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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2870/2024

ATA/1448/2024 du 10.12.2024 ( PROF ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2870/2024-PROF ATA/1448/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 décembre 2024

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Patrick Miramontes, avocat

contre

COMMISSION DE SURVEILLANCE DES PROFESSIONS DE LA SANTÉ ET DES DROITS DES PATIENTS intimée

 



EN FAIT

A. a. Le 27 juin 2022, B______ a déposé une plainte auprès de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients  (ci-après : la commission) contre A______, pharmacienne.

Un incident avait eu lieu le samedi 4 juin 2022. Ce soir-là, elle devait recommencer son cycle de prise d’hormones contraceptives. Au moment de la prise, elle s’était rendue compte qu’elle n’en avait plus. Il lui restait alors trois heures pour trouver le dispositif, sans quoi ses effets seraient compromis. Elle s’est donc rendue à la pharmacie de garde, dont elle était une cliente fidèle et qui possédait l’historique de ses ordonnances renouvelables. Compte tenu du fait que son contrôle gynécologique annuel avait eu lieu récemment et qu’elle utilisait le dispositif hormonal depuis près de six ans sur prescription de sa gynécologue, son compagnon, le docteur C______, lui avait rédigé l’ordonnance. Il la connaissait, ainsi que ses antécédents médicaux, « mieux que quiconque ». Sur remise de l’ordonnance, la pharmacienne lui avait expliqué qu’un médecin ophtalmologue n’avait pas le droit de prescrire ce type de médicament. Seuls les gynécologues et les médecins généralistes étaient habilités à le faire. Comme elle avait contesté ce point, la pharmacienne avait alors haussé le ton, ce qui avait attiré l’attention des clients sur place, et indiqué que « c’était un médicament avec insertion vaginale ». La pharmacienne était consciente qu’elle avait le droit de la « dépanner pour cette fois ». Elle lui avait toutefois répondu qu’elle n’avait pas à le faire car elle avait une prescription et son compagnon avait sa carte de médecin suisse. Elle avait donc quitté les lieux sans son traitement. Il était impensable qu’un professionnel de la santé ne remplisse pas ses obligations de la sorte et « franchisse les limites de l’incompétence ». Ce n’était pas à la pharmacienne de décider si elle avait droit à son médicament ; son rôle se limitait à contrôler la molécule, le dosage et la catégorie de remise du médicament. Elle avait fait « irruption dans son autonomie reproductive » et avait « violé son intimité ». Il s’agissait d’une faute professionnelle grave.

b. Le 16 août 2022, A______ s’est déterminée sur la plainte, à l’invitation de la commission.

Elle contestait fermement les allégations de cette plainte. Pharmacienne depuis huit ans, elle avait toujours exercé son métier avec conscience du secret professionnel. Elle n’avait jamais refusé de vendre le contraceptif à la patiente mais ne pouvait le délivrer que pour un mois. Les clients avaient toutefois quitté la pharmacie sans acheter le médicament. Elle leur avait expliqué, sereinement, que s’agissant d’un contraceptif hormonal, il était approprié d’avoir un suivi médical par un spécialiste, en l’occurrence un gynécologue. Son compagnon était alors intervenu pour affirmer qu’en tant que médecin il pouvait prescrire tous les médicaments qu’il voulait. Il l’avait traitée d’incompétente, affirmant qu’elle ne connaissait pas la loi et qu’elle devait rester à sa place. Il avait eu des propos dénigrants, humiliants et rabaissants pour sa profession et sa personne.

c. Le 29 août 2022, B______ a rappelé que sa plainte avait pour objet la violation du secret professionnel par la pharmacienne ainsi que son refus de lui remettre un médicament soumis à l’ordonnance malgré la prescription établie par un médecin. Elle contestait que la pharmacienne n’avait pas refusé de lui vendre le médicament. Celle-ci leur avait clairement affirmé qu’elle ne lui vendrait rien et lui avait demandé de quitter la pharmacie. C’était cette attitude qui l’avait poussée à saisir la commission de surveillance. La pharmacienne ne semblait pas connaître la législation suisse sur la délivrance des médicaments. Son rôle était surtout de contrôler les interactions médicamenteuses.

d. Le même jour, le Dr C______ a dénoncé le fait que la pharmacienne ait « avec condescendance dénigré sa profession d’ophtalmologue » en prétendant qu’en cette qualité il n’était pas habilité à prescrire des médicaments non ophtalmologiques, ce qui était erroné. Une telle affirmation constituait une faute professionnelle non négligeable. Elle avait haussé le ton sur sa compagne, comme s’il s’agissait d’une personne dénuée d’intelligence. La pharmacienne avait divulgué des informations médicales à très haute voix concernant sa compagne devant plusieurs membres du personnel et une quinzaine de clients.

e. Le 5 septembre 2022, le bureau de la commission de surveillance a invité les parties à se déterminer quant à la possibilité de soumettre l’affaire à la médiation.

f. Le 12 septembre 2022, A______ s’est déclaré favorable.

g. Le 8 octobre 2022, B______ a refusé de soumettre le cas à la médiation.

h. Le 13 octobre 2022, le bureau de la commission de surveillance a ouvert une procédure administrative et a confié l’instruction à la sous-commission 5.

i. Par courrier du 10 novembre 2022, A______ a conclu au classement de la procédure ouverte à son encontre. Elle a expliqué qu’elle avait agi uniquement dans l’intérêt de la patiente, afin de lui apporter une prestation et un conseil de qualité et qu’elle n’avait adopté aucun comportement fautif, de sorte qu’aucune sanction ne se justifiait. Elle a rappelé qu’elle était disposée à délivrer le médicament à la patiente et a contesté avoir remis en cause l’intégrité professionnelle du Dr C______. Elle avait été humiliée en tant que pharmacienne, comme si sa profession était inférieure à la catégorie des médecins. Or, les compétences des pharmaciens avaient été élargies en leur donnant le droit de prescrire sous leur propre responsabilité une liste de médicaments nécessitant normalement une ordonnance médicale. Elle a ajouté que sa conduite n’avait en aucun cas été contraire à ses devoirs professionnels puisqu’elle n’avait divulgué aucune information confidentielle et qu’elle n’avait pas refusé de vendre le médicament. C’était la patiente et son compagnon qui avaient choisi de quitter la pharmacie sans le médicament. Elle avait fait son travail avec soin et conscience professionnelle dans l’intérêt exclusif de la santé de la patiente.

Il était faux de prétendre qu’elle avait parlé à très haute voix parce qu’elle avait toujours gardé son calme, même quand la patiente et son compagnon lui avaient posé des questions de manière ininterrompue en usant un ton agressif aux fins de vérification de ses compétences. Les informations données par la patiente avaient été traitées avec soin et la plus stricte confidentialité. La question était focalisée sur l’ordonnance et une ligne au sol marquait une zone de confidentialité entre les clients de la pharmacie. Tenant compte du bruit ambiant, il était impossible que d’autres clients aient entendu leur conversation. La suggestion d’avoir un suivi médical par un spécialiste devait être exclusivement vue comme la diligence d’un professionnel de la santé qui assurait le bon déroulement de sa mission.

j. Le 21 février 2023, la sous-commission 5 a clos l’instruction de la cause.

k. Par décision du 2 juillet 2024, la commission a infligé un avertissement à A______ en application de l’art. 20 al. 2 de la loi sur la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 7 avril 2006 (LComPS - K 3 03).

Bien que l’ordonnance pour la délivrance du contraceptif hormonal n’ait pas été remise en mains de l’autorité compétente, il était admis qu’elle avait été établie « en bonne et due forme ». La législation en matière de remise des médicaments ne disposait d’aucune façon qu’une ordonnance devait nécessairement émaner de la catégorie professionnelle en lien avec le type de médicament prescrit. Il n’était certes par usuel qu’un ophtalmologue prescrive un contraceptif hormonal. Cela n’était toutefois nullement prohibé.

Sa position était d’autant moins justifiée que le médicament en question faisait partie de la catégorie B de la « liste des médicaments autorisés à usage humain » établie par l’autorité d’autorisation et de surveillance des produits thérapeutiques Swissmedic. Le contraceptif prescrit aurait parfaitement pu être remis par la pharmacienne à la patiente même en l’absence de toute ordonnance médicale et ceci à plus forte raison que le dossier électronique de la patiente contenait l’information selon laquelle elle utilisait le même contraceptif « depuis longtemps ». Elle se devait donc d’honorer l’ordonnance médicale présentée par la patiente sans conditions ni restrictions. Sa position selon laquelle elle ne pouvait délivrer le médicament qu’à titre de dépannage n’était ainsi pas correcte. Un manquement professionnel devait donc être retenu.

Les griefs de la patiente en lien avec la violation de son secret professionnel par la pharmacienne n’étaient pas objectivés. Les versions divergeaient à ce sujet, si bien que la commission n’était pas en mesure d’établir quelle version correspondait à la réalité.

Compte tenu de l’absence d’antécédents, la sanction la moins sévère, soit l’avertissement, devait être prononcée.

B. a. Par acte du 4 septembre 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à sa nullité, subsidiairement à son annulation. À titre liminaire, elle sollicitait la production de l’ordonnance médicale établie en faveur de B______ par le Dr C______.

Le Dr C______ n’avait obtenu le titre de spécialiste en ophtalmologie que le 9 novembre 2023, soit un an et demi après les faits pertinents, et son autorisation de pratiquer n’avait été délivrée que le 29 novembre 2023. Outre le fait qu’une ordonnance médicale viciée conduirait inévitablement au classement immédiat de la procédure, l’établissement des faits permettrait au mieux d’appréhender l’ingérence des plus véhémentes et quasi immédiate du Dr C______ dans sa discussion avec B______.

L’autorité intimée avait arbitrairement retenu qu’elle avait refusé d’honorer l’ordonnance médicale présentée par la patiente. La proposition de délivrer le médicament pour un mois répondait au principe de diligence de la pharmacienne, qui recommandait un suivi par un spécialiste en gynécologie. Elle aurait naturellement remis le médicament pour plusieurs mois si la plaignante n’avait pas quitté l’établissement sous le coup de la colère. Dans le cas d’une ordonnance renouvelable pendant plusieurs mois, il était de pratique constante que le pharmacien propose la délivrance en quantité suffisante pour quelques jours ou semaines.

La commission avait omis de prendre en compte les devoirs professionnels spécifiques du pharmacien, lequel doit user de son autorité pour inciter le patient à prendre toute mesure propre à la sauvegarde de sa santé. Or, il était manifeste qu’au vu des risques associés à l’utilisation d’un contraceptif hormonal combiné, de la notice du médicament s’agissant des précautions entourant la prescription et la délivrance du médicament, ainsi qu’en raison du fait que ce médicament avait été prescrit par un ophtalmologue, la recourante avait parfaitement rempli ses devoirs de pharmacienne en recommandant, même vivement, un suivi adéquat.

Si, par impossible, un manquement devait être retenu, le respect du principe de la proportionnalité devait conduire à la renonciation de toute sanction, dès lors que la plaignante et son compagnon, par leur attitude manifestement belliqueuse le soir des faits, avaient contribué à créer, sinon à créer à eux seuls, une situation confuse ayant mené aux malentendus reprochés à la recourante.

Enfin, la commission avait délibéré en l’absence d’un membre pharmacien, soit dans une composition irrégulière et viciée, dès lors que la loi ne prévoyait nullement la possibilité d’une présence par visioconférence. Ce vice grave entrainait la nullité de la décision.

b. Le 8 octobre 2024, la commission a conclu au rejet du recours.

L’argument de la prétendue absence de validité de l’ordonnance, soulevé a posteriori, ne permettait pas à la recourante de remettre en cause la décision. Dans tous les cas, le fait que le Dr C______ n’était pas encore spécialiste en ophtalmologie au moment des faits était sans pertinence. En tant que médecin, il avait le droit de prescrire l’anneau contraceptif en cause.

Le recours à la visioconférence était spécifiquement autorisé par l’art. 18A al. 1 du règlement sur les commissions officielles du 10 mars 2010 (RCOf - A 2 20.01). La présence physique de la membre pharmacienne s’était avérée indispensable dans son officine au dernier moment. Ainsi, et pour des raisons de quorum, celle-ci avait participé à la séance plénière de la commission en visioconférence, comme le permettait la loi. Elle avait participé activement aux discussions et apporté son éclairage de pharmacienne sur l’affaire, de sorte que la commission avait pu statuer sur le cas sans en reporter le traitement à une séance ultérieure.

c. Par réplique du 8 novembre 2024, la recourante a relevé que le traitement d’une ordonnance médicale viciée ne pourrait en aucun cas conduire au prononcé d’une sanction disciplinaire. Le Dr C______, présent le soir de l’événement, s’était immiscé, sans raison, dans sa discussion avec la patiente. La commission ne motivait nullement en quoi la présence prétendument indispensable de la membre pharmacienne dans son établissement était un cas d’urgence. Elle sollicitait la communication du procès-verbal de la séance du 2 juillet 2024, en particulier les points et extraits relatifs à la décision d’avoir recours à la vidéoconférence. Il ressortait expressément de la décision attaquée qu’elle avait toujours soutenu avoir accepté de remettre le contraceptif hormonal combiné prescrit par l’ordonnance médicale dont elle avait reconnu le caractère renouvelable pour six mois, en se limitant simplement à proposer de délivrer le médicament pour un mois, et ce en parfaite cohérence avec la recommandation de diligence faite à sa cliente de bénéficier d’une consultation, respectivement un suivi, avec un spécialiste en gynécologie. La commission ne se déterminait nullement sur le grief de violation de l’art. 24 al. 1 du règlement sur les professions de la santé du 22 août 2006
(RPS - K 3 02.01), la disposition centrale réglant spécialement les devoirs du pharmacien.

d. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante sollicite la production de l’ordonnance médicale établie par le Dr C______ auprès de la pharmacie.

2.1 Le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes et de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_507/2021 du 13 juin 2022 consid. 3.1). Il n’empêche pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de se forger une conviction et que, procédant de manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu’elles ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1).

L’art. 42 al. 4 LPA précise que les parties ont le droit de prendre connaissance des renseignements écrits ou des pièces que l’autorité recueille auprès de tiers ou d’autres autorités lorsque ceux-ci sont destinés à établir des faits contestés et servent de fondement à la décision administrative.

2.2 Comme on le verra plus en détails ci-après (infra consid. 4.2), l’art. 113 al. 1 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03) prévoit que les médecins peuvent prescrire des médicaments, dans les limites de leurs compétences et compte tenu de la législation en la matière. Dans sa teneur avant le 25 novembre 2008, cette disposition prévoyait que seuls les médecins autorisés à pratiquer pouvaient prescrire des médicaments, dans les limites de leurs compétences et compte tenu de la législation fédérale en la matière. Selon le message relatif à la nouvelle loi sur la santé, la modification visait à supprimer l’obligation d’être au bénéfice d’un droit de pratiquer pour prescrire des médicaments. Il était souhaitable que les professionnels exerçant sous surveillance d’un pair qui n’étaient plus soumis à cette obligation puissent également prescrire des médicaments. C’est notamment le cas des nombreux médecins en formation postgraduée (Mémorial du Grand conseil [MGC] 21-22 septembre 2017, session VI, tome II, p. 8/17).

2.3 En l’occurrence, la recourante soutient qu’au moment des faits, le Dr C______ n’était pas titulaire du titre d’ophtalmologue mentionné sur l’ordonnance médicale. Il n’était pas non plus au bénéfice d’une autorisation de pratiquer sous sa propre responsabilité. Ainsi, contrairement à ce que retenait la décision litigieuse, le document remis n’était pas « établi en bonne et due forme ». Or, une ordonnance médicale viciée conduirait inévitablement au classement immédiat de la procédure.

Ce raisonnement ne saurait être suivi. Ainsi que le soutient l’intimée, le fait que le médecin n’ait obtenu son autorisation de pratiquer que le 29 novembre 2023, soit après l’incident du 4 juin 2022, est sans pertinence. Conformément au texte clair de l’art. 113 LS, dans sa teneur en vigueur depuis le 25 novembre 2008, il n’est pas nécessaire d’être au bénéfice d’une telle autorisation pour prescrire des médicaments. Seul est déterminant le fait qu’il était médecin. Or, à teneur de la pièce 4 recourante, l’intéressé est médecin depuis septembre 2018. Il n’est à cet égard pas déterminant qu’il ait obtenu, ou non, une spécialisation. Ainsi, le fait que le titre d’ophtalmologie ait figuré sur l’ordonnance médicale, alors que la spécialisation n’aurait été octroyée qu’après les faits pertinents, n’a aucune incidence sur l’issue du litige.

Il ne sera donc pas fait suite à la mesure d’instruction sollicitée.

3.             La recourante se plaint d'une violation de l'art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) garantissant le droit à une composition correcte de l'autorité qui statue.

3.1 Selon l'art. 41 de la loi fédérale sur les professions médicales universitaires du 23 juin 2006 (LPMéd - RS 811.11), chaque canton désigne une autorité chargée de la surveillance des personnes exerçant, sur son territoire, une profession médicale universitaire à titre d'activité économique privée sous leur propre responsabilité professionnelle (al. 1). Cette autorité de surveillance prend les mesures nécessaires pour faire respecter les devoirs professionnels. Elle peut déléguer certaines tâches de surveillance aux associations professionnelles cantonales compétentes (al. 2).

En vertu de l'art. 1 al. 2 LComPS, la commission est chargée de veiller au respect des prescriptions légales régissant les professions de la santé et les institutions de santé visées par la LS (let. a) et au respect du droit des patients (let. b).

Selon l’art. 18 LComPS prévoit que la commission ne peut délibérer valablement en séance plénière qu’en présence de cinq de ses membres ayant le droit de vote, comprenant au moins un homme et une femme (al. 1). Parmi ces membres doivent figurer nécessairement :  le président ou le vice-président (al. 2 let. a) ; un membre non professionnel de la santé (al. 2 let. b) ; deux médecins dont l’un choisi hors des établissements publics médicaux (al. 2 let. c). Pour les cas où l’affaire concerne une profession non représentée dans les membres visés à l’al. 2, il doit également être fait appel à son représentant (al. 3).

Selon l’art. 18A al. 1 RCOf, les séances peuvent être tenues par vidéoconférence, lorsque deux tiers des membres de la commission y consentent ou que de justes motifs le commandent, notamment en cas d’urgence ou d’épidémie. Le président apprécie l’existence de justes motifs (al. 2). Cette disposition est entrée en vigueur le 6 octobre 2020.

3.2 En l’occurrence, devant la chambre de céans, l’intimée a expliqué que la présence de la pharmacienne avait été indispensable dans son officine au dernier moment, si bien qu’elle avait participé à la commission en vidéoconférence. Un tel procédé n’est pas critiquable, étant rappelé qu’il appartient au président de la commission d’apprécier l’existence de justes motifs. Il n’est au demeurant pas contesté que la pharmacienne a participé à la délibération et qu’elle a pu apporter son éclairage en sa qualité de représentante de la profession.

Le grief de la recourante doit partant être rejeté.

4.             Le litige porte sur la conformité au droit de la décision par laquelle l’intimée a infligé un avertissement à la recourante pour violation de ses obligations en tant que pharmacienne.

4.1 Se pose en premier lieu la question du droit applicable.

4.1.1 La LPMéd a notamment pour but d’établir les règles régissant l’exercice de la profession de médecin à titre d’activité économique privée sous propre responsabilité professionnelle (art. 1 al. 3 let. e et art. 2 al. 1 let. d LPMéd).

Lorsqu’un médecin agit comme indépendant et que son activité répond à la notion qui en est donnée à l’art. 1 al. 3 let. e LPMéd, la loi sur les professions médicales lui est applicable et, au regard de la primauté du droit fédéral, il ne peut être soumis qu’aux mesures disciplinaires prévues par cette loi, à l’exclusion d’éventuelles sanctions prévues par le droit cantonal (ATF 143 I 352 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_747/2022 du 14 février 2023 consid. 6.2).

A contrario, les personnes exerçant une activité qui ne relève pas de l’art. 1 al. 3 let. e LPMéd sont soumises au droit cantonal et pas au droit fédéral disciplinaire (ATF 148 I 1 consid. 5.2).

4.1.2 En l’occurrence, il n’est pas contesté que la recourante travaillait comme pharmacienne employée au sein d’une pharmacie. Elle se trouvait dans un statut d’employée et ne supportait pas le risque économique de l’entreprise. C’est donc à l’aune du droit disciplinaire cantonal qu’il convient de trancher le recours.

4.2 Au niveau cantonal, la LS a pour but de contribuer à la promotion, à la protection, au maintien et au rétablissement de la santé des personnes, des groupes de personnes, de la population et des animaux, dans le respect de la dignité, de la liberté et de l’égalité de chacun. Le chapitre VI de la loi s’applique aux professionnels de la santé qui fournissent des soins en étant en contact avec leurs patients ou en traitant leurs données médicales et dont l’activité doit être contrôlée pour des raisons de santé publique (art. 71 al. 1 LS).

En application de l’art. 71 LS, sont soumis au RPS, en qualité de professionnels de la santé les personnes qui exercent les professions médicales universitaires de médecin, médecin-dentiste, chiropraticien, pharmacien et vétérinaire au sens de la LPMéd (art. 1 al. 1 let a RPS). Selon l’art. 24 al. 1 RPS, le pharmacien doit user de son autorité pour inciter le patient à prendre toute mesure propre à la sauvegarde de sa santé. Il l’engage notamment à consulter un médecin lorsqu’il a connaissance d’un état pathologique ou d’un usage abusif de médicaments.

Selon l’art. 113 LS, seuls les médecins, les dentistes, les chiropraticiens et les vétérinaires peuvent prescrire des médicaments, dans les limites de leurs compétences et compte tenu de la législation en la matière. Le département peut également établir une liste de médicaments pouvant être prescrits par les personnes exerçant la profession de sage-femme et à quelles conditions (al. 1). Les ordonnances médicales sont exécutées sous la responsabilité d’un pharmacien dans une officine (al. 2). Les professionnels de la santé sont tenus de contribuer à la lutte contre l’usage inadéquat et dangereux des produits thérapeutiques (al. 3).

4.3 Selon l’art. 77 LS, en plus de la loi, les dispositions de la LPMéd sont applicables à la profession de pharmacien.

Au titre des devoirs professionnels, l’art. 40 LPMéd prévoit notamment que les personnes qui exercent une profession médicale universitaire doivent exercer leur activité avec soin et conscience professionnelle et respecter les limites des compétences qu’elles ont acquises dans le cadre de leur formation (let. a), garantir les droits du patient (let. c).

Les devoirs professionnels ou obligations professionnelles sont des normes de comportement devant être suivies par toutes les personnes exerçant une même profession. En précisant les devoirs professionnels dans la LPMéd, le législateur poursuit un but d’intérêt public. Il ne s’agit pas seulement de fixer les règles régissant la relation individuelle entre patients et soignants, mais aussi les règles de comportement que le professionnel doit respecter en relation avec la communauté. Suivant cette conception d’intérêt public, le respect des devoirs professionnels fait l’objet d’une surveillance de la part des autorités cantonales compétentes et une violation des devoirs professionnels peut entraîner des mesures disciplinaires (ATA/987/2022 du 4 octobre 2022 consid. 5b ; ATA/941/2021 du 14 septembre 2021 consid.7d et les références citées).

4.4 L’art. 3 de la loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux du
15 décembre 2000 (loi sur les produits thérapeutiques, LPTh - RS 812.21) prévoit que quiconque effectue une opération en rapport avec des produits thérapeutiques est tenu de prendre toutes les mesures requises par l’état de la science et de la technique afin de ne pas mettre en danger la santé de l’être humain et des animaux (al. 1). 

Selon l’art. 23 al. 1 LPTh, les médicaments sont classés en catégories, selon qu’ils sont soumis à ordonnance ou non.

Selon l’art. 24 al. 1 let. a ch. 1 LPTh, les pharmaciens sont habilités à remettre des médicaments soumis à ordonnance, sur ordonnance médicale. Les pharmaciens peuvent remettre de tels médicaments sans ordonnance médicale s’ils ont un contact direct avec la personne concernée et que la remise est consignée, et s’il s’agit de médicaments et d’indications désignés par le Conseil fédéral.

Les pharmaciens peuvent, sans présentation d’une ordonnance, remettre les médicaments à usage humain suivants de la catégorie de remise B : médicaments utilisés pour poursuivre un traitement de longue durée pendant un an, après une première prescription médicale (art. 45 al. 1 let. b de l’ordonnance sur les médicaments du 21 septembre 2018, OMéd - RS 812.212.21).

Selon la « liste des médicaments autorisés à usage humain » établie par l’autorité d’autorisation et de surveillance des produits thérapeutiques, Swissmedic, les anneaux contraceptifs « Nuvaring » et « Circlet » sont des médicaments de catégorie B.

4.5 À teneur de l’art. 41 LPMéd, chaque canton désigne une autorité chargée de la surveillance des personnes exerçant, sur son territoire, une profession médicale universitaire sous leur propre responsabilité professionnelle (al. 1). Cette autorité de surveillance prend les mesures nécessaires pour faire respecter les devoirs professionnels. Elle peut déléguer certaines tâches de surveillance aux associations professionnelles cantonales compétentes (al. 2).

En application de l’art. 127 al. 1 let. a LS, les autorités compétentes pour prononcer des sanctions administratives à l’encontre des professionnelles ou des professionnels de la santé sont la commission de surveillance, le médecin cantonal ou le pharmacien cantonal, s’agissant des avertissements, des blâmes et des amendes jusqu’à CHF 20'000.- (art. 20 al. 2 LComPS).

Les mesures disciplinaires infligées à un membre d’une profession libérale soumise à la surveillance de l’État ont principalement pour but de maintenir l’ordre dans la profession, d’en assurer le fonctionnement correct, d’en sauvegarder le bon renom et la confiance que leur témoignent les citoyens, ainsi que de protéger le public contre ceux de ses représentants qui pourraient manquer des qualités nécessaires. Les mesures disciplinaires ne visent pas, au premier plan, à punir le destinataire, mais à l’amener à adopter un comportement conforme aux exigences de la profession et à rétablir le fonctionnement correct de celle-ci (ATF 143 I 352 consid. 3.3). Le prononcé d’une sanction disciplinaire tend uniquement à la sauvegarde de l’intérêt public (arrêt du Tribunal fédéral 2C_451/2020 du 9 juin 2021 consid. 12.1).

4.6 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst. se compose des règles d’aptitude, qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé, de nécessité, qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés, et de proportionnalité au sens étroit, qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

Conformément au principe de proportionnalité applicable en matière de sanction disciplinaire, le choix de la nature et de la quotité de la sanction doit être approprié au genre et à la gravité de la violation des devoirs professionnels et ne pas aller au‑delà de ce qui est nécessaire pour assurer les buts d’intérêt public recherchés. À cet égard, l’autorité doit tenir compte en premier lieu d’éléments objectifs, à savoir des conséquences que la faute a entraînées sur le bon fonctionnement de la profession en cause, et de facteurs subjectifs, tels que la gravité de la faute, ainsi que les mobiles et les antécédents de l’intéressé (arrêt du Tribunal fédéral 2C_922/2018 précité consid. 6.2.2 et les références citées). Les autorités compétentes disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans la fixation d’une sanction disciplinaire prévue par la LPMéd (arrêt du Tribunal fédéral 2C_451/2020 précité consid. 12.2 ; ATA/388/2022 précité consid. 7a).

4.7 À l'instar de ce qui prévaut dans la LPMéd, les autorités compétentes disposent d'un large pouvoir d'appréciation dans la fixation d'une sanction disciplinaire prévue par la LComPS.

Compte tenu du fait que la commission – respectivement son bureau – est composée de spécialistes, mieux à même d'apprécier les questions d'ordre technique, la chambre de céans s'impose une certaine retenue (ATA/875/2023 du 22 août 2023 consid. 2.4 et les arrêts cités).

5.             Dans le cas d’espèce, il est établi que la plaignante s’est présentée à la pharmacie munie d’une ordonnance pour la délivrance d’un contraceptif hormonal, valable pour six mois. Constatant que ladite ordonnance avait été établie par l’ami ophtalmologue de l’intéressée, la recourante n’a accepté de délivrer le médicament que pour un mois.

Dans la décision entreprise, l’intimée a retenu que la recourante se devait d’honorer l’ordonnance médicale présentée par la patiente, sans conditions ni restrictions. Il n’était ainsi « pas correct » de ne proposer qu’un « dépannage » pour un mois. La recourante conteste ce point de vue, faisant valoir qu’elle avait accepté de remettre le médicament prescrit par l’ordonnance médicale, dont elle avait reconnu le caractère renouvelable pour six mois, se limitant à proposer le médicament pour un mois, en toute cohérence avec sa recommandation diligente de bénéficier d’une consultation, respectivement d’un suivi, avec un spécialiste en gynécologie.

Or, il apparaît qu’en consultant le dossier informatique de la plaignante, la recourante a constaté que le médicament en cause avait déjà été délivré à la plaignante sur prescription de sa gynécologue traitante. Or, ainsi que le retient la décision entreprise, les anneaux contraceptifs « Nuvaring » et « Circlet » sont des médicaments à usage humain de catégorie B. En cette qualité, ils peuvent être remis sans ordonnance s’ils sont utilisés pour poursuivre un traitement de longue durée pendant un an, après une première prescription médicale (art. 45 al. 1 let. b OMéd). Or, tel est précisément le cas en l’espèce, si bien que le contraceptif en cause aurait pu être remis par la pharmacienne à la plaignante même en l’absence de toute ordonnance médicale, ce qui n’est pas contesté.

Il n’en reste pas moins que la patiente était munie d’une ordonnance médicale, renouvelable pour six mois. Or, ainsi que le relève l’autorité intimée, la législation en matière de remise de médicaments ne dispose pas qu’une ordonnance doit nécessairement émaner de la catégorie professionnelle en lien avec le type de médicament prescrit. Comme le relève l’intimée, il n’est certes « pas usuel » qu’un ophtalmologue prescrive un contraceptif hormonal. Il n’est toutefois pas contesté que la recourante avait accès au dossier informatique de la patiente et qu’elle savait que le dispositif hormonal avait été utilisé depuis près de six ans, sur prescription de sa gynécologue traitante. Il n’y avait ainsi pas de raison de douter que le médicament prescrit était justifié au regard de sa situation médicale.

La recourante ne pouvait davantage remettre en cause le fait que la patiente bénéficiait d’un suivi gynécologique. On ne peut certes pas lui reprocher d’avoir attiré l’attention de la patiente sur la nécessité d’un suivi gynécologique régulier, étant précisé que, selon la notice du médicament « Nuvaring », il est recommandé de « pratiquer des examens médicaux à contrôle régulier ». Une telle précaution s’inscrivait dans le devoir de la pharmacienne d’inciter sa patiente à prendre toute mesure propre à la sauvegarde de sa santé (art. 24 al.1 RPS). Toutefois, compte tenu du fait que la patiente était munie d’une ordonnance médicale valable pour un dispositif hormonal qu’elle prenait depuis six ans sur prescription initiale de sa gynécologue traitante et de la retenue que doit s’imposer la chambre de céans en la matière – l’autorité intimée était fondée à retenir que la proposition de ne délivrer le médicament que pour un mois à titre de dépannage constitue un manquement professionnel.

La sanction disciplinaire est, partant, justifiée dans son principe.

S'agissant de la proportionnalité de la sanction, celle-ci n'est à juste titre pas contestée par la recourante, dans la mesure où l'avertissement est la plus légère du catalogue de l’art. 127 al. 1 let. a LS.

Il découle de ce qui précède que le recours sera rejeté.

La chambre de céans laisse le soin à l’autorité intimée de transmettre le présent arrêt à la patiente dans la mesure où il apparaît du dossier que la commission lui a communiqué la décision attaquée, si elle l’estime nécessaire.

6.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe, et il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure
(art. 87 LPA).

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 septembre 2024 par A______ contre la décision de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 2 juillet 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Patrick Miramontes, avocat de la recourante ainsi qu'à la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :