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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1748/2024

ATA/1432/2024 du 09.12.2024 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1748/2024-PRISON ATA/1432/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 décembre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Cédric KURTH, avocat

contre

ÉTABLISSEMENT FERMÉ DE LA BRENAZ intimé

 



EN FAIT

A. a. A______ est incarcéré à l’Établissement fermé de la Brenaz (ci-après : La Brenaz) depuis le 9 janvier 2023 en exécution de peine.

b. Depuis qu’il est détenu à La Brenaz, il a été sanctionné à huit reprises :

-          le 27 juin 2023 : trois jours de cellule fort pour bagarre, violence physique ou verbale et comportement contraire au but de l’établissement ;

-          le 14 novembre 2023 : amende de CHF 50.- pour consommation de stupéfiants ;

-          le 9 décembre 2023 : amende de CHF 100.- pour possession de stupéfiants ;

-          le 14 décembre 2023 : trois jours de cellule forte pour détention ou fabrication d’objet dangereux ou interdit au sein de l’établissement et comportement contraire au but de l’établissement ;

-          le 28 janvier 2024 : suppression des activités pour une durée d’un jour pour refus de travailler ;

-          le 6 mars 2024 : amende de CHF 50.- pour consommation de stupéfiants ;

-          le 25 mars 2024 : trois jours de cellule forte pour violence physique (coup de tête) contre un détenu et comportement contraire au but de l’établissement ;

-          le 17 avril 2024 : amende de CHF 50.- pour possession de stupéfiants.

c. Selon le rapport d’incident du 23 avril 2024, l’agent de détention en poste à la centrale a aperçu le même jour à 19h06 la fin d’une altercation entre A______ et un autre détenu dans le lieu de vie.

Le sous-chef s’était déplacé pour visionner les enregistrements des caméras de surveillance et avait confirmé qu’il s’agissait bien d’une altercation. Il lui avait demandé d’appeler le responsable de secteur et d’enfermer provisoirement les deux protagonistes dans leurs cellules, ce qu’il avait fait à 19h15.

Il ressort de l’enregistrement que vers 19h00, A______ s’est emparé de la casserole du détenu B pour l’emporter dans sa cellule et la lui rendre après quelques minutes, dans ce qui semble être une farce. La relation s’est alors détériorée et les deux détenus sont apparus de plus en plus énervés et se sont rapprochés. A______ a poussé l’autre détenu, qui a heurté une table avant de revenir à la charge. A______ a saisi l’autre détenu au cou et a essayé de lui asséner un coup de coude dans le visage, que l’autre détenu a esquivé. Un troisième détenu a tenté de séparer les antagonistes alors que l’empoignade se poursuivait. A______ a encore essayé de frapper l’autre détenu avec sa tête, mais ce dernier a retenu son coup. Le troisième détenu s’est à nouveau interposé et le calme est revenu.

d. A______ a été entendu le même jour à 20h30. Il a déclaré : « Je n’ai rien fait. C’est mon ami ». Son codétenu, interrogé à 20h20, a déclaré : « On rigolait, il a voulu me faire une surprise. Il ne s’est rien passé, il s’est excusé ». Le troisième détenu, interrogé à 20h55, a déclaré : « Les détenus étaient en train de plaisanter, puis A______ a caché la casserole […] et après la tension est montée et se sont empoignés (un rapport de force). Il n’y a pas eu d’insultes ».

e. Le même jour, A______ s’est vu infliger une sanction de placement en cellule forte pour une durée de trois jours, soit du 23 avril 2024 à 20h35 au 26 avril 2024 à 20h35 pour tentative d’agression contre un codétenu. L’autre détenu a quant à lui été placé en cellule forte pour une durée d’un jour pout altercation et trouble de l’ordre.

B. a. Par acte remis à la poste le 23 mai 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation et à l’allocation d’une indemnité pour le tort moral subi lors de la mise au cachot durant trois jours. Préalablement, l’audition de B______ et C______, détenus à La Brenaz, devait être ordonnée.

La sanction découlait d’une mauvaise interprétation, subjective, d’une empoignade. Tous les protagonistes, y compris le sous-chef, avaient relevé un cadre de plaisanterie. Il était notoire qu’il n’existait pas de réelles empoignades entre détenus sans insultes. Les protagonistes étaient amis. Les deux témoins faisaient partie de leur groupe d’amis et pourraient confirmer leur amitié, laquelle rendait impossible l’agression retenue.

Sa libération conditionnelle devait être examinée le 20 juin 2024. En raison de la quotité de la peine, le solde représentait plus de 18 mois de détention. Aucun détenu ne compromettrait sa libération conditionnelle en risquant une sanction administrative.

b. Le 7 juin 2024, La Brenaz a conclu au rejet du recours. Les faits avaient été instruits et qualifiés correctement et la sanction était proportionnée.

c. Le 26 août 2024, A______ a persisté dans ses conclusions.

Si l’on pouvait admettre que certaines blagues faites entre codétenus, au surplus en l’espèce amis, n’atteignent pas toutes la finesse et l’élégance de salon, il n’y avait cependant pas lieu de criminaliser des comportements et nier le contexte amical dont se prévalaient les deux protagonistes. Il appartenait aux établissements carcéraux de ne pas procéder par amalgame, mais au contraire de discerner finalement les inimitiés réelles entre codétenus confiés.

d. Le 30 août 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recourant conclut préalablement à l’audition de deux témoins.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s’étend qu’aux éléments pertinents pour l’issue du litige et n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 ; 138 III 374 consid. 4.3.2). En outre, il n’implique pas le droit d’être entendu oralement, ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, il sera vu plus loin que l’existence entre le recourant et son codétenu d’une relation amicale n’est pas de nature à changer le jugement qui doit être porté sur l’établissement et la qualification des faits à l’origine de la sanction contestée. L’audition des témoins n’apparaît ainsi pas nécessaire pour la solution du litige et il ne sera pas donné suite à la demande d’acte d’instruction.

3.             Le recourant conteste la sanction, faisant valoir que les événements auraient été mal appréciés par l’intimé.

3.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

3.2 Le statut des personnes incarcérées à La Brenaz est régi par le règlement relatif aux établissements ouverts ou fermés d’exécution des peines et des sanctions disciplinaires du 25 juillet 2007 (REPSD - F 1 50.08), dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 REPSD). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l’égard du personnel, des autres détenus et des tiers (art. 43 REPSD).

3.3 Selon l’art. 43 REPSD, la personne détenue doit observer une attitude correcte à l'égard du personnel, des autres personnes détenues et des tiers. Selon l’art. 44 REPSD, il est interdit notamment d'exercer une violence physique ou verbale à l'égard du personnel, des autres personnes détenues et des tiers (let. h), de troubler l'ordre ou la tranquillité dans l'établissement ou les environs immédiats (let. i) et d'une façon générale, d'adopter un comportement contraire au but de l'établissement (let. j).

3.4 Si un détenu enfreint le REPSD, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 46 al. 1 REPSD). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 46 al. 2 REPSD). Le directeur de l’établissement et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer a) un avertissement écrit b) la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximum de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières c) l’amende jusqu’à CHF 1'000.- et d) les arrêts pour dix jours au plus (art. 46 al. 3 REPSD).

3.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATA/439/2024 précité consid. 3.6 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 5.4 ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

3.6 En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limitant à l’excès ou l’abus de ce pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/439/2024 précité consid. 3.7 ; ATA/97/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4f et les références citées).

3.7 En l’espèce, le recourant ne conteste pas les gestes qui ont été retenus par l’intimé. Ceux-ci ont été filmés par les caméras de surveillance et par ailleurs relatés par le troisième détenu qui a tenté d’intervenir pour séparer les protagonistes.

Le recourant soutient que l’interaction entre lui et son codétenu devrait être interprétée à la lumière de la relation amicale qu’ils entretiendraient.

Or, quand bien même il serait ami avec son codétenu, les gestes qu’il a eus à son encontre ne peuvent être interprétés par un tiers neutre que comme une agression, a fortiori une tentative d’agression ainsi que l’a retenu l’intimé. Les gestes sont objectivement agressifs et le recourant pousse son codétenu, puis le saisit par le cou et enfin semble chercher à le frapper. C’est d’ailleurs comme une agression qu’ils ont été perçus par le troisième détenu, poussant celui-ci à tenter de séparer les protagonistes.

Il est ainsi indifférent que le recourant et son codétenu aient pu affirmer aussitôt après qu’il s’agissait en substance d’une simple plaisanterie entre amis qui n’avait rien de sérieux. De même, le fait que le recourant aurait initialement voulu faire une farce à son codétenu ne change rien au caractère objectivement violent de l’altercation qui a suivi. En toute hypothèse, le fait de simuler une bagarre serait aussi passible de sanctions, le REPSD sanctionnant avant tout des comportements objectivement agressifs.

Enfin, l’argument selon lequel aucun détenu ne mettrait en jeu sa libération conditionnelle n’est pas de nature à infirmer le constat objectif que le recourant s’en est pris à son codétenu – étant observé que le recourant n’a pas précisé dans sa réplique si la libération conditionnelle lui avait été refusée, et dans l’affirmative pour quels motifs.

C’est ainsi de manière conforme à la loi que l’intimé a retenu une violation des art. 34 et 44 REPSD.

Le recourant ne discute ni le genre ni la quotité de la sanction. Compte tenu de la tentative d’agression retenue et des antécédents disciplinaires du recourant, la sanction de trois jours de cellule forte apparaît propre à atteindre le but d’inciter le recourant à se conformer au REPSD et de s’abstenir de toute attitude belliqueuse. Sa durée apparaît proportionnée à la gravité de la faute commise et tient compte de manière adéquate des antécédents.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             La procédure étant gratuite, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 cum 11 RFPA). Le recourant succombant, aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 mai 2024 par A______ contre la décision de l’Établissement fermé de la Brenaz du 23 avril 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Cédric KURTH, avocat du recourant, ainsi qu'à l’Établissement fermé de La Brenaz.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière

 

 

B. SPECKER

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :