Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/408/2025 du 11.04.2025 ( EXPLOI ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3751/2024-EXPLOI ATA/408/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 11 avril 2025 1ère section |
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dans la cause
A______ SA recourante
représentée par Me Stéphane Grodecki, avocat
contre
OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL intimé
A. a. La société A______ Sàrl, inscrite au registre du commerce du canton de Genève le 18 décembre 2016, avait notamment pour buts tous travaux liés au second œuvre, rénovation, transformation, gypserie et peinture.
B______ en était l’associé gérant.
Le 10 octobre 2023, la société A______ Sàrl a été transformée en A______ SA (ci-après : la société ou A______). B______ en est administrateur président avec signature individuelle depuis cette date.
b. Par ordonnance pénale du 30 mai 2023, le Ministère public (ci-après : MP) a condamné B______, en sa qualité de directeur de A______, à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 100.- le jour amende pour violation de l’art. 117 al. 1 et 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), pour avoir employé en sa qualité de représentant de A______, entre le 1er janvier et le 14 mars 2023, un travailleur étranger d'origine kosovare dépourvu d’autorisation de travail.
Entendu par la police le 14 mars 2023, B______ avait reconnu les faits reprochés, expliquant avoir engagé ledit travailleur pour une durée de trois mois.
c. À la suite d’une dénonciation de la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) du 2 novembre 2023, une nouvelle ordonnance pénale a été rendue le 13 décembre 2023, par laquelle le MP a condamné B______, en sa qualité d’administrateur de A______, à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 130.- le jour amende, avec sursis et délai d’épreuve de trois ans, pour violation de l’art. 117 al. 1 et 2 LEI, ainsi qu’à une amende de CHF 1'560.-, pour avoir, en sa qualité de représentant de A______, employé treize travailleurs dépourvus d’autorisation de travail, soit :
- du 13 septembre 2022 au 30 mai 2023 pour le premier travailleur, soit une période de près de 8.5 mois ;
- du 19 avril 2022 au 28 février 2023 pour le deuxième travailleur, soit une période de plus de 10.5 mois ;
- du 7 au 30 novembre 2022 pour le troisième travailleur, soit une période de trois semaines ;
- du 17 septembre au 31 décembre 2022 pour le quatrième travailleur, soit une période de près de 3 mois et demi ;
- du 26 octobre au 30 novembre 2022 pour le cinquième travailleur, soit une période de plus d’un mois ;
- du 2 août 2021 au 30 avril 2022 pour le sixième travailleur, soit une période de près de 9 mois ;
- du 6 au 28 février 2023 pour le septième travailleur, soit une période de 3 semaines ;
- du 15 septembre 2022 au 28 février 2023 pour le huitième travailleur, soit une période de près de 5 mois et demi ;
- du 2 août 2021 au 31 décembre 2022 pour le neuvième travailleur, soit une période de 17 mois ;
- du 19 avril 2022 au 28 avril 2023 pour le dixième travailleur, soit une période de plus de 12 mois ;
- du 1er avril au 31 décembre 2022 pour le onzième travailleur, soit une période de 9 mois ;
- du 1er juin au 31 décembre 2022 pour le douzième travailleur, soit une période de 7 mois ;
- du 19 avril au 30 septembre 2022 pour le treizième travailleur, soit une période de 5 mois et demi.
d. Invité à se déterminer par le MP, B______ a reconnu les faits reprochés, précisant avoir payé les cotisations sociales de ses employés et avoir agi par négligence, n’étant pas au courant qu’une autorisation de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) était nécessaire.
e. Par courrier du 27 mai 2024, la PCTN a informé la société qu’à la suite des condamnations pénales des 30 mai et 13 décembre 2023, elle envisageait de prononcer, à son encontre, une décision d’interdiction des marchés publics et/ou de diminution des aides financières. Un délai lui a été imparti pour se déterminer.
f. Le 24 juin 2024, la société a invité la PCTN à renoncer à prononcer une mesure d’exclusion des marchés publics.
Dans la mesure où les deux ordonnances pénales devaient être considérées comme une seule et même condamnation, il n’existait pas de répétition dans l’activité. La période pénale était en outre relativement courte, car elle ne concernait que les années 2022-2023. Les ouvriers concernés par l’ordonnance pénale du 13 décembre 2023 n’avaient pu être identifiés que grâce à sa pleine collaboration. Elle s’était auto-incriminée pour montrer sa volonté de s’amender et de régler ses erreurs passées. Elle avait fourni un effort important pour régulariser sa situation. Enfin, elle s’était acquittée de toutes les charges sociales.
g. Par décision du 10 octobre 2024, la PCTN a exclu A______ des marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral, pour une durée de douze mois.
B______ avait fait l’objet de deux condamnations pénales, lesquelles étaient définitives et exécutoires. En sa qualité de représentant de A______, il avait employé quatorze travailleurs alors qu’ils ne disposaient pas des autorisations nécessaires, et cela durant une période cumulée d’à tout le mois sept ans et trois mois et demi d’emploi, en violation de l’art. 117 al. 1 LEI.
La recourante ne pouvait remettre en cause les faits tels que retenus par l’autorité pénale, aucune opposition n’ayant été formée aux ordonnances pénales. Son administrateur avait d’ailleurs reconnu les faits, tant dans le cadre de la procédure pénale que dans la procédure administrative.
Le fait que les cotisations sociales avaient été réglées n’atténuait en rien la gravité des infractions commises, tout comme le fait que la société avait pleinement collaboré avec l’autorité dans le cadre de l’enquête et qu’elle se soit mise en conformité avec les obligations légales à la suite de l’enquête de la PCTN, notamment en licenciant les travailleurs sans autorisation.
Il était du devoir de l’employeur de vérifier que les travailleurs étaient au bénéfice d’une autorisation de travail valable en Suisse, conformément à ses obligations légales découlant tant de la LEI que de la loi fédérale concernant des mesures en matière de lutte contre le travail au noir du 17 juin 2005 (LTN - RS 822.41).
Les faits présentaient une grande gravité ; tant le critère d’importance que celui de réitération de l’art. 13 al. 1 LTN étaient remplis.
B. a. Par acte du 11 novembre 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation. À titre préalable, elle a sollicité l’audition de B______.
Elle contestait que le non-respect de ses obligations en matière d’annonce et d’autorisation ait un caractère important ou répété.
S’agissant de la durée, les travailleurs sans autorisation avaient été employés pour quelques semaines à quelques mois seulement, et les contrats de travail de tous les intéressés avaient été résiliés au début de l’année 2023. Les conditions de travail des employés concernés n’étaient pas inacceptables, mais usuelles dans la branche, et elle n’avait aucunement exploité une quelconque gêne. Elle avait d’ailleurs respecté les délais de congé contractuels lorsqu’elle avait résilié leurs contrats de travail pour régulariser la situation. Ses animateurs avaient agi par négligence, en raison de leur ignorance de la législation sur les étrangers, d’une attention insuffisante à certains aspects administratifs, dans le contexte de la reprise de la société et du développement très rapide de ses affaires qui s’en est suivi. Il convenait de tenir compte du fait qu’ils avaient rapidement pris les mesures nécessaires pour remettre la société en conformité avec la législation sur les étrangers, et n’avaient commis aucune nouvelle infraction après avoir résilié tous les contrats de travail des employés sans autorisation au début de l’année 2023. Tous les travailleurs avaient été dûment déclarés aux assurances sociales et toutes les cotisations sociales avaient été payées. Sa « collaboration absolue » avec les autorités devait également être prise en compte. Sa faute était mineure et il n’y avait aucune raison de craindre qu’elle ne contrevienne à nouveau à la législation.
La décision violation en outre la liberté économique et le principe de la proportionnalité. Son exclusion de tous les marchés publics causerait une perte de chiffre d’affaires très importante et la contraindrait à licencier une partie de son personnel, dans lequel elle avait beaucoup investi. Il s’agirait d’une atteinte grave à sa liberté économique.
b. La PCTN a conclu au rejet du recours.
c. Par réplique du 31 janvier 2025, la recourante a produit la liste de tous ses employés, avec l’indication de leur fonction au sein de l’entreprise et du type de permis de travail dont ils étaient titulaires. Dite liste démontrait qu’elle avait totalement régularisé sa situation depuis deux ans. Le chiffre d’affaires afférent aux marchés publics sur une période de douze mois était de plus de CHF 4'000'000.-. Sa participation à des marchés publics d’envergure était un élément essentiel de sa stratégie de développement.
d. Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 47 al. 1 de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 - LIRT - J 1 05).
2. La recourante sollicite l’audition de son administrateur.
2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).
2.2 En l’espèce, l’administrateur président de la recourante a pu exposer son point de vue tant devant la PCTN que devant la chambre de céans. La recourante n’explique pas quels éléments utiles autres que ceux déjà exposés l’audition de ce dernier permettrait d’apporter à la solution du litige. Il n’est, en particulier, pas contesté que la recourante a pris ses dispositions pour régulariser la situation et que la mesure litigieuse est susceptible d’avoir un impact sur son chiffre d’affaires.
Pour le surplus, la chambre de céans dispose d’un dossier complet, lui permettant de statuer en connaissance de cause. Il ne sera donc pas fait droit à la demande d’audition.
3. La recourante conteste que les conditions permettant de l’exclure des marchés publics soient remplies.
3.1 Le 1er janvier 2008 est entrée en vigueur la LTN.
Dans son message, le Conseil fédéral a relevé que le travail au noir devait être combattu pour des raisons économiques, sociales, juridiques et éthiques ; la lutte contre ce phénomène passait par une politique de répression ; il existait déjà de nombreux instruments législatifs susceptibles de favoriser cette lutte, mais il fallait les compléter avec la loi sur le travail au noir. Le projet de loi prévoyait une série de mesures pour accroître la répression trop lacunaire (Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale contre le travail au noir du 16 janvier 2002, FF 2002 3371, p. 3372). L’emploi clandestin de travailleurs étrangers, en violation des dispositions du droit des étrangers, était une forme de travail au noir (FF 2002 3371, p. 3374).
Outre l’aggravation des sanctions pénales et administratives prévues par les diverses législations topiques, la LTN introduisait une nouvelle mesure répressive, tendant à l’exclusion des procédures d’adjudication des marchés publics (FF 2002 3371 p. 3403 et 3404).
3.2 Selon l’art. 13 al. 1 LTN, en cas de condamnation entrée en force d’un employeur pour cause de non-respect important ou répété des obligations en matière d’annonce et d’autorisation prévues dans la législation sur les assurances sociales ou les étrangers, l’autorité cantonale compétente exclut l’employeur concerné des futurs marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral pour cinq ans au plus ; elle peut par ailleurs diminuer de manière appropriée, pour cinq ans au plus, les aides financières qui sont accordées à l’employeur concerné.
Le message du Conseil fédéral relève à propos de cette disposition qu’il s’agit de pouvoir, en cas de violation grave des dispositions légales relatives au travail au noir, prononcer contre l’employeur une exclusion temporaire des procédures d’adjudication de marchés publics ; sont concernés les appels d’offres des collectivités publiques au sens strict, ainsi que ceux d’entreprises concessionnaires, telles que les CFF ou la Poste (FF 2002 3371, p. 3419). Il précise encore que la sanction porte exclusivement sur des adjudications à venir. Il ne serait pas possible (ni juridiquement ni pratiquement) de conférer un effet rétroactif à ce type de décision. Dès lors, tout marché attribué reste acquis à son adjudicataire (FF 2002 3371, p. 3420).
3.3 L’art. 13 al. 1 LTN prévoit trois conditions pour le prononcé d’une sanction d’exclusion des futurs marchés publics ou de diminution des aides financières : la condamnation entrée en force d’un employeur ; la cause de cette condamnation, qui doit se limiter au non-respect des obligations en matière d’annonce et d’autorisation prévues dans la législation sur les assurances sociales ou les étrangers ; et le caractère important ou répété du non-respect desdites obligations.
3.4 Le prononcé d’une condamnation pénale (y compris sous la forme d’une ordonnance pénale au sens des art. 352ss du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 - CPP - RS 312.0) est la condition nécessaire de la sanction prévue par l’art. 13 al. 1 LTN. Les délits pénaux auxquels l’art. 13 LTN se réfère ne peuvent être que ceux qui visent spécifiquement les employeurs, notamment dans le cadre de la législation sur les étrangers (Guerric RIEDI, Les aspects sociaux des marchés publics, en particulier la protection des travailleurs, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STOECKLI, Droit des marchés publics, 2016, n. 86).
La LTN ne contient pas de définition de la notion d’employeur. Lorsque le travail au noir intervient au sein d’une personne morale, elle n’indique pas si la notion d’employeur vise la personne morale ou la personne physique qui détient ou contrôle la personne morale en question. Le message de la loi se référant aux « entreprises sous le coup de l’exclusion des marchés publics » et comme, dans le domaine des marchés publics, l’adjudicataire d’un marché public est en règle générale une entreprise, on doit admettre que le destinataire de la sanction d’exclusion prévue par l’art. 13 al. 1 LTN est en principe la personne morale. Cela explique qu’une exclusion des marchés publics prononcée à l’encontre d’une personne morale puisse reposer sur une condamnation pénale infligée au gérant de celle-ci. S’il suffisait d’écarter le gérant de la direction de la société, d’en créer une nouvelle identique dans ses buts et activités, d’en reprendre la clientèle, le carnet de commande et le personnel, pour échapper aux sanctions prévues par l’art. 13 al. 1 LTN, cette norme deviendrait inefficace et le but de la LTN serait détourné (Guerric RIEDI, op. cit., n. 88).
3.5 Il ressort des travaux parlementaires que le non-respect des obligations est important par exemple en raison du montant ou du nombre de travailleuses et travailleurs au noir engagés (« sie sind zum Beispiel aufgrund des Betrages oder der angestellten Anzahl Schwarzarbeitnehmerinnen oder Schwarzarbeitnehmer schwerwiegend » ; BO 2005 N p. 696, intervention de Remo GYSIN).
Dans l’interprétation de la notion de « non-respect important » de l’art. 13 al. 1 LTN, le Tribunal fédéral n’ayant pas encore eu à préciser cette notion, la chambre de céans se réfère notamment à la notion de « cas grave » au sens de l’art. 117 al. 1 LEI, lequel punit dans les cas graves, d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire, quiconque a, notamment, employé intentionnellement un étranger qui n’est pas autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse (ATA/194/2021 du 23 février 2021 consid. 6b ; ATA/213/2017 du 21 février 2017 consid. 9a ; ATA/758/2011 du 13 décembre 2011 consid. 6c ; Guerric RIEDLI, op. cit., n. 91 et 93).
Selon la doctrine, l’existence d’un cas grave au sens de l’art. 117 al. 1 LEI doit se juger à la lumière de l’ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas ; il peut y avoir cas grave lorsque l’auteur emploie un grand nombre d’étrangers sans autorisation, lorsqu’il impose des conditions de travail inacceptables ou lorsqu’il profite d’une situation de gêne ou de dépendance pour contraindre l’étranger à travailler (Luzia VETTERLI/Gabriella D’ADDARIO DI PAOLO, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela THURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer [AuG], 2010, n. 11 ad art. 117 LEI ; ATA/194/2021 du 23 février 2021 consid. 6b).
3.6 L’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT), soit pour lui la PCTN, prononce les sanctions prévues par l'art. 13 LTN (art. 39D al. 1 LIRT et 77 al. a du règlement d’application de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 23 février 2005 - RIRT - J 1 05.01).
3.7 En l’espèce, les condamnations de B______ concernent un comportement de sa part en sa qualité d’associé gérant, puis administrateur président, de la recourante. Ses condamnations pénales sont entrées en force, de sorte que la première condition de l’art. 13 al. 1 LTN est remplie, ce qui n’est pas contesté.
En outre, l’intéressé a été condamné pour une infraction à l’art. 117 al. 1 LEI, lequel réprime l’emploi d’un étranger qui n’est pas autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse. La cause de ses condamnations réside donc dans le non-respect d’une obligation en matière d’autorisation prévue dans la législation sur les étrangers. La deuxième condition de l’art. 13 al. 1 LTN est également remplie. Le fait que la recourante se soit acquittée des charges sociales de ses employés n’est à cet égard pas pertinent, étant rappelé que la simple occupation d’un travailleur étranger sans respecter les devoirs d’annonce et d’autorisation imposés par la législation sur les étrangers suffit à retenir la qualification de travail au noir.
La recourante a employé quatorze personnes qui ne disposaient d’aucune autorisation de travail, pendant une période cumulée de sept ans et trois mois et demi. Compte tenu de la durée de la période globale d’emploi et du nombre de personnes concernées, les infractions à la LEI apparaissent non seulement importantes, mais également répétées. Ainsi, c’est à raison que la PCTN a considéré que les conditions d’exclusion des marchés publics étaient remplies.
4. La recourante dénonce une atteinte disproportionnée à sa liberté économique.
4.1 Invocable tant par les personnes physiques que morales, la liberté économique (art. 27 Cst.) protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (ATF 140 I 218 consid. 6.3 et les références).
4.2 Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst., exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées). Le principe de la proportionnalité se compose ainsi des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).
Selon la jurisprudence, ne sont pas disproportionnées : l’exclusion des marchés publics pour une période de 18 mois en raison de l’emploi de treize personnes pour une durée cumulée de presque quatre ans (ATA/213/2017 du 21 février 2017) ; l’exclusion pour une durée de seize mois en raison de l’emploi de deux personnes pour une période d’une année pour un total de 17 mois et 11 jours, dès lors que les engagements étaient successifs (ATA/142/2021 du 9 février 2021) ; l’exclusion pour une durée de seize mois en raison de l’emploi de trois travailleurs durant une période d’à tout le moins trois jours mais en présence d’antécédents judiciaires spécifiques, soit une récidive peu après une première condamnation (ATA/812/2022 du 17 août 2022) ; l’exclusion pour une durée de 24 mois en raison de l’emploi de 39 travailleurs durant une période de deux ans (ATA/971/2023 du 5septembre 2019) ; l’exclusion pour une durée de seize mois en raison de l’emploi de deux personnes pour un total de 13 mois et demi, et ce malgré l’absence d’antécédents, le paiement des charges sociales et l’écoulement du temps (ATA/930/2024 du 5 août 2024) ; l'exclusion pour une durée de dix mois pour l’engagement d’un seul travailleur dépourvu d'autorisation, pendant une période de dix mois, en l'absence d’antécédents et en s'acquittant du paiement des charges sociales (ATA/1187/2024 du 9 octobre 2024).
4.3 En l’espèce, il est constant que l’exclusion des marchés publics porte atteinte à la liberté économique de la recourante. La restriction repose toutefois sur une base légale formelle (art. 13 al. 1 LTN). La nature de la sanction est en outre propre à produire l’effet de prévention recherché par la loi, étant précisé que l’art. 13 al. 1 LTN ne prévoit pas de sanction alternative à l’exclusion des marchés publics, outre la diminution d’aides financières, hypothèse qui, à teneur du dossier, n’apparaît pas applicable in casu. La durée de la sanction ne contrevient, enfin, pas au principe de la proportionnalité eu égard à l’importance de la faute commise, à savoir l’engagement successif de quatorze travailleurs dépourvus d’autorisation, pendant une période cumulée de sept ans et trois mois et demi. À la lumière de la jurisprudence susmentionnée, en particulier l’ATA/21/2017, concernant l’emploi de treize travailleurs sans autorisation pour une durée cumulée de presque quatre ans, sanctionné par l’exclusion des marchés publics d’une durée de 18 mois, la mesure apparait d’ailleurs plutôt clémente, et cela même en tenant compte de l’absence d’antécédent, du paiement des charges sociales et de la bonne collaboration de la société. La durée de la sanction reste, enfin, dans la partie inférieure de la durée maximale prévue par l’art. 13 al. 1 LTN qui est de cinq ans.
En tant que la recourante se prévaut de sa méconnaissance de la loi, il sera relevé que cet argument a déjà été soulevé devant le MP, sans être retenu. L’administrateur de la société, lui-même étranger, devait savoir que des autorisations de travail étaient nécessaires pour les employés de sa société venant de pays tiers. Il lui appartenait ainsi d’effectuer les démarches nécessaires avant de les engager, ce qu’il n’a pas fait. Par ailleurs, s’il est louable pour la société d’avoir pris des mesures de réorganisation du personnel pour éviter de nouvelles infractions à la loi sur les étrangers, celles-ci ne permettent pas de minimiser les infractions commises et de faire apparaitre la sanction entreprise comme disproportionnée. Quant à l’importance des marchés publics pour le chiffre d’affaires de la société, cet élément ne suffit pas à faire prévaloir l’intérêt privé de la société sur l’intérêt public important de lutte contre le travail au noir. La chambre de céans a, au demeurant, déjà rappelé que la mesure devait par nature exercer un effet punitif et que la recourante devait accepter de diversifier ou de réduire son activité en raison de la faute commise (ATA/1187/2024 du 9 octobre 2024 consid. 3.2).
En conclusion, il apparaît que la PCTN n’a pas violé la loi ni commis un abus de son pouvoir d’appréciation en fixant à douze mois la sanction d’exclusion des marchés publics.
Mal fondé, le recours sera rejeté.
5. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 11 novembre 2024 par A______ SA contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 10 octobre 2024 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ SA ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Stéphane GRODECKI, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail .
Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Jean‑Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière :
B. SPECKER
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| la présidente siégeant :
E. McGREGOR |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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