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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3134/2024

ATA/1222/2024 du 16.10.2024 sur JTAPI/960/2024 ( MC ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3134/2024-MC ATA/1222/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 octobre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate

contre

COMMISSAIRE DE POLICE intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 26 septembre 2024 (JTAPI/960/2024)


EN FAIT

A. a. Par jugement du 26 septembre 2024, le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) a rejeté l’opposition formée par A______ contre la décision d’assignation d'un lieu de résidence pour une durée de douze mois prise à son encontre le 14 septembre 2024 par le commissaire de police.

Le jugement retient que A______ avait été dûment convoqué pour l’audience qui s’est tenue le 26 septembre 2024 devant le TAPI, par courriel adressé à son conseil le 24 septembre à 11h37. Lors de l’audience, ni A______ ni son conseil ne s’étaient présentés ni excusés.

b. Par courrier expédié le 30 septembre 2024 au TAPI, l’avocate de A______ a exprimé sa « stupéfaction » à réception du jugement. La convocation avait été adressée par courriel du 25 septembre 2024 pour l’audience du lendemain matin. L’Étude n’avait reçu aucun appel téléphonique, qui aurait permis de prévenir le justiciable. Elle-même avait passé toute la journée du 25 septembre 2024 en audience et était retenue par une audience au Ministère public le 26 septembre 2024 à 9h30. Le jour de l’audience non plus, le TAPI n’avait pas cherché à joindre son Étude. Le TAPI, qui refusait systématiquement les communications par courriel, au motif que la LPA ne prévoyait pas ce mode de communication, était malvenu de le lui opposer.

Elle sollicitait l’annulation du jugement et la reconvocation, dans le délai de recours, d’une audience, afin que son client puisse être entendu. Elle demandait également la récusation de la magistrate ayant rendu le jugement, pour des motifs « évidents ».

c. Faisant suite à ce courrier, le président du TAPI a transmis, par courrier du 4 octobre 2024, reçu le 7 octobre 2024, comme objet de sa compétence à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) le courrier du conseil de A______.

Il précisait que la loi prévoyait un délai de 96 heures pour statuer sur l’opposition à une décision d’interdiction de quitter un territoire assigné. Cet élément expliquait la brièveté du délai de convocation. La convocation à l’audience du 26 septembre 2024 à 10h00 avait été adressée à l’avocate par courriel du 25 septembre 2024 à 11h38. Constatant l’absence du justiciable et de son conseil à l’audience, la juge, qui siégeait dans une autre salle que celle dans laquelle les audiences du TAPI se tenaient usuellement, avait appelé le greffe du TAPI et du Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant dans lequel le TAPI siégeait fréquemment pour savoir si l’avocate s’y était présentée. Il était exact que le greffe n’avait pas tenté de joindre cette dernière.

d. Dans un courrier du même jour adressé au conseil de A______, le président du TAPI a exposé que sa décision de transmettre le courrier du 1er octobre 2024 à la chambre administrative découlait du fait que, hormis quelques cas spécifiques non réalisés en l’espèce, le TAPI ne pouvait se saisir lui-même d’une cause qu’il avait tranchée par une décision finale, quand bien même il serait démontré que celle-ci serait viciée. L’annulation d’une telle décision ne pourrait qu’être prononcée par la juridiction supérieure.

B. a. La chambre administrative a enregistré le courrier du 30 septembre 2024 comme un recours contre le jugement précité.

b. Invité à se déterminer, le commissaire de police s’en est remis à l’appréciation de la chambre administrative concernant la recevabilité du recours. Il a conclu au rejet de celui-ci, développant ses arguments uniquement au fond.

c. Dans sa réplique, l’avocate du recourant a relevé qu’il était d’usage, dans des cas relatifs à des interdictions de quitter le territoire, que le greffe s’assure de la bonne réception du courriel comportant la convocation à l’audience du TAPI. En l’espèce, seul le commissaire de police avait été averti oralement de la tenue de l’audience. Le TAPI n’avait pas non plus cherché à joindre son Étude en constatant son absence à l’audience. Pourtant, un avocat aurait pu être présent dans les sept minutes, voire dans les cinq minutes s’il optait pour le pas de course. Le recourant, qui n’avait au demeurant pas élu domicile auprès de son Étude, invoquait une violation de son droit d’être entendu, qui ne pouvait pas être réparée par la procédure écrite applicable devant la chambre administrative.

Il concluait donc à l’annulation du jugement et au renvoi de la cause au TAPI pour nouveau jugement.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant le TAPI, qui l’a à juste titre transmis à la chambre administrative pour raison de compétence (art. 11 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 10 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Selon l'art. 10 al. 2 LaLEtr, la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 7 octobre 2024 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3.             Le recourant limite ses critiques à l’endroit du jugement à la violation de son droit d’être entendu qu’il estime irréparable devant la chambre adminsitrative.

3.1 Aux termes de l’art. 9 al. 1 let. a LaLEtr, le TAPI examine la légalité et l'adéquation de l'assignation territoriale dans les 96 heures au plus après sa saisine. Il statue au terme d’une procédure orale (art. 9 al. 5 LaLEtr).

3.2 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 142 II 218 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_157/2018 du 28 mai 2018 consid. 3.1 et les références citées).

La violation du droit d'être entendu doit en principe entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances du recourant sur le fond (ATF 141 V 495 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_740/2017 du 25 juin 2018 consid. 3.2). Une réparation devant l'instance de recours est possible si celle‑ci jouit du même pouvoir d'examen que l'autorité intimée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_46/2020 du 5 mai 2020 consid. 6.2). Elle dépend toutefois de la gravité et l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_617/2019 du 27 mai 2020 consid. 3.1). Elle peut se justifier en présence d'un vice grave notamment lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2).

3.3 En l’espèce, il ressort du dossier que le greffe du TAPI a informé l’avocate du recourant, par courriel du 25 septembre 2024 de 11h38, de l’audience qui se tiendrait le lendemain à 10h00.

La question se pose de savoir si ce mode de communiquer était suffisant pour respecter le droit d’être entendu du recourant. À cet égard, il convient de relever que le recourant, représenté par une mandataire professionnelle, a saisi le TAPI d’une opposition à la décision d’assignation à un territoire. Son avocate, rompue au droit des étrangers, devait ainsi s’attendre à recevoir à très bref délai une convocation pour une audience devant le TAPI, la LaLEtr prévoyant expressément que le TAPI doit entendre l’intéressé lors d’une audience et statuer dans les 96 heures dès sa saisine.

Certes, l’envoi d’une convocation par voie électronique présente l’avantage d’une communication rapide de cet acte judiciaire. Toutefois, l’art. 18A al. 6 LPA exclut la communication électronique dans la procédure de recours. Il ne peut ainsi être considéré que la convocation adressée par courriel au conseil du recourant suffise à elle seule pour retenir que le justiciable ou son représentant ont été valablement atteints.

Au contraire, les impératifs de célérité dictés par la loi nécessitent de s’assurer que la convocation à très brève échéance à une audience, dont la tenue est imposée par la loi, soit parvenue à la connaissance du justiciable et/ou de son conseil. Si une diligence particulière peut être attendue du conseil du justiciable, qui aurait pu se renseigner auprès du TAPI des date et heure de l’audience, une attention particulière peut également être attendue de la part de l’autorité judiciaire. L’avocate du recourant affirme qu’il est d’usage que le greffe du TAPI s’assure, par un appel téléphonique, de la bonne réception de la convocation adressée par courriel. Il n’est pas contesté in casu que l’envoi du courriel n’a pas été doublé d’un tel appel ni qu’au moment de l’audience, le greffe n’a pas cherché à atteindre l’avocate ou l’Étude de celle-ci.

Dans ces circonstances, il ne peut être retenu que le recourant ou son conseil ont été valablement atteints par la convocation. Leur absence à l’audience devant le TAPI ne leur est donc pas imputable. Cette absence a eu pour conséquence que le justiciable n’a pas eu l’occasion de s’exprimer oralement devant cette instance. Compte tenu de l’importance du droit d’être entendu du recourant frappé d’une mesure d'assignation territoriale et de l’exigence légale que ce droit s’exerce lors de débats oraux devant l’autorité judiciaire de première instance, il appartenait au TAPI de s’assurer par un moyen complémentaire à son envoi électronique – tel que par exemple un appel téléphonique à l’Étude du conseil constitué – que la convocation ait atteint le justiciable ou son conseil.

La violation du droit d’être entendu du recourant constitue un vice important qui ne peut, de ce fait, être réparé devant la chambre administrative. Pour le surplus, le recourant, dont les arguments de recours se sont limités – à juste titre – à l’aspect procédural du litige, n’a pas encore eu l’occasion de s’exprimer devant l’autorité de première instance au cours d’une audience orale sur le fond, de sorte que le renvoi au TAPI ne constitue pas une vaine formalité.

Le recours sera ainsi admis, le jugement annulé et la cause renvoyée au TAPI pour la tenue d’une audience et pour nouveau jugement.

Le TAPI ne s’étant pas prononcé sur la demande de récusation de la juge ayant rendu le jugement querellé, la chambre administrative ne peut examiner ce point.

4.             Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu et une indemnité de CHF 500.- sera allouée au recourant (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 septembre 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 26 septembre 2024 ;

au fond :

l’admet, annule le jugement précité et renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance dans le sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l’État de Genève (Pouvoir judiciaire) ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Dina BAZARBACHI, avocate du recourant, au commissaire de police, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

B. SPECKER

 

 

la présidente siégeant :

 

F. KRAUSKOPF

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :