière et la fixation de celles‑ci sont déterminantes : a) les ressources et les besoins du mois en cours ; b) la fortune au dernier jour du mois qui précède celui du versement de la prestation (art. 39 al. 1 LASLP).

Le droit aux prestations d’aide financière s’éteint à la fin du mois où l’une des conditions dont il dépend n’est plus remplie (art. 40 al. 2 LASLP).

2.7 Il ressort des normes édictées par la Conférence suisse des institutions d'action sociale (ci-après : normes CSIAS) et en particulier de la norme D.3.3. relative à la fortune et la prévoyance professionnelle que les avoirs de la prévoyance professionnelle (pilier 2) et individuelle (pilier 3a) seront, par principe, libérés au moment de l’octroi d’une rente AVS anticipée ou d’une rente AI complète (al. 3). Les avoirs libérés de la prévoyance vieillesse font partie de la fortune à prendre en compte. Ils doivent être utilisés pour les dépenses d’entretien courantes et futures (al. 5).

2.8 En l’espèce, la recourante ne conteste pas avoir reçu CHF 37'685.94 le 16 avril 2024 à titre de capital de prévoyance professionnelle, ni avoir retiré de son compte l'essentiel de cet argent, qui lui était ainsi accessible. L’avoir étant à sa disposition, c’est à bon droit que l'intimé a retenu le montant comme fortune au sens de l’art. 35 LASLP. Dans la mesure où ledit avoir était supérieur à CHF 4'000.-, la recourante ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de l’aide sociale (art. 35 LASLP et 3 al. 1 let. a RASLP), si bien que c'est à bon droit que ses prestations d'aide financière lui ont été supprimées à partir du 1er juillet 2024 et qu'il lui a été demandé de restituer les prestations servies pour les mois de mai et juin 2024.

En outre, conformément à l'art. 40 al. 2 LASLP (dont le contenu est du reste identique à celui de l'art. 28 al. 2 LIASI applicable en 2024), le droit aux prestations d’aide financière s’éteint à la fin du mois où l’une des conditions dont il dépend n’est plus remplie, soit en l'espèce à la fin du mois d'avril 2024, si bien que l'intimé ne pouvait pas mettre fin plus progressivement aux prestations d'aide financière de la recourante, ni ne pas lui réclamer la restitution des prestations reçues pour les mois de mai et juin 2024.

Le recours est ainsi mal fondé et sera rejeté.

3.             Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 octobre 2024 par A______ contre la décision sur opposition de l'Hospice général du 10 septembre 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Valérie MONTANI, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le  la greffière :