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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2912/2024

ATA/419/2025 du 15.04.2025 ( LIPAD ) , REJETE

Recours TF déposé le 26.05.2025, 1C_289/2025
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2912/2024-LIPAD ATA/419/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 avril 2025

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Romain JORDAN, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé

 



EN FAIT

A. a. Le 8 janvier 2024, A______ a sollicité du département des institutions et du numérique (ci-après : le département), et plus spécifiquement de la police, l’accès à divers documents, à savoir :

-          l’agenda du Sergent-major B______, de décembre 2016 à novembre 2017, les informations sans lien avec elle et ne concernant pas les rendez-vous avec C______, alors première Procureure, ou avec les parties à la procédure, à savoir D______, E______ et F______, pouvant être caviardées ;

-          tout échange de courriels entre la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite de la police judiciaire (ci-après : G______), ou tout inspecteur de la G______ et la première Procureure de décembre 2016 à novembre 2017, les échanges ne concernant pas les parties plaignantes à la procédure, à savoir D______, E______ et F______, pouvant être caviardées ;

-          tout échange électronique, en particulier le contenu de tout groupe de communication entre les policiers en charge de la procédure dirigée contre elle.

b. Par courrier du 5 mars 2024, la Commandante de la police a refusé de donner accès aux documents susmentionnés.

La demande fondée sur les art. 24 ss de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD ‑ A 2 08) ne visait pas un but de transparence au sens de l’art. 1 LIPAD mais l’obtention d’informations en lien avec une enquête pénale en cours. L’agenda de l’inspecteur de police constituait par ailleurs un simple instrument personnel pour la gestion des rendez-vous, qui devait être considéré comme des notes personnelles et non comme un document au sens de la LIPAD, ce qui valait également pour les échanges électroniques entre policiers en charge d’une procédure. Enfin, les informations sollicitées concernaient une procédure pénale en cours, de sorte que la LIPAD ne trouvait pas application et l’art. 26 al. 2 let. d et e LIPAD s’opposait à la transmission des documents requis.

c. Par courriel du 7 mars 2024, A______ a saisi le préposé cantonal à la protection des données et à la transparence (ci-après : le préposé) d’une demande de médiation.

d. Deux rencontres de médiation ont eu lieu les 18 avril et 6 mai 2024 en présence du préposé, du mandataire de A______, de la responsable LIPAD du département et de la juriste du service juridique de la police.

e. Par déterminations du 24 mai 2024, la direction juridique du département a relevé que la législation en vigueur ne lui permettait pas d’accéder aux notes personnelles visées (agenda et messages des policiers). Tant l’agenda d’un policier que les échanges qui surviendraient sur un dossier pénal déterminé entre les policiers ou entre des policiers et une procureure relevaient de la procédure pénale. De tels échanges se faisaient dans le cadre d’une stratégie d’enquête et devaient être considérés comme des documents judiciaires au sens large, lesquels étaient exclus du champ d’application de la LIPAD. Si, par impossible, la LIPAD était applicable, tant l’agenda du policier que les messages visés devaient être considérés comme des notes personnelles.

f. La médiation n’ayant pas abouti, A______ a sollicité la rédaction d’une recommandation.

g. Le 10 juin 2024, la préposée adjointe a recommandé au département de se référer à la direction de la procédure quant à l’accès concernant les échanges de courriels sollicités.

Ces courriels avaient indéniablement été élaborés dans le cadre d’une procédure pénale en cours. Dans un tel cas, c’étaient les dispositions du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0) qui trouvaient application, la LIPAD leur cédant le pas, conformément aux art. 26 al. 2 let. e et 26 al. 4 LIPAD. Ils étaient ainsi exclus du droit d’accès prévu par la LIPAD, à tout le moins tant que la procédure pénale était pendante.

Elle ne pouvait toutefois pas rendre de recommandation s’agissant de la consultation de l’agenda de l’inspecteur, faute d'avoir pu consulter le document requis.

h. Par décision du 8 juillet 2024, la direction juridique du département a refusé à A______ l’accès à l’agenda du Sergent-major B______, l’accès aux échanges de courriels entre la G______, ou tout inspecteur de la G______ et la première Procureure, de décembre 2016 à novembre 2017, ainsi que l’accès à tout échange électronique, en particulier le contenu de tout groupe de communications entre les policiers en charge de la procédure dirigée contre l’intéressée.

B. a. Par acte expédié le 9 septembre 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant à son annulation et à ce qu’il soit ordonné au département de l’autoriser à consulter l’intégralité des documents demandés le 8 janvier 2024. Subsidiairement, la cause devait être renvoyée à l’autorité intimée pour nouvelle décision.

Le Sergent-major B______ était l’enquêteur en charge de l’enquête auprès de la G______. Il s’agissait ainsi d’un agent public avec des fonctions dirigeantes, dans la mesure où il avait notamment coordonné une opération en 2017 avec plus de 20 policiers. Son agenda, relatif aux années passées, était ainsi un document administratif susceptible d’accès, comme l’avait au demeurant explicitement relevé le préposé fédéral à la transparence dans sa recommandation du 14 décembre 2021. Il en allait de même des échanges de courriels avec le Ministère public, qui n’avaient pas été versées à une procédure, ou des échanges avec ses collègues durant l’enquête.

En tant qu’ils fondaient leur refus sur les buts supposés de la demande, lesquels ne viseraient pas la transparence, la Commandante de la police et le département faisaient dépendre l’accès à des documents ou à des données personnelles d’un intérêt ou d’un but particulier. Or, un tel motif de refus était explicitement rejeté par la jurisprudence fédérale.

Soustrayant les documents en cause aux principes de la publicité et de la transparence, l’autorité avait choisi de faire primer le secret de l’administration, en dérogation au système voulu par le législateur. La notion d’activité juridictionnelle devait être appréhendée strictement afin de ne pas vider la LIPAD de sa substance. Les documents judiciaires « au sens large » n’étaient pas exclus de la LIPAD.

Enfin, les courriels ne revêtaient pas la qualité de notes prises à l’usage exclusif de leur auteur. Ils étaient bien plutôt assimilables à des notes adressées, même confidentiellement, à une personne déterminée.

b. Par réponse du 29 octobre 2024, le département a conclu au rejet du recours.

L’agenda d’un inspecteur de police, contrairement à celui d’un haut fonctionnaire chargé de la supervision d’une politique publique, constituait un simple instrument personnel pour la gestion des rendez-vous. Un inspecteur principal n’exerçait aucune fonction dirigeante au sein de l’institution. Son agenda n’était ainsi en aucune manière un instrument de conduite mais bien un instrument personnel, assimilable à des notes personnelles au sens de la LIPAD. Les éventuels échanges entre les policiers en charge de la procédure correspondaient également à des notes à usage personnel. Quant aux échanges intervenus entre des policiers en charge de la procédure pénale et la Procureure en charge du dossier, la demande d’accès devait être formulée dans le cadre de la procédure pénale, auprès de la direction de la procédure. Il ne serait, en toute hypothèse, pas en mesure d’accéder aux documents dont l’accès était sollicité, à tout le moins sans l’accord exprès de leurs détenteurs. Ainsi, si par impossible les documents dont l’accès était sollicité devaient être considérés comme étant soumis à la LIPAD, il invoquerait l’application de
l’art. 26 al. 5 LIPAD.

c. Par réplique du 23 décembre 2024, la recourante a persisté dans ses conclusions.

d. Par pli du 30 janvier 2025 adressé au sergent-major B______, la chambre administrative a demandé l’accès complet à l’agenda qu’il avait utilisé pour la période de décembre 2016 à novembre 2017, précisant qu’elle veillerait à son absolue confidentialité, tant à l’égard des parties à la procédure que des tiers et du public.

e. Le 21 février 2025, la Commandante de la police a répondu qu’en sa « qualité de supérieure hiérarchique du sergent-major B______ », elle informait la chambre de céans que les données dont l’accès était sollicité n’étaient « plus disponibles ».

f. Interpellée par la chambre de céans sur les motifs pour lesquels ces données n’étaient plus disponibles, la Commandante de la police a répondu que le
sergent-major B______ n’avait « pas conservé ses anciens agendas papier ». S’agissant de l’outil professionnel Outlook, « il n’utilisait pas – ou quasiment pas – ce système de messagerie ». Ce dernier ne contenait aucune donnée pour la période sollicitée.

g. Le 26 mars 2025, l’intimé a relevé que le courrier de la Commandante de la police n’appelait pas de commentaire de sa part.

h. Le 27 mars 2025, la recourante a relevé que l’intimé demeurait évasif et se soustrayait à son obligation légale de transparence. Il devait être tenu responsable du fait que les données avaient été partiellement détruites et cela alors même qu’elles faisaient l’objet de la procédure. Elle sollicitait l’audition du sergent-major B______, le cas échéant hors sa présence, afin qu’il puisse être interrogé sur ses souvenirs.

i. Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger, y compris sur mesures d’instruction.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 60 al. 1 LIPAD).

2.             La recourante sollicite l’audition du sergent-major B______.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas la juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit d’être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l’issue du litige (ATF 141 III 28 consid. 3.2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_245/2020 du 12 juin 2020 consid. 3.2.1). Le droit d’être entendu ne comprend pas le droit d’être entendu oralement ni celui d’entendre des témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; 138 III 374 consid. 4.3.2).

2.2 Selon l’art. 63 LIPAD, la juridiction compétente a accès aux documents concernés par le recours, y compris les données personnelles constituant l’enjeu du recours, à charge pour elle de veiller à leur absolue confidentialité et de prendre, à l’égard tant des parties à la procédure que des tiers et du public, toutes mesures nécessaires au maintien de cette confidentialité aussi longtemps que l’accès à ces documents n’a pas été accordé par un jugement définitif et exécutoire.

2.3 En l’espèce, la recourante sollicite l’audition du sergent-major B______ afin qu’il puisse être interrogé sur « ses souvenirs ». Cette demande d’audition fait suite à la réponse donnée par la Commandante de la police, en sa qualité de supérieure hiérarchique du sergent-major, à la requête de la chambre de céans en production de l’agenda utilisé par ce dernier durant la période de décembre 2016 à novembre 2017 en application de l’art. 63 LIPAD. Après avoir, dans un premier temps, indiqué que le document n’était « plus disponible », la Commandante de la police a expliqué, dans un courrier ultérieur, que son collaborateur n’avait pas conservé ses anciens agendas papier et qu’il n’utilisait pas, voire quasiment pas, le système de messagerie Outlook.

Il est certes regrettable que le document sollicité ne soit « plus disponible », alors même qu’il constitue l’objet de la présente procédure. L’explication de la Commandante de la police a, au demeurant, été donnée pour la première fois devant la chambre de céans, alors que l’accès au document litigieux avait déjà été sollicité par le préposé, mais refusé par l’intimé pour un autre motif. Une telle manière de procéder, qui s’inscrit en porte-à-faux avec le devoir de collaboration des parties et le principe d’accès par la juridiction aux documents concernés par la procédure (art. 63 LIPAD), ne saurait contribuer à la bonne marche de la justice. Il n’en reste pas moins que, selon les explications de la Commandante de la police, dont il n’y a pas lieu de s’écarter, l’inspecteur de police n’utilisait pas, ou quasiment pas, le système de messagerie Outlook durant la période litigieuse, disposant uniquement d’un agenda papier. Or, comme on le verra, ces explications suffisent à statuer en toute connaissance de cause, sans qu’il y ait lieu de questionner l’inspecteur sur le contenu et l’utilisation de son agenda durant la période considérée. Il ne sera donc pas donné suite à la requête d’audition formée par la recourante.

3.             Le litige porte sur la conformité au droit de la décision par laquelle l’intimé a refusé de donner accès à l’agenda d’un inspecteur de police, aux échanges de courriels entre la G______, respectivement tout inspecteur de la G______ et la Procureure en charge du dossier, ainsi qu’à tout échange électronique entre les policiers en charge de la procédure dirigée à l’encontre de la recourante.

3.1 La juridiction administrative chargée de statuer est liée par les conclusions des parties. Elle n’est en revanche pas liée par les motifs que les parties invoquent (art. 69 al. 1 LPA). Si la juridiction administrative admet le recours, elle réforme la décision attaquée ou l’annule. Si elle le juge nécessaire, elle peut renvoyer l’affaire à l’autorité qui a statué pour nouvelle décision (art. 69 al. 3 LPA).

3.2 L’activité publique s’exerce de manière transparente, conformément aux règles de la bonne foi, dans le respect du droit fédéral et du droit international (art. 9 al. 3 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst‑GE - A 2 00). Toute personne a le droit de prendre connaissance des informations et d’accéder aux documents officiels, à moins qu’un intérêt prépondérant ne s’y oppose (art. 28 al. 2 Cst-GE). Il a déjà été jugé que cette disposition n’avait pas une portée plus large que la LIPAD (arrêt du Tribunal fédéral 1C_379/2014 du 29 janvier 2015 consid. 5.4).

La LIPAD régit l’information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). Elle poursuit deux objectifs, à savoir, d’une part, favoriser la libre formation de l’opinion et la participation à la vie publique ainsi que, d’autre part, protéger les droits fondamentaux des personnes physiques ou morales de droit privé quant aux données personnelles les concernant (art. 1 al. 2 let. a et b LIPAD).

En édictant cette loi, le législateur genevois a voulu passer d'un régime du secret assorti d'exceptions, prévalant jusqu'alors pour l'administration genevoise, à celui de la transparence sous réserve de dérogation. Cette évolution législative est propre à renforcer tant la démocratie que le contrôle de l'administration, ainsi qu'à valoriser l'activité étatique et à favoriser la mise en œuvre des politiques publiques. L'instauration d'un droit individuel d'accès aux documents représente l'innovation majeure propre à conférer sa pleine dimension au changement de culture qu'implique l'abandon du principe du secret (ATF 148 II 16 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_25/2017 du 28 août 2017 consid. 3.1 ; 1C_277/2016 du 29 novembre 2016 consid. 3.2).

4.             Il convient en premier lieu d’examiner si la LIPAD s’applique à l’autorité intimée, ce que celle-ci conteste.

4.1 La LIPAD s’applique aux pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire cantonaux, ainsi que leurs administrations et les commissions qui en dépendent
(art. 3 al. 1 let. a LIPAD). Selon l’art. 3 al. 3 LIPAD, le traitement de données personnelles par les institutions publiques n’est pas soumis à la loi lorsqu’il : se limite à la prise de notes à usage personnel (let. a) ; est effectué par le Conseil supérieur de la magistrature, les juridictions et les autres autorités judiciaires en application des lois de procédure pénale, civile, administrative ou d’entraide judiciaire ou d’autres lois régissant leurs activités, aux fins de trancher les causes dont ils sont ou ont été saisis ou de remplir les tâches de surveillance dont ils sont ou ont été investis, sous réserve de l’art. 39 al. 3 (let. b).

Selon le message à l’appui de la LIPAD, l’art. 3 al. 3 let. b LIPAD constitue une clause d’exclusion du champ d’application à raison de l’entité chargée de procéder au traitement, en faveur du Pouvoir judiciaire. Il n’est guère possible de définir a priori l’activité juridictionnelle d’une manière plus précise que celle qui figure ici, mais le but visé est d’exclure clairement toute l’activité juridictionnelle du Pouvoir judiciaire, seules les activités à caractère non juridictionnel permettant l’application de la loi. Le traitement de données personnelles n’est ainsi pas soumis à la loi lorsqu’il est effectué par le Conseil supérieur de la magistrature, les juridictions et les autres autorités judiciaires en application des lois de procédure pénale, civile, administrative ou d’entraide judiciaire ou d’autres lois régissant leurs activités, aux fins de trancher les causes dont ils sont saisis ou de remplir les tâches de surveillance dont ils sont investis (Mémorial des séances du Grand Conseil de la République et canton de Genève [ci-après : MGC] 2005-2006 Y A, p. 8490).

4.2 Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a retenu que la LIPAD ne s’appliquait pas aux procédures civiles, pénales et administratives en cours. Le législateur genevois avait certes considéré qu'il n'y avait pas de raison de principe de soustraire le Pouvoir judiciaire au principe de la transparence sur ses activités. Toutefois, pour les procédures pendantes, les règles relatives à la consultation du dossier étaient fixées par les différentes lois de procédure. En matière pénale, l'autorité compétente selon les art. 74 et 102 CPP était la direction de la procédure ; celle-ci devait notamment respecter la présomption d'innocence et les autres intérêts légitimes au maintien du secret (arrêt du Tribunal fédéral 1C_604/2015 et 1C_606/2015 du 14 juin 2016 consid. 4.4).

Plus récemment, dans un arrêt publié, le Tribunal fédéral s’est demandé si un rapport d'audit commandé par le Conseil d’État du canton de Neuchâtel et figurant dans des dossiers de procédures civile et pénale était soumis à la Convention intercantonale du 9 mai 2012 relative à la protection des données et à la transparence dans les cantons du Jura et de Neuchâtel. Il a considéré que tant dans la procédure pénale que dans les procédures civiles en cours, le rapport d'audit ne constituait ni un acte de procédure ni un acte d'instruction lié à la procédure en cause ; il s'agissait d'un document élaboré en dehors de toute procédure judiciaire qui avait simplement été déposé dans les dossiers civils et pénal. Il n'était ainsi pas exclu du champ d'application de la convention précitée. Se référant au message relatif à la loi fédérale sur le principe de la transparence dans l’administration du 17 décembre 2004 (LTrans - RS 152.3), il a relevé que les documents qui, bien qu'ayant un rapport plus large avec les procédures en question, ne faisaient pas partie du dossier de procédure au sens strict, étaient en revanche accessibles aux conditions de la loi sur la transparence. Afin d'éviter une collision de normes, il était impossible de recourir à la LTrans dans le but d'éluder les règles spéciales concernant l'accès aux documents relevant des procédures topiques. L’accès à un document ne devait pas pouvoir entraver la bonne marche d'une procédure judiciaire. Il fallait distinguer, d'une part, entre les documents élaborés en dehors d'une procédure judiciaire (et pas non plus explicitement en vue d'une telle procédure) et, d'autre part, les documents qui ont été ordonnés expressément dans le cadre d'une procédure judiciaire (par exemple un échange d'écritures ou une expertise mise en œuvre par les autorités judiciaires). C'était seulement pour ces derniers que le principe de la transparence ne s'appliquait pas ; les autres documents demeuraient accessibles en vertu du principe de la transparence (ATF 147 I 47 consid. 3.4).

Dans une affaire récente concernant l’accès à l’agenda électronique d’un ancien Procureur, la chambre administrative a considéré que celui-ci n’était pas intégré au dossier pénal en cours et n’influait aucunement sur le processus décisionnel proprement dit. Il s’agissait d’un document administratif qui, bien qu’ayant un rapport plus large avec une procédure pénale en cours, n’avait pas été rempli en application d’une loi de procédure pénale, mais dans une pure optique d’aide organisationnelle. C’était donc à tort que l’autorité avait soustrait l’agenda de l’ancien Procureur au champ d’application de la LIPAD (ATA/1298/2024 du 5 novembre 2024 consid. 4.4). Un recours est actuellement pendant devant le Tribunal fédéral contre cet arrêt (cause 1C_724/2024).

4.3 En l’espèce, la demande d'accès aux documents a été adressée au service juridique de la police, soit une entité rattachée au département des institutions et du numérique (art. 5 al. 1 let. b du règlement sur l'organisation de l'administration cantonale du 1er juin 2018 - ROAC - B 4 05.10), lequel constitue un des sept départements de l’administration cantonale (art. 1 al. 1 ROAC). La LIPAD s'applique ainsi à ce titre (art. 3 al. 1 let. a LIPAD). L’intimé considère toutefois que les documents sollicités ont trait à l’activité juridictionnelle « au sens large », si bien qu’ils seraient soustraits au droit d’accès consacré par la LIPAD, comme cela était rappelé à l’art. 3 al. 3 let. b LIPAD.

Ce raisonnement doit être suivi s’agissant des échanges de courriels entre une Procureure et des policiers ou entre des policiers entre eux en lien avec une procédure pénale. Ces documents émanent d’autorités de poursuite pénale au sens de l’art. 12 let. a CPP, les activités de la police étant régies par le CPP (art. 15 al. 1 CPP). Il n’est par ailleurs pas contesté qu’ils ont été élaborés dans le cadre d’une procédure judiciaire, la demande d’accès s’y référant d’ailleurs expressément. En pareille hypothèse, et conformément à la jurisprudence précitée, le principe de la transparence ne s’applique pas. Les échanges de courriels sollicités, élaborés dans le cadre de la poursuite pénale et en application d’une loi de procédure, sont ainsi exclus du champ d’application à raison de la matière de la LIPAD. C’est partant à juste titre que, suivant la recommandation du préposé, l’autorité intimée a refusé de donner accès aux échanges de courriels sollicités. Il n’est ainsi pas nécessaire d’examiner si l’accès aux documents sollicités est propre à compromettre l’ouverture, le déroulement ou l’aboutissement d’enquêtes prévues par la loi (art. 26 al. 2 let. d LIPAD) ou s’il reviendrait à rendre inopérantes les restrictions au droit d’accès prévues (art. 26 al. 2 let. e et f et art. 26 al. 4 LIPAD), ce que conteste la recourante.

La situation se présente en revanche différemment s’agissant de l’agenda d’un inspecteur de police. Comme indiqué ci-avant, la chambre de céans a récemment jugé que l’agenda d’un ancien Procureur n’était pas intégré à un dossier pénal en cours et n’influait aucunement sur le processus décisionnel proprement dit. Aucune raison ne justifie de traiter différemment l’agenda d’un ancien Procureur de celui d’un inspecteur de police. Il s’agit d’un document administratif qui, bien qu’ayant un rapport plus large avec des procédures en cours, n’a pas été rempli en application d’une loi de procédure pénale. Ainsi, comme l’a retenu le préposé dans sa recommandation, ce document n’est pas soustrait au champ d’application de la LIPAD.

5.             Reste à examiner si le département pouvait refuser l’accès à l’agenda de l’inspecteur de police.

5.1 L’art. 24 LIPAD prévoit que toute personne, physique ou morale, a accès aux documents en possession des institutions, sauf exception prévue ou réservée par cette loi (al. 1). L’accès comprend la consultation sur place des documents et l’obtention de copies des documents (al. 2). La demande d’accès n’est en principe soumise à aucune exigence de forme. Elle n’a pas à être motivée, mais elle doit contenir des indications suffisantes pour permettre l’identification du document recherché (art. 28 al. 1 LIPAD).

Selon l’art. 25 LIPAD, les documents sont tous les supports d’informations détenus par une institution contenant des renseignements relatifs à l’accomplissement d’une tâche publique (al. 1). Sont notamment des documents les messages, rapports, études, procès-verbaux approuvés, statistiques, registres, correspondances, directives, prises de position, préavis ou décisions (al. 2). Pour les informations n’existant que sous forme électronique, seule l’impression qui peut en être obtenue sur un support papier par un traitement informatique simple est un document (al. 3). Les notes à usage personnel, les brouillons ou autres textes inachevés ainsi que les procès-verbaux non encore approuvés ne constituent pas des documents au sens de la loi (al. 4).

L’art. 25 al. 4 LIPAD exclut ainsi de la notion de document les notes à usage personnel (à savoir les notes prises à l’usage exclusif de celui qui les prend, et non les notes adressées même confidentiellement à une personne déterminée) ainsi que les brouillons ou autres textes inachevés (ATA/1267/2021 du 23 novembre 2021 consid. 6e), quand bien même elles concerneraient l’accomplissement de tâches publiques, des notes à usage personnel de collaborateurs de la fonction publique relèvent en quelque sorte de la sphère privée de ces derniers. Il importe par ailleurs que les rédacteurs de documents puissent faire évoluer leurs textes et travailler dans des conditions de sérénité avant qu’il ne soit possible d’accéder au produit de leur travail (MGC 2000 45/VIII 7694).

Selon l’art. 6 let. a du règlement d'application de la loi sur l'information du public, l'accès aux documents et la protection des données personnelles du 21 décembre 2011 (RIPAD - A 2 08.01), constituent notamment des notes à usage personnel au sens de l’art. 25 al. 4 LIPAD, qu’elles soient manuscrites ou non et quels qu’en soient la forme ou le support : les notes prises en vue de la rédaction future d’un document.

5.2 L’application de la LIPAD n’est pas inconditionnelle. L’art. 26 LIPAD fixe en effet des exceptions au droit d'accès. Sont ainsi soustraits au droit d'accès les documents à la communication desquels un intérêt public ou privé prépondérant s'oppose (art. 26 al. 1 LIPAD). Tel est le cas, notamment, lorsque l’accès aux documents est propre à mettre en péril la sécurité de l’État, la sécurité publique, les relations internationales de la Suisse ou les relations confédérales (art. 26 al. 2 let. a LIPAD).

Selon le message à l'appui de la LIPAD, la sauvegarde du processus décisionnel représente une exception classique au droit d'accès aux documents. Il s'agit de préserver la faculté des organes et administrations des institutions de réfléchir, de consulter, de rédiger plusieurs projets d'une éventuelle décision avant d'arrêter son choix. Plutôt que de supprimer purement et simplement l'accès à des documents préparatoires tant que la décision n'a pas été prise, la formule retenue par le législateur limite le refus d'accès aux documents relatifs à une décision en préparation au cas où une telle communication serait de nature à entraver notablement le processus décisionnel, par souci de ne pas vider le principe de la transparence de sa substance. Il importe également que la communication de documents ne compromette pas des négociations en cours, que ce soit sur un plan purement politique (par exemple dans le cadre de discussions avec les représentants de la fonction publique), sur le plan de relations avec d'autres institutions ou collectivités publiques, sur le plan de relations de droit public (par exemple en matière d'octroi de concessions) ou encore sur le plan de relations contractuelles soumises au droit privé. 

5.3 L’art. 25 al. 1 et 4 LIPAD a une teneur similaire à l’art. 5 al. 1 et 3 LTrans. Selon cette disposition, on entend par document officiel toute information qui a été enregistrée sur un quelconque support (let. a), qui est détenue par l’autorité dont elle émane ou à laquelle elle a été communiquée (let. b) et qui concerne l’accomplissement d’une tâche publique (let. c). Ne sont pas considérés comme des documents officiels les documents qui n’ont pas atteint leur stade définitif d’élaboration ou qui sont destinés à l’usage personnel (art. 5 al. 3 let. b et c LTrans).

À titre de comparaison, au plan fédéral, l’art. 1 al. 3 de l’ordonnance sur le principe de la transparence dans l’administration (OTrans - RS 152.31) – non applicable in casu – définit la notion de document destiné à l’usage personnel. Il précise que cette notion vise entre autres les documents utilisés exclusivement par un cercle restreint de personnes. Il s’agit par exemple des documents qui sont utilisés comme base de travail ou comme moyen auxiliaire (notes manuscrites, copies de travail, propositions de correction, aide-mémoire, notes d’accompagnement) au sein d’une équipe ou qui sont échangés entre un collaborateur et son supérieur. Sont également considérés comme des documents destinés à l’usage personnel, les informations à caractère personnel qui sont sans rapport avec l’accomplissement de tâches publiques. Tel est, par exemple, le cas des courriers électroniques qui ont un contenu strictement privé ou des tableaux personnels qui ornent un bureau (commentaire du 24 mai 2006 de l’ordonnance relative à la loi fédérale sur le principe de la transparence, p. 2 et 3).

Dans un arrêt publié aux ATF 142 II 324, le Tribunal fédéral a examiné le point de savoir si l’agenda Outlook de l’ancien chef de l’armement devait être considéré comme un document officiel au sens de l’art. 5 LTrans. Il a retenu que tel était le cas. Les informations contenues dans l’agenda Outlook dépeignaient globalement l’activité officielle de l’ancien chef de l’armement. Celui-ci avait utilisé son agenda en rapport avec l’accomplissement de sa fonction, et donc aussi pour exécuter des tâches publiques. Bien que des rendez-vous privés y aient aussi été consignés, les agendas électroniques et les informations qui y étaient contenues servaient principalement à l’activité professionnelle et à la direction de l’office, si bien que l’art. 5 al. 1 let. c LTrans trouvait application. Les inscriptions de l’agenda donnaient dans leur ensemble une vision de l’accomplissement de sa fonction par l’ancien chef de l’armement et des processus de la direction militaire. L’agenda Outlook n’était au demeurant pas destiné à son usage personnel, puisqu’il servait à la communication et à la coopération entre les collaborateurs. Le détenteur pouvait conférer des droits d’accès différents à divers utilisateurs, variant de la simple indication des périodes libres ou occupées jusqu’à l’affichage de tous les détails. L’agenda Outlook permettait aussi d’envoyer des invitations à participer à des séances. Il s’agissait donc, dans l’ensemble, d’un instrument destiné à soutenir sous divers aspects la coopération de divers utilisateurs. L’agenda n’était enfin pas uniquement un aide-mémoire personnel destiné à la gestion des rendez-vous individuels. Sa portée était notablement plus étendue : son détenteur était l’un des cadres plus élevés du département fédéral de la défense. Son agenda avait une influence déterminante dans l’ensemble de l’activité et des processus de l’office fédéral de l’armement. Même si le cercle des personnes habilitées à y accéder se limitait aux cadres supérieurs de l’office, il n’était pas qu’un simple aide-mémoire pour le déroulement de la journée et la gestion des rendez-vous. Il s’agissait d’un instrument de conduite essentiel pour la direction de l’office (consid. 2.5.1 et 2.5.2).

Dans une recommandation du 14 décembre 2021, le préposé fédéral à la protection des données et à la transparence a examiné le point de savoir si les agendas de deux enquêteurs de l’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) devaient être considérés comme étant destinés à l’usage personnel au sens de l’art. 5 al. 3 let. c LTrans. Selon le préposé fédéral, cette question impliquait d’analyser si les informations demandées avaient un rapport avec l’accomplissement de tâches publiques. Pour pouvoir se déterminer sur ce point, il était nécessaire que l'autorité lui communique au minimum les caractéristiques générales des entrées (ex. séances de travail, rendez-vous médicaux, voyage de service, etc.). Toutefois, l'AFC-CH, qui portait le fardeau de la preuve, ne lui avait pas fourni d'éléments permettant d'apprécier la nature desdits rendez-vous et n'avait pas motivé sa position. Par conséquent, l’AFC-CH n'ayant pas fourni une motivation suffisante permettant de démontrer qu'en l'espèce les entrées des deux calendriers n'avaient pas de lien avec l'accomplissement d'une tâche publique ou qu'elles étaient uniquement destinées à un cercle restreint de personnes, l'exception de l'art. 5 al. 3 let. c ne pouvait être retenue (disponible sur : https://www.edoeb.admin.ch).

Enfin, dans un arrêt récent déjà évoqué (supra consid. 3.1), la chambre administrative a considéré que l’utilisation d’un agenda Outlook par un ancien Procureur, en tant qu’elle était facultative et réservée à son seul usage, servait uniquement d’aide-mémoire au sens de l’art. 25 al. 4 LIPAD. Contrairement à celui qui occupait la position d’un des cadres les plus élevés du département fédéral de la défense, le Procureur n’assumait aucune fonction hiérarchique et exerçait ses activités juridictionnelles dans le respect de l’indépendance du magistrat. Le déroulement de sa journée et la gestion de ses propres rendez-vous n’avait aucune influence sur l’activité des autres membres de la juridiction. Sa situation se distinguait ainsi de celle envisagée dans l’ATF 142 II 324 (ATA/1298/2024 du 5 novembre 2024 consid. 5.4, un recours étant actuellement pendant devant le Tribunal fédéral).

5.4 Dans le cadre d'une procédure d'accès à des documents au sens de la LIPAD, le préposé cantonal est saisi par une requête écrite de médiation sommairement motivée notamment lorsque la demande d'accès d'un requérant n'est pas satisfaite (art. 30 al. 1 let. a LIPAD). Le préposé cantonal recueille de manière informelle l’avis des institutions et personnes concernées. La consultation sur place des documents faisant l’objet d’une requête de médiation ne peut lui être refusée, à charge pour lui de veiller à leur absolue confidentialité (art. 30 al. 3 LIPAD). Le document dont l’accès est contesté doit, sur demande du préposé cantonal, lui être communiqué. Cette communication se fait en principe au moyen de la consultation sur place du document ; exceptionnellement, le préposé cantonal peut en recevoir une copie, à charge pour lui de la restituer ou de la détruire à la fin de la procédure de médiation (art. 10 al. 4 RIPAD). Il importe que le préposé cantonal ait pleinement accès aux documents concernés, mais aussi que toute mesure soit prise pour que la procédure de médiation ne lève pas par elle-même la confidentialité litigieuse reconnue provisoirement aux documents en question. En cas de recours, la médiation représentera une pièce du dossier (Mémorial des séances du Grand Conseil de la République et canton de Genève [ci-après : MGC] 2000 45/VIII 7705).

Le Tribunal fédéral a confirmé le caractère obligatoire de la transmission au préposé des documents faisant l’objet d’une requête de médiation lorsque ce dernier en a fait la demande. Il a en effet relevé que, dans le cas particulier, si le préposé avait demandé à recevoir une version non-caviardée du document, cela n'aurait pas pu lui être refusé en application de l'art. 30 al. 3 LIPAD (arrêt du Tribunal fédéral 1C_590/2022, 1C_597/2022 et 1C_132/2023 du 16 novembre 2023 consid. 5.1.2).

Si la médiation aboutit, l’affaire est classée (art. 30 al. 4 LIPAD). À défaut, le préposé cantonal formule, à l’adresse du requérant ainsi que de l’institution ou des institutions concernées, une recommandation écrite sur la communication du document considéré (art. 30 al. 5 LIPAD). L'art. 30 al. 5 LIPAD exige que le préposé prenne position quant à la communication du document (MGC 2007-2008 XII A 14101).

L'art. 30 LIPAD contient une importante innovation, soit l’institution d’un médiateur, à savoir le préposé, chargé de veiller à la bonne application de la LIPAD. Cette solution n’exclut pas mais diffère au besoin l’engagement de procédures contentieuses, en étant propre à réduire l’ampleur d’un tel contentieux juridictionnel du fait des solutions qui ne manqueront pas d’être généralement trouvées par le biais de la médiation (MGC 2000 45/VIII 7703).

La chambre administrative a récemment considéré que l’absence de recommandation sur l’accès à l’agenda électronique d’un ancien Procureur constituait un vice procédural incompatible avec les exigences découlant de la procédure de médiation. Lorsqu'une procédure de médiation avait été engagée, la formulation d'une recommandation par le préposé, sur la base du contenu du document requis, ne constituait pas une simple prescription d'ordre mais une exigence formelle qui ne pouvait être éludée, sauf à vider la loi de son sens et de son but. Il ressortait tant du texte de la LIPAD que des travaux préparatoires relatifs à cette loi que le préposé cantonal avait un poids prépondérant puisqu'il était chargé de veiller à sa bonne application, et surtout qu'il avait l'obligation – et non pas la simple faculté – de prendre position sur la communication du document litigieux. Sa recommandation, même si elle n’était pas contraignante, était au demeurant importante puisqu'elle permettait d'orienter l'autorité dans sa future décision. Une recommandation par laquelle le préposé s’abstenait de prendre position n’était pas suffisante pour répondre aux exigences de l'art. 30 al. 5 LIPAD (ATA/1354/2023 du 19 décembre 2023 consid. 5.4).

5.5 Dans le cas particulier, il n’est pas contesté que l’inspecteur de police a utilisé son agenda en rapport avec l’accomplissement de sa fonction, et donc aussi pour exécuter des tâches publiques. Il constitue ainsi, sous réserve des cas visé à l’art. 25 al. 4 LIPAD, dont il sera question ci-après, un document au sens de l’art. 25 al. 1 LIPAD.

Les parties s’opposent sur le point de savoir si l’agenda d’un inspecteur de police doit être considéré comme des notes à usage personnel au sens de l’art. 25 al. 4 LIPAD (art. 3 al. 3 let. a LIPAD). Dans la décision entreprise, le département a considéré que l’agenda d’un inspecteur de police constituait un simple instrument personnel pour la gestion des rendez-vous. Il ajoute, dans sa réponse devant la chambre de céans, qu’un inspecteur de police n’est ni un cadre intermédiaire de l’État, ni un sous-officier de la police et n’exerce aucune fonction dirigeante au sein de l’institution. Son agenda n’est ainsi en aucune manière un instrument de conduite mais bien un instrument personnel. La recourante conteste cette appréciation, faisant valoir que la position hiérarchique de l’inspecteur principal est sans pertinence, la LIPAD s’appliquant indistinctement à toutes les personnes physiques ou morales. L’élément déterminant pour qu’un document puisse être qualifié de notes à usage personnel tient au caractère inachevé du document. Or, un agenda ne constitue pas un document inachevé.

Contrairement à ce que soutient la recourante, il ne ressort ni du texte de loi, ni de la jurisprudence rendue en la matière, que les notes à usage personnel doivent nécessairement être inachevées. À rigueur de texte, les « brouillons ou autres textes inachevés » sont soustraits de la catégorie de décisions, au même titre que les notes à usage personnel. L’exposé des motifs précise cependant que « les notes à usage personnel doivent être comprises comme les notes prises à l’usage exclusif de celui qui les prend » (MGC 2000 45/VIII 7694). Or, dans le cas présent, l’intimé a indiqué, sans être contredit sur ce point, que l’agenda en question constituait un instrument personnel et ne pouvait en aucun cas être considéré comme un instrument de conduite. Cette position est renforcée par le fait que, selon les explications de la supérieure hiérarchique de l’inspecteur concerné, ce dernier n’utilisait pas, ou quasiment pas, le système de messagerie Outlook, durant la période litigieuse, disposant uniquement d’un agenda papier. Il apparaît ainsi que son contenu n’était pas destiné à des tiers, mais servait uniquement d’aide‑mémoire pour la gestion de ses rendez-vous. S’ajoute à cela qu’un policier de terrain n’est, comme l’explique l’intimé, ni un cadre intermédiaire de l’État, ni un sous-officier de police et n’exerce aucune fonction dirigeante. Ainsi, et sur la base des explications du département et de la Commandante de la police, force est de retenir que la présente espèce se distingue de la situation envisagée dans l’ATF 142 II 324 sur deux points principaux : d’une part, l’agenda litigieux est destiné à l’usage exclusif de son détenteur ; d’autre part, il ne joue aucun rôle dans l’organisation, la conduite et la communication entre collaborateurs d’un service. Il s’ensuit que, conformément à l’art. 25 al. 4 LIPAD, l’agenda litigieux ne constitue pas un document au sens de la LIPAD.

5.6 Reste à examiner si l’absence de recommandation sur l’accès à l’agenda de l’inspecteur de police constitue un vice procédural incompatible avec les exigences découlant de la procédure de médiation.

La préposée adjointe a considéré qu’elle ne pouvait rendre de recommandation, faute d’avoir eu accès au document litigieux. Il est certes regrettable que le département n’ait pas transmis le document sollicité alors que la LIPAD lui imposait de le faire en cas de demande du préposé. On relèvera qu’il n’est pas possible de déterminer si le document litigieux était, à ce stade, « disponible », étant précisé que le refus du département de produire le document litigieux était motivé par l’absence de base légale lui permettant d’accéder à l’ordinateur de l’un de ses collaborateurs. La chambre de céans constate néanmoins que la préposée adjointe a expressément relevé que l’agenda n’avait pas été élaboré dans le cadre d’une procédure en cours, si bien qu’il n’était pas soustrait au champ d’application de la LIPAD. Elle a également attiré l’attention du département sur une recommandation rendue par le préposé dans le cadre d’une demande d’accès à l’agenda d’un ancien procureur, dans laquelle l’accès au document avait été préconisé dans la mesure où les extraits sollicités n’apparaissaient pas de nature à compromettre l’enquête. On ne peut ainsi constater l’absence totale de prise de position sur la communication du document litigieux. Quoi qu’il en soit, et comme indiqué ci-avant, l’art. 30 al. 1 let. a LIPAD prévoit que le préposé est saisi par une requête écrite de médiation sommairement motivée, à l’initiative d’un requérant dont la demande d’accès à un « document » n’est pas satisfaite. À rigueur de texte, on peut se demander si une lecture a contrario de cette disposition ne signifierait pas qu’en l’absence de « document » au sens de la LIPAD, le préposé n’a pas à examiner une telle requête. Si cette question ne nécessite pas d’être examinée plus avant, on ne saurait, en tous les cas, retenir que l’absence d’une recommandation sur l’accès à une information qui n’est pas considérée comme un « document » au sens de la LIPAD constitue un vice procédural incompatible avec les exigences découlant de la procédure de médiation. Il n’y a donc pas lieu d’annuler la décision entreprise pour ce motif.

C’est le lieu de préciser que ce raisonnement n’entre pas en contradiction avec la recommandation du 14 décembre 2021 du préposé fédéral à la protection des données et à la transparence portant sur la demande d’accès aux extraits d’agendas de deux collaborateurs de l’AFC-CH, citée par la recourante. Certes, dans ce cas, le préposé fédéral avait considéré que l’AFC-CH n’avait pas suffisamment motivé son refus d’accès en ne communiquant pas les caractéristiques générales des entrées des calendriers de ses collaborateurs. Or, contrairement à la situation prévalant dans ce cas, l’intimé a en l’espèce expliqué que l’agenda était destiné à l’usage exclusif de l’inspecteur de police. Or, c’est précisément cette caractéristique qui permet de qualifier l’agenda de notes à usage personnel au sens de l’art. 25 al. 4 LIPAD.

Aussi est-ce à raison que l’autorité intimée a refusé de donner accès à la recourante aux documents sollicités par cette dernière.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

6.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 septembre 2024 par A______ contre la décision de la direction juridique du département des institutions et du numérique du 8 juillet 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature de la recourante ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions ;

communique le présent arrêt à Me Romain JORDAN, avocat de la recourante, au département des institutions et du numérique, ainsi qu'au préposé cantonal à la protection des données et à la transparence.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. RODRIGUEZ ELLWANGER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :