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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1272/2016

ATA/213/2017 du 21.02.2017 ( EXPLOI ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : AUTORISATION DE TRAVAIL ; CAS GRAVE ; DROIT PÉNAL ; VIOLATION DU DROIT ; TRAVAIL AU NOIR ; EXCLUSION(EN GENERAL) ; MARCHÉS PUBLICS ; SUPPRESSION(EN GÉNÉRAL) ; SECRÉTARIAT D'ÉTAT À L'ÉCONOMIE ; AIDE FINANCIÈRE ; SANCTION ADMINISTRATIVE ; INTERPRÉTATION(SENS GÉNÉRAL) ; RESSORTISSANT ÉTRANGER
Normes : LTN.13.al1 ; LTN.13.al2 ; LTN.13.al3 ; LETr.117
Résumé : Le fait d'avoir employé treize personnes sans autorisation de travail pour une durée cumulée de presque quatre ans, relève d'un non-respect grave des obligations en matière d'autorisation prévues dans la législation sur les étrangers, justifiant ainsi l'exclusion de l'employeur des futurs marchés publics au sens de l'art. 13 LTN. Quant à la suppression des aides financières visée par cette même disposition, cette sanction n'est envisageable qu'à condition que l'employeur concerné soit au bénéfice de telles aides ou indemnités, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1272/2016-EXPLOI ATA/213/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 février 2017

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Judith Kuenzi, avocate

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ ET DE L'ÉCONOMIE

 



EN FAIT

1. A______ est une société à responsabilité limitée sise B______ à Thônex. Elle est inscrite au registre du commerce genevois depuis le 6 février 2012 et a pour but le marketing et les services dans le domaine des assurances, des télécommunications et des produits de la sécurité générale (protection civile), les dispositifs de sauvetage et de prévention ainsi que l'accès des organisations internationales, des sociétés et des pays aux technologies de pointe dans le domaine de lutte contre les catastrophes.

Monsieur C______ a été associé gérant avec signature individuelle de A______ jusqu'au 14 septembre 2016. Depuis le 15 septembre 2016, Monsieur D______ en est devenu l'associé gérant avec signature individuelle.

2. Suite à une enquête menée par l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT), M. C______ a signé le 24 novembre 2014 treize constats d'infraction, desquels il ressortait que A______ avait employé treize travailleurs ne disposant d'aucune autorisation d'exercer une activité lucrative en Suisse, à savoir :

-                Madame E______, ressortissante française, employée du 14 novembre 2012 au 28 février 2013 ;

-                Monsieur F______, ressortissant français, employé du 19 juillet au 30 septembre 2013 ;

-                Monsieur G______, ressortissant français, employé du 14 mai au 30 juin 2013 ;

-                Monsieur H______, ressortissant tunisien, employé du 17 juin au 31 octobre 2013 ;

-                Monsieur I_____, ressortissant turc, employé du 28 novembre 2012 au 28 février 2013 ;

-                Monsieur J_____, ressortissant tunisien, employé du 28 novembre 2012 au 31 décembre 2013 ;

-                Monsieur K______, ressortissant français, employé du 23 juillet au 27 septembre 2013 ;

-                Madame L______, ressortissante française, employée du 25 mars au 30 juin 2013 ;

-                Madame M______, ressortissante française, employée du 19 octobre 2012 au 28 février 2013 ;

-                Madame N______, ressortissante française, employée du 23 octobre 2013 au 28 janvier 2014 ;

-                Monsieur O_____, ressortissant espagnol, employé du 7 mars au 26 avril 2013 ;

-                Monsieur P_____, ressortissant français, employé du 22 juillet au 30 juillet 2013 ;

-                Monsieur R_____, ressortissant français, employé du 1er février au 28 février 2013.

3. Par ordonnance pénale du 3 septembre 2015, le Ministère public genevois a condamné M. C_____ pour violation de l'art. 117 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr - RS 142.20) et de l'art. 33 al. 1 let. a de la loi fédérale sur les armes, les accessoires d'armes et les munitions du 20 juin 1997 (LArm – RS 514.54), à une peine de soixante jours-amende à CHF 180.-, avec sursis pendant trois ans, et à une amende CHF 2'700.-.

Non contestée, ladite ordonnance est entrée en force.

4. Le 26 janvier 2016, l'OCIRT a informé A_____ de l'ouverture, suite à l'ordonnance pénale rendue par le Ministère public genevois, d'une procédure administrative de réduction des subventions et lui a imparti un délai pour faire valoir sa position sur les faits qui lui étaient reprochés.

5. Par courrier du 12 février 2016, A_____ a exposé qu'elle n'avait eu aucune intention d'employer des travailleurs non autorisés à exercer une activité lucrative en Suisse et qu'il s'agissait d'une erreur administrative.

6. Le 9 mars 2016, le département de la sécurité et de l'emploi (ci-après : DSE) a rendu à l'encontre de A______ une décision d'exclusion des marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral pour une durée de dix-huit mois et d'exclusion de toutes aides financières cantonales et communales pour une durée de dix-huit mois également. A_____ devait s'acquitter d'un émolument de CHF 450.-.

L'infraction à la loi sur les étrangers ayant donné lieu à l'ordonnance pénale avait le caractère d'un délit au sens pénal. Elle avait justifié une sanction sévère en termes de jours-amende, de sorte qu'elle revêtait indéniablement le caractère d'importance exigé par les dispositions fédérales en matière de lutte contre le travail au noir. Il n'était allégué aucun élément qui montrerait que les mesures prévues par la décision toucheraient l'entreprise d'une manière disproportionnée. Compte tenu des manquements constatés, qui étaient d'une gravité particulière, l'exclusion des marchés publics devait être prononcée pour dix-huit mois. Pour les mêmes motifs, il ne serait pas attribué d'aide financière cantonale ou communale pour la même durée.

7. Par acte déposé le 26 avril 2016, A______ a interjeté un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du DSE du 9 mars 2016, concluant, « sous suite de frais et dépens », principalement à l'annulation de la décision contestée et subsidiairement à une exclusion des marchés publics pour une durée de six mois.

La suppression ou la diminution des aides financières ne pouvait concerner que des subventions qui avaient d'ores et déjà été accordées. Dans la mesure où A______ ne bénéficiait d'aucune aide financière versée par une quelconque collectivité publique, l'autorité avait violé le droit fédéral en lui infligeant une sanction pourtant inapplicable aux subventions futures.

Une des conditions permettant l'exclusion des marchés publics était le caractère important, grave ou répété du non-respect des obligations en matière d'annonce et d'autorisation prévues par les législations sur les assurances sociales et sur les étrangers. La recourante avait employé treize personnes ne bénéficiant pas d'autorisation pour travailler en Suisse. Hormis un employé, les autres travailleurs n'avaient exercé leurs fonctions que pour de courtes durées. De plus, les revenus desdits employés avaient été déclarés aux assurances sociales, tandis que les cotisations usuelles et l'impôt à la source avaient été prélevés et reversés aux autorités concernées. Les conditions de travail et la rémunération des employés concernés étaient identiques à celles des travailleurs au bénéfice d'une autorisation d'exercer. La durée du travail au noir restait largement inférieure à deux ans et aucune autre violation de dispositions légales relatives au droit du travail ou des assurances sociales n'avait été relevée. Les infractions reprochées n'atteignaient ainsi pas un certain niveau de gravité. Une exclusion des marchés publics de dix-huit mois était ainsi disproportionnée. A______ avait par ailleurs déjà rectifié la situation en régularisant ses employés, de sorte que le but recherché par la sanction était d'ores et déjà atteint. Les mesures d'exclusion prononcées auraient par ailleurs des conséquences désastreuses sur son développement économique. Active sur le marché des télécommunications, elle participait régulièrement à des appels d'offres, fréquents dans ce domaine. Si le principe de la sanction devait être admis, l'exclusion des marchés publics ne pouvait excéder six mois.

8. Le 7 juin 2016, le DSE a fait valoir ses observations, concluant principalement au rejet du recours et à la confirmation de la décision contestée.

Ayant lui-même été au bénéfice d'un permis G puis d'un permis B, M. C______ ne pouvait ignorer que ses employés espagnols et français devaient être titulaires d'une autorisation pour exercer une activité lucrative en Suisse. Il avait d'ailleurs déposé deux demandes de permis G concernant deux travailleurs de nationalité française. S'agissant de ses trois employés non européens, il avait déposé des demandes de permis, tout en employant ceux-ci avant d'en avoir reçu l'autorisation.

La réduction des aides financières concernait les subventions à venir et non celles déjà reçues. Un effet sur les subventionnements en cours constituerait une complication administrative très importante, obligeant les autorités à vérifier quotidiennement si l'entreprise qu'elle subventionne se trouvait sur la liste publiée par le secrétariat d'État à l'économie (ci-après : SECO). Cela aurait également des effets collatéraux dommageables pour des tiers nullement responsables de l'infraction commise, comme par exemple, les personnes attachées à un projet de recherche mené par une entreprise soudain privée de la subvention y relative et même contrainte de rembourser les sommes déjà perçues. S'agissant de la notion de non-respect important des obligations en matière d'annonce et d'autorisation prévues par la législation, c'est à tort que la recourante se référait à l'aggravante de la disposition visant à réprimer l'emploi d'étrangers sans autorisation.

9. La recourante n’a pas souhaité répliquer dans le délai au 11 juillet 2016 qui lui avait été octroyé.

10. Le 14 juillet 2016, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

11. Pour le surplus, l'argumentation des parties sera reprise en tant que besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 47 al. 1 de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 - LIRT - J 1 05 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. En procédure administrative genevoise, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 1 let. a LPA), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. b LPA). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA).

3. Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s’interprète en premier lieu d’après sa lettre (interprétation littérale). Si le texte légal n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d’autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 138 II 557 consid. 7.1 p. 565 ;138 II 105 consid. 5.2 p. 107 ; 132 V 321 consid. 6 p. 326 ; 129 V 258 consid. 5.1 p. 263/264 et les références citées). Le Tribunal fédéral utilise les diverses méthodes d’interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 138 II 217 consid. 4.1 p. 224 ; 133 III 175 consid. 3.3.1 p. 178 ; 125 II 206 consid. 4a p. 208/209 ; ATA/422/2008 du 26 août 2008 consid. 7). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 119 Ia 241 consid. 7a p. 248 et les arrêts cités).

S’agissant plus spécialement des travaux préparatoires, bien qu’ils ne soient pas directement déterminants pour l’interprétation et ne lient pas le juge, ils ne sont pas dénués d’intérêt et peuvent s’avérer utiles pour dégager le sens d’une norme. En effet, ils révèlent la volonté du législateur, laquelle demeure, avec les jugements de valeur qui la sous-tendent, un élément décisif dont le juge ne saurait faire abstraction même dans le cadre d’une interprétation téléologique (ATF 119 II 183 consid. 4b p. 186 ; 117 II 494 consid. 6a p. 499 ; ATA/537/2008 du 28 octobre 2008 consid. 12). Les travaux préparatoires ne seront toutefois pris en considération que s’ils donnent une réponse claire à une disposition légale ambiguë et qu’ils aient trouvé expression dans le texte de la loi (arrêt du Tribunal fédéral 2C_939/2011 du 7 août 2012).

4. Le 1er janvier 2008 est entrée en vigueur la loi fédérale concernant des mesures en matière de lutte contre le travail au noir du 17 juin 2005
(LTN - RS 822.41).

Dans son Message, le Conseil fédéral a relevé que le travail au noir devait être combattu pour des raisons économiques, sociales, juridiques et éthiques ; la lutte contre ce phénomène passait par une politique de répression ; il existait déjà de nombreux instruments législatifs susceptibles de favoriser cette lutte, mais il fallait les compléter avec la loi sur le travail au noir. Le projet de loi prévoyait une série de mesures pour accroître la répression trop lacunaire (Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale contre le travail au noir du 16 janvier 2002,
FF 2002 3371, p. 3372).

L’emploi clandestin de travailleurs étrangers, en violation des dispositions du droit des étrangers, était une forme de travail au noir (FF 2002 3371, p. 3374).

Outre l’aggravation des sanctions pénales et administratives prévues par les diverses législations topiques, la LTN introduisait une nouvelle mesure répressive, tenant à l’exclusion des procédures d’adjudication des marchés publics
(FF 2002 3371 p. 3403 et 3404).

5. Selon l'art. 13 al. 1 LTN, en cas de condamnation entrée en force d’un employeur pour cause de non-respect important ou répété des obligations en matière d’annonce et d’autorisation prévues dans la législation sur les assurances sociales ou les étrangers, l’autorité cantonale compétente exclut l’employeur concerné des futurs marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral pour cinq ans au plus ; elle peut par ailleurs diminuer de manière appropriée, pour cinq ans au plus, les aides financières qui sont accordées à l’employeur concerné. L'autorité cantonale compétente communique une copie de sa décision au SECO (art. 13 al. 2 LTN). Le SECO établit une liste des employeurs faisant l'objet d'une décision entrée en force d'exclusion des marchés publics ou de diminution des aides financières. Cette liste est accessible au public (art. 13 al. 3 LTN).

Le Message du Conseil fédéral relève à propos de cette disposition qu'il s'agit de pouvoir, en cas de violation grave des dispositions légales relatives au travail au noir, prononcer contre l'employeur une exclusion temporaire des procédures d'adjudication de marchés publics ; sont concernés les appels d'offres des collectivités publiques au sens strict, ainsi que ceux d'entreprises concessionnaires, telles que les CFF ou la Poste (FF 2002 3371, p. 3419). Il précise encore que la sanction porte exclusivement sur des adjudications à venir. Il ne serait pas possible (ni juridiquement ni pratiquement) de conférer un effet rétroactif à ce type de décision. Dès lors, tout marché attribué reste acquis à son adjudicataire (FF 2002 3371, p. 3420).

Les chambres fédérales, après des discussions longues et animées ayant donné lieu à une procédure d'élimination des divergences, ont modifié la disposition, notamment en ajoutant comme autre sanction possible, alternativement ou cumulativement, la diminution appropriée des aides financières, et en rendant publique la liste des employeurs sanctionnés (BO 2004 N 1209 ss ; BO 2005 E 470 s. et 698 s.).

6. L'art. 13 al. 1 LTN prévoit trois conditions pour le prononcé d'une sanction d'exclusion des futurs marchés publics ou de diminution des aides financières : la condamnation entrée en force d’un employeur ; la cause de cette condamnation, qui doit se limiter au non-respect des obligations en matière d’annonce et d’autorisation prévues dans la législation sur les assurances sociales ou les étrangers ; et le caractère important ou répété du non-respect desdites obligations.

7. S'agissant de la première condition relative à la condamnation entrée en force, se pose la question de l'identité de « l'employeur » visé. En effet, la LTN ne définit pas la notion d'employeur. Lorsque le travailleur au noir est au service d'une personne morale, la LTN ne précise pas si la notion d'employeur vise uniquement la personne morale ou la personne physique qui détient le contrôle de ladite personne morale.

Comme susmentionné, bien que les travaux préparatoires ne soient pas directement déterminants pour l’interprétation et ne lient pas le juge, ils ne sont pas dénués d’intérêt et peuvent s’avérer utiles pour dégager le sens d’une norme. Dans son Message, le Conseil fédéral se réfère aux « entreprises » sous le coup de l’exclusion des marchés publics, laissant ainsi entendre que le destinataire de la mesure d'exclusion est la personne morale (FF 2002 3371, p. 3420). Cette position est confirmée par le fait qu'en droit des marchés publics, l’adjudicataire est, en règle générale, une entreprise et non une personne physique.

En l'espèce, M. C______ a été condamné par une ordonnance pénale du 3 septembre 2015, laquelle est entrée en force, notamment pour violation de l'art. 117 al. 1 LEtr. En effet, dans la mesure où il était seul associé gérant de A______ à cette époque, une condamnation de la société en tant qu'employeur était exclue sur la base de l'art. 102 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0). Cette condamnation avait toutefois trait à ses agissements pour le compte de A_____. Ainsi, le fait que M. C______ ne soit plus l'actuel associé gérant de A______ est sans conséquence. C'est bien la société, soit A______, qui est l'employeur au sens de l'art. 13 al. 1 LTN, et non l'associé gérant de celle-ci. Dans le cas contraire, il suffirait d'écarter le gérant de la direction d'une société pour échapper à toute sanction rendant ainsi cette norme inefficace.

Partant, la première condition de l'art. 13 al. 1 LTN est remplie.

8. En second lieu, l'ordonnance pénale portait sur des faits constitutifs d'infraction à l'art. 117 LEtr, lequel réprime l'emploi d'étrangers sans autorisation. La cause de cette condamnation résidait donc dans le non-respect d'une obligation en matière d'autorisation prévue dans la législation sur les étrangers.

Dès lors, la seconde condition de l'art. 13 al. 1 LTN est également remplie.

9. En troisième lieu, il s'agit d'examiner si la condition légale du non-respect important ou répété des obligations en matière d'autorisation prévues dans la législation les étrangers est satisfaite.

a. La recourante se réfère à la jurisprudence de la chambre administrative pour affirmer que les infractions reprochées n'atteignent pas un degré de gravité suffisant.

La chambre de céans n’a prononcé qu’un seul arrêt sur cette problématique (ATA/758/2011 du 13 décembre 2011 consid. 7). Dans ladite affaire, il avait été jugé qu'il ne se justifiait pas d'exclure le recourant des marchés publics futurs, dès lors que le non-respect de ses obligations d'employeur n'avait duré que deux ans à propos d'un seul employé.

La chambre administrative avait relevé que, s'agissant du caractère important - ou grave, si l'on reprend les teneurs allemande et italienne de l'art. 13 al. 1 LTN - du non-respect des obligations en matière d’annonce et d’autorisations prévues dans la législation sur les étrangers, le législateur n'a pas expressément précisé, dans les travaux préparatoires, ce qu'il entendait par-là. Il ressortait toutefois de ces derniers qu'il n'était pas question de couper l'intégralité de son revenu à quelqu'un qui aurait employé pendant quelques mois un employé au noir, sans transgresser gravement la législation. Les délits pénaux auxquels se référait l'art. 13 LTN ne pouvaient être que ceux visant spécifiquement les employeurs, soit l'art. 117 LEtr dans le cadre de la législation sur les étrangers. Même s'il ne s'agissait pas d'un renvoi direct du législateur, on pouvait s'inspirer de la notion de « cas grave » au sens de l'art. 117 LEtr pour éclaircir celle de « non-respect important » de l'art. 13 LTN (ATA/758/2011 précité consid. 6c).

Cette référence à l’art. 117 LEtr est contestée par le Tribunal cantonal vaudois, apparemment seule autre juridiction cantonale à avoir traité la problématique. Selon celui-ci, la notion de « non respect important » des obligations de l’employeur au sens de l’art. 13 al. 1 LTN est autonome de celle de « cas grave » visé par l’art. 117 LEtr et s’interprète pour elle-même. Le Tribunal fédéral n’a pas encore eu à préciser cette notion (Guerric RIEDLI, Les aspects sociaux des marchés publics, en particulier la protection des travailleurs, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STOECKLI, Droit des marchés publics, 2016, p. 334 n. 91 et 93).

b. À teneur de l'art. 117 al. 1 LEtr, quiconque, intentionnellement, emploie un étranger qui n'est pas autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse ou a recours, en Suisse, à une prestation de services transfrontaliers d'une personne qui n'a pas l'autorisation requise est puni d'une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire. Dans les cas graves, la peine sera une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire. En cas de peine privative de liberté, une peine pécuniaire est également prononcée.

Selon la doctrine, l'existence d'un cas grave au sens de l'art. 117 al. 1 LEtr doit se juger à la lumière de l'ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas ; il peut y avoir cas grave lorsque l'auteur emploie un grand nombre d'étrangers sans autorisation, lorsqu'il impose des conditions de travail inacceptables ou lorsqu'il profite d'une situation de gêne ou de dépendance pour contraindre l'étranger à travailler (Luzia VETTERLI/Gabriella D'ADDARIO DI PAOLO, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela THURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer [AuG], Berne 2010, n. 11 ad art. 117 LEtr).

c. Lorsque le complexe de faits soumis au juge administratif a fait l’objet d’une procédure pénale, le juge administratif est en principe lié par le jugement pénal et ne peut s’en écarter que s’il est en mesure de fonder sa décision sur des constatations de faits inconnues du juge pénal ou que ce dernier n’a pas prises en considération, s’il existe des preuves nouvelles dont l’appréciation conduit à un autre résultat, si l’appréciation à laquelle s’est livré le juge pénal se heurte clairement aux faits constatés ou si celui-ci n’a pas élucidé toutes les questions de droit, en particulier celles qui touchent à la violation des règles de la circulation (ATF 139 II 95 consid. 3.2). Il convient d’éviter autant que possible que la sécurité du droit soit mise en péril par des jugements opposés, fondés sur les mêmes faits (ATF 137 I 363 consid. 2.3.2). Si les faits retenus au pénal lient donc en principe l’autorité et le juge administratifs, il en va différemment des questions de droit, en particulier de l’appréciation de la faute (arrêt du Tribunal fédéral 1C_71/2008 du 31 mars 2008, consid. 2.1).

d. Il ressort encore des travaux parlementaires que le non-respect des obligations est important par exemple en raison du montant ou du nombre de travailleuses et travailleurs au noir engagés (« sie sind zum Beispiel aufgrund des Betrages oder der angestellten Anzahl Schwarzarbeitnehmerinnen oder Schwarzarbeitnehmer schwerwiegend », BO 2005 N p. 696, intervention de Monsieur Remo GYSIN).

e. Le cas d'espèce diffère considérablement de l'affaire précédemment jugée par la chambre de céans et citée par la recourante dans laquelle l'emploi au noir ne concernait qu'une seule personne, employée durant vingt mois. En effet, il ressort du dossier que A______ a employé treize personnes, ressortissantes d'États membres de l'Union européenne et d'État tiers, dénuées de permis de travail, pour une durée cumulée de presque quatre ans. Ce faisant, la recourante a employé un grand nombre d'étrangers sans autorisation. Si l'ordonnance pénale du 3 septembre 2015 semble ne pas retenir une violation grave de l'art. 117 al. 1 LEtr, il n'est toutefois pas possible de l'exclure définitivement. En effet, dans la mesure où ladite ordonnance portait sur un concours d'infractions, il n'est pas possible d'extraire de la peine globale la peine relative à l'art. 117 al. 1 LEtr, difficulté que la doctrine a déjà eu l’occasion de relever (Guerric RIEDLI, op. cit. p. 333, n. 87). En l’espèce, quand bien même l'ordonnance pénale ne retiendrait pas le cas grave de l'art. 117 al. 1 LEtr, cela n'empêcherait pas l'application de l'art. 13 LTN. Si la chambre administrative est liée par les faits retenus par l'ordonnance pénale, elle ne l'est pas par pour les questions de droit. Or, en employant, à treize reprises, une personne démunie d'autorisation de travail pour une durée cumulée de presque quatre ans, en l’espace de vingt mois, la recourante n'a pas respecté, de manière grave, les obligations en matière d'autorisations prévues dans la législation sur les étrangers. L’affirmation, selon laquelle les charges sociales et l’impôt à la source ont été dûment acquittés, n’est pas de nature à modifier cette conclusion, dès lors qu’il peut être retenu, à l’instar du Tribunal cantonal vaudois, que le fait que l’entreprise fautive soit active dans le domaine des marchés publics est une circonstance aggravante, la recourante ayant « régulièrement participé », selon ses propres termes, à des appels d’offres alors qu’elle n’était pas apte à soumissionner.

10. Dans la mesure où les trois conditions posées de l'art. 13 al. 1 LTN sont remplies, l'autorité intimée était fondée à prononcer une décision d'exclusion des marchés publics.

11. La recourante se réfère encore au principe de la proportionnalité pour alléguer qu'une exclusion des marchés publics ne devrait dans tous les cas pas être prononcée pour une durée excédent six mois. Elle n'expose toutefois pas en quoi une exclusion d'une durée de dix-huit mois violerait ledit principe.

a. Si l'art. 13 al. 1 LTN fixe une durée maximale d'exclusion de cinq ans, elle ne prévoit aucune durée minimale. La doctrine considère que la fixation de cette durée relève du pouvoir d'appréciation de l'autorité compétente pour le prononcé de la sanction. Il apparait cependant d'une exclusion prononcée pour une très courte durée (un ou deux mois) n'aurait sans doute pas l'effet dissuasif souhaité par la LTN (Guerric RIEDI, op. cit., p. 337 n. 99).

Selon la liste ainsi prévue à l'art. 13 al. 3 LTN et tenue par le SECO, mise à jour en décembre 2016, trente-sept employeurs faisaient l'objet d'une sanction définitive d'exclusion des marchés publics prononcée sur la base de l'art. 13 LTN (www.seco.admin.ch/themen/00385/01905/04644 [visité le 16 janvier 2017]) ; les durées d'exclusion des marchés publics étaient toutes comprises entre six mois et quarante-huit mois.

b. En l'espèce, compte tenu du nombre de personnes employées sans autorisation de travail et de la durée cumulée durant laquelle la législation sur les étrangers n'a ainsi pas été respectée, une exclusion des marchés publics d'une durée de dix-huit mois n'apparait pas disproportionnée. Le fait que la recourante se soit acquittée des charges sociales et des impôts à la source afférents aux travailleurs employés sans autorisation tout comme le fait qu'elle ait depuis lors régularisé la situation de tous ses employés ne sont pas des circonstances propres à réduire la durée de la sanction. De plus, la recourante n'allègue ni ne prouve que son activité dépendrait majoritairement des appels d'offre et qu'une exclusion des marchés publics aurait dès lors pour elle des conséquences désastreuses. Il est vrai qu'en étant active sur le marché des télécommunications, elle peut être amenée à répondre à des appels d'offre. Toutefois, il ressort de son but social qu'elle vise également à assurer l'accès des organisation internationales, des sociétés et des pays aux technologies de pointe dans le domaine de lutte contre les catastrophes. Elle ne démontre pas que cette activité serait touchée par la présente sanction.

12. L'autorité intimée n'a ainsi pas abusé de son pouvoir d'appréciation en retenant dans le cas d'espèce un non-respect important des obligations en matière d'autorisation prévues dans la législation sur les étrangers et en prononçant une sanction d'exclusion des futurs marchés publics pour une durée de dix-huit mois.

13. La recourante allègue encore qu'en prononçant une sanction visant la suppression de toute aide financière, l'autorité intimée aurait violé l'art. 13 al. 1 LTN. Cette disposition s'appliquerait uniquement aux aides et subventions existantes et non futures. Or, elle ne disposait d'aucune aide ou subvention lors du prononcé de la décision de sorte qu'elle ne pouvait se voir appliquer cette sanction.

a. À teneur du texte clair de l'art. 13 al. 1 LTN et du Message du Conseil fédéral précité (FF 2002 3371 p. 3420), la sanction relative aux marchés publics porte sur les futurs marchés publics, soit les adjudications à venir. S'agissant de la diminution des aides financières accordées à l'employeur, le texte de l'art. 13 al. 1 LTN n'indique pas que cette sanction s'appliquerait pour les aides accordées dans le futur. Le Message du Conseil fédéral n'apporte aucune information sur ce point, dans la mesure où cette sanction n'a été ajoutée qu'au stade des débats parlementaires. Le texte de la disposition se réfère toutefois à une diminution et non à une exclusion des aides financières, laissant ainsi entendre qu'elle se rapporte aux aides existantes au moment du prononcé de la décision. Cette interprétation ressort également des débats parlementaires portant sur la durée de réduction des aides financières, dans lesquels il a été rappelé que le Conseil fédéral « prévoyait également cinq années durant lesquelles de telles sanctions peuvent être prises, notamment pour diminuer des aides financières dans les cas où de telles subventions sont versées » (BO 2004 E p. 932, intervention de Monsieur Joseph DEISS, Président de la Confédération). Cette intervention
sous-tend que sont visées les subventions dont bénéficie un employeur lors du prononcé de la décision.

b. Cette position ressort également de la jurisprudence précitée de la chambre administrative dans ce domaine selon laquelle la sanction de réduction des aides financières de l'art. 13 al. 1 LTN s'applique aux subventions ayant déjà été accordées (ATA/758/2011 précité consid. 5).

c. L'argument de l'autorité intimée, selon laquelle l'application de l'art. 13 al. 1 LTN aux subventions en cours entraînerait des complications administratives, n'est pas de nature à remettre en cause cette position.

d. En l'espèce, aucune partie n'a fait valoir que la recourante bénéficierait d'indemnités ou d'aides financières d'une quelconque collectivité publique et aucune pièce au dossier ne laisse à penser que tel sera le cas. Dès lors, la sanction apparaît en l'état sans conséquence, sauf à découvrir ultérieurement l'existence d'une subvention au moment du prononcé de la décision litigieuse.

14. Par ailleurs et quand bien même la recourante bénéficierait effectivement d'une aide étatique, il ressort de la décision contestée que l'autorité intimée entendait exclure celle-ci exclusivement des aides financières futures. Or, compte tenu de ce qui précède, l’art. 13 al. 1 LTN ne s’applique pas aux subventions futures. La jurisprudence de la chambre administrative l’avait déjà indiqué dans l’ATA/758/2011 précité. L’interprétation historique des travaux préparatoires à laquelle procède l’intimé ne convainc pas, les travaux ayant porté quasi exclusivement sur la problématique des paiements directs aux agriculteurs. L’intimé ne met en avant aucun motif pertinent justifiant le changement de jurisprudence qu’il sollicite implicitement.

L’intimé ayant décidé d’une sanction portant exclusivement sur les subventions futures, la décision devra être annulée sur ce point.

15. Dès lors, le recours sera admis partiellement.

16. Vu l’issue du litige, un émolument – réduit à CHF 250.- – sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l’État de Genève, sera allouée à la recourante qui obtient partiellement gain de cause et qui y a conclu (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 avril 2016 par A______ contre la décision du département de la sécurité et de l'économie du 9 mars 2016 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule la décision du département de la sécurité et de l'économie du 9 mars 2016 en tant qu'elle exclut A______ de toutes aides financières cantonales et communales pour une durée de dix-huit mois ;

confirme la décision du département de la sécurité et de l'économie du 9 mars 2016 pour le surplus ;

met un émolument de CHF 250.- à la charge de A______ ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 500.- à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Judith Kuenzi, avocate de la recourante ainsi qu'au département de la sécurité et de l'économie.

Siégeants : M. Verniory, président, M. Thélin, Mme Junod, M. Dumartheray,
Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :