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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4193/2023

ATA/1177/2024 du 08.10.2024 sur JTAPI/461/2024 ( PE ) , REJETE

Recours TF déposé le 11.11.2024, 2C_561/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4193/2023-PE ATA/1177/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 octobre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ et B______, agissant pour eux et leurs filles mineures
C______ et D______ recourants
représentés par Me Daniel F. SCHUTZ, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 mai 2024 (JTAPI/461/2024)


EN FAIT

A. a. A______ est né le ______ 1989 au Kosovo, pays dont il est originaire.

b. Le 24 septembre 2017, il a épousé B______, née le ______ 1994 en République de Macédoine du Nord, pays dont elle est originaire.

c. De cette union sont nées, à Genève, C______, le ______ 2018 et D______, le ______ 2022.

d. Par décision du 29 juillet 2020, l’OCPM a refusé d’accéder à la demande des époux A______ B______ de soumettre leur dossier avec un préavis positif au secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM) en vue de la délivrance d’un titre de séjour pour cas de rigueur en leur faveur et a prononcé leur renvoi de Suisse.

e. Par jugement du 19 février 2021, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) a rejeté le recours interjeté contre cette décision.

f. Par arrêt du 29 juin 2021, la chambre administrative de la Cour de justice a rejeté le recours interjeté contre le jugement précité.

Le séjour des intéressés s’était déroulé sans autorisation puis n’avait été que toléré, respectivement depuis juin 2017 pour l’époux, date à laquelle une entreprise avait demandé l’autorisation de l’employer en qualité d’ouvrier manœuvre et 11 juin 2018 pour l’épouse, jour où elle avait annoncé sa présence en Suisse à l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM). Si le couple n’émargeait pas à l’aide sociale, qu’il ne faisait pas l’objet de poursuites et que les extraits de leur casier judiciaire ne faisaient état d’aucune condamnation, il n’apparaissait pas que leur intégration socioprofessionnelle était exceptionnelle. Une réintégration dans l’un ou l’autre de leur pays d’origine était exigible. Ils avaient régulièrement rendu visite à leurs familles respectives. Les conditions d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur n’étaient pas remplies.

g. Le 19 avril 2022, l’OCPM, constatant que les précités séjournaient encore en Suisse alors qu’un délai de départ au 31 décembre 2021 leur avait été imparti, les a enjoints de quitter le territoire helvétique sans délai.

h. Le 10 novembre 2022, le couple a sollicité la suspension de la procédure d’expulsion en raison de la survenance de faits nouveaux, à savoir le décès de la mère de A______. Il déposerait prochainement une demande de reconsidération.

i. Le 18 novembre 2022, l’OCPM a informé les intéressés que les autorités compétentes envisageaient de prononcer une interdiction d’entrée en Suisse (ci‑après : IES) à leur encontre et leur a imparti un délai pour faire valoir leurs observations.

B. a. Par courrier du 2 décembre 2022, en réponse au courrier du 18 novembre 2022, le couple a indiqué que son retour était devenu impossible. Il concluait à ce que le SEM renonce, pour des raisons humanitaires, à prononcer une IES à leur encontre, à ce que l’OCPM reporte l’exécution de son expulsion et propose au SEM son admission provisoire.

Il a développé l’existence de faits nouveaux : la naissance de sa seconde fille le ______ 2022, la dépression post-partum de la mère, la dépression grave de A______ et l’absence de famille au Kosovo à la suite des décès des deux parents de l’époux les 29 août 2021 et 20 août 2022. Ce dernier, gravement dépressif, avait récemment tenté de se suicider et avait été hospitalisé de ce fait du 6 au 17 octobre 2022. Il ne pouvait plus assumer sa responsabilité pour sa famille à la suite du prononcé de leur renvoi au Kosovo où il n’avait plus d’attaches et encore moins de possibilités professionnelles.

Ils ne pouvaient pas être renvoyés au Kosovo où ils n’avaient plus de famille. Les parents de A______ étaient décédés et ses frères vivaient, l’un en Allemagne, et l’autre en Italie. Ils ne pouvaient pas davantage être expulsés vers la Macédoine du Nord, puisque les membres de la famille de B______ n’avaient jamais accepté son mariage avec un Kosovar et que, par conséquent, ils ne les accueilleraient jamais chez eux. En outre, le mari ne parlant pas le macédonien, il ne trouverait jamais de travail dans ce pays. L’épouse n’avait jamais travaillé dans son pays d’origine et devait s’occuper de D______.

Au vu de ces faits nouveaux, ils allaient déposer une requête de reconsidération.

b. Un échange de courriels a eu lieu entre l’OCPM et le SEM, ce dernier relevant que l’autorité genevoise ne pouvait pas ignorer les observations faites dans le contexte du droit d’être entendu sur l’IES.

c. Par décision du 27 janvier 2023, déclarée exécutoire nonobstant recours, l’OCPM a refusé d’entrer en matière sur le courrier du 2 décembre 2022, traité comme une demande de reconsidération.

Les éléments invoqués dans le courrier du 2 décembre 2022 ne constituaient pas des faits nouveaux et importants. Les problèmes psychiques dont les époux A______ B______ se prévalaient n’étaient pas susceptibles de justifier la reconnaissance d’un cas de rigueur, car de telles réactions s’observaient couramment chez les personnes dont la demande d’autorisation avait été rejetée, sans qu’il ne faille y retenir un obstacle à l’exécution de leur renvoi.

d. Par acte du 8 février 2023, les époux A______ B______, agissant en leur nom et celui de leurs enfants, ont recouru devant le TAPI en concluant, préalablement à la restitution de l’effet suspensif, principalement à l’annulation de la décision du 27 janvier 2023, à ce que le SEM renonce à prononcer une IES à leur encontre, à ce que l’OCPM reporte l’exécution de leur renvoi et propose au SEM leur admission provisoire. Ils ont également sollicité un délai pour déposer une demande de reconsidération.

e. Par jugement du 6 avril 2023, le TAPI a rejeté le recours.

f. Par arrêt du 22 août 2023 (ATA/885/2023), la chambre administrative a admis le recours contre ce jugement, estimant que la péjoration de l'état de santé des époux devait être considérée comme un fait nouveau. La cause a été renvoyée à l'OCPM pour nouvelle décision au sens des considérants.

C. a. Par courriel du 13 septembre 2023, l'OCPM a sollicité de la part des intéressés plusieurs renseignements et documents complémentaires.

b. Le 26 octobre 2023, l'OCPM a reçu une partie des documents demandés. Un rapport médical concernant B______ a été transmis le 30 octobre 2023.

c. Par décision du 10 novembre 2023, l'OCPM est entré en matière sur la demande de reconsidération, la dépression post-partum de B______ ainsi que l'aggravation de l'état dépressif depuis juillet 2022 de son mari constituant des faits nouveaux devant être pris en compte dans l'examen de leur situation actuelle.

L'OCPM a cependant refusé de régulariser leurs conditions de séjour. Selon son rapport médical du 18 octobre 2023, le mari souffrait d'une dépression légère due au contexte de la situation sociale qui était la sienne en Suisse, mais également par la peur d'un renvoi au Kosovo. Il était aussi connu sur le plan psychiatrique pour un antécédent de tentative de suicide dans le contexte d'un trouble dépressif sévère. B______, selon le rapport médical récent du 21 octobre 2023, était connue et suivie depuis le 18 mai 2022 pour un épisode dépressif sévère du post-partum persistant en lien avec sa situation sociale précaire, le manque de soutien de son mari au vu de sa fragilité psychique et des tâches qui lui incombaient en tant que mère de deux enfants. Elle souffrait de dépression sévère sans symptômes psychotiques et le pronostic médical était favorable à court terme (un an) avec un suivi médical adapté permettant d'établir des rendez-vous de couple. Il existait en particulier sept centres de traitement ambulatoire pour les maladies psychiques (centre communautaire de santé mentale) ainsi que des services de neuropsychiatrie pour les traitements des cas de psychiatries aiguës au sein des hôpitaux généraux dans les villes de Prizen, Peja, Gjakova, Mitrovica, Gjilan, Ferijaz et Pristina. De plus, grâce à la coopération internationale, de nouvelles structures appelées « Maison de l'intégration » avaient vu le jour dans certaines villes. Ces établissements logeaient des personnes atteintes de troubles mineurs de la santé mentale dans des appartements protégés et leur proposaient un soutient thérapeutique. Le risque d'aggravation de leurs états de santé respectifs en cas de renvoi pourrait être atténué, voire évité, par une préparation au retour adéquate de la part de leurs thérapeutes respectifs et, le cas échéant, une aide médicale au retour. S'il était compréhensible que la perspective de devoir renoncer à mener une existence en Suisse pouvait exacerber un sentiment d'anxiété, ce motif n'était pas en soi suffisant pour renoncer à l'exécution de leur renvoi. Les troubles psychiques sérieux impliquant parfois même un risque suicidaire étaient couramment observés chez les personnes confrontées à l'imminence d'un renvoi, sans que cela fut synonyme d'obstacle dirimant à l'exécution du renvoi.

Un éventuel départ de Suisse ne causerait pas, a priori, une mise en danger de leur santé. Le renvoi pourrait aussi se faire à destination de la Macédoine du Nord, dont était originaire B______.

D. a. Par acte du 14 décembre 2023, A______, agissant en son nom et en celui de son épouse et de leurs filles, a recouru auprès du TAPI contre la décision précitée, concluant à son annulation, au report de l'exécution du renvoi pour des motifs de santé, à ce qu'il soit ordonné à l'OCPM de proposer au SEM leur admission provisoire et leur accorder un délai raisonnable pour déposer une demande de reconsidération en bonne et due forme, subsidiairement au renvoi de la cause à l'OCPM.

L'OCPM avait examiné de façon lacunaire les faits nouveaux retenus par la chambre administrative. Il n'avait notamment pas pris en compte la portée et le contenu exact des certificats médicaux produits, les difficultés, voire les dangers vitaux qu'ils rencontreraient dans l'hypothèse d'un retour au Kosovo, avec deux enfants en bas âge, l'absence des soins adéquats et abordables financièrement, l'absence de liens familiaux au Kosovo, le fait que le frère du recourant avait obtenu un permis humanitaire à Genève et l'impossibilité pour la famille de se rendre en Macédoine du Nord.

Dans le cadre de son recours auprès de la chambre administrative, il avait déjà exposé que les soins cités par l'OCPM dans la décision querellée, pour autant qu'ils existent, n'étaient accessibles qu'aux personnes ayant des ressources financières suffisantes, ce qui n'était pas leur cas. En l'absence de soins adéquats, cela pourrait sérieusement contribuer à une récidive de suicide. L'OCPM ne s'était pas réellement assuré de leur possibilité d'accès à des traitements médicaux adaptés au Kosovo.

L'atténuation du risque d'aggravation de leur état de santé par une préparation au retour n’était qu'une pure hypothèse.

L'OCPM omettait de retenir que la Direction du développement et de la coopération (ci-après: DDC) avait relevé que le système de santé au Kosovo était insuffisant et ne permettait pas de répondre aux besoins de la population dans son ensemble. L'accès aux soins au Kosovo ne correspondait pas aux critères retenus par le Tribunal administratif fédéral (ci-après: TAF) pour permettre l'expulsion.

b. L'OCPM a conclu au rejet du recours.

Dans son arrêt du 22 août 2023, la chambre administrative avait précisé que la naissance de D______, l'absence de famille au Kosovo, l'obtention de l'autorisation de séjour par le frère du recourant et le retour de la famille au Kosovo avec deux enfants ne constituaient pas des faits nouveaux. S'agissant de la dégradation de leur état de santé, certains éléments constituaient des faits nouveaux, l'obligeant ainsi à entrer en matière.

Selon les rapports médicaux transmis, le mari suivait un traitement psychiatrique et psychothérapeutique. Le rapport des HUG du 18 octobre 2023 indiquait une stabilisation thymique avec possible rémission. L’épouse bénéficiait d'un traitement médicamenteux et son médecin avait précisé qu'elle serait apte à travailler à moyen terme.

Le Kosovo disposait d'un système de santé en mesure d'offrir des prestations médicales de base, ce qui était confirmé par un rapport public du SEM du 9 mars 2017. En outre, la jurisprudence avait confirmé à plusieurs reprises qu'en matière de soins psychiatriques, le Kosovo disposait des infrastructures adaptées. Des traitements adaptés existaient également en Macédoine du Nord.

La jurisprudence du TAF retenait qu'il n'était pas possible, de manière générale, de prolonger indéfiniment le séjour d'une personne en Suisse au motif que la perspective d'un retour exacerberait un état psychologique perturbé, dépressif, voire réveillerait des idées de suicide, lorsqu'un accompagnement médical adapté pouvait être organisé afin d'empêcher tout acte auto ou hétéro-agressif lors de l'exécution du renvoi. Si l'étranger bénéficiait déjà d'un suivi psychologique, il pouvait être attendu de la personne responsable du suivi qu'elle le prépare à un retour au pays et transmette le dossier médical à leurs collègues exerçant à l'étranger.

En l'occurrence, le corps médical pouvait aider les intéressés à préparer leur retour et transmettre leur dossier personnel en se mettant à disposition de leur homologue sur place afin d'assurer un suivi. Au demeurant, il était loisible à l'administré de se constituer une réserve de médicaments avant son départ de Suisse.

c. Dans leur réplique, les époux A______ B______ ont fait valoir que la jurisprudence citée par l'OCPM au sujet du système de santé au Kosovo n'était plus d'actualité. Sans ressources financières ni soutien familial, ils n'auraient pas les moyens d'accéder aux soins nécessaires au Kosovo. Une réserve de médicaments n'y changerait rien. Ils souffraient de troubles psychiques importants nécessitant une certitude d'y avoir accès

d. Par jugement du 16 mai 2024, le TAPI a rejeté le recours.

Dans son arrêt, la chambre administrative avait retenu que la naissance de D______, l’absence de famille au Kosovo, l’obtention d’une autorisation de séjour du frère de l’époux et le retour de la famille au Kosovo avec deux enfants ne constituaient pas des faits nouveaux déterminants. Seule la dégradation de l’état de santé des conjoints avait été jugée constitutive d’un tel fait. Il n’y avait donc pas lieu de revenir sur les autres critères relatifs au cas d’extrême gravité. Le recours se limitait d’ailleurs à traiter de l’inexigibilité du renvoi. Seul ce dernier point était ainsi examiné.

La prise en charge médicale des époux au Kosovo était possible. Rien ne s’opposait ainsi à leur renvoi.

E. a. Par acte expédié le 21 juin 2024 à la chambre administrative, A______ et B______, agissant également pour leurs filles mineures, ont recouru contre ce jugement, dont ils ont demandé l’annulation. Ils ont conclu au report de leur renvoi pour motif de santé, à ce que l’OCPM préavise favorablement auprès du SEM leur admission provisoire et qu’un délai raisonnable leur soit imparti pour déposer une demande en reconsidération.

Le TAPI avait, comme l’OCPM, omis d’examiner les certificats médicaux de Docteurs E______ et F______. L’évolution de leur état de santé en cas de retour serait mauvaise. Le risque d’un passage à l’acte suicidaire en cas de renvoi était élevé. Il était erroné de retenir que les recourants pourraient bénéficier de soins médicaux suffisants au Kosovo. Selon la DDC elle-même, le système de soins dans ce pays se caractérisait par des prestations insuffisantes. Les constatations contraires faites par le TAPI étaient arbitraires.

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours, se référant au jugement et à sa décision.

c. Les recourants n’ont pas répliqué dans le délai imparti à cet effet.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Seule est litigieuse la question de savoir si le renvoi des recourants est exigible, au vu de leurs problèmes de santé.

2.1 Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, toute personne étrangère dont l'autorisation est refusée, révoquée ou qui n'est pas prolongée après un séjour autorisé est renvoyée. Les autorités cantonales peuvent toutefois proposer au SEM d'admettre provisoirement un étranger si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion n'est pas possible, n'est pas licite ou ne peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 et 6 LEI). L'exécution de la décision n'est pas licite lorsque le renvoi de l'étranger dans son État d'origine, dans son État de provenance ou dans un État tiers, est contraire aux engagements de la Suisse relevant du droit international (art. 83 al. 3 LEI).

2.2 L'art. 83 al. 3 LEI vise notamment l'étranger pouvant démontrer qu'il serait exposé à un traitement prohibé par l'art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) ou l'art. 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 (Conv. torture - RS 0.105 ; arrêt du TAF E-7712/2008 du 19 avril 2011 consid. 6.1 ; ATA/801/2018 précité consid. 10c et l'arrêt cité). L'exécution de la décision ne peut être raisonnablement exigée si le renvoi ou l'expulsion de l'étranger dans son pays d'origine ou de provenance le met concrètement en danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEI).

2.3 S’agissant plus spécifiquement des personnes en traitement médical en Suisse, l'exécution du renvoi ne devient inexigible, en cas de retour dans leur pays d'origine ou de provenance, que dans la mesure où elles pourraient ne plus recevoir les soins essentiels garantissant des conditions minimales d'existence. Par soins essentiels, il faut entendre les soins de médecine générale et d'urgence absolument nécessaires à la garantie de la dignité humaine (ATA/831/2023 du 9 août 2023 consid. 5.1 ; ATA/731/2015 du 14 juillet 2015 consid. 11b ; arrêt du TAF E-3320/2016 du 6 juin 2016 et les références citées).

Ainsi, si les soins essentiels nécessaires peuvent être assurés dans le pays d'origine ou de provenance de l'étranger concerné, l'exécution du renvoi sera raisonnablement exigible. Elle ne le sera plus, en raison de l'absence de possibilités de traitement adéquat, si l'état de santé de l'intéressé se dégradait très rapidement au point de conduire d'une manière certaine à la mise en danger concrète de sa vie ou à une atteinte sérieuse, durable, et notablement plus grave de son intégrité physique (ATA/801/2018 précité consid. 10d et les arrêts cités ; arrêts du TAF F‑1602/2020 du 14 février 2022 consid. 5.3.4).

2.4 Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (ci‑après : CourEDH), l'exécution du renvoi ou de l'expulsion d'un malade physique ou mental est exceptionnellement susceptible de soulever une question sous l'angle de l'art. 3 CEDH si la maladie atteint un certain degré de gravité et qu'il est suffisamment établi que, en cas de renvoi vers l'État d'origine, la personne malade court un risque sérieux et concret d'être soumise à un traitement interdit par cette disposition (ACEDH N. c. Royaume-Uni du 27 mai 2008, req. n° 26565/05, § 29 ss ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_3/2021 du 14 avril 2021 consid. 4.2). C'est notamment le cas si sa vie est en danger et que l'État vers lequel elle doit être expulsée n'offre pas de soins médicaux suffisants et qu'aucun membre de sa famille ne peut subvenir à ses besoins vitaux les plus élémentaires (ACEDH N. c. Royaume-Uni précité § 42; ATF 137 II 305 consid. 4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_14/2018 du 13 août 2018 consid. 4.1 ; 2C_1130/2013 du 23 janvier 2015 consid. 3).

2.5 Le renvoi d'un étranger malade vers un pays où les moyens de traiter sa maladie sont inférieurs à ceux disponibles dans l'État contractant reste compatible avec l'art. 3 CEDH, sauf dans des cas très exceptionnels, en présence de considérations humanitaires impérieuses (ACEDH N. c. Royaume-Uni précité § 42 ; Emre c. Suisse du 22 mai 2008, req. n° 42034/04, § 89). Dans un arrêt du 13 décembre 2016 (ACEDH Paposhvili c. Belgique, req. n° 41738/10, § 173 ss, not. 183), la CourEDH a précisé qu’il fallait entendre par « autres cas très exceptionnels » pouvant soulever un problème au regard de l'art. 3 CEDH les cas d'éloignement d'une personne gravement malade dans lesquels il y a des motifs sérieux de croire que cette personne, bien que ne courant pas de risque imminent de mourir, ferait face, en raison de l'absence de traitements adéquats dans le pays de destination ou de défaut d'accès à ceux-ci, à un risque réel d'être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie ; ces cas correspondent à un seuil élevé pour l'application de l'art. 3 CEDH dans les affaires relatives à l'éloignement des étrangers gravement malades (ACEDH Savran c. Danemark du 7 décembre 2021, req. n° 57467/15, § 130).

Par ailleurs, la péjoration de l'état psychique est une réaction qui peut être couramment observée chez une personne dont la demande de titre de séjour ou d'admission provisoire a été rejetée, sans qu'il faille pour autant y voir un obstacle sérieux à l'exécution du renvoi (arrêts du TAF D-2160/2023 du 27 avril 2023 consid. 7.10 ; D-372/2023 du 3 avril 2023 consid. 3.3.1 et la jurisprudence – notamment européenne – citée).

2.6 Dans sa jurisprudence, la chambre administrative (ATA/1046/2023 du 26 septembre 2023) a retenu que la possibilité d’accéder aux soins essentiels nécessaires dans le domaine de la psychiatrie existait au Kosovo. Depuis 2000, le nombre d’établissements de soins de santé mentale y a considérablement augmenté et les soins psychiatriques de niveau secondaire sont dispensés dans les services psychiatriques des hôpitaux régionaux de Prizren, Pejë/Pec, Gjakovë/Djakovica, Ferizaj/Urosevac et Gjilan/Gnjilane et Mitrovicë/Mitrovica ainsi qu’à l’hôpital universitaire de Pristina (ATA/811/2024 du 9 juillet 2024 consid. 4.5 ; ATA/332/2024 du 5 mars 2024 ; ATA/1274/2023 du 28 novembre 2023 consid. 3.10 ; ATA/1046/2023 du 26 septembre 2023).

2.7 En l’espèce, il n’est pas contesté que les recourants sont tous deux atteints dans leur santé psychique. Contrairement à ce qu’ils font valoir, le TAPI n’a nullement ignoré ces problèmes de santé ni leur importance ni d’ailleurs le risque d’une péjoration en cas de renvoi. Il a, au contraire, examiné si des soins adéquats étaient disponibles au Kosovo visant spécifiquement la prise en charge d’affections psychiatriques. À cet égard, il a, à juste titre, retenu que des centres médicaux et services psychiatriques des hôpitaux régionaux ainsi que l’hôpital universitaire de Pristina prenaient en charge ce type d’affection, comme l’a déjà constaté à plusieurs reprises la chambre administrative (consid. 2.6).

Il est possible, comme le font valoir les recourants, que la qualité des soins ne soit pas aussi élevée qu’en Suisse. Il n’en demeure pas moins que les soins médicaux dans le domaine psychiatrique sont disponibles au Kosovo. De plus, conformément à la jurisprudence précitée, la péjoration éventuelle de l’état psychique des recourants, notamment du recourant, en cas de retour ne constituerait en principe pas un obstacle à l'exécution de son renvoi. Au vu de la disponibilité de soins psychiatriques au Kosovo, son affection pourra être prise en charge.

Au vu de cette disponibilité, l’atteinte à la santé des recourants n’atteint pas un degré de gravité suffisant pour retenir que leur renvoi serait de nature à mettre concrètement leur vie en danger ou à causer une atteinte sérieuse, durable et grave de leur intégrité psychique.

Leur renvoi est donc possible, licite et raisonnablement exigible.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

3.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge des recourants, qui ne peuvent se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 juin 2024 par A______ et B______, agissant pour eux-mêmes et leurs filles mineures C______ et D______, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 mai 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge solidaire de A______ et B______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Daniel F. SCHUTZ, avocat des recourants, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à office cantonal de la population et des migrations ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.