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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1891/2024

ATA/1298/2024 du 05.11.2024 ( LIPAD ) , REJETE

Recours TF déposé le 16.12.2024, 1C_724/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

Pouvoir judiciaire

A/1891/2024-LIPAD ATA/1298/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 novembre 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Daniel Kinzer, avocat

contre

COMMISSION DE GESTION DU POUVOIR JUDICIAIRE intimée

 

B______ appelé en cause

 



EN FAIT

A. a. A______, citoyen français et israélien, a fait l’objet, dès 2013, d’une procédure pénale conduite à Genève, enregistrée sous le numéro de cause P/1______.

b. B______ a été procureur de la République et canton de Genève jusqu’en 2019. Il a instruit, jusqu’à son départ du Ministère public dudit canton, la procédure pénale diligentée à l’encontre de A______.

c. Par arrêt du 2 août 2019, la chambre pénale de recours de la Cour de justice
(ci-après : la chambre pénale de recours) a confirmé le bien-fondé du refus du Ministère public de verser à la procédure P/1______ le contenu des échanges du procureur avec les autorités de poursuite pénale israéliennes en lien avec les demandes d’entraide. Elle a retenu que les échanges entre autorités de poursuite destinés à coordonner et à assurer l’avancement des procédures d’entraide ne revêtaient pas la qualité d’actes de procédure ou de preuves au sens de l’art. 76 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0) dès lors qu’ils ne touchaient pas directement et personnellement le justiciable dans ses droits. Ils ne constituaient pas non plus des actes pouvant être utilisés dans le cadre de la procédure pénale et qui auraient un effet sur le déroulement de celle-ci.

B. a. Le 8 juin 2022, A______ a sollicité du service juridique du Pouvoir judiciaire la remise des notes de frais, avec tous les justificatifs, de B______, alors procureur, pour des voyages réalisés en octobre 2016, mars 2017 et février 2018 ainsi que son agenda pour les mêmes périodes.

Il a notamment exposé que dans le cadre de la procédure pénale P/1______ dirigée contre lui, le Ministère public avait soutenu qu’un certain nombre de documents « n’avaient pas à être versés au dossier de la procédure (art. 101 CPP) au motif qu’il ne s’agissait pas de documents relatifs à des actes de procédure en lien avec la procédure pénale précitée, respectivement qu’ils relevaient tout au plus d’une procédure d’entraide pénale (active), dans le contexte de laquelle ils n’avaient pas à être documentés ». Il a précisé que la chambre pénale de recours avait validé cette approche, par arrêt du 2 août 2019.

Sa demande d’accès à l’agenda était fondée sur la jurisprudence du Tribunal fédéral, publiée aux ATF 142 II 324. L’ancien procureur était un magistrat du Ministère public avec une garantie d’indépendance, de sorte qu’il s’agissait d’un agent public haut placé dont l’agenda devait être accessible pour tout citoyen.

b. Le Ministère public a indiqué n’avoir pas d’objection à la production des notes de frais requises, justificatifs compris, au motif que les déplacements de l’ancien procureur à New York (octobre 2016), et en Israël (en mars 2017 et février 2018) étaient connus depuis plusieurs années par les parties à la procédure pénale en cours. Il s’est, en revanche, opposé à la production de l’agenda, au motif que celui‑ci était uniquement destiné à un usage personnel et qu’il n’était pas partagé par l’intéressé avec les autres procureurs ou ses collaborateurs. Il constituait un simple instrument personnel pour la gestion des rendez-vous et des audiences.

c. Par décision 10 août 2022, le président de la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire de la République et canton de Genève (ci-après : la commission de gestion) a autorisé la communication des notes de frais relatives aux déplacements effectués en octobre 2016, mars 2017 et février 2018. Les déplacements visés par la demande d’accès étaient connus depuis plusieurs années puisqu’ils avaient notamment été évoqués dans le cadre de la procédure de récusation à l’encontre de l’ancien procureur. La production de ces documents n’était dès lors pas de nature à nuire à la procédure pénale en cours. Il a en revanche refusé l’accès à l’agenda de l’ancien procureur, dans la mesure où cet agenda était uniquement destiné à l’usage personnel du précité pour la gestion de ses rendez-vous individuels. Il ne s’agissait pas d’un instrument de conduite du Ministère public puisqu’il ne contenait aucun élément relevant de l’activité et des processus de cette juridiction.

d. Le 19 août 2022, A______ a déposé une requête en médiation, concluant à ce qu’il lui soit donné accès à l’agenda de l’ancien procureur pour les mois d’octobre 2016, de mars 2017 et de février 2018, les informations sans lien avec la procédure diligentée contre lui pouvant être caviardés.

e. Le 24 août 2022, B______ s’est opposé à la communication de son agenda, au motif que celui-ci servait exclusivement à l’organisation de ses activités professionnelles et privées et qu’il était le seul à en avoir la maîtrise. Son agenda était strictement personnel et confidentiel. Il n’avait aucune vocation à organiser l’activité d’autres personnes et encore moins d’un service, étant précisé qu’il n’exerçait aucune fonction hiérarchique. Il ne donnait au demeurant aucune vue sur l’activité publique du Ministère public ou d’un cabinet, pas plus qu’il ne servait à gérer un service. Enfin, la divulgation du contenu de l’agenda, qui contenait des inscriptions sensibles, pouvait constituer une violation du secret de fonction.

f. Le 5 octobre 2022, une séance de médiation a eu lieu entre A______, le préposé cantonal genevois à la protection des données et à la transparence (ci-après : le préposé) et la responsable des demandes d’accès du Pouvoir judiciaire. La commission de gestion a maintenu son refus de donner accès à l’agenda, de sorte que la médiation n’a pas abouti.

g. Le 5 octobre 2022, la préposée adjointe a sollicité du service des affaires juridiques du Pouvoir judiciaire la communication du document requis afin de pouvoir rendre sa recommandation.

h. Le 18 octobre 2022, B______ a refusé de lui transmettre une copie de son agenda, faisant valoir qu’une telle divulgation constituerait une violation de son secret de fonction et porterait atteinte à sa vie privée.

i. Le 3 novembre 2022, la préposée adjointe a exposé que, faute d’avoir pu consulter le document requis, elle ne pouvait pas rendre une recommandation sur sa consultation.

j. Par décision du 16 novembre 2022, la commission de gestion a refusé à A______ l’accès à l’agenda de B______ pour les mois d’octobre 2016, de mars 2017 et de février 2018.

L’agenda était uniquement destiné à l’usage personnel de l’ancien procureur pour la gestion de ses rendez-vous individuels. Il était le seul à en avoir la maîtrise et n’avait pas cédé ses droits d’accès à d’autres personnes, notamment sa greffière ou son greffier.

Le document requis n’était pas un instrument de conduite du Ministère public contenant des éléments relevant de l’activité et des processus de cette juridiction puisqu’il n’était destiné qu’à un usage personnel. De plus, il était uniquement utilisé comme aide-mémoire, si bien qu’il n’entrait pas dans la catégorie des documents accessibles selon la loi.

C. a. Par acte remis à la poste le 30 décembre 2022, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant préalablement à ce qu’il soit ordonné au Pouvoir judiciaire et à B______ de remettre à la chambre administrative l’agenda de ce dernier pour les mois d’octobre 2016, mars 2017 et février 2018, et à ce que l’agenda soit soumis au préposé pour préavis. Principalement, il a conclu à l’annulation de la décision précitée et à ce qu’il soit ordonné au Pouvoir judiciaire de lui remettre l’agenda de l’ancien procureur pour les périodes précitées.

b. Le 27 mars 2023, sur demande du juge délégué de la chambre administrative, B______ a produit les tirages de son calendrier Outlook professionnel pour les mois d’octobre 2016, mars 2017 et février 2018.

c. Par arrêt du 19 décembre 2023, la chambre administrative a partiellement admis le recours et annulé la décision entreprise.

La demande d’accès à l’agenda de l’ancien procureur avait été adressée au Pouvoir judiciaire, soit une institution publique à laquelle la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 [LIPAD ‑ A 2 08] s’applique, si bien que la demande n’était pas d’emblée exclue du champ d’application de cette loi. Au cours de la procédure de médiation, ni l’intimée ni l’ancien procureur n’avaient remis la pièce sollicitée au préposé, malgré la demande expresse de ce dernier et en dépit du fait que, comme l’avait rappelé le Tribunal fédéral, ils avaient l’obligation de la lui communiquer, le préposé devant avoir pleinement accès aux documents concernés pour se prononcer. Dans ces circonstances, ce dernier avait déclaré ne pas être en mesure de rendre une recommandation sur la communication de ce document. La procédure était donc viciée au regard des exigences procédurales de l’art. 30 al. 3 et 5 LIPAD. L’absence de recommandation sur la communication du document requis constituait un vice procédural incompatible avec les exigences découlant de la procédure de médiation et qui devait ainsi emporter l’annulation de la décision considérée.

D. a. Le 14 mars 2024, la préposée adjointe a recommandé la transmission à A______ de l’agenda de B______ pour les mois d’octobre 2016, mars 2017 et février 2018, caviardé des informations sans lien avec le requérant, ainsi que des éléments en lien avec le requérant, dont l’accès était de nature à compromettre l’ouverture, le déroulement ou l’aboutissement de l’enquête pénale, ou de rendre inopérantes les restrictions au droit d’accès à des dossiers qu’apportaient les lois régissant les procédures dont il était question.

La requête portait sur un document administratif, si bien que la LIPAD s’appliquait. L’agenda Outlook était mis à disposition du procureur par le Pouvoir judiciaire du fait de sa fonction au sein de cette institution publique et en lien avec son adresse électronique rattachée à ladite institution. Comme tout agenda Outlook, il permettait à son détenteur de conférer des droits d’accès à divers utilisateurs, variant de la simple indication des périodes libres ou occupées jusqu’à l’affichage de tous les détails ; il permettait également d’envoyer des invitations à participer à des séances. Le réglage des autorisations dépendait du titulaire de l’agenda. L’agenda considéré contenait trois catégories d’occurrences, à savoir des rendez-vous privés, des audiences concernant d’autres procédures pénales que celles visant le requérant et trois occurrences concernant expressément – et deux potentiellement – la procédure pénale concernant le requérant. L’agenda était donc utilisé, à tout le moins en partie, en rapport avec l’accomplissement de sa fonction de procureur et donc pour exécuter des tâches publiques. Il s’agissait donc d’un support d’informations relatif à l’accomplissement d’une tâche publique. L’agenda devait être considéré comme un document au sens de l’art. 25 al. 1 LIPAD. Plusieurs éléments tendaient à démontrer qu’il ne s’agissait pas de « notes à usage personnel » au sens de
l’art. 25 al. 4 LIPAD, mais bien d’un outil utilisé pour la conduite du cabinet du procureur : l’agenda Outlook était mis à disposition par l’institution publique et apparaissait, au vu des diverses inscriptions qui y figuraient, comme utilisé pour la conduite du cabinet du procureur, même si certaines inscriptions avaient trait à des rendez-vous privés. L’agenda n’était pas un document en cours d’élaboration qui devait aboutir à un autre document qui, lui, serait final, mais un outil d’aide organisationnelle. Il s’agissait d’un outil pensé non seulement pour l’organisation individuelle, mais également pour l’organisation d’un service ou d’une institution. Les plages horaires libres ou occupées étaient visibles de tous, indépendamment des choix opérés par l’utilisateur. L’agenda Outlook devait donc être considéré comme un document au regard de la LIPAD. Enfin, il n’avait pas été indiqué en quoi les extraits sollicités de l’agenda de B______ pourraient interférer avec les procédures en cours, ni compromettre des enquêtes, si bien que leur accès devait être octroyé.

b. Par décision du 30 avril 2024, le président de la commission de gestion a refusé à A______ l’accès à l’agenda de l’ancien procureur pour les mois d’octobre 2016, mars 2017 et février 2018.

Les informations mentionnées dans l’agenda requis avaient été établies par une autorité pénale dans le cadre de son activité juridictionnelle, de sorte qu’elles étaient soustraites du champ d’application de la LIPAD en application de l’art. 3 al. 3 LIPAD. L’exposé des motifs précisait que le but visé était d’exclure clairement toute l’activité juridictionnelle du Pouvoir judiciaire, seules les activités à caractère non juridictionnel permettant l’application de la loi. Subsidiairement, même si la LIPAD s’appliquait, l’agenda sollicité était uniquement utilisé comme
aide-mémoire de sorte qu’il était l’équivalent des notes à usage personnel qui n’entraient pas dans la catégorie des documents accessibles selon l’art. 25 al. 4 LIPAD. Plus subsidiairement encore, le document requis n’était pas accessible car sa communication rendrait inopérantes les restrictions au droit d’accès à des dossiers qu’apportaient les lois régissant les procédures judiciaires. Admettre que le document querellé était accessible au sens de la LIPAD revenait de fait à contourner les art. 100 et 101 CPP.

E. a. Par acte remis à la poste le 3 juin 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision précitée, concluant à son annulation et à ce qu’il soit ordonné au Pouvoir judiciaire de lui remettre l’agenda de B______ pour les mois d’octobre 2016, mars 2017 et février 2018, après caviardage des éléments privés ou des éléments relatifs à des procédures ne le concernant pas.

Il était acquis qu’un agenda était un document au sens de la LIPAD, comme l’avait à juste titre retenu le préposé dans sa recommandation. L’agenda, qui était partagé avec plusieurs personnes, était un élément de conduite du cabinet du procureur, investi de la charge de direction de la procédure. Il s’agissait d’un point central de la gestion des rendez-vous d’un procureur. La transparence, dans la mesure où elle était de nature à renforcer la confiance dans les institutions judiciaires, devait conduire à la remise du document sollicité. Enfin, l’accès à ce document ne pouvait pas rendre inopérantes des restrictions qui n’existaient plus.

b. Par observations du 4 juillet 2024, la commission de gestion a conclu au rejet du recours.

Les informations contenues dans l’agenda de l’ancien procureur avaient été établies par une autorité pénale dans le cadre de son activité juridictionnelle. La volonté du législateur était d’exclure du champ d’application de la LIPAD les documents découlant de l’activité juridictionnelle, qu’il s’agisse de documents judiciaires au sens étroit ou au sens large. Or, les documents non versés au dossier mais concernant malgré tout l’activité judiciaire entraient dans la catégorie des documents judiciaires au sens large. L’indépendance du magistrat impliquait que les documents liés au traitement des procédures dont il avait la charge échappaient à la LIPAD. Il serait aberrant que le recourant, en tant que partie à la procédure, n’ait pas accès, en vertu du droit de procédure, aux pièces établies dans le cadre des travaux de préparation d’une procédure d’entraide, mais qu’il puisse contourner cet obstacle en consultant directement l’agenda du procureur.

Même si la LIPAD s’appliquait, les documents sollicités constituaient des notes à usage personnel, si bien qu’ils n’entraient pas dans la catégorie des documents accessibles au sens de la LIPAD. Enfin, admettre que le document querellé serait accessible au sens de la LIPAD revenait de fait à contourner les art. 100 et 101 CPP, dispositions qui primaient le droit cantonal, et la communication des informations requises rendrait inopérantes les restrictions du droit d’accès à des dossiers qu’apportaient les lois régissant les procédures judiciaire et administratives.

c. Le 26 juillet 2024, invité à se déterminer sur l’appel en cause de B______, le recourant ne s’y est pas opposé et a sollicité la tenue d’une audience de comparution personnelle avec ce dernier.

d. Le 6 août 2024, la chambre de céans a ordonné l’appel en cause de B______.

e. B______ s’est rapporté à justice quant à la recevabilité et au
bien-fondé du recours, s’opposant à la tenue d’une audience de comparution personnelle.

f. Le 23 septembre 2024, le recourant a relevé que l’art. 3 al. 3 let. b LIPAD ne s’appliquait qu’au traitement des données faites en application des lois de procédure pénale. Or, l’inscription de déplacements dans un agenda n’était pas faite en application du CPP, si bien que la LIPAD s’appliquait. Le préposé fédéral à la protection des données et à la transparence, dans une recommandation du 14 décembre 2021, avait confirmé qu’un administré, qui voulait comprendre les rendez-vous pris des enquêteurs de la division affaires pénales et enquêtes de l’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) dans sa procédure avait droit d’accès à l’agenda des enquêteurs, sous réserve des rendez-vous privés.

g. Sur ce, la cause a été gardée à juger, y compris sur mesures d’instruction, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 -
LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 60 al. 1 LIPAD).

2.             Le recourant sollicite une audience de comparution personnelle.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 ; 138 III 374 consid. 4.3.2). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l'espèce, le recourant, qui ne dispose pas du droit à être entendu oralement, a eu l’occasion d’exposer son point de vue en détail par écrit tant devant l’autorité intimée que devant la chambre de céans, à l’occasion d’un double échange d’écritures. Le dossier contient au demeurant les déterminations écrites de l’appelé en cause, en particulier son écriture du 24 août 2022 dans laquelle il expose en détail les raisons pour lesquelles les extraits sollicités de son agenda électronique devraient, selon lui, être soustraits au droit d’accès. Son audition ne servirait qu’à confirmer sa position déjà exprimée par écrit. La mesure d’instruction sollicitée n’apparaît donc pas nécessaire, les informations utiles à la résolution du litige ressortant du dossier. Il ne sera donc pas donné suite à la demande de comparution personnelle formée par le recourant.

3.             Le litige porte sur la conformité au droit de la décision par laquelle l’intimée a refusé de donner au recourant l’accès à l’agenda de l’ancien procureur pour les mois d’octobre 2016, mars 2017 et février 2018.

3.1 La juridiction administrative chargée de statuer est liée par les conclusions des parties. Elle n’est en revanche pas liée par les motifs que les parties invoquent (art. 69 al. 1 LPA). Si la juridiction administrative admet le recours, elle réforme la décision attaquée ou l’annule. Si elle le juge nécessaire, elle peut renvoyer l’affaire à l’autorité qui a statué pour nouvelle décision (art. 69 al. 3 LPA).

3.2 L’activité publique s’exerce de manière transparente, conformément aux règles de la bonne foi, dans le respect du droit fédéral et du droit international (art. 9 al. 3 Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst‑GE - A 2 00). Toute personne a le droit de prendre connaissance des informations et d’accéder aux documents officiels, à moins qu’un intérêt prépondérant ne s’y oppose (art. 28 al. 2 Cst-GE). Il a déjà été jugé que cette disposition n’avait pas une portée plus large que la LIPAD (arrêt du Tribunal fédéral 1C_379/2014 du 29 janvier 2015 consid. 5.4).

La LIPAD régit l’information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). Elle poursuit deux objectifs, à savoir, d’une part, favoriser la libre formation de l’opinion et la participation à la vie publique ainsi que, d’autre part, protéger les droits fondamentaux des personnes physiques ou morales de droit privé quant aux données personnelles les concernant (art. 1 al. 2 let. a et b LIPAD).

En édictant cette loi, le législateur genevois a voulu passer d'un régime du secret assorti d'exceptions, prévalant jusqu'alors pour l'administration genevoise, à celui de la transparence sous réserve de dérogation. Cette évolution législative est propre à renforcer tant la démocratie que le contrôle de l'administration, ainsi qu'à valoriser l'activité étatique et à favoriser la mise en œuvre des politiques publiques. L'instauration d'un droit individuel d'accès aux documents représente l'innovation majeure propre à conférer sa pleine dimension au changement de culture qu'implique l'abandon du principe du secret (ATF 148 II 16 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_25/2017 du 28 août 2017 consid. 3.1 ; 1C_277/2016 du 29 novembre 2016 consid. 3.2). 

4.             Dans un premier grief, le recourant reproche à l’autorité intimée d’avoir considéré que les extraits d’agenda de l’ancien procureur étaient soustraits au droit d’accès consacré par la LIPAD.

4.1 La LIPAD s’applique aux pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire cantonaux, ainsi que leurs administrations et les commissions qui en dépendent
(art. 3 al. 1 let. a LIPAD). Selon l’art. 3 al. 3 LIPAD, le traitement de données personnelles par les institutions publiques n’est pas soumis à la loi lorsqu’il : se limite à la prise de notes à usage personnel (let. a) ; est effectué par le Conseil supérieur de la magistrature, les juridictions et les autres autorités judiciaires en application des lois de procédure pénale, civile, administrative ou d’entraide judiciaire ou d’autres lois régissant leurs activités, aux fins de trancher les causes dont ils sont ou ont été saisis ou de remplir les tâches de surveillance dont ils sont ou ont été investis, sous réserve de l’art. 39 al. 3 (let. b).

Selon l’art. 2 du règlement du Pouvoir judiciaire sur l'accès aux documents et aux données personnelles du 1er novembre 2021 (RADPJ - E 2 05.52), par document judiciaire, on entend les décisions judiciaires et les autres documents d'une procédure judiciaire (al. 1). Par document administratif, on entend tout autre document traité par le Pouvoir judiciaire (al. 2).

Selon le message à l’appui de la LIPAD, l’art. 3 al. 3 let. b LIPAD constitue une clause d’exclusion du champ d’application à raison de l’entité chargée de procéder au traitement, en faveur du Pouvoir judiciaire. Il n’est guère possible de définir a priori l’activité juridictionnelle d’une manière plus précise que celle qui figure ici, mais le but visé est d’exclure clairement toute l’activité juridictionnelle du Pouvoir judiciaire, seules les activités à caractère non juridictionnel permettant l’application de la loi. Le traitement de données personnelles n’est ainsi pas soumis à la loi lorsqu’il est effectué par le Conseil supérieur de la magistrature, les juridictions et les autres autorités judiciaires en application des lois de procédure pénale, civile, administrative ou d’entraide judiciaire ou d’autres lois régissant leurs activités, aux fins de trancher les causes dont ils sont saisis ou de remplir les tâches de surveillance dont ils sont investis (Mémorial des séances du Grand Conseil de la République et canton de Genève [ci-après : MGC] 2005-2006 Y A, p. 8490).

4.2 Au plan fédéral – non concerné ici –, la loi fédérale sur le principe de la transparence dans l’administration du 17 décembre 2004 (LTrans - RS 152.3) vise à promouvoir la transparence quant à la mission, l’organisation et l’activité de l’administration fédérale, en garantissant notamment l’accès aux documents officiels (art. 1 LTrans), et renverse ainsi le principe du secret des activités administratives au profit de celui de la transparence (ATF 136 II 399 consid. 2.1 ; 133 II 209 consid. 2.3.1 ; FF 2003 1807, p. 1819). Par souci d'harmonisation verticale et dans la mesure où les différentes législations sur la transparence visent le même but et reprennent des principes de base globalement identiques, la jurisprudence rendue sur la base de la LTrans peut en principe être transposée à la LIPAD (ATA/39/2022 du 18 janvier 2022 consid. 7b et l'arrêt cité).

Selon l’art. 3 al. 1 let. a LTrans, celle-ci ne s’applique pas à l’accès aux documents officiels concernant les procédures civiles (ch. 1) et pénales (ch. 2).

Selon le message du Conseil fédéral du 12 février 2003 relatif à LTrans, l’accès aux documents relatifs aux procédures administratives et judiciaires énumérées à
l’art. 3 let. a LTrans est régi par les lois spéciales applicables. Les documents qui, bien qu’ayant un rapport plus large avec les procédures en question, ne font pas partie du dossier de procédure au sens strict, sont en revanche accessibles aux conditions de la loi sur la transparence. La disposition garantissant la formation libre de l’opinion et de la volonté d’une autorité s’appliquera par conséquent chaque fois que la divulgation d’un document officiel est susceptible d’influencer le déroulement de procédures déjà engagées ou d’opérations préliminaires à celles-ci. Un avis de droit commandé par l’administration en vue de l’ouverture éventuelle d’une action en justice, par exemple, pourrait être très utile à un administré pour préparer sa défense puisqu’il pourrait alors s’appuyer sur les conclusions de cet avis. Un tel document serait toutefois susceptible de perturber le déroulement de la procédure à venir ou en cours, particulièrement si l’État est partie au procès et s’il choisit comme ligne de défense un argument opposé à l’avis de droit en question (FF 2003 1807, p. 1850).

4.3 Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a retenu que la LIPAD ne s’appliquait pas aux procédures civiles, pénales et administratives en cours. Le législateur genevois avait certes considéré qu'il n'y avait pas de raison de principe de soustraire le Pouvoir judiciaire au principe de la transparence sur ses activités. Toutefois, pour les procédures pendantes, les règles relatives à la consultation du dossier étaient fixées par les différentes lois de procédure. En matière pénale, l'autorité compétente selon les art. 74 et 102 CPP était la direction de la procédure ; celle-ci devait notamment respecter la présomption d'innocence et les autres intérêts légitimes au maintien du secret (arrêt du Tribunal fédéral 1C_604/2015 et 1C_606/2015 du 14 juin 2016 consid. 4.4).

Dans un arrêt ultérieur, le Tribunal fédéral a été saisi d’un refus d’accès au dossier personnel du recourant au motif que la production des pièces avait déjà été requise dans le cadre de la procédure civile. Il a considéré que ni l'arrêt attaqué, ni le département n'indiquent quel intérêt prépondérant, public ou privé lié à la procédure civile en cours s'opposerait à ce que le recourant ait accès à son dossier personnel (arrêt du Tribunal fédéral 1C_642/2017 du 28 mai 2018 consid. 2.3).

Plus récemment, dans un arrêt publié, le Tribunal fédéral s’est demandé si un rapport d'audit commandé par le Conseil d’État du canton de Neuchâtel et figurant dans des dossiers de procédures civile et pénale était soumis à la Convention intercantonale du 9 mai 2012 relative à la protection des données et à la transparence dans les cantons du Jura et de Neuchâtel. Il a considéré que tant dans la procédure pénale que dans les procédures civiles en cours, le rapport d'audit ne constituait ni un acte de procédure ni un acte d'instruction lié à la procédure en cause ; il s'agissait d'un document élaboré en dehors de toute procédure judiciaire qui avait simplement été déposé dans les dossiers civils et pénal. Il n'était ainsi pas exclu du champ d'application de la convention précitée. Se référant au message relatif à la LTrans, il a relevé que les documents qui, bien qu'ayant un rapport plus large avec les procédures en question, ne faisaient pas partie du dossier de procédure au sens strict, étaient en revanche accessibles aux conditions de la loi sur la transparence. Afin d'éviter une collision de normes, il était impossible de recourir à la LTrans dans le but d'éluder les règles spéciales concernant l'accès aux documents relevant des procédures topiques. L’accès à un document ne devait pas pouvoir entraver la bonne marche d'une procédure judiciaire. Il fallait distinguer, d'une part, entre les documents élaborés en dehors d'une procédure judiciaire (et pas non plus explicitement en vue d'une telle procédure) et, d'autre part, les documents qui ont été ordonnés expressément dans le cadre d'une procédure judiciaire (par exemple un échange d'écritures ou une expertise mise en œuvre par les autorités judiciaires). C'était seulement pour ces derniers que le principe de la transparence ne s'appliquait pas ; les autres documents demeuraient accessibles en vertu du principe de la transparence (ATF 147 I 47 consid. 3.4).

4.4 En l’espèce, il n’est pas contesté que la demande d'accès à l'agenda de l'ancien procureur a été adressée au Pouvoir judiciaire, soit une institution publique à laquelle la LIPAD s'applique (art. 3 al. 1 let. a LIPAD). L’intimée considère toutefois que le document sollicité a trait à l’activité juridictionnelle du Ministère public, si bien qu’il serait soustrait au droit d’accès consacré par la LIPAD, comme cela est rappelé à l’art. 3 al. 3 let. b LIPAD.

Il est vrai que la LIPAD ne s'applique pas aux procédures civiles, pénales et administratives en cours. Ainsi, pour les procédures pendantes, les règles relatives à la consultation du dossier sont fixées par les différentes lois de procédure.
L’art. 3 al. 3 let. b LIPAD vise toutefois le traitement de données personnelles effectué par les juridictions « en application des lois de procédure pénale, civile, administrative ou d’entraide judiciaire ». Or, il va de soi que l’inscription d’une entrée dans un agenda professionnel, certes en lien avec une procédure en cours, n’est pas effectuée en application d’une loi de procédure, mais dans une pure optique d’aide organisationnelle. Le texte de l’art. 3 al. 3 let. b LIPAD est absolument clair et n'autorise aucune interprétation divergente. C’est ainsi en vain que l’autorité intimée déduit du message de la LIPAD que cette disposition vise en réalité tous les documents judiciaires « au sens large », dont l’utilisation d’un agenda électronique. Le message indique par ailleurs expressément que la réserve de l’art. 3 al. 3 let. b LIPAD est justifiée par le fait que ce domaine est régi par les lois de procédure (MGC, p. 14098). C’est en ce sens que le Tribunal fédéral a interprété l’art. 3 al. 1 let. a LTrans, en retenant que les documents qui, bien qu’ayant un rapport plus large avec les procédures en question, ne font pas partie du dossier de procédure au sens strict, sont accessibles aux conditions de la loi sur la transparence. Or, en l’occurrence, l’agenda du procureur n’est pas intégré au dossier pénal en cours et n’influe aucunement sur le processus décisionnel proprement dit. Ainsi, comme l’a retenu le préposé dans sa recommandation, il s’agit d’un document administratif qui, bien qu’ayant un rapport plus large avec une procédure pénale en cours, n’a pas été rempli en application d’une loi de procédure pénale.

C’est partant à tort que, se fondant sur l’art. 3 al. 3 let. b LIPAD, la décision entreprise a soustrait l’agenda du procureur au champ d’application de la LIPAD.

5.             Le recourant critique ensuite l’argumentation retenue à titre subsidiaire par l’autorité intimée, selon laquelle l’agenda de l’ancien procureur, utilisé uniquement comme aide-mémoire, n’entre pas dans la catégorie des documents accessibles selon la LIPAD.

5.1 L’art. 24 LIPAD prévoit que toute personne, physique ou morale, a accès aux documents en possession des institutions, sauf exception prévue ou réservée par cette loi (al. 1). L’accès comprend la consultation sur place des documents et l’obtention de copies des documents (al. 2). La demande d’accès n’est en principe soumise à aucune exigence de forme. Elle n’a pas à être motivée, mais elle doit contenir des indications suffisantes pour permettre l’identification du document recherché (art. 28 al. 1 LIPAD).

Selon l’art. 25 LIPAD, les documents sont tous les supports d’informations détenus par une institution contenant des renseignements relatifs à l’accomplissement d’une tâche publique (al. 1). Sont notamment des documents les messages, rapports, études, procès-verbaux approuvés, statistiques, registres, correspondances, directives, prises de position, préavis ou décisions (al. 2). Pour les informations n’existant que sous forme électronique, seule l’impression qui peut en être obtenue sur un support papier par un traitement informatique simple est un document (al. 3). Les notes à usage personnel, les brouillons ou autres textes inachevés ainsi que les procès-verbaux non encore approuvés ne constituent pas des documents au sens de la loi (al. 4).

L’art. 25 al. 4 LIPAD exclut ainsi de la notion de document les notes à usage personnel (à savoir les notes prises à l’usage exclusif de celui qui les prend, et non les notes adressées même confidentiellement à une personne déterminée) ainsi que les brouillons ou autres textes inachevés (ATA/1267/2021 du 23 novembre 2021 consid. 6e), quand bien même elles concerneraient l’accomplissement de tâches publiques, des notes à usage personnel de collaborateurs de la fonction publique relèvent en quelque sorte de la sphère privée de ces derniers. Il importe par ailleurs que les rédacteurs de documents puissent faire évoluer leurs textes et travailler dans des conditions de sérénité avant qu’il ne soit possible d’accéder au produit de leur travail (MGC 2000 45/VIII 7694).

Selon l’art. 6 let. a du règlement d'application de la loi sur l'information du public, l'accès aux documents et la protection des données personnelles du 21 décembre 2011 (RIPAD - A 2 08.01), constituent notamment des notes à usage personnel au sens de l’art. 25 al. 4 LIPAD, qu’elles soient manuscrites ou non et quels qu’en soient la forme ou le support : les notes prises en vue de la rédaction future d’un document.

L’application de la LIPAD n’est pas inconditionnelle. L’art. 26 LIPAD fixe en effet des exceptions au droit d'accès. Sont ainsi soustraits au droit d'accès les documents à la communication desquels un intérêt public ou privé prépondérant s'oppose (art. 26 al. 1 LIPAD). Tel est le cas, notamment, lorsque l’accès aux documents est propre à mettre en péril la sécurité de l’État, la sécurité publique, les relations internationales de la Suisse ou les relations confédérales (art. 26 al. 2 let. a LIPAD).

Selon le message à l'appui de la LIPAD, la sauvegarde du processus décisionnel représente une exception classique au droit d'accès aux documents. Il s'agit de préserver la faculté des organes et administrations des institutions de réfléchir, de consulter, de rédiger plusieurs projets d'une éventuelle décision avant d'arrêter son choix. Plutôt que de supprimer purement et simplement l'accès à des documents préparatoires tant que la décision n'a pas été prise, la formule retenue par le législateur limite le refus d'accès aux documents relatifs à une décision en préparation au cas où une telle communication serait de nature à entraver notablement le processus décisionnel, par souci de ne pas vider le principe de la transparence de sa substance. Il importe également que la communication de documents ne compromette pas des négociations en cours, que ce soit sur un plan purement politique (par exemple dans le cadre de discussions avec les représentants de la fonction publique), sur le plan de relations avec d'autres institutions ou collectivités publiques, sur le plan de relations de droit public (par exemple en matière d'octroi de concessions) ou encore sur le plan de relations contractuelles soumises au droit privé. 

5.2 L’art. 25 al. 1 et 4 LIPAD a une teneur similaire à l’art. 5 al. 1 et 3 LTrans. Selon cette disposition, on entend par document officiel toute information qui a été enregistrée sur un quelconque support (let. a), qui est détenue par l’autorité dont elle émane ou à laquelle elle a été communiquée (let. b) et qui concerne l’accomplissement d’une tâche publique (let. c). Ne sont pas considérés comme des documents officiels les documents qui n’ont pas atteint leur stade définitif d’élaboration ou qui sont destinés à l’usage personnel (art. 5 al. 3 let. b et c LTrans).

Au plan fédéral, l’art. 1 al. 3 de l’ordonnance sur le principe de la transparence dans l’administration (OTrans - RS 152.31) définit la notion de document destiné à l’usage personnel. Il précise que cette notion vise entre autres les documents utilisés exclusivement par un cercle restreint de personnes. Il s’agit par exemple des documents qui sont utilisés comme base de travail ou comme moyen auxiliaire (notes manuscrites, copies de travail, propositions de correction, aide-mémoire, notes d’accompagnement) au sein d’une équipe ou qui sont échangés entre un collaborateur et son supérieur. Sont également considérés comme des documents destinés à l’usage personnel, les informations à caractère personnel qui sont sans rapport avec l’accomplissement de tâches publiques. Tel est, par exemple, le cas des courriers électroniques qui ont un contenu strictement privé ou des tableaux personnels qui ornent un bureau (commentaire du 24 mai 2006 de l'Ordonnance relative à la loi fédérale sur le principe de la transparence, p. 2 et 3).

Dans un arrêt publié aux ATF 142 II 324, le Tribunal fédéral a examiné le point de savoir si l’agenda Outlook de l’ancien chef de l’armement devait être considéré comme un document officiel au sens de l’art. 5 LTrans. Il a retenu que tel était le cas. Les informations contenues dans l’agenda Outlook dépeignaient globalement l’activité officielle de l’ancien chef de l’armement. Celui-ci avait utilisé son agenda en rapport avec l’accomplissement de sa fonction, et donc aussi pour exécuter des tâches publiques. Bien que des rendez-vous privés y aient aussi été consignés, les agendas électroniques et les informations qui y étaient contenues servaient principalement à l’activité professionnelle et à la direction de l’office, si bien que l’art. 5 al. 1 let. c LTrans trouvait application. Les inscriptions de l’agenda donnaient dans leur ensemble une vision de l’accomplissement de sa fonction par l’ancien chef de l’armement et des processus de la direction militaire. L’agenda Outlook n’était au demeurant pas destiné à son usage personnel, puisqu’il servait à la communication et à la coopération entre les collaborateurs. Le détenteur pouvait conférer des droits d’accès différents à divers utilisateurs, variant de la simple indication des périodes libres ou occupées jusqu’à l’affichage de tous les détails. L’agenda Outlook permettait aussi d’envoyer des invitations à participer à des séances. Il s’agissait donc, dans l’ensemble, d’un instrument destiné à soutenir sous divers aspects la coopération de divers utilisateurs. L’agenda n’était enfin pas uniquement un aide-mémoire personnel destiné à la gestion des rendez-vous individuels. Sa portée était notablement plus étendue : son détenteur était l’un des cadres plus élevés du département fédéral de la défense. Son agenda avait une influence déterminante dans l’ensemble de l’activité et des processus de l’office fédéral de l’armement. Même si le cercle des personnes habilitées à y accéder se limitait aux cadres supérieurs de l’office, il n’était pas qu’un simple aide-mémoire pour le déroulement de la journée et la gestion des rendez-vous. Il s’agissait d’un instrument de conduite essentiel pour la direction de l’office (consid. 2.5.1 et 2.5.2).

5.3 Conformément à l'art. 30 al. 1 Cst., toute personne dont la cause doit être jugée dans une procédure judiciaire a droit à ce qu'elle soit portée devant un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial. À Genève, le principe de l’indépendance du magistrat est ancré aux art. 117 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 [Cst‑GE ‑ A 2 00] et 2 al. 1 LOJ.

5.4 Dans le cas particulier, il n’est pas contesté que l’ancien procureur a utilisé son agenda en rapport avec l’accomplissement de sa fonction, et donc aussi pour exécuter des tâches publiques. Conformément à la jurisprudence précitée, bien que des rendez-vous privés y aient aussi été consignés, l’agenda électronique et les informations qui y sont contenues servent principalement à l’activité professionnelle, si bien qu’il constitue, sous réserve des cas visé à l’art. 25 al. 4 LIPAD, dont il sera question ci-après, un document au sens de l’art. 25 al. 1 LIPAD.

Les parties s’opposent sur le point de savoir si les extraits de l’agenda sollicités constituent des « notes à usage personnel » au sens de l’art. 25 al. 4 LIPAD
(art. 3 al. 3 let. a LIPAD). Dans la décision entreprise, l’autorité intimée a considéré que l’agenda litigieux n’était utilisé par l’ancien procureur que comme
aide-mémoire, de sorte qu’il était l’équivalent des notes à usage personnel. Compte tenu de l’absence de fonction hiérarchique du magistrat et de l’indépendance requise dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles, l’agenda litigieux ne contenait aucun élément sur la gestion d’un service. Il n’avait ainsi pas la même portée que l’agenda de l’ancien chef de l’armement de l’office fédéral de l’armement visé dans l’ATF 142 II 324. Se fondant sur la recommandation du préposé ainsi que sur l’arrêt précité, le recourant conteste ce point de vue. Il considère que l’agenda constitue un élément de conduite du cabinet du procureur, investi de la charge de direction de la procédure. Il ne s’agit ainsi pas d’un point central de la gestion d’un rendez-vous d’un procureur.

En l’occurrence, à l’aune de la jurisprudence susmentionnée, il convient d’examiner si l’agenda litigieux a une influence déterminante dans l’ensemble de l’activité et des processus de la juridiction concernée et s’il constitue un instrument de conduite essentiel pour la direction du cabinet du procureur. Ainsi que l’a retenu le préposé dans sa recommandation, la réponse à cette question n’est pas d’emblée évidente. Dans ses déterminations devant l’autorité intimée, l’appelé en cause a précisé les modalités d’utilisation de son agenda Outlook. Il a notamment relevé qu’il était le seul à en avoir la maîtrise ; son usage – facultatif – n’était destiné qu’à lui-même et à l’organisation de ses différentes activités. En tant qu’il était strictement personnel et confidentiel, son agenda n’avait aucune vocation à organiser l’activité d’autres personnes et encore moins d’un service, étant précisé qu’il n’exerçait aucune fonction hiérarchique. Il ne donnait aucune vue sur « l’activité publique » du Ministère public ou d’un cabinet, pas plus qu’il ne servait à gérer un service.

Sur la base de ces explications, force est de retenir que la présente espèce se distingue de la situation envisagée dans l’ATF 142 II 324 sur deux points principaux : d’une part, l’agenda litigieux est destiné à l’usage exclusif de son détenteur ; d’autre part, il ne joue aucun rôle dans l’organisation, la conduite et la communication de sa juridiction ou de son cabinet. Certes, parmi les différentes fonctions que propose un agenda Outlook, figurent la communication et la coopération entre les collaborateurs. Un tel outil permet en particulier de coordonner les rendez-vous, de transmettre des informations à l’intérieur d’une équipe et de planifier l’activité de collaborateurs. Or, l’ancien procureur a dûment expliqué que, dans le cadre de son utilisation concrète de l’agenda mis à sa disposition par l’État, il ne faisait pas usage de ces options de partage et de communication. Il n’avait pas conféré de droits d’accès à son agenda, lequel était strictement personnel. Il n’a pas non plus indiqué avoir envoyé d’invitations à participer à des séances, ce qui ne ressort d’ailleurs pas des pièces litigieuses. Les entrées inscrites au calendrier concernent uniquement le magistrat en question et ne portent pas sur des séances de travail ou des réunions ayant une incidence sur l’organisation d’autres membres de la juridiction. C’est le lieu de rappeler que, dans l’arrêt précité, l’ancien chef de l’armement de l’office fédéral de l’armement avait lui-même exposé qu’il ne pouvait imaginer l’organisation et la communication interne sans avoir recours à l’agenda Outlook. L’ancien procureur ne se trouve toutefois pas dans cette situation : contrairement à celui qui occupe la position d’un des cadres les plus élevés du département fédéral de la défense, le procureur n’assume aucune fonction hiérarchique et exerce ses activités juridictionnelles dans le respect de l’indépendance du magistrat. Le déroulement de sa journée et la gestion de ses propres rendez-vous n’a aucune influence sur l’activité des autres membres de la juridiction. L’utilisation de son agenda Outlook, facultative et réservée à son seul usage, sert ainsi uniquement d’aide-mémoire.

Contrairement à ce que soutient le recourant, ce raisonnement n’entre pas en contradiction avec la recommandation du 14 décembre 2021 du préposé fédéral à la protection des données et à la transparence portant sur la demande d’accès aux extraits d’agendas de deux collaborateurs de l’AFC-CH. Il ressort en effet de cette recommandation que, faute pour l’AFC-CH d’avoir communiqué les caractéristiques générales des entrées dans les calendriers des collaborateurs (par exemple les séances de travail, rendez-vous médicaux, voyage de service, etc.), le préposé n’avait pas été en mesure d’apprécier la nature desdits rendez-vous. L’AFC-CH, qui supportait le fardeau de la preuve, n’avait dès lors pas fourni une motivation suffisante permettant de démontrer qu'en l'espèce les entrées des deux calendriers n’avaient pas de lien avec l’accomplissement d’une tâche publique ou qu’elles étaient uniquement destinées à un cercle restreint de personnes, si bien que l’exception de l'art. 5 al. 3 let. c LTrans ne pouvait être retenue. Or, en l’occurrence, l’ancien procureur a produit les extraits litigieux et s’est déterminé tant sur les caractéristiques générales des entrées sur son agenda que sur l’utilisation – exclusive – qu’il en faisait.

Aussi est-ce à raison que l’autorité intimée a refusé de donner accès aux extraits sollicités de l’agenda de l’ancien procureur. Compte tenu de l’issue du litige, il n’est pas nécessaire d’examiner si, comme le retient la décision entreprise à titre subsidiaire, l’accès au document sollicité reviendrait à rendre inopérantes les restrictions au droit d’accès prévues aux art. 100 et 101 CPP.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

6.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA), et il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure, l'appelé en cause n'ayant pas exposé de frais pour sa défense (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 juin 2024 par A______ contre la décision de la commission judiciaire du 30 avril 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1’000.- à la charge de A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature de la recourante ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions ;

communique le présent arrêt à Me Daniel Kinzer, avocat du recourant, à la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire ainsi qu’à B______.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Karine STECK, Blaise PAGAN, Eleanor McGREGOR, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. MICHEL

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :