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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3165/2024

ATA/355/2025 du 01.04.2025 ( DIV ) , REJETE

Descripteurs : EXPLOSIF;ARME(OBJET);MUNITION;AUTORISATION OU APPROBATION(EN GÉNÉRAL);MANIFESTATION;EXCÈS ET ABUS DU POUVOIR D'APPRÉCIATION
Normes : LPA.60.al1.letb; LExpl.1; LExpl.1.al3; LExpl.7; LExpl.7.leta; LExpl.15.al5; LArm.1; RaLExpl.5.al1
Résumé : L’octroi d’une autorisation pour des salves de tir à blanc avec de la poudre de guerre (ou poudre noire) dans le cadre de la cérémonie de la remise militaire du drapeau du Bataillon de Sauvetage 4 organisée par l’armée à la Perle du Lac relève de la LExpl et non de la LArm. Dès lors que cette cérémonie ne vise pas à commémorer un évènement historique, c’est à juste titre que l’autorité a refusé de délivrer l’autorisation sollicitée. Le recours est rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3165/2024-DIV ATA/355/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er avril 2025

 

dans la cause

 

COMPAGNIE A______ recourante
représentée par Me Alexandre BÖHLER, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé

 



EN FAIT

A. a. La Compagnie A______ (ci-après : la compagnie) a pour but de représenter la Société A______ lors de manifestations patriotiques ou folkloriques en Suisse ou à l’étranger.

B. a. Le 19 août 2024, la compagnie a déposé une demande d’autorisation pour des tirs aux fusils à poudre noire auprès de la brigade des armes, de la sécurité privée et des explosifs (ci-après : BASPE) du département des institutions et du numérique (ci‑après : le département).

Dans le cadre de la remise militaire du drapeau du Bataillon de Sauvetage 4, organisée par l’armée suisse et son capitaine B______, qui se déroulerait le 28 août 2024 à C______, elle sollicitait une autorisation pour effectuer deux salves au cours de cet événement. Les charges ne dépasseraient pas 4 g par tir et par arme. Les fusils étaient de modèle 1822 T Bis et huit tireurs étaient prévus.

b. Le 29 août 2024, le département a refusé de délivrer l’autorisation sollicitée.

La loi fédérale sur les explosifs (LExpl - RS 941.41) poursuivait un but d’intérêt public à la fois d’ordre de sécurité publique et de prévention des accidents. Elle posait l’interdiction de principe d’utiliser à des fins de divertissements des matières explosives, les cantons pouvant autoriser exceptionnellement l’emploi de poudre de guerre pour la commémoration d’événements historiques ou à l’occasion de manifestations analogues. Le règlement d’application de la loi fédérale sur les substances explosives (matières explosives et engins pyrotechniques) (RaLExpl - L - 5 30.02) reprenait cette exception, le département pouvant, à titre exceptionnel, autoriser un tel emploi.

Il ressortait du but poursuivi par ces textes, ainsi que de l’emploi des termes « exceptionnellement » et « à titre exceptionnel » que les notions d’événements historiques ou analogues devaient être interprétées de manière restrictive. L’autorité conservait une certaine marge d’appréciation, mais elle ne pouvait pas élargir ces notions au point que l’autorisation ne serait plus rendue à titre exceptionnel. Le caractère historique d’un événement était une notion objective ne laissant que peu de marge d’appréciation. Le fait que l’événement soit organisé par l’armée ne suffisait pas, en soi, à rendre l’événement historique. La remise d’un drapeau marquant la fin d’un cours de répétition n’était pas un événement historique mais faisait partie des tâches réglementaires d’un bataillon.

Pour évaluer si un événement était analogue à une commémoration historique, le département avait développé et appliqué certains critères, tels que l’accessibilité à l’événement par le public, l’absence de caractère commercial, le caractère fédérateur de l’événement qui participait à la cohésion sociale au sein de l’ensemble de la population genevoise autour de valeurs qui n’étaient pas prioritairement ou exclusivement festives, le caractère non banalisé de l’événement qui, à l’instar d’une commémoration, devait posséder un caractère exceptionnel. Dans le cas présent, il était admis que la remise de drapeau était un moment accessible au public et dépourvu de caractère commercial. En revanche, cet événement se présentait avant tout comme un marqueur réglementaire de la vie militaire destiné prioritairement aux participants à la séquence de formation et à leurs proches. À considérer que cette cérémonie possède également un caractère traditionnel, ce dernier se limitait au cercle militaire et ne participait pas à la cohésion sociale de l’ensemble de la population genevoise. Elle ne pouvait pas être qualifiée de tradition genevoise analogue à une commémoration historique. De surcroît, cet événement ponctuait toutes les fins des écoles de recrues et ne possédait pas ce caractère exceptionnel qui le rendrait analogue à une commémoration. La remise militaire du drapeau de Sauvetage 4 n’était ni un événement historique ni une manifestation analogue.

La compagnie n’avait en l’espèce pas de motif de solliciter l’autorisation du département du territoire en charge de l’application de l’ordonnance sur les réserves d’oiseaux d’eau et de migrateurs d’importance internationale et nationale du 21 janvier 1991 (OROEM - RS 922.32). Il était néanmoins relevé que cette ordonnance comportait des éléments susceptibles d’interdire les tirs à C______ qui était à proximité immédiate d’une réserve d’oiseaux d’eau. La question de la conformité à l’OROEM pouvait être laissée indécise en l’état, la décision de refus étant motivée par la seule application du RaLExpl.

C. a. Le 26 septembre 2024, la compagnie a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision. Elle a conclu à son annulation et, ceci fait, à ce qu’il soit dit que la loi fédérale sur les armes, les accessoires d’armes et les munitions du 20 juin 1997 (LArm - RS 514.54) était seule applicable aux salves de tir à blanc effectuées par la compagnie, subsidiairement dire que l’autorisation requise aurait dû être délivrée en application de la LExpl. Elle a sollicité l’audition du commandant de la compagnie, du sergent-major de la compagnie, du directeur ad interim de l’office cantonal de la protection de la population et des affaires militaires, du capitaine en charge pour l’armée suisse de l’organisation de l’événement à C______, du président de la société militaire des carabiniers genevois, du commandant de la compagnie de carabiniers 72 et du commandant du bataillon de carabiniers 14.

L’armée suisse, soit pour elle sa division territoriale 4 regroupant les cantons d’Appenzell Rhodes-Intérieures, d’Appenzell Rhodes-Extérieures, de Glaris, de Saint-Gall, de Schaffhouse, de Thurgovie et de Zurich, avait organisé le 28 août 2024, à C______, la cérémonie de remise militaire du drapeau de son bataillon de sauvetage, dit « Sauvetage 4 ». Pendant la prise de drapeau à l’entame de tout cours de répétition, cette cérémonie avait marqué la fin du cours effectué par les troupes de sauvetage de la division territoriale 4 à la caserne d’Epeisses du 12 au 30 août 2024. La cérémonie, ouverte au public, soit en particulier aux familles des troupes concernées, s’était déroulée selon le programme suivant : 17h40 animations musicales ; 17h55 entrée en musique des troupes sur l’espace et mise en place de celles-ci ; 18h00 début de la cérémonie, hymne national, marche et remise du drapeau ; 18h30 fin de la manifestation et apéritif. Un divisionnaire, commandant de la division territoriale 4 et à qui le drapeau du cours avait été remis et le directeur ad interim de l’office cantonal de la protection de la population et des affaires militaires avaient été présents. La Conseillère d’État en charge du département avait été invitée mais était excusée.

Elle avait déposé sa demande du 19 août 2024 car, lors des cérémonies de prise et de remise du drapeau des corps de troupe de l’armée suisse, les commandants sollicitaient l’appui de sociétés historiques, patriotiques et traditionnelles pour marquer ces cérémonies par des salves de tir à blanc au moyen d’armes anciennes. C’était notamment le cas du prestigieux bataillon genevois de carabiniers 14 de la division territoriale 1 qui couvrait l’ensemble des cantons romands. Ce corps de troupe, dont les origines remontaient au général Guillaume-Henri DUFOUR, la sollicitait régulièrement, de même que la compagnie de carabiniers 72 de la société militaire des carabiniers genevois, pour effectuer des salves de tir lors de ses cérémonies de prise et de remise de son drapeau.

Elle conservait un intérêt à recourir même si l’autorisation sollicitée portait sur un événement passé. Toute autre solution reviendrait à faire obstacle au contrôle de la légalité des décisions de l’intimé, la durée d’une procédure ordinaire de recours excédant celle entre la requête qu’elle avait formée et le déroulement de la manifestation. Par ailleurs, elle déposait plusieurs demandes de tir par année, de sorte que les questions soulevées dans son recours devaient trouver une réponse.

La décision attaquée s’appuyait exclusivement sur l’application de la LExpl. Or, cette loi n’était pas applicable lorsque la poudre noire était utilisée, comme c’était le cas ici, comme charge propulsive dans une arme à feu. Le fait que les salves soient tirées à blanc n’y changeait rien, un élément de munition – soit la charge propulsive – étant employé dans le canon d’un fusil de guerre. L’autorité intimée n’avait pas à faire application des art. 15 al. 5 LExpl et 5 al. 1 RaLExpl, ces dispositions étant exorbitantes au champ d’application de la LArm, loi sous l’angle de laquelle sa demande devait être examinée. Il n’y avait pas lieu de s’interroger sur les conditions d’application de la LArm, cette loi n’ayant pas été examinée par l’autorité intimée qui n’était pas compétente en la matière. Le principal remède requis était la confirmation de l’application exclusive de la LArm aux salves de tir à blanc.

Si la LExpl devait tout de même être applicable, elle soulevait un grief subsidiaire, en ce sens que sa requête devrait être acceptée en application de l’art. 15 al. 5 LExpl. L’intimé niait le caractère de commémoration historique ou de manifestation analogue à la remise du drapeau du bataillon de sauvetage 4. Cette motivation niait le caractère traditionnel, historique et solennel de la célébration de la remise du drapeau. L’autorité se concentrait sur le fait qu’il s’agissait de la cérémonie dudit bataillon, qui n’était qu’un bataillon parmi d’autres. Mais c’était la cérémonie elle‑même qui revêtait un caractère historique ou analogue. Le caractère historique de l’événement ressortait de la tradition militaire suisse, raison pour laquelle les autorités y étaient invitées.

b. Le département a conclu au rejet du recours. Il a sollicité l’audition du commandant de la compagnie et d’un représentant du département.

Il avait examiné ses archives et il n’apparaissait pas que les commandants auraient par le passé sollicité les sociétés de tir pour marquer, par des salves, les cérémonies de prise ou de remise de drapeau pour marquer le début ou à la fin d’une école de recrue. C’était la première fois qu’une demande d’autorisation pour une cérémonie de remise de drapeau à la fin de l’école de recrues lui était présentée depuis les cinq dernières années. Hormis la décision litigieuse, il n’avait pas trouvé de demande du bataillon genevois de carabiniers 14 de la division territoriale 1 pour des salves de tir.

Les termes poudre noire et poudre de guerre étaient synonymes. L’usage de la poudre de guerre entrait dans le champ d’application de la LExpl et la décision attaquée avait été rendue par l’autorité compétente. Comme il l’avait retenu dans la décision litigieuse, si la remise de drapeau était un moment accessible au public et dépourvu de caractère commercial, cet événement se présentait avant tout comme un marqueur réglementaire de la vie militaire, destiné prioritairement aux participants à la séquence de formation et à leurs proches. À supposer que cette cérémonie posséderait un caractère traditionnel, ce dernier se limitait au cercle militaire et ne participait pas à la cohésion sociale de l’ensemble de la population genevoise.

c. Dans sa réplique, la compagnie a relevé que la LExpl n’était pas applicable alors que la LArm l’était. Le département faisait valoir qu’il n’avait pas trouvé d’anciennes demandes relatives à des cérémonies de remise du drapeau. Or, elle n’avait jamais sous-entendu que ces demandes avaient porté sur des cérémonies dans le canton de Genève. Puisque le département remettait en cause le caractère historique et traditionnel des cérémonies de remise du drapeau, cette question devait être instruite. Elle sollicitait donc une nouvelle fois l’audition du président de la société militaire des carabiniers genevois, du commandant de la compagnie de carabiniers 72 et du commandant du bataillon de carabiniers 14. L’argumentaire de l’autorité incluait des critères extralégaux, la législation n’exigeant pas que l’événement soit destiné à toute la population, elle n’impliquait pas la cohésion sociale de la population d’un seul canton et elle ne conditionnait pas l’autorisation au caractère exceptionnel de la manifestation.

d. Le 29 janvier 2025, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

1.1 La demande d’autorisation litigieuse a été déposée par la recourante le 19 août 2024 pour un événement qui s’est déroulé le 28 août 2024. Se pose donc la question de savoir si la recourante conserve un intérêt actuel à ce que litige soit jugé, l’événement en question ayant déjà eu lieu.

1.2 Ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (art. 60 al. 1 let. b LPA). Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 ; ATA/471/2024 du 16 avril 2024 consid. 2.1).

1.3 Un intérêt digne de protection suppose également un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3). L'existence d'un intérêt actuel s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1). Il est toutefois exceptionnellement renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours (ATF 140 IV 74 consid. 1.3.3 ; 139 I 206 consid. 1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1157/2014 du 3 septembre 2015 consid. 5.2). Le Tribunal fédéral ajoute une condition supplémentaire, à savoir qu'en raison de sa portée de principe, il existe un intérêt public suffisamment important à la solution de la question litigieuse (ATF 137 I 23 consid. 1.3.1 ; 136 II 101 consid. 1.1 et les arrêts cités) ou lorsqu'une décision n'est pas susceptible de se renouveler mais que les intérêts des recourants sont particulièrement touchés avec des effets qui perdureront (ATF 136 II 101 ; 135 I 79).

1.4 En l’espèce, il n’est pas contesté que la recourante est touchée directement et plus que quiconque par la décision attaquée. Il ressort de cette dernière que la recourante a déposé sa demande auprès de l’intimé le 19 août 2024, puis qu’elle a été informée du refus de lui accorder l’autorisation de tir par courriel du 21 août 2024. Par courriel du 28 août 2024, jour de l’événement, la recourante a demandé à l’intimé de lui notifier une décision formelle en vue d’un recours, décision qui a été rendue le lendemain. La recourante a dès lors perdu son intérêt actuel à obtenir l’annulation de cette décision. La question de savoir si, comme semble l’affirmer la recourante, des demandes d’autorisation pour des salves de tir à blanc sont déposées régulièrement, ce que conteste l’intimé, pourra rester indécise. Il est en effet très probable qu’une cérémonie de remise militaire de drapeau se produise à nouveau à Genève. La recourante pourrait par ailleurs solliciter une même autorisation pour une autre occasion, de sorte qu’il lui importe de savoir si la décision en cause est fondée juridiquement. Enfin, la réponse à la question de savoir quelles dispositions légales sont applicables en pareil cas présente un intérêt public certain, dès lors qu’il n’apparaît pas qu’un litige du même ordre aurait déjà été jugé par la chambre de céans. Il sera par conséquent renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel et la qualité pour recourir de la recourante sera admise.

2.             La recourante et l’intimé sollicitent l’audition de plusieurs personnes.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s’étend qu’aux éléments pertinents pour l’issue du litige et n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). La procédure administrative est en principe écrite, toutefois si le règlement et la nature de l’affaire le requièrent, l’autorité peut procéder oralement (art. 18 LPA). Le droit d’être entendu n’implique pas le droit à l’audition orale ni à celle de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

2.2 En l’espèce, les parties ont eu l’occasion d’exposer en détail leurs points de vue, notamment sur les questions juridiques qui constituent l’essentiel du litige. Elles ont au surplus pu verser à la procédure toutes les pièces qu’elles ont estimé utiles. Le litige peut ainsi être jugé sans qu’il soit nécessaire d’entendre oralement les parties ou des témoins. Il ne sera en conséquence pas donné suite aux requêtes d’audition.

3.             Le litige porte sur la conformité au droit de la décision refusant l’autorisation de tirer au moyen de fusils à poudre noire à l’occasion de la remise militaire du drapeau de Sauvetage 4 organisée par l’armée suisse et qui s’est déroulée le 28 août 2024 à C______. Il n’est pas contesté que les termes poudre noire et poudre de guerre sont des synonymes.

4.             La recourante reproche principalement à l’intimé de s’être fondé sur la LExpl. Selon elle, seule la LArm serait applicable au cas d’espèce.

4.1 Selon son art. 1, la LExpl règle toute opération impliquant des matières explosives fabriquées à titre professionnel, des engins pyrotechniques et de la poudre de guerre. Ses dispositions concernant les engins pyrotechniques s’appliquent également à la poudre de guerre, à l’exception des art. 12 al. 5, 14, ainsi que 24 al. 3, et sous réserve de prescriptions particulières (al. 1). En ce qui concerne les engins pyrotechniques de divertissement, la loi ne s’applique qu’au fabricant, à l’importateur et au vendeur, ainsi qu’à leurs employés et auxiliaires (al. 2). La poudre utilisée comme charge propulsive dans les munitions pour armes à feu est soumise à la législation sur les armes (al. 3).

Par opération, on entend toutes les activités en rapport avec des matières explosives et des engins pyrotechniques, en particulier le fait d’en fabriquer, d’en entreposer, d’en détenir, d’en importer, d’en fournir, d’en acquérir, d’en utiliser et d’en détruire (art. 3 al. 1 LExpl).

Par matières explosives, il faut entendre les explosifs et les moyens d’allumage (art. 4 LExpl). Les explosifs sont des composés chimiques purs ou des mélanges de tels composés dont l’explosion peut être provoquée par allumage, par action mécanique ou d’une autre manière et qui, même en quantité relativement faible, sont dangereux en raison de leur pouvoir destructif, soit en charge libre, soit après bourrage (art. 5 LExpl). Les moyens d’allumage contiennent des substances explosives et servent à la mise à feu d’un explosif (art. 6). Les engins pyrotechniques sont des produits prêts à l’emploi, comprenant un élément explosif ou un dispositif d’allumage, qui ne servent pas à des fins de destruction, mais à d’autres fins d’ordre industriel, technique ou agricole, tels que moyens de signalisation, fusées météorologiques, cartouches servant à la soudure ou à la trempe des métaux (art. 7 let. a LExpl), ou sont destinés au simple divertissement comme les pièces d’artifice (art. 7 let. b LExpl). Est réputé poudre de guerre : tout produit utilisable comme propulseur de projectile, voire comme partie de produit fini ou semi-fini (art. 7a let. a LExpl) ; tout produit utilisable comme propulseur d’engin pyrotechnique, voire comme partie de produit fini ou semi-fini (art. 7a let. b LExpl).

4.1.1 La LArm a pour but, à teneur de son art. 1, de lutter contre l’utilisation abusive d’armes, d’éléments essentiels d’armes, de composants d’armes spécialement conçus, d’accessoires d’armes, de munitions et d’éléments de munitions (al. 1). Elle régit l’acquisition, l’introduction sur le territoire suisse, l’exportation, la conservation, la possession, le port, le transport, le courtage, la fabrication et le commerce : d’armes, d’éléments essentiels d’armes, de composants d’armes spécialement conçus et d’accessoires d’armes (al. 2 let. a) ; de munitions et d’éléments de munitions (al. 2 let. b). Elle a également pour but de prévenir le port abusif d’objets dangereux (al. 3).

4.2 La recourante conclut à l’application de la LArm en se fondant sur l’art. 1 al. 3 LExpl, disposition selon laquelle la poudre utilisée comme charge propulsive dans les munitions pour armes à feu est soumise à la législation sur les armes. Or, comme l’expose l’intimé, cette disposition ne permet pas d’exclure l’application de la LExpl au seul profit de la LArm dans le cas d’espèce. En effet, si les tirs auxquels entendait se livrer la recourante impliquaient l’usage d’armes à feu, il n’était pas prévu qu’elle utilise des munitions, étant précisé qu’on entend par munition, selon l’art. 4 al. 4 LArm, le matériel de tir muni d’une charge propulsive dont l’énergie libérée dans une arme à feu est transmise à un projectile. Comme l’explique la recourante elle-même, il était prévu d’introduire la poudre noire dans le canon du fusil avant qu’elle soit mise à feu par un dispositif à percussion commandé par une détente. Il n’était dès lors pas prévu d’utiliser cette poudre noire comme charge propulsive. Dès lors qu’il s’agit de tirs à blanc, la poudre noire dont l’usage était requis était libre, en ce sens qu’elle ne se trouvait pas à l’intérieur de munitions, ce qui exclut l’application de la LArm.

4.2.1 Pour appuyer sa démonstration, la recourante se réfère au message du Conseil fédéral relatif à la modification de la LArm du 11 janvier 2006 (FF 2006 2643, 2682). Ce message précise, à propos de l’art. 1 al. 3 LExpl, que : « L’al. 3 délimite les champs d’application respectifs de la loi sur les armes et de la loi sur les explosifs à propos de la poudre. La poudre qui est utilisée pour les armes à feu est soumise aux dispositions de la loi sur les armes. Les armuriers qui vendent de la poudre noire ou de la poudre vive n’ont pas besoin d’une autorisation supplémentaire au sens de la loi sur les explosifs. Les al. 4 et 5 de l’art. 1 de la loi sur les explosifs subissent des modifications purement formelles ». Cet extrait du message du Conseil fédéral ne permet toutefois pas de remettre en cause ce qui précède. En effet, comme le relève à juste titre l’intimé, le message ne reprend pas l’intégralité du texte de l’art. 1 al. 3 LExpl, en ce sens qu’il n’y est pas fait référence au terme de munitions, déterminant en l’espèce. En outre, cet extrait du message du Conseil fédéral ne saurait quoi qu’il en soit pas se substituer au texte légal clair en ce qu’il fait référence, dans toutes les langues nationales, à une charge propulsive et à des munitions, conditions nécessaires au renvoi vers la LArm (en allemand : Schiesspulver, das als Treibladung für Munition von Feuerwaffen verwendet wird, unterliegt den Bestimmungen der Waffengesetzgebung. ; en italien : La polvere da sparo utilizzata come carica propulsiva per munizioni di armi da fuoco sottostà alle disposizioni della legislazione sulle armi).

4.2.2 La recourante se réfère en outre à la réponse donnée le 8 septembre 1999 par le Conseil fédéral à une question ordinaire posée par une conseillère nationale et intitulée « Remise de poudre noire pour des événements historiques » (consultable à l’adresse : 99.1088 | Remise de poudre noire pour des événements historiques | Objet | Le Parlement suisse. La recourante cite une partie de cette réponse rédigée comme suit : « L'art. 12 LExpl dispose que l'utilisateur qui veut acheter des matières explosives doit être au bénéfice d'un permis d'acquisition ; par matières explosives, on entend les explosifs et les moyens d'allumage (art. 4 LExpl.). La poudre noire, poudre dite de guerre au sens de l'art. 7a LExpl., n'est ni un explosif (art. 5 LExpl.) ni un moyen d'allumage (art. 6 LExpl.). L'organisateur d'une manifestation de tir dans laquelle il est fait usage de poudre noire n'est pas soumis au régime du permis d'après la législation sur les explosifs. La poudre de guerre est un élément de munitions et il reste à vérifier si la nouvelle législation sur les armes impose des restrictions aux adeptes du tir aux armes se chargeant par la bouche. La LArm ne prévoit aucun permis d'acquisition pour les munitions. L'art. 15 al. 1 LArm précise que toutes les personnes remplissant les conditions d'octroi du permis d'acquisition d'armes énumérées à l'art. 8, de cette même loi peuvent en principe acquérir des éléments de munitions. Quant à l'aliénateur, il doit observer certains devoirs de diligence énoncés à l'art. 15 al. 2 LArm ».

Dans la mesure où cette réponse du Conseil fédéral concerne, d’une part, les permis d’acquisition nécessaires pour acquérir des matières explosives, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, et, d’autre part, qu’elle traite de l’usage de la poudre noire comme un élément de munitions, elle n’est pas de nature à contredire la position de l’intimé, aucune munition ne devant être utilisée dans le cadre de l’événement pour lequel l’autorisation a été sollicitée.

Il découle de ce qui précède que l’intimé a agi conformément au droit en fondant sa décision sur la LExpl et non sur la LArm, comme le souhaite la recourante.

5.             Dans un second grief, la recourante soutient que la cérémonie pour laquelle elle a sollicité une autorisation serait la commémoration d’un événement historique ou une manifestation analogue. Il serait selon elle notoire que lors des cérémonies de prise et de remise du drapeau des corps de troupe de l’armée suisse, les commandants sollicitent l’appui de sociétés historiques, patriotiques et traditionnelles pour marquer ces cérémonies par des salves de tirs à blanc au moyen d’armes anciennes. Ce serait notamment le cas du prestigieux bataillon genevois de carabiniers 14 de la division territoriale qui couvre l’ensemble des cantons romands. Ce corps de troupe, dont les origines remontent au Général Dufour, solliciterait non seulement la recourante mais aussi la Compagnie de Carabiniers 72 de la société militaire des carabiniers genevois, pour effectuer des salves de tir lors de ses cérémonies de prise et de remise de drapeau. Le caractère historique de ces cérémonies ressortirait dès lors de la tradition militaire suisse, raison pour laquelle des représentants des autorités y étaient invités, soit en particulier la conseillère d’État en charge du département.

5.1 L’art. 15 al. 5 LExpl dispose qu’il est interdit d’utiliser à des fins de divertissement des matières explosives et des engins pyrotechniques destinés à d’autres buts. Les cantons peuvent autoriser exceptionnellement l’emploi de poudre de guerre pour la commémoration d’événements historiques ou à l’occasion de manifestations analogues, s’il est garanti que son usage sera conforme aux règles de l’art.

Le canton de Genève a ménagé la possibilité d’autoriser l’emploi de poudre de guerre comme l’y autorise l’art. 15 al. 5 LExpl. Le canton a en effet adopté l’art. 5 al. 1 RaLExpl qui prévoit que le département peut, à titre exceptionnel, autoriser l’emploi de la poudre de guerre pour la commémoration d’événements historiques ou à l’occasion de certaines manifestations analogues.

5.2 Selon l’Académie française, est historique un événement qui a marqué ou marquera le cours de l’histoire et la mémoire des hommes (historique | Dictionnaire de l’Académie française 9e édition). C’est ainsi à juste titre que l’intimé cite l’Escalade, l’entrée au Port Noir ou la Restauration de la République comme étant des événements historiques. La position de l’intimé, pour qui la remise d’un drapeau marquant la fin d’un cours de répétition n’est pas un événement historique mais fait partie des tâches réglementaires d’un bataillon, n’est en conséquence pas critiquable.

5.3 La notion de « certaines manifestations analogues » est une notion indéterminée qui laisse à l’autorité une latitude de jugement. Il apparait, en outre, que l’art. 5 al. 1 RaLExpl est rédigé en la forme potestative. Il confère ainsi à l’autorité un large pouvoir d’appréciation dont la chambre de céans ne peut revoir que l’abus ou l’excès (art. 61 al. 1 let. a LPA). Il y a abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3). L’autorité doit enfin apprécier restrictivement les demandes qui lui sont soumises, une autorisation ne pouvant être délivrée qu’exceptionnellement selon l’art. 5 al. 1 RaLExpl.

L’intimé expose avoir développé des critères caractéristiques de la commémoration historique pour le guider dans sa prise de décision. Parmi ces critères, la liste n’étant pas exhaustive, figurent l’accessibilité de la manifestation au public ou le caractère fédérateur qui participe à la cohésion sociale au sein de l’ensemble de la population genevoise. Il indique exclure les manifestations destinées à un public restreint, l’entre-soi, les manifestations à caractère commercial ou privé, les manifestations à prépondérance festive ou encore des événements fréquents dépourvus de caractère exceptionnel.

En l’espèce, l’intimé expose avoir retenu que si la remise de drapeau est un moment accessible au public et dépourvu de caractère commercial, il se présente avant tout comme un marqueur réglementaire de la vie militaire destiné prioritairement aux participants à la séquence de formation et à leurs proches. Selon l’intimé, même à considérer que cette cérémonie possède un caractère traditionnel, ce dernier se limite au cercle militaire et ne participe pas à la cohésion sociale de l’ensemble de la population genevoise. C’est dès lors en se fondant sur des éléments objectifs et susceptibles de l’éclairer utilement dans sa prise de décision que l’intimé a motivé son refus. L’intimé a en conséquence fait un bon usage de son pouvoir d’appréciation, la présence d’un divisionnaire et d’un directeur de l’administration cantonale, voire d’une conseillère d’État, n’étant pas de nature à remettre en cause ce qui précède au regard des critères pertinents retenus par l’autorité intimée pour la guider dans sa prise de décision.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

6.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 septembre 2024 par la COMPAGNIE A______ contre la décision du département des institutions et du numérique du 29 août 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de la COMPAGNIE A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Alexandre BÖHLER, avocat de la recourante, au département des institutions et du numérique ainsi qu’à l’office fédéral de la police.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Claudio MASCOTTO, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :