Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1497/2024 du 20.12.2024 ( EXPLOI ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/2900/2024-EXPLOI ATA/1497/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 20 décembre 2024 2ème section |
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dans la cause
A______ SÀRL recourante
contre
DIRECTION DE LA POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimée
A. a. A______ Sàrl (ci-après : A______), inscrite au registre du commerce du canton de Genève le 18 juin 2019, a pour but d'effectuer tous travaux de carrelage, revêtement, maçonnerie, démolition, nettoyage, plâtrerie, moquette, parquet, peinture, sanitaire ainsi que tous travaux d'une entreprise générale de construction. Elle a pour seul associé gérant avec signature individuelle B______.
b. Par ordonnance pénale du 26 juin 2023, le Ministère public (ci-après : MP) a condamné B______ à une peine pécuniaire de 180 jours-amende à CHF 50.- pour violation de l’art. 117 al. 1 et 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), pour avoir employé en sa qualité d'associé gérant d'A______, entre le 26 février 2021 et le 31 juillet 2022, C______, un travailleur étranger d'origine kosovare dépourvu d’autorisation de travail. La peine a été fixée sans sursis au vu des antécédents spécifiques du précité qui avait déjà été condamné à deux reprises par le MP en date des 1er mars 2018 et 29 janvier 2019 pour emploi d'étrangers sans autorisation au sens de la LEI.
Entendu par le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) le 3 février 2023, B______ avait reconnu les faits reprochés tout en précisant qu'il avait engagé C______ sur la base de sa pièce d'identité italienne présentée lors de son engagement. Il avait également contacté par téléphone l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) qui lui avait confirmé qu'aucune autorisation n'était nécessaire pour l'engagement de travailleurs européens.
Il ressortait du dossier de la PCTN ainsi que des renseignements de l'OCPM que C______ était effectivement en possession d'un permis de séjour italien valable durant toute la période de son engagement auprès d'A______, mais qu'il était de nationalité kosovare.
c. Le 25 janvier 2024, la PCTN a informé A______ de l’ouverture d’une procédure administrative d’interdiction de marchés publics et de réduction des subventions à son encontre.
d. Le 19 février 2024, A______ s'est prononcée sur les faits reprochés.
Son employé lui avait présenté un document d'identité italien et l'OCPM lui avait indiqué qu'aucune démarche n'était nécessaire en cas d'engagement d'un employé européen. Elle s'était acquittée de toutes les charges sociales relatives à ce dernier.
Elle reconnaissait avoir commis une infraction grave, mais uniquement par méconnaissance de la loi. Son infraction découlait d'un malentendu portant sur le titre de séjour italien de son employé et non d'un mépris de la loi. Elle certifiait sur l'honneur qu'elle ne recommencerait plus et qu'elle se renseignerait désormais avant d'engager un travailleur étranger.
Elle concluait à ce qu'aucune sanction d'interdiction de marchés publics ne soit prononcée à son égard.
e. Par décision du 22 août 2024, la PCTN a exclu A______ des marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral pour une durée de 24 mois.
La condamnation pénale était définitive et exécutoire. La société avait employé un travailleur kosovar sans autorisation pour une durée de 17 mois. Les faits présentaient une gravité certaine, la peine prononcée par le MP étant lourde et B______ ayant déjà été condamné par deux fois pour des faits similaires. Le fait que les cotisations sociales avaient été payées n’était pas pertinent. La durée de la sanction, fixée à 24 mois pour un maximum légal de 60 mois, était proportionnée.
Les explications du précité ne convainquaient pas, l'employé en question ne possédant qu'un titre de séjour italien et non la nationalité italienne, il appartenait à la recourante de se renseigner sur ses obligations d'annonce.
B. a. Par acte du 3 septembre 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation.
Elle expliquait que C______ lui avait présenté un document d'identité européen, que son associé gérant avait appelé l'OCPM et eu confirmation qu'un européen pouvait travailler à Genève sans qu'aucune autre procédure ne soit nécessaire. Il avait alors engagé ce travailleur.
b. Le 17 septembre 2024, la PCTN a conclu au rejet du recours.
c. Le 10 octobre 2024, A______ a persisté dans ses conclusions.
Elle avait été induite en erreur par les informations transmises par l'OCPM lors de l'engagement de son employé.
d. Le 16 octobre 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Le recours porte sur le bien-fondé de la décision du 22 août 2024.
2.1 Le 1er janvier 2008 est entrée en vigueur la loi fédérale concernant des mesures en matière de lutte contre le travail au noir du 17 juin 2005 (LTN - RS 822.41).
2.2 Dans son message, le Conseil fédéral a relevé que le travail au noir devait être combattu pour des raisons économiques, sociales, juridiques et éthiques ; la lutte contre ce phénomène passait par une politique de répression ; il existait déjà de nombreux instruments législatifs susceptibles de favoriser cette lutte, mais il fallait les compléter avec la loi sur le travail au noir. Le projet de loi prévoyait une série de mesures pour accroître la répression trop lacunaire (Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale contre le travail au noir du 16 janvier 2002, FF 2002 3371, p. 3372). L’emploi clandestin de travailleurs étrangers, en violation des dispositions du droit des étrangers, était une forme de travail au noir (FF 2002 3371, p. 3374).
Outre l’aggravation des sanctions pénales et administratives prévues par les diverses législations topiques, la LTN introduisait une nouvelle mesure répressive, tendant à l’exclusion des procédures d’adjudication des marchés publics (FF 2002 3371 p. 3403 et 3404).
2.3 Selon l’art. 13 al. 1 LTN, en cas de condamnation entrée en force d’un employeur pour cause de non-respect important ou répété des obligations en matière d’annonce et d’autorisation prévues dans la législation sur les assurances sociales ou les étrangers, l’autorité cantonale compétente exclut l’employeur concerné des futurs marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral pour cinq ans au plus ; elle peut par ailleurs diminuer de manière appropriée, pour cinq ans au plus, les aides financières qui sont accordées à l’employeur concerné.
Le message du Conseil fédéral relève à propos de cette disposition qu’il s’agit de pouvoir, en cas de violation grave des dispositions légales relatives au travail au noir, prononcer contre l’employeur une exclusion temporaire des procédures d’adjudication de marchés publics ; sont concernés les appels d’offres des collectivités publiques au sens strict, ainsi que ceux d’entreprises concessionnaires, telles que les CFF ou la Poste (FF 2002 3371, p. 3419). Il précise encore que la sanction porte exclusivement sur des adjudications à venir. Il ne serait pas possible (ni juridiquement ni pratiquement) de conférer un effet rétroactif à ce type de décision. Dès lors, tout marché attribué reste acquis à son adjudicataire (FF 2002 3371, p. 3420).
2.4 L’art. 13 al. 1 LTN prévoit trois conditions pour le prononcé d’une sanction d’exclusion des futurs marchés publics ou de diminution des aides financières : la condamnation entrée en force d’un employeur ; la cause de cette condamnation, qui doit se limiter au non-respect des obligations en matière d’annonce et d’autorisation prévues dans la législation sur les assurances sociales ou les étrangers ; et le caractère important ou répété du non-respect desdites obligations.
2.5 Le prononcé d’une condamnation pénale (y compris sous la forme d’une ordonnance pénale au sens des art. 352ss du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 - CPP - RS 312.0) est la condition nécessaire de la sanction prévue par l’art. 13 al. 1 LTN. Les délits pénaux auxquels l’art. 13 LTN se réfère ne peuvent être que ceux qui visent spécifiquement les employeurs, notamment dans le cadre de la législation sur les étrangers (Guerric RIEDI, Les aspects sociaux des marchés publics, en particulier la protection des travailleurs, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STOECKLI, Droit des marchés publics, 2016, n. 86).
La LTN ne contient pas de définition de la notion d’employeur. Lorsque le travail au noir intervient au sein d’une personne morale, elle n’indique pas si la notion d’employeur vise la personne morale ou la personne physique qui détient ou contrôle la personne morale en question. Le message de la loi se référant aux « entreprises sous le coup de l’exclusion des marchés publics » et comme, dans le domaine des marchés publics, l’adjudicataire d’un marché public est en règle générale une entreprise, on doit admettre que le destinataire de la sanction d’exclusion prévue par l’art. 13 al. 1 LTN est en principe la personne morale. Cela explique qu’une exclusion des marchés publics prononcée à l’encontre d’une personne morale puisse reposer sur une condamnation pénale infligée au gérant de celle-ci. S’il suffisait d’écarter le gérant de la direction de la société, d’en créer une nouvelle identique dans ses buts et activités, d’en reprendre la clientèle, le carnet de commande et le personnel, pour échapper aux sanctions prévues par l’art. 13 al. 1 LTN, cette norme deviendrait inefficace et le but de la LTN serait détourné (Guerric RIEDI, op. cit., n. 88).
2.6 Il ressort des travaux parlementaires que le non-respect des obligations est important par exemple en raison du montant ou du nombre de travailleuses et travailleurs au noir engagés (« sie sind zum Beispiel aufgrund des Betrages oder der angestellten Anzahl Schwarzarbeitnehmerinnen oder Schwarzarbeitnehmer schwerwiegend » ; BO 2005 N p. 696, intervention de Remo GYSIN).
Dans l’interprétation de la notion de « non-respect important » de l’art. 13 al. 1 LTN, le Tribunal fédéral n’ayant pas encore eu à préciser cette notion, la chambre de céans se réfère notamment à la notion de « cas grave » au sens de l’art. 117 al. 1 LEI, lequel punit dans les cas graves, d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire, quiconque a, notamment, employé intentionnellement un étranger qui n’est pas autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse (ATA/194/2021 du 23 février 2021 consid. 6b ; ATA/213/2017 du 21 février 2017 consid. 9a ; ATA/758/2011 du 13 décembre 2011 consid. 6c ; Guerric RIEDLI, op. cit., n. 91 et 93).
Selon la doctrine, l’existence d’un cas grave au sens de l’art. 117 al. 1 LEI doit se juger à la lumière de l’ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas ; il peut y avoir cas grave lorsque l’auteur emploie un grand nombre d’étrangers sans autorisation, lorsqu’il impose des conditions de travail inacceptables ou lorsqu’il profite d’une situation de gêne ou de dépendance pour contraindre l’étranger à travailler (Luzia VETTERLI/Gabriella D’ADDARIO DI PAOLO, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela THURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer [AuG], 2010, n. 11 ad art. 117 LEI ; ATA/194/2021 du 23 février 2021 consid. 6b).
2.7 Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).
Le principe de la proportionnalité se compose ainsi des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).
2.8 Dans un premier arrêt de 2011, la chambre de céans a considéré que l’emploi au noir d’un seul travailleur pour une durée de moins de deux ans, sans autre transgression de la loi ou de la convention collective de travail, ne relevait pas d’un non-respect important des obligations au sens de l’art. 13 LTN (ATA/758/2011 du 13 décembre 2011).
Dans un second arrêt prononcé en 2017, la chambre administrative a jugé qu’en employant treize personnes sans autorisation de travail pour une durée cumulée de presque quatre ans, une entreprise avait violé de manière grave les obligations prévues par la législation sur les étrangers. Compte tenu du nombre de personnes employées et de la durée d’emploi, une exclusion des marchés publics pour une période de 18 mois n’était pas disproportionnée. Quand bien même l’ordonnance pénale ne retenait pas le cas grave de l’art. 117 al. 1 LEI, cela n’empêchait pas l’application de l’art. 13 LTN, car si la chambre administrative était liée par les faits retenus par l’ordonnance pénale, elle ne l’était pas pour les questions de droit (ATA/213/2017 du 21 février 2017 consid. 9e).
Dans une affaire jugée en 2021, la chambre de céans a constaté que la durée globale d’emploi de deux ressortissants étrangers s’élevait, pendant une période d’une année, à 17 mois et onze jours. Si cette durée rapprochait prima facie les agissements de la recourante de ceux examinés par l’ATA/758/2011, l’engagement successif de deux travailleurs ainsi que le temps écoulé entre les deux engagements réalisaient la condition de la répétition de l’art. 13 al. 1 LTN. La recourante, qui avait compris que le premier employé était dépourvu d’autorisation, avait mesuré le risque auquel son impéritie l’exposait et devait corriger sans attendre sa pratique. En ne le faisant pas et en embauchant un second travailleur sans autorisation, elle avait accru l’importance du non-respect de ses obligations au sens de l’art. 13 al. 1 LTN. Le département avait notamment exclu la société en cause des marchés publics communal, cantonal et fédéral ainsi que de toutes les aides financières cantonales et communales pour une durée de seize mois, sanction qui a été confirmée (ATA/142/2021 du 9 février 2021).
Dans un autre arrêt de 2021 encore, la chambre administrative a retenu que les conditions du prononcé de sanctions au sens de l’art. 13 LTN n’étaient pas remplies et a annulé une décision excluant une société des marchés publics aux niveaux communal, cantonal et fédéral pour une durée de 24 mois. Malgré la gravité des infractions retenues dans l’ordonnance pénale à l’encontre de l’associé gérant, un seul cas de non-respect des obligations pouvait être retenu à l’encontre de la société et cette infraction portait sur une durée relativement courte, soit près de quatre mois jusqu’au dépôt d’une demande d’autorisation (ATA/194/2021 du 23 février 2021).
Plus récemment, la chambre de céans a confirmé la décision d’exclusion d'une recourante des marchés publics pour une durée de seize mois. Cette sanction ne paraissait pas disproportionnée eu égard à l’importance de la faute, soit l’engagement de trois travailleurs dépourvus d’autorisation, certes durant une période « d’à tout le moins » trois jours, selon les termes de l’ordonnance pénale, mais en présence d’antécédents judiciaires spécifiques : l’associé de la recourante n’avait pas hésité, moins d’un mois après une condamnation, à employer sur un chantier trois ressortissants démunis d’autorisation de séjour, en tout cas durant trois jours (ATA/812/2022 du 17 août 2022).
La chambre administrative a également confirmé la décision d’exclusion des marchés publics pour une durée de seize mois d'un recourant ayant employé deux personnes dépourvues de permis pour une durée cumulée de 13.5 mois. La sanction n’était pas disproportionnée compte tenu de l’absence d’antécédents et du paiement des charges sociales et nonobstant l’écoulement du temps entre sa détermination et la décision querellée (ATA/930/2024 du 5 août 2024 consid. 3)
Enfin, dans un arrêt récent, la chambre administrative a confirmé que l'emploi d'un étranger dépourvu de permis pour une durée d’un peu plus de dix mois devait être qualifié de suffisamment long pour constituer un manquement important. Elle relevait à ce propos que l’arrêt ATA/758/2011 précité de 2011 restait un arrêt isolé, d’une part, et que depuis lors la jurisprudence s’était montrée plus sévère. La durée de l'exclusion a été fixée à dix mois par la chambre de céans (ATA/1348/2024 du 12 novembre 2024 consid. 2.7).
2.9 En l’espèce, les agissements de l'associé gérant de la recourante ont été sanctionnés par ordonnance pénale du 26 juin 2023 entrée en force. B______ a été condamné pour infraction à l’art. 117 al. 1 et 2 LEI, soit pour le non-respect d’une obligation en matière d’autorisation prévue dans la législation sur les étrangers, de sorte à remplir les deux premières conditions de l'art. 13 al. 1 LTN.
S'agissant des critères de l'importance et de la répétition, la chambre de céans constate que l'associé gérant de la recourante a engagé 26 février 2021 un ressortissant kosovar démuni d’autorisation de séjour et ce alors qu'il avait déjà été condamné deux fois pour les mêmes faits en mars 2018 et en janvier 2019. Ainsi, les engagements successifs et le temps écoulé entre ceux-ci réalisent la condition de la répétition de l’art. 13 al. 1 LTN, étant rappelé que la répétition peut consister en la réitération du comportement après une première sanction (ATA/812/2022 précité).
Au surplus, la durée du non-respect des conditions d’engagement de l'employé étranger, en l’occurrence de 17 mois, justifie de qualifier le manquement reproché d’important au vu de la récente jurisprudence (ATA/1348/2024 précité), de sorte à remplir la troisième condition de l'art. 13 al. 1 LTN.
La recourante indique avoir de bonne foi cru que son employé, en possession d'un titre de séjour italien, était en droit de travailler selon les informations reçues de l'OCPM.
Elle ne peut être suivie sur ce point. Elle ne pouvait ignorer être dans l'obligation de s’assurer du respect des dispositions légales en matière de droit des étrangers. Il lui appartenait en particulier de faire la différence entre un simple permis de séjour et un document attestant de la nationalité. Au vu des deux précédentes condamnations de son associé gérant, la recourante devait porter une attention spéciale aux questions relatives aux autorisations de travail afin d'éviter tout malentendu ou récidive. Après ses condamnations, l'associé gérant devait avoir mesuré le risque auquel son impéritie l’exposait et devait corriger sa pratique. En ne le faisant pas et en embauchant un troisième travailleur sans autorisation, il a accru l’importance du non-respect de ses obligations au sens de l’art. 13 al. 1 LTN.
La recourante fait enfin valoir qu’elle a déclaré son employé aux assurances obligatoires.
Cette circonstance n'est pas pertinente pour la qualification de cas grave. Si le fait pour l’employeur d’imposer des conditions de travail inacceptables ou de profiter d’une situation de gêne ou de dépendance pour contraindre l’étranger à travailler peuvent être constitutifs d’un cas grave (ATA/1187/2024 précité), leur absence est sans effet sur la qualification de cas grave lorsque celle-ci est acquise pour un autre motif.
Ainsi, c'est à raison que la PCTN a considéré que les conditions d'exclusion des futurs marchés publics étaient remplies.
3. La décision d'exclusion des futurs marchés publics étant fondée dans son principe, il convient à présent d'analyser si la sanction de 24 mois prononcée par la PCTN respecte le principe de proportionnalité.
3.1 Selon la jurisprudence, ne sont pas disproportionnées : l’exclusion des marchés publics pour une période de 18 mois en raison de l’emploi de treize personnes pour une durée cumulée de presque quatre ans (ATA/213/2017 précité) ; l’exclusion pour une durée de seize mois en raison de l’emploi de deux personnes pour une période d’une année pour un total de 17 mois et 11 jours, dès lors que les engagements étaient successifs (ATA/142/2021 précité) ; l’exclusion pour une durée de seize mois en raison de l’emploi de trois travailleurs durant une période d’à tout le moins trois jours mais en présence d’antécédents judiciaires spécifiques, soit une récidive peu après une première condamnation (ATA/812/2022 précité) ; l’exclusion pour une durée de seize mois en raison de l’emploi de deux personnes pour un total de 13.5 mois, et ce malgré l’absence d’antécédents, le paiement des charges sociales et l’écoulement du temps (ATA/930/2024 précité) ; l'exclusion pour une durée de dix mois pour l’engagement d’un seul travailleur dépourvu d'autorisation, pendant une période de dix mois, en l'absence d’antécédents et en s'acquittant du paiement des charges sociales (ATA/1187/2024 précité).
3.2 En l’espèce, en tant que la recourante fait valoir sa méconnaissance de la loi ainsi qu'un malentendu suite à la présentation par son employé d'un document d'identité italien, il sera relevé que cet argument a déjà été soulevé devant le MP, sans être retenu. Il appartenait en effet à la recourante de se renseigner sur la nature du document d'identité présenté afin de s'assurer des démarches à entreprendre et ce d'autant plus que son associé gérant avait déjà fait l'objet de deux condamnations récentes pour violation des dispositions légales applicables au droit des étrangers. Ces éléments ne sont dès lors pas de nature à réduire la durée de la sanction.
En revanche, quand bien même la sanction est fondée dans son principe et sa nature, elle paraît disproportionnée eu égard à la faute commise, soit l'engagement d'un seul employé pour une durée de 17 mois et le paiement des charges sociales et ce, malgré la présence d'antécédents spécifiques. Bien que la durée de la sanction reste dans la partie inférieure de la durée maximale prévue par l’art. 13 al. 1 LTN qui est de cinq ans, elle est supérieure à celle de situations dans lesquelles le manquement concernait plusieurs employés et/ou une période d'infraction plus longue.
Il convient ainsi de constater que la PCTN a commis un abus de son pouvoir d’appréciation en fixant à 24 mois la sanction d’exclusion des marchés publics.
Compte tenu de l’ensemble des éléments sus-évoqués, notamment des deux récidives spécifiques, la durée de la sanction d’exclusion des marchés publics sera ramenée à 18 mois.
Le recours sera partiellement admis dans la mesure précitée.
4. Vu l’issue du litige, un émolument, réduit, de CHF 300.- sera mis à la charge de la recourante et aucune indemnité de procédure ne sera allouée, celle-ci n’ayant pas recouru aux services d’un mandataire professionnel, et ne faisant pas valoir qu'elle aurait exposé des frais (art. 87 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 3 septembre 2024 par A______ Sàrl contre la décision de la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 22 août 2024 ;
au fond :
l’admet partiellement ;
annule la décision précitée en ce qui concerne la durée de l’exclusion des marchés publics ;
arrête la durée de cette exclusion à 18 mois ;
confirme la décision attaquée pour le surplus ;
met un émolument de CHF 300.- à la charge d'A______ Sàrl ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à A______ Sàrl ainsi qu'à la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir.
Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière :
B. SPECKER
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| le président siégeant :
C. MASCOTTO |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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