Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1108/2024 du 24.09.2024 sur JTAPI/955/2023 ( ICCIFD ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3847/2022-ICCIFD ATA/1108/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 24 septembre 2024 |
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dans la cause
A______ recourante
représentée par Me Andrio ORLER, avocat
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 septembre 2023 (JTAPI/955/2023)
A. a. La A______ est une commune française limitrophe du canton de Genève. Elle est, depuis le XVIIIe siècle et pour des raisons historiques, propriétaire de plusieurs terrains situés aujourd'hui dans la commune de B______.
b. Dans le cadre du projet d’urbanisation dit des C______, la A______ a, d’une part, cédé gratuitement des terrains à la commune de B______ pour une surface globale d’environ 119'455 m2, estimée à 61 % de la surface totale des terrains qu’elle détenait (à savoir 194'799 m2). Cela a été concrétisé dans un acte juridique de juin 2018.
D’autre part, la A______ a cédé, à titre onéreux, des terrains et des droits de superficie afin de permettre la réalisation dudit projet. Elle a vendu à des tiers les parcelles de la commune de B______ nos 6’470 et 6’474 (pour la construction de logements en PPE) en décembre 2017, puis les parcelles nos 6’471, 6’482, 6’491 et 6’493 (pour la construction de logements ZD LOC) et les parcelles nos 6’472, 6’475 et 6’476 (pour la construction de logements d’utilité publique, ci-après : LUP) entre mai et juillet 2018, ainsi que la parcelle no 6494 (pour la construction de bureaux) en mai 2019. Le prix de vente total pour l’ensemble de ces parcelles s’élevait à CHF ______.- dont un montant de CHF ______.- avait déjà été perçu.
S’agissant des droits de superficie distincts et permanents, elle les a, en mai et juillet 2018, constitués d’une durée de 99 ans sur les parcelles nos 6’478, 6’479, 6’480 et 6’490 en faveur de tiers afin de permettre la construction de LUP. Il était prévu que ces droits rapportent, dès 2022, une rente annuelle de CHF ______.-
B. a. À la suite d’un entretien, en novembre 2018, entre le maire de la A______, accompagné d’une responsable au sein de celle-ci, et la conseillère d’État genevoise en charge des finances, la A______, agissant par son maire et représentée par un avocat genevois, lui a adressé, le 11 avril 2019, une note circonstanciée au sujet du traitement fiscal des gains liés à la cession de ses parcelles sises dans le canton de Genève et des rentes découlant de droits de superficie constituées sur certaines de ses parcelles genevoises.
La commune française expliquait que la somme obtenue de la cession onéreuse de ses terrains genevois, comptabilisée à son budget, lui avait permis de s’engager à investir des montants équivalents, voire supérieurs, dans des projets d’infrastructures transfrontalières qu’elle qualifiait de « actions d’utilité publique [bénéficiant] directement tant à [elle-même] qu’à Genève ». Elle était également prête à s’engager à effectuer des investissements supplémentaires avec les montants qu’elle recevrait à l’avenir dans ce contexte.
Ainsi, le comportement de la A______ en lien avec les C______ était parfaitement assimilable à celui d’une commune genevoise, de sorte qu’elle devrait être traitée fiscalement de la même manière, c’est-à-dire par l’acceptation de l’exonération des biens directement affectés à des buts d’utilité publique. Ce traitement devrait être admis en vertu de l’art. 26 de la convention conclue entre la Suisse et la France en vue d’éviter les doubles impositions, au motif que cette disposition prévoyait le principe de non-discrimination en matière fiscale sur la base de la nationalité pour des sujets fiscaux se trouvant dans des situations analogues. Certes, l’application de cette norme à des organismes publics était « inusuel[le] » puisqu’un tel organisme d’un État contractant ne se trouvait habituellement pas dans une situation comparable à celle d’un organisme public de l’autre État. Il convenait toutefois de « reconnaître le caractère exceptionnel de la présente situation [et] le fait que la A______ a[vait] agi dans l’intérêt public, tant le sien que celui de Genève ». L’exonération devrait concerner les gains retirés de la « cession d’une partie de ses terrains en pleine propriété » sans nécessairement s’étendre aux rentes obtenues de la constitution de droits de superficie au profit de tiers.
En conclusion, il s’agissait d’une situation exceptionnelle qui concernait une collectivité territoriale étrangère, voisine, propriétaire de terrains sis dans le canton de Genève à raison de remaniements territoriaux historiques ayant dessiné le contour actuel du canton. Cette situation déterminait la stratégie d’affectation de ses terrains genevois en très grande partie afin de favoriser l’intérêt du canton de Genève et mettait au profit de la région transfrontalière le produit de leur cession. La A______ avait agi tel que l’aurait fait une commune genevoise. Elle demandait donc que soit examinée la question de son assimilation à une commune genevoise s’agissant du traitement fiscal des opérations liées aux C______, puis que soit constatée l’affectation de ses biens à la poursuite d’un but d’utilité publique et d’intérêt général. Cela devait conduire à l’exonération du gain provenant de la cession des parcelles en pleine propriété, l’imposition des rentes afférant aux droits de superficie pouvant être réservée.
b. Le 2 mai 2019, la Conseillère d’État genevoise en charge des finances a répondu à l’avocat de la A______. L’extension de l’application de la notion de commune, au sens des dispositions fiscales topiques du droit suisse, à des collectivités situées en France ne paraissait pas compatible avec le texte de la loi. Il n’y avait pas de discrimination au sens de l’art. 26 de la convention internationale susmentionnée compte tenu du commentaire topique y relatif. La personne morale souhaitant bénéficier de l’exonération pour motifs d’utilité publique ou d’intérêt général au sens des normes fiscales topiques de droit suisse devait en faire la demande et prouver la réalisation de leurs conditions. Elle invitait la commune française à transmettre une demande dûment motivée à l’administration fiscale cantonale (ci‑après : AFC-GE) pour qu’elle puisse statuer à ce sujet.
c. Le 31 juillet 2020, la A______, agissant par son avocat genevois, a demandé à l’AFC-GE l’exonération des impôts cantonaux et communaux
(ci-après : ICC) sur le bénéfice et le capital des personnes morales ainsi que celle de l’impôt fédéral direct (ci-après : IFD) sur le bénéfice des personnes morales s’agissant des droits de superficie distincts et permanents constitués sur les parcelles nos 6’478, 6’479, 6’480 et 6’490 et sur les rendements provenant desdits droits, en particulier sur les rentes reçues à titre de superficiant. Elle invoquait l’application des art. 56 let. g de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) et 9 al. 1 let. f de la loi sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15), compte tenu de son but d’utilité publique et/ou de service public au sujet de la mise à disposition de certains droits de superficie constitués sur des terrains appartenant à la A______ et situés dans le canton de Genève. Un entretien était aussi sollicité.
La commune française A______ était devenue propriétaire aux alentours de 1730 de certains terrains appartenant à l’origine à la Savoie puis ayant été rattachés à Genève par la Convention du 11 mai 1834 entre le roi de Sardaigne et le gouvernement de la République et Canton de Genève, qui complétait le traité de Turin de 1816. Malgré ce rattachement à la souveraineté suisse, la A______ en avait gardé la propriété juridique. Elle était une collectivité territoriale au sens du droit français et disposait de l’autonomie et des compétences conférées conformément au droit français, notamment un pouvoir réglementaire pour l’exercice de ses compétences. En tant que personne morale de droit public étranger, elle devait être considérée comme une personne morale au sens de l’art. 49 LIFD et de l’art. 1 LIPM, plus précisément comme une « autre personne morale » en matière d’impôts directs suisses. Elle était ainsi apte à bénéficier de l’exonération prévue aux art. 56 let. g LIFD et 9 al. 1 let. f LIPM, compte tenu de son assujettissement limité à l’impôt en Suisse. Par le passé, elle avait déjà rempli des déclarations fiscales en Suisse en cette qualité.
Elle détaillait également l’affectation de ses terrains genevois et des gains qu’elle en avait retirés. Les terrains cédés gratuitement avaient permis la construction d’une école et d’espaces publics comme un parc. La constitution de droits de superficie de longue durée concernait des terrains accueillant des logements sociaux (LUP et HLM). Les revenus tirés des droits de superficie étaient réinvestis dans des projets d’infrastructures d’importance transfrontalière. L’argent qu’elle touchait de ses terrains genevois était ainsi investi, de manière exclusive et irrévocable, dans l’intérêt public. Seule une partie réduite de ses terrains (29% environ) avait été destinée à la vente.
C. a. Le 8 juillet 2021, l’AFC-GE a refusé la demande d’exonération fiscale de la A______ concernant les ICC sur le bénéfice et le capital et l’IFD sur le bénéfice.
Celle-ci était une collectivité territoriale française disposant d’autonomie, soit une personne morale étrangère qui devait être assimilée, conformément aux art. 49 al. 3 LIFD et 1 al. 4 LIPM, à la personne morale suisse qui lui ressemblait le plus. Il s’agissait de la commune suisse, comme elle-même l’avait indiqué dans sa note du 10 avril 2019. Ainsi, les art. 9 al. 1 let. f LIPM et 56 let. g LIFD n’étaient pas applicables à la A______. Seuls les art. 9 al. 1 let. c LIPM et 56 let. c LIFD pouvaient entrer en ligne de compte pour l’exonération d’une commune, ce qui était toutefois exclu s’agissant d’une collectivité territoriale française comme l’indiquait le courrier du 2 mai 2019 de la Conseillère d’État.
À titre superfétatoire, les conditions de l’exonération, notamment celles de l’exclusivité de l’utilisation des fonds et de l’irrévocabilité de l’affectation des fonds, n’étaient vraisemblablement pas réunies, ce que la A______ mentionnait dans sa note du 10 avril 2019.
b. Dans le cadre de sa réclamation déposée en août 2021, la A______ a, le 3 janvier 2022, précisé sa position. Elle a principalement conclu à l’exonération à l’instar d’une commune suisse au sens des art. 56 let. c LIFD et 9 al. 1 let. c LIPM, et subsidiairement à celle fondée sur les art. 56 let. g LIFD et 9 al. 1 let. f LIPM visant les autres personnes morales poursuivant des buts de service public ou d’utilité publique compte tenu de l’activité exercée en faveur du canton de Genève.
Elle limitait sa demande d’exonération au revenu tiré des « DDP » concernant les parcelles nos 6’478, 6’479, 6’480 et 6’490 (logements LUP) et au gain en capital réalisé sur les parcelles nos 6’471, 6’472, 6’475, 6’476, 6’482, 6’491 et 6’493 (logements LUP et ZD LOC). Elle ne sollicitait en revanche aucune exonération sur le gain en capital résultant de la vente des parcelles nos 6’470 et 6’474 (logements en PPE) et de la parcelle no 6494 (bureaux).
Elle détaillait le réinvestissement du produit de la cession des droits de superficie et des terrains, en le résumant dans un tableau répertoriant différents projets rattachés chacun à un type de financement (financement effectué, en cours ou envisagé). Certains montants fixes avaient déjà été engagés (financement effectué), tandis que d’autres étaient prévus sous forme d’estimations car bien que sa participation fût certaine, les coûts exacts des projets n’avaient pas encore été arrêtés (financement en cours). D’autres montants étaient uniquement projetés (ou prévisionnels), sa participation n’ayant pas encore fait l’objet d’un engagement (financement envisagé). Quant aux projets indiqués dans ledit tableau, il s’agissait seulement de projets transfrontaliers ayant un impact « direct et immédiat » sur le développement du Grand Genève décrit comme une « métropole transfrontalière » nécessitant une coopération en matière de mobilité et de logement notamment. Ces projets visaient entre autres la réalisation de la ligne ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse (ci-après : CEVA) et l’aménagement des gares et espaces publics contigus, le prolongement des lignes de tramways au-delà de la frontière et la consolidation de la Voie verte. Le développement du Grand Genève devait être considéré d’intérêt public pour le canton de Genève. Les projets avec un financement « effectué » s’élevaient à un montant total de EUR ______.-, ceux avec un financement « en cours » à EUR ______.- et ceux avec un financement « envisagé » à EUR ______.-. Cette liste n’incluait pas le coût d’entretien desdits projets. Les produits retirés de la disposition sur ses terrains genevois lui avaient permis de s’engager dans ces projets.
Enfin, elle rappelait que l’ensemble de ses fonds étaient investis dans l’intérêt public, la législation française interdisant aux communes d’utiliser des fonds pour effectuer des investissements purement financiers. Selon le droit français, la règle était l’obligation de dépôt auprès de l’État français des fonds des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. Cette règle datait d’un décret impérial de 1811, n’avait jamais été remise en cause et figurait dans la réglementation française.
c. Par décision du 18 octobre 2022, l’AFC-GE a rejeté la réclamation de la A______ à l’encontre du refus d’exonération précité, pour les mêmes motifs que ceux exposés dans la décision du 8 juillet 2021.
Elle refusait l’exonération fondée tant sur les art. 56 let. c LIFD et 9 al. 1 let. c LIPM applicables aux seules communes suisses, que sur les art. 56 let. g LIFD et 9 al. 1 let. f LIPM visant les personnes morales, puisque la A______ se rapprochait le plus de la commune suisse en vertu des art. 49 al. 3 LIFD et 1 al. 4 LIPM. Même dans cette dernière hypothèse, les gains en capital provenant de la vente des parcelles auraient de toute manière été imposables, à tout le moins au niveau cantonal et communal. Il n’était en outre pas certain que les conditions afin de bénéficier d’une exonération fiscale pour but d’utilité publique ou de service public soient en l’espèce remplies, notamment s’agissant de l’exclusivité de l’utilisation des fonds par la A______ et de l’irrévocabilité.
Au surplus, cette dernière avait initialement, dans son courrier du 10 avril 2019, admis qu’en raison de la longue durée des droits de superficie de 99 ans, le contrôle de l’affectation des fonds serait difficile en pratique, raison pour laquelle elle était dans un premier temps prête à renoncer à une exonération fiscale pour les rentes de droits de superficie. Ce suivi serait également plus compliqué étant donné que le canton de Genève n’avait aucune possibilité de surveillance sur les décisions et les finances de la A______. Cela était également valable pour le contrôle de l’utilisation des gains découlant de la vente des parcelles, puisque la totalité de ces gains n’avaient pas encore été réinvestis à ce jour selon les explications de la commune française exposées dans son courrier du 3 janvier 2022.
Le grief tiré d’une prétendue violation du principe d’égalité de traitement, qu’il soit fondé sur le droit interne ou international, était rejeté. La A______ n’était pas dans une situation semblable à celle d’une commune genevoise en raison de son lieu de « résidence » et il n’y avait pas de discrimination au sens de l’art. 26 § 1 de la Convention du 9 septembre 1966 entre la Suisse et la France en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscale (CDI‑FR - RS 0.672.934.91). Les dispositions de non-discrimination « n’impliqu[ai]ent pas qu’un État accordant des avantages fiscaux spéciaux à ses propres organismes ou services publics en raison de leur nature soit tenu de faire bénéficier des mêmes avantages les organismes et services publics de l’autre État » selon le commentaire sur les articles du Modèle de Convention fiscale OCDE, version 2017 (n. 10 ad art. 24). Il existait une disposition similaire à l’art. 26 § 3 CDI-FR, qui n’était de toute façon pas applicable, faute pour la A______ d’avoir un établissement stable en Suisse.
Par ailleurs et contrairement aux communes genevoises, la A______ ne faisait pas l’objet d’une supervision par le canton de Genève en application de la loi cantonale sur l’administration des communes, notamment s’agissant de la validité des délibérations des conseils municipaux et de la légalité des budgets et comptes communaux. Partant, même si la A______ décidait d’affecter les produits de la cession des parcelles ou des rentes de droits de superficie à des projets transfrontaliers en faveur du Grand Genève, et qui ne profiteraient pas uniquement au canton de Genève mais à la région dans son ensemble (y compris la A______), il ne pouvait pas être exclu qu’elle décide à l’avenir de modifier l’affectation de ces fonds pour les financements non encore engagés à ce jour, sans que le canton de Genève ait un droit de regard. Dès lors, le fait de ne pas assimiler la A______ à une commune genevoise et de ne pas lui appliquer les mêmes dispositions légales reposait sur des motifs objectifs et ne constituait pas une violation du principe d’égalité de traitement.
d. Par jugement du 4 septembre 2023, le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) a rejeté le recours de la A______.
Seules les communes suisses pouvaient se prévaloir de l’exonération au sens des art. 9 al. 1 let. c LIPM et 56 let. c LIFD. La A______ se trouvait sur le territoire d’un État étranger et n’avait pas de lien territorial avec la Suisse ni avec le canton de Genève. L’exonérer partiellement se révélait incompatible avec la règle selon laquelle les communes étaient exonérées entièrement et sans condition. Le grief tiré de la violation du principe d’égalité de traitement et de non‑discrimination était écarté car une commune genevoise et française n’étaient pas « résidentes » dans le même État. Elles ne se trouvaient ainsi pas dans la même situation.
Concernant l’exonération au sens des art. 56 let. g LIFD et 9 al. 1 let. f LIPM, la condition de l’affectation irrévocable et exclusive des fonds n’était pas remplie, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si, in abstracto, une commune française pouvait invoquer ces dispositions. Aucun document ne venait démontrer que les gains en capital et les rentes de superficie seraient affectés de manière irrévocable à un but exonéré. Rien ne prouvait que l’intéressée ne puisse pas affecter cet argent comme bon lui semblait. Il n’était pas déterminant que la législation française contraignît les communes à n’engager des fonds que dans l’intérêt public. L’utilisation par une commune française des sommes litigieuses sur le territoire de cet État – même dans un but exonéré au sens du droit suisse – ne justifierait pas l’octroi d’une exonération des impôts suisse et genevois.
D. a. Par acte expédié le 6 octobre 2023, la A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : la chambre administrative) contre ce jugement, en concluant à son annulation et à l’exonération de l'ICC et de l’IFD sur, d’une part, les rentes de DDP constituées sur les parcelles nos 6’478, 6’479, 6’480 et 6’490 ainsi que sur, d’autre part, les gains en capital réalisés lors de l’aliénation des parcelles nos 6’471, 6’472, 6’475, 6’476, 6’482, 6’491 et 6’493.
Elle invoquait principalement l’exonération au sens des art. 56 let. c LIFD et 9 al. 1 let. c LIPM, subsidiairement celle fondée sur les art. 56 let. g LIFD, 9 al. 1 let. f LIPM et 23 al. 1 let. f LHID, et concluait au renvoi de la cause à l’AFC-GE pour taxation. Plus subsidiairement, elle a conclu à l’exonération au sens de ces trois dernières dispositions pour la part des produits dont le réinvestissement dans les projets de développement du Grand Genève avait déjà eu lieu, et au renvoi de la cause à l’AFC-GE pour taxation.
L’affectation des produits liés à la cession des parcelles et des rentes de superficie avait, depuis le début de la procédure, été décrite dans un tableau indiquant les projets et distinguant le type de financement y relatif, notamment les montants déjà investis des travaux prévus. La recourante produisait la délibération du 28 septembre 2023 de son conseil municipal confirmant l’affectation de ces produits au développement du Grand Genève et leur qualité de « ressource irrévocablement inscrite dans la comptabilité publique ». Elle s’engageait à affecter ledit produit au développement des services publics et infrastructures sur le territoire frontalier et transfrontalier. Cette délibération était accompagnée d’un tableau mentionnant un montant total de EUR ______.- à titre d’investissement dans des projets transfrontaliers qu’elle citait. Elle produisait également les pièces comptables démontrant ces investissements. Le tableau précité mentionnait les travaux prévus pour lesquels elle s’était engagée à investir un montant total de EUR ______.-. Il contenait également des estimations liées à d’autres projets qui n’avaient pas encore été approuvés par les autorités communales compétentes. Dans ladite délibération, le conseil municipal autorisait le maire à fournir au besoin à l’AFC-GE un rapport annuel audité sur l’utilisation des fonds issus des recettes des C______ et alloués dans les projets susmentionnés. Ainsi, le produit d’environ CHF ______.-, issu de l’aliénation des parcelles sur lesquelles des logements sociaux avaient été construits, avait déjà été partiellement investi et serait investi dans des projets transfrontaliers.
Elle estimait pouvoir être assimilée à une commune suisse dans le présent contexte vu qu’elle avait agi sur le territoire genevois en faveur de ce canton. En effet, elle avait cédé, à titre gratuit, 61% de ses parcelles genevoises pour permettre la construction d’équipements publics, renoncé à pleinement exploiter le potentiel économique de ses parcelles destinées aux logements LUP et ZD LOC et réinvesti les profits réalisés dans l’intérêt du territoire genevois dans le cadre de projets transfrontaliers du Grand Genève. Elle avait ainsi agi comme une commune genevoise. L’exonération revendiquée profitait directement au territoire genevois et respectait donc le but des art. 56 let. c LIFD et 9 al. 1 let. c LIPM.
Sous l’angle de l’exonération fondée sur les art. 56 let. g LIFD et 9 al. let. f LIPM, la condition de l’utilisation exclusive et irrévocable de ces fonds était remplie. En effet, la délibération du 28 septembre 2023 précitée de son conseil municipal démontrait qu’un montant de EUR ______.- avait déjà été indubitablement investi dans les projets de développement du Grand Genève. Ce même document attestait de l’engagement d’une somme d’environ EUR ______.- dans le projet d’éco-quartier D______. Elle avait en outre déjà prévu d’autres engagements complémentaires à hauteur de EUR ______.- pour d’autres projets de développement du Grand Genève. Pour permettre à l’AFC-GE de vérifier l’utilisation effective desdits fonds dans le développement de la région transfrontalière, ladite délibération autorisait le maire à remettre chaque année à l’AFC-GE un rapport audité sur l’utilisation des fonds issus des recettes des C______. Elle avait donc tout fait pour assurer l’utilisation effective et irrévocable des fonds.
Enfin, l’utilisation des fonds à l’étranger ne l’empêchait pas de bénéficier de l’exonération fiscale litigieuse, cette hypothèse étant admise par la doctrine, étant précisé qu’elle avait investi les fonds dans des projets transfrontaliers d’intérêt général et que ses parcelles genevoises avaient été affectées à la création de logements d’utilité publique. Au surplus, elle était une personne morale de droit public français, ce qui ressortait de la délibération du 28 septembre 2023 précitée ; elle était assujettie de manière limitée dans le canton de Genève en raison des parcelles qui lui appartenaient et avait toujours été taxée comme une autre personne morale.
b. L’AFC-GE, agissant pour l’AFC-CH également, a conclu au rejet du recours. Elle écartait l’application des art. 56 let. c et g LIFD et art. 9 al. 1 let. c et f LIPM.
Le texte légal était clair : seules les communes suisses étaient visées. Par personne morale au sens des art. 56 let. g LIFD et 9 al. 1 let. f LIPM, il fallait comprendre des personnes morales autres que des corporations de droit public, telles que la Confédération, les cantons et les communes, visées aux let. a à c de ces normes.
Les conditions matérielles des art. 56 let. g LIFD et 9 al. 1 let. f LIPM n’étaient pas réalisées, faute de désintéressement (ou absence d’assistance mutuelle) qui était une condition fondamentale à l’exonération selon la Circulaire n° 12 du 8 juillet 1994 de l’AFC-CH (ch. 3 let. b et ch. 4). Le désintéressement au sens fiscal faisait défaut lorsqu’en sus de buts d’utilité publique, étaient poursuivis des intérêts propres de la personne morale ou des intérêts particuliers de ses membres. Tel était le cas de la A______. Sa délibération du 28 septembre 2023 le confirmait en ce sens que le produit retiré de ses terrains genevois constituait une ressource irrévocablement inscrite dans la comptabilité publique de la commune en tant que recette publique, dûment constatée et enregistrée par l’administration générale des Finances publiques de l’État français, et que toute atteinte ou altération de l’utilité publique des recettes d’une collectivité locale, telles que celles résultant de la vente ou droits de superficie des parcelles genevoises, était réprimée par la loi française. L’affectation de ses ressources dans les projets transfrontaliers s’inscrivait dans sa mission au service de ses propres habitants et ne remplissait donc pas la condition du désintéressement, étant précisé que l’utilisation des fonds à l’étranger ne constituait en soi pas un motif de refus de l’exonération.
La condition de l’affectation exclusive et irrévocable des fonds litigieux n’était pas non plus remplie. Le critère de l’exclusivité de l’utilisation des fonds signifiait que l’activité exonérée de l’impôt devait s’exercer exclusivement au profit de l’utilité publique ou du bien commun. Le but de la personne morale ne devait pas être lié à des buts lucratifs ou à d’autres intérêts de la personne morale, de ses membres ou associés. Le critère d’irrévocabilité signifiait que les fonds consacrés à la poursuite de buts justifiant l’exonération de l’impôt devaient être affectés irrévocablement, c’est-à-dire pour toujours, à ces buts. Un retour au donateur ou fondateur devait être absolument exclu. Ces critères n’étaient pas remplis in casu, puisque les fonds litigieux encaissés par la recourante devaient nécessairement être engagés dans l’intérêt primaire de ses propres constituants. La A______ avait, par définition, pour but de servir les intérêts de ses constituants et était ainsi contrainte de par la loi d’engager les bénéfices tirés de l’aliénation des C______ à la réalisation de sa mission dans l’intérêt de ses habitants. Le fait que l’État de Genève profite (indirectement) des engagements de la recourante n’y changeait rien. Une exonération partielle pour ce motif serait dépourvue de base légale.
c. La recourante a répliqué, maintenu sa position et souligné avoir agi de manière désintéressée afin de permettre la construction de logements sociaux (LUP et ZD LOC) sur le territoire genevois et le développement de projets transfrontaliers. Elle avait ainsi agi en faveur d’un cercle de destinataires plus large que celui, plus étroit, de ses seuls résidents. L’extrait de sa délibération cité par l’AFC-GE démontrait, contrairement à l’avis de cette dernière, que les fonds litigieux étaient affectés exclusivement et irrévocablement au but d’utilité publique qu’était le développement transfrontalier.
d. Les parties ont ensuite été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑
E 5 10).
2. Le présent litige, circonscrit par la décision litigieuse, porte uniquement sur la question d’une éventuelle exonération fiscale de la recourante concernant, d’une part, le gain retiré de la vente d’une partie de ses terrains genevois et, d’autre part, de la rente annuelle découlant de la constitution de droits de superficie de 99 ans sur des parcelles genevoises lui appartenant toujours.
2.1 Il n’est, en l’espèce, ni contesté que la recourante est (ou était) la propriétaire des parcelles précitées concernées par le présent litige, ni qu’elle est de ce fait assujettie à l'ICC et à l’IFD, de manière limitée, en raison d’un rattachement économique au sens des art. 3 al. 1 let. c LIPM et et 51 al. 1 let. c LIFD (propriété d’immeubles dans le canton et en Suisse). Les art. 4 al. 2 LIPM et 52 al. 2 LIFD précisent que l’assujettissement fondé sur un rattachement économique est limité à la partie du bénéfice et du capital qui est imposable dans le canton selon l’art. 3 LIPM, respectivement au bénéfice imposable en Suisse au sens des art. 51 LIFD.
2.2 La particularité de cette affaire a trait à la nature de la contribuable qui est une commune française soumise au droit public français, mais propriétaire des parcelles précitées sises dans le canton de Genève, sur le territoire de la commune de B______, pour les motifs historiques susmentionnés. Il s’agit ainsi d’une personne morale étrangère, à savoir d’une collectivité territoriale française (art. 72 de la Constitution française du 4 octobre 1958 [ci-après : Cst-FR]) soumise à une réglementation spécifique contenue dans le Code général des collectivités territoriales [ci-après : CGCT-FR]).
2.2.1 Contrairement aux communes suisses, la commune française fait partie d’un État unitaire décentralisé (art. 1 al. 1 Cst-FR). Il existe un représentant de l’État dans les collectivités territoriales françaises, qui a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois (art. 72 al. 6 Cst-FR). Par ailleurs, les communes s’administrent librement par des conseils élus (art. L1111‑1 CGCT‑FR). Les élus locaux sont les membres des conseils élus au suffrage universel pour administrer librement les collectivités territoriales dans les conditions prévues par la loi (art. L1111-1-1 al. 1 CGCT-FR). Les communes règlent par leurs délibérations les affaires de leur compétence. Dans les conditions prévues par la loi (relevant en droit français du seul parlement national, art. 24 al. 1 phr. 1 et al. 2 Cst.‑FR), elles disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences (art. 72 al. 3 Cst-FR ; art. L1111-2 al. 1 et 2 CGCT-FR).
2.2.2 Selon les art. 49 al. 1 LIFD et 1 al. 2 LIPM, les personnes morales soumises à l’impôt sont : a) les sociétés de capitaux (sociétés anonymes, sociétés en commandite par actions, sociétés à responsabilité limitée) et les sociétés coopératives ; b) les associations, fondations et autres personnes morales. Le droit civil régissant les personnes morales réserve, à l’art. 59 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CCS - RS 210), le droit public de la Confédération et des cantons pour les corporations ou les établissements qui lui sont soumis. Les personnes morales ont l’exercice des droits civils dès qu’elles possèdent les organes que la loi et les statuts exigent à cet effet (art. 54 CCS).
Les art. 49 al. 3 LIFD et 1 al. 4 LIPM précisent que les « personnes morales étrangères (…) sont assimilées aux personnes morales suisses dont elles se rapprochent le plus par leur forme juridique ou leur structure effective ». Cette assimilation suppose que l’entité étrangère ait les caractéristiques générales d’une personne morale, à savoir qu’elle dispose d’une organisation lui permettant de former une volonté corporative propre et indépendante des associés (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1018/2015 du 2 novembre 2017 consid. 8.4.2.2). Les art. 49 al. 3 LIFD et 1 al. 4 LIPM se trouvent, dans leur texte normatif, sous la rubrique générale intitulée « Assujettissement à l’impôt » et plus spécifiquement dans la sous-partie dénommée « Définition » ou « Désignation » de la personne morale. Cette rubrique générale regroupe également les règles relatives aux conditions d’assujettissement et aux exonérations. L’art. 20 al. 2 LHID a une teneur similaire aux art. 49 al. 3 LIFD et 1 al. 4 LIPM.
Cette opération de rapprochement aux personnes morales suisses est nécessaire non seulement lorsque la personne morale étrangère est assujettie à l’impôt en Suisse, mais également dans d’autres circonstances, en particulier lorsqu’il s’agit de savoir si une société suisse peut obtenir une réduction pour une participation à une société de capitaux ou à une société coopérative étrangère (Jean-Blaise PASCHOUD/Raphaël GANI, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand – Impôt fédéral direct, 2e éd., 2017 [ci-après : CR-IFD], n. 35 ad art. 49 LIFD). Elle se scinde en plusieurs phases : la détermination du statut de l’entité étrangère, sa qualification en tant que personne morale étrangère et l’identification de la personne morale étrangère à la personne morale suisse dont elle est la plus proche par sa forme juridique ou par sa structure effective. Pour les personnes morales étrangères, et plus particulièrement pour les sociétés de capitaux et les sociétés coopératives, c’est le critère de la forme juridique qui devrait être déterminant. La question du rapprochement peut être plus difficile à résoudre si la personne morale étrangère est une fondation ou une association, voire une « autre personne morale ». Il y aura alors lieu de tenir compte, le cas échéant, de la structure effective (Jean-Blaise PASCHOUD/Raphaël GANI, op. cit., n. 34 ad art. 49 LIFD).
2.2.3 C’est donc comme « autre personne morale » au sens de la let. b des art. 49 al. 1 LIFD et 1 al. 2 LIPM que la recourante est assujettie aux ICC et IFD en raison des gains qu’elle a retirés de la vente ainsi que de la constitution de droits de superficie sur des parcelles, identifiées plus haut, sises sur la commune de B______, qui lui appartiennent (ou ont appartenu) depuis le XVIIIe siècle.
3. La question de l’exonération est régie, en matière d’IFD, à l’art. 56 LIFD et, en matière d’ICC, aux art. 9 LIPM et 23 LHID.
3.1 Selon l’art. 56 LIFD, sont exonérés de l’IFD : a) la Confédération et ses établissements ; b) les cantons et leurs établissements ; c) les communes, les paroisses et les autres collectivités territoriales des cantons, ainsi que leurs établissements ; g) les personnes morales qui poursuivent des buts de service public ou d’utilité publique, sur le bénéfice exclusivement et irrévocablement affecté à ces buts (…) ; i) les États étrangers, sur leurs immeubles suisses affectés exclusivement à l’usage direct de leurs représentations diplomatiques et consulaires, ainsi que les bénéficiaires institutionnels d’exemptions fiscales visés à l’art. 2 al. 1 de la loi du 22 juin 2007 sur l’État hôte, pour les immeubles dont ils sont propriétaires et qui sont occupés par leurs services.
3.2 Les entités précitées, énumérées à l’art. 56 LIFD, sont également exonérées de l'ICC en vertu des art. 9 al. 1 LIPM et 23 al. 1 LHID, avec la précision que celles figurant aux let. g et i de l’art. 56 LIFD sont mentionnées aux let. f et h des art. 9 al. 1 LIPM et 23 al. 1 LHID. De plus, l’art. 9 al. 1 let. c LIPM vise les communes « genevoises » pour les biens et établissements qui en dépendent et qui sont affectés à des buts d’utilité publique ou d’intérêt général.
3.3 Lorsque l’exonération est exclue au sens des let. a à c de l’art. 56 LIFD, se pose la question de celle fondée sur la let. g de cette norme qui vise les « personnes morales » poursuivant des buts de service public ou d’utilité publique, comme on le verra plus bas. Cette approche vaut également pour l'ICC compte tenu de la réglementation similaire (art. 23 al. 1 let. f LHID ; art. 9 al. 1 let. f LIPM).
4. La recourante invoque, à titre principal, l’exonération au même titre que les communes suisses au sens des art. 56 let. c LIFD et 9 al. 1 let. c LIPM.
4.1 L’art. 23 al. 1 let. c LHID vise les communes et les autres entités citées « dans les limites fixées par le droit cantonal ». L’art. 9 al. 1 let. c LIPM fait expressément référence aux communes « genevoises ».
Ainsi, la recourante, qui est une commune française, n’entre pas dans le champ d’application de l’art. 9 al. 1 let. c LIPM compte tenu du texte clair de cette norme. Elle ne peut donc pas bénéficier d’une exonération sur la base de cette disposition.
4.2 S’agissant de l’IFD, les communes, les paroisses et les autres collectivités territoriales des cantons, ainsi que leurs établissements bénéficient d’une exonération subjective inconditionnelle à teneur de l’art. 56 let. c LIFD. L’entier de leur bénéfice est exempté de l’IFD, ce indépendamment de son affectation. La notion de commune recouvre en premier lieu celle de la commune politique, soit une collectivité de droit public cantonal, exerçant de manière autonome des attributions générales sur un territoire déterminé. Les collectivités territoriales des cantons sont exonérées au même titre que les communes. Elles doivent présenter un élément territorial, c’est-à-dire que l’appartenance à la collectivité dépend de l’acquisition du domicile dans un certain périmètre (Nicolas URECH, CR-IFD, n. 16, 17 et 20 ad art. 56 LIFD). S’agissant des établissements communaux, qui peuvent par exemple relever d’une commune politique, la jurisprudence fédérale a admis l’exonération d’une fondation genevoise d’intérêt public communal pour la mise à disposition d’appartements à loyers raisonnables et revêtant la forme d’un établissement de droit cantonal au sens de l’art. 59 CC (ATF 112 Ib 20 ; Nicolas URECH, op. cit., n. 21 ad art. 56 LIFD).
Selon la jurisprudence fédérale, la notion de collectivité territoriale des cantons au sens de l'art. 56 let. c LIFD ne se limite pas aux collectivités purement territoriales, mais vise toutes les corporations de droit public qui présentent un élément territorial. Sont uniquement exclues de l'exonération les corporations auxquelles, en vertu du droit cantonal, un lien avec un territoire déterminé, défini par la répartition politique territoriale cantonale, fait complètement défaut (ATF 139 II 90 consid. 2.1). Le Tribunal fédéral a notamment admis que la commune bourgeoise comportait un élément territorial, dès lors qu’elle s’étendait sur le même territoire que la commune municipale et que le droit de bourgeoisie était lié au fait d’être originaire de ce territoire (ATF 139 II 90 consid. 2.3).
En l’espèce, la commune française recourante, bien que limitrophe du canton de Genève et impliquée dans des projets politiques d’ordre transfrontalier, ne relève pas du droit cantonal genevois, ni ne fait partie de ce canton, mais est soumise à la souveraineté territoriale d’un autre État. La recourante ne présente ainsi pas un lien territorial avec le canton de Genève au sens de l’art. 56 let. c LIFD, contrairement au cas des communes bourgeoises existant dans d’autres cantons. La recourante ne peut donc pas bénéficier de l’exonération inconditionnelle au sens de cette norme.
5. La recourante invoque, à titre subsidiaire, l’exonération au sens des art. 56 let. g LIFD, 23 al. 1 let. f LHID et 9 al. 1 let. f LIPM, plus subsidiairement en la limitant aux montants déjà investis dans des projets de développement du Grand Genève.
Ces dispositions ont une teneur similaire, étant précisé que la réglementation de l'ICC vise également le capital, et non uniquement le bénéfice comme l’IFD. Sous cette réserve, ces normes doivent s’appliquer de la même manière conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 131 I 1 consid. 6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_442/2010 du 24 novembre 2010 consid. 2.2 et 2.3 ; Marco GRETER/Alexander GRETER in Martin ZWEIFEL/Michael BEUSCH [éd.], Kommentar zum Bundesgesetz über die Harmonisierung der direkten Steuern der Kantone und Gemeinden, 4e éd., 2022, [ci-après : Kommentar StHG], n. 25 ad art. 23 LHID).
5.1 Par « personnes morales » au sens de l’art. 56 let. g LIFD, la doctrine indique qu’il peut s’agir de personnes morales de droit privé ou de personnes morales de droit public qui ne font pas partie du cercle des institutions exonérées au sens de l’art. 56 let. a à c LIFD (Nicolas URECH, op. cit., n. 53 et 54 ad art. 56 LIFD). Les personnes morales assujetties, de manière illimitée ou limitée, en Suisse peuvent, quel que soit le champ de leur rayon d’action (« Wirkungsraum »), bénéficier de l’exonération si elles remplissent les autres conditions de ladite norme
(Marco GRETER/Alexander GRETER in Martin ZWEIFEL/Michael BEUSCH [éd.], Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, 4e éd., 2022
[ci-après : Kommentar DBG] n. 23 ad art. 56 LIFD ; Marco GRETER/Alexander GRETER, Kommentar StHG, 2022, n. 22 ad art. 23 LHID).
Dans une affaire de 2019 (arrêt du Tribunal fédéral 2C_564/2017 du 4 avril 2019), le Tribunal fédéral s’est prononcé sur le traitement fiscal d’une Anstalt liechtensteinoise, assujettie de manière limitée aux ICC et IFD du fait qu’il était propriétaire d’un bien immobilier en Suisse. La divergence des parties portait sur le taux d’imposition applicable à cette entité étrangère, qui différait selon que celle-ci fût assimilée à une société anonyme (société de capitaux) ou à une fondation (consid. 5). Selon le Tribunal fédéral, une entité étrangère pouvait être assujettie à l’impôt sur le bénéfice en Suisse, pour deux motifs dont l’existence d’un critère de rattachement économique, qui impliquait un assujettissement limité en Suisse (consid. 5.2). Pour procéder à l’imposition d’une entité étrangère assujettie à l’impôt en Suisse, la LIFD prévoyait qu’il fallait l’assimiler à une personne morale suisse en vertu de l’art. 49 al. 3 LIFD (règle d’assimilation prévoyant deux critères : la forme juridique et la structure effective ; consid. 5.3 à 5.9). Après avoir tranché le litige en faveur d’une fondation, le Tribunal fédéral s’est interrogé sur le point de savoir si la personnalité juridique de l’entité étrangère pouvait être véritablement reconnue, compte tenu de sa jurisprudence relative à l’Anstalt et aux fondations de droit liechtensteinois et au fait que celui-ci prévoyait que le fondateur d’une Anstalt pouvait en principe changer en tout temps les statuts et le but. Il a soulevé la question de savoir si cette figure juridique liechtensteinoise devait être soumise au traitement applicable à un trust révocable dont les biens restaient attribués au settlor faute de dessaisissement définitif, sans toutefois la développer pour des raisons procédurales. Le traitement en transparence de l’entité étrangère, recourante, aurait eu pour conséquence une imposition dans le chef d’une tierce personne, non partie à la procédure (consid. 5.10 et 7).
À la différence de l’arrêt précité, la présente espèce porte sur la question d’une exonération de l'ICC et de l'IFD, et non sur les modalités de l’assujettissement à ces derniers, avec comme conséquence de priver, à concurrence des montants exonérés, de rentrées fiscales les collectivités publiques suisses concernées. Ni l’exonération d’une entité de droit public étranger assujettie en Suisse de manière limitée, ni la question de savoir si la notion de « personne morale » au sens des art. 56 let. g LIFD, 23 al. 1 let. f LHID et 9 al. 1 let. f LIPM vise également des entités étrangères de droit public n’ont été traitées par la chambre administrative ni par le Tribunal fédéral. Cela étant, ce point peut en l’espèce demeurer ouvert pour les motifs exposés plus bas, l’exonération au sens desdites dispositions étant soumise à d’autres conditions qui sont cumulatives, comme examiné ci-après.
Par ailleurs, dans la mesure où la notion de « autre personne morale » au sens de l’art. 49 al. 1 let. b LIFD, fondant l’assujettissement de la recourante à l’IFD, pourrait a priori se recouper avec celle de « personne morale » prévue à l’art. 56 let. g LIFD, il n’y a in casu pas lieu de recourir à l’application de la règle d’assimilation figurant à l’art. 49 al. 3 LIFD. Ce même raisonnement vaut pour les ICC en vertu de la similitude des dispositions concernées (art. 1 al. 2 et 4 et art. 9 al. 1 let. f LIPM ; art. 20 al. 2 et 23 al. 1 let. f LHID).
5.2 Les personnes morales au sens des art. 56 let. g LIFD, 23 al. 1 let. f LHID et 9 al. 1 let. f LIPM doivent, alternativement ou cumulativement, poursuivre deux types de buts : des buts de service public ou de pure utilité publique (Nicolas URECH, op. cit., n. 52 ad art. 56 LIFD).
Selon la doctrine, il faut partir du principe que la notion de service public recoupe le but de pure utilité publique lorsque l’utilisation du bénéfice pour des buts de service public se fait dans l’intérêt général et que l’affectation exclusive et irrévocable du capital et des gains doit être qualifiée de but de service public. L’exonération sera toutefois refusée aux personnes poursuivant principalement des buts lucratifs ou d’assistance mutuelle. Il y a assistance mutuelle lorsque la personne morale vise à promouvoir ou assurer les intérêts économiques de ses membres (coopératives agricoles) ou lorsque des institutions ont pour but la promotion des intérêts de leurs membres, tels que des clubs sportifs ou associations d’étudiants. Les buts de service public correspondent aux tâches des collectivités publiques, telles que la fourniture du gaz ou de l’électricité, l’enlèvement des déchets ou l’encouragement à la planification régionale. Le cercle des tâches de service public est défini par le droit public et les conceptions qu’on se fait, sur le moment, des tâches de service public. L’exonération fiscale est accordée pour la période fiscale durant laquelle l’activité de service public a été effectuée (Nicolas URECH, op. cit., n. 72, 73 80, 83 et 85 ad art. 56 LIFD).
Le 8 juillet 1994, l’AFC-CH a établi la circulaire n° 12 relative à l’exonération de l’IFD pour les personnes morales poursuivant des buts de service public ou de pure utilité publique (art. 56 let. g LIFD) ou des buts cultuels (art. 56 let. h LIFD) ainsi qu’à la déductibilité des versements bénévoles (art. 33 al. 1 let. i et 59 let. c LIFD) (ci-après : la circulaire n° 12). Seule la partie II de cette circulaire porte sur l’exonération au sens de l’art. 56 let. g LIFD et est donc pertinente in casu. Cette circulaire ne lie pas l’autorité judiciaire, mais celle-ci peut s'en inspirer et la prendre en considération en vue d'assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré (ATF 141 II 338 consid. 6.1 ; 133 II 305 consid. 8.1).
Selon la circulaire n° 12, l’exonération fondée sur l’art. 56 let. g LIFD est soumise, d’une part, à quatre conditions générales qui sont cumulatives (ch. 2) et, d’autre part, à des conditions spécifiques à deux cas de figure distincts : d’un côté, les personnes morales à but de pure utilité publique (ch. 3) et, de l’autre côté, celles poursuivant des buts de service public (ch. 4). Les conditions générales s’appliquent à ces deux hypothèses.
5.2.1 Pour bénéficier de l’exonération au sens de l’art. 56 let. g LIFD, il faut remplir les quatre conditions générales, cumulatives, suivantes : 1) être une personne morale ; 2) l’exclusivité de l’utilisation des fonds aux buts précités (service public ou utilité publique) ; 3) l’irrévocabilité de l’affectation des fonds à ces buts ; 4) l’activité effective quant à la réalisation de ces buts (circulaire n° 12, ch. 2 ; Marco GRETER/Alexander GRETER, Kommentar StHG, n. 24 ad art. 23 LHID ; Marco GRETER/Alexander GRETER, Kommentar DBG, n. 27 ad art. 56 LIFD).
Selon la jurisprudence fédérale, cette activité doit être menée par l’institution concernée conformément à ses statuts (ATF 131 II 1 consid. 3.3 ; 127 II 113 consid. 6b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_740/2018 du 18 juin 2019 consid. 5.3). L’irrévocabilité de l’affectation des fonds aux buts précités doit être assurée par les statuts, y compris en cas de dissolution de la personne morale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_143/2013 du 16 août 2013 consid. 4.2 ; Marco GRETER/Alexander GRETER, Kommentar StHG, n. 24 ad art. 23 LHID ; Marco GRETER/Alexander GRETER, Kommentar DBG, n. 27 ad art. 56 LIFD). L'octroi de l'exonération fiscale ne dépend pas seulement du contenu des statuts de la personne morale, mais encore de son comportement et de ses activités effectives ; le simple fait de prétendre exercer statutairement une activité exonérée de l'impôt n'est pas suffisant (arrêt du Tribunal fédéral 2C_740/2018 précité consid. 5.1).
L’activité exonérée de l’impôt doit s’exercer exclusivement au profit de l’utilité publique ou du bien commun. Le but de la personne morale ne doit pas être lié à des buts lucratifs ou à d’autres intérêts de la personne morale, de ses membres ou de ses associés. Les fonds consacrés à la poursuite de buts justifiant l’exonération de l’impôt doivent être affectés irrévocablement, c’est-à-dire pour toujours, à ces buts. Un retour au(x) donateur(s) ou fondateur(s) doit être absolument exclu. En cas de dissolution de la personne morale, sa fortune doit revenir à une autre personne morale bénéficiant de l’exonération de l’impôt et poursuivant des buts semblables, ce qui doit figurer dans une clause intangible de l’acte de fondation. En plus de ces conditions, il faut poursuivre effectivement les buts visés. Le simple fait de prétendre exercer statutairement une activité exonérée de l’impôt n’est pas suffisant (circulaire n° 12, ch. 2).
5.2.2 Concernant les personnes morales à but de pure utilité publique, l'exonération fondée sur la poursuite de tels buts suppose en particulier la réalisation des deux conditions spécifiques suivantes : l'exercice d'une activité d'intérêt général en faveur d'un cercle ouvert de destinataires et le désintéressement (ATF 147 II 287 consid. 5.2).
L’intérêt général au sens de la LIFD ne se limite plus aux activités exercées en Suisse : il est donc possible d’exonérer les activités mondiales d’une personne morale suisse, dans la mesure où ces activités poursuivent des buts d’intérêt général et sont désintéressées. Pour les activités exercées en dehors de la Suisse, il convient d’exiger en particulier la preuve de la réalisation des buts par des moyens appropriés (rapport d’activité, comptes annuels, etc.). Il n’y a pas d’intérêt général lorsque le cercle des destinataires des prestations est trop étroitement limité (ex : limitation à un cercle familial, aux membres d’une association ou aux personnes exerçant une profession déterminée). La notion d’utilité publique comprend également un élément subjectif : le désintéressement. Une activité est désintéressée si elle sert l’intérêt public et se fonde sur l’altruisme, dans le sens d’un dévouement à la collectivité. L’activité est désintéressée lorsqu’elle exige de la part des membres de la corporation ou de tiers un sacrifice en faveur de l’intérêt général primant leurs propres intérêts. Pour accorder l’exonération, il faut donc toujours exiger qu’on ne poursuive pas ses propres intérêts. Ce but désintéressé (altruiste) fait défaut pour les institutions d’assistance mutuelle et les associations de loisirs (circulaire n° 12, ch. 3).
Pour que l’exonération soit accordée, l’autorité se basera sur l’activité statutairement prévue et effectivement exercée par la personne morale et sur l’affectation directe réelle des biens et bénéfices aux buts fiscalement favorisés. L’exonération porte sur une activité qui est exercée en Suisse ou présente un intérêt pour la Suisse. En effet, de par l’exonération, la collectivité publique renonce à la perception d’impôts, mais est simultanément déchargée de certaines tâches. L’intérêt public suisse ne se limite toutefois pas au territoire national. Il vise également les buts d’intérêt général et désintéressés à l’étranger, telles les activités caritatives et culturelles internationales soutenues par la Suisse (Nicolas URECH, op. cit., n. 59 et 63 ad art. 56 LIFD).
5.2.3 Quant aux conditions spécifiques aux personnes morales poursuivant des buts de service public, la notion de service public doit être interprétée restrictivement. Les buts de service public recouvrent une catégorie limitée de tâches qui, contrairement aux buts de pure utilité publique, sont étroitement liées aux tâches de la collectivité publique et ne supposent pas un sacrifice. L’exonération n’est pas accordée si la personne morale poursuit simultanément des buts lucratifs ou d’assistance mutuelle, notion définie plus haut. Pour les personnes morales sans but lucratif ou sans but d’assistance mutuelle, il suffit qu’elles poursuivent effectivement un but de service public (c’est-à-dire une activité propre à la collectivité publique), qu’elles consacrent leurs fonds exclusivement et irrévocablement à leur but statuaire effectif et qu’en cas de liquidation, ces fonds reviennent à la collectivité publique ou à une institution qui a le même but ou un but semblable. Sont publics tous les buts d’une collectivité publique qui font partie de ses attributions habituelles (circulaire n°12, ch. 4).
Une exonération de l’impôt (totale ou partielle) reste réservée lorsqu’un acte fondé sur le droit public (p. ex. une loi) charge une telle personne morale d’exécuter une tâche de service public, ou lorsque la collectivité publique (p. ex. une commune) manifeste expressément son intérêt pour cette personne morale et exerce une certaine surveillance, et qu’au surplus les statuts précisent l’attribution exclusive et irrévocable du capital propre à un but de service public. Cela signifie que les fonds propres de la personne morale (à l’exception de l’apport des associés au
capital-actions/valeur nominale) doivent toujours, en cas de liquidation de la personne morale, revenir à la collectivité publique ou à une institution exonérée de l’impôt qui a le même but ou un but similaire et qu’aucun dividende (ou au moins aucun dividende excessif) ne doit être versé. Les décisions accordant des subventions ou des concessions ne sont pas des actes de droit public au sens précité, l’octroi d’une concession n’entraînant pas le transfert d’une tâche de service public (circulaire n°12, ch. 4 ; cf. également ATF 146 II 359 ch. 5.2).
Dans tous les cas, l'exonération ne peut être admise que si les buts lucratifs ou d'assistance mutuelle sont secondaires par rapport au but principal de service public de la personne morale. Ainsi, une exonération, même partielle, est exclue lorsque la personne morale poursuit des buts lucratifs ou d'assistance mutuelle qui excèdent une certaine mesure. Il s'agit en effet, en cas d'activité lucrative de la personne morale, de respecter le principe de neutralité concurrentielle. Celui-ci ne trouve toutefois à s'appliquer qu'entre personnes morales placées dans des situations comparables de concurrence (ATF 146 II 359 ch. 5.2 et les références citées).
5.2.4 Si c’est seulement partiellement que les fonds des personnes morales exonérées de l’impôt sont consacrés exclusivement et irrévocablement au but d’utilité publique ou de service public, alors se pose la question d’une exonération partielle. Dans ce cas, l’activité exonérée doit être importante et les fonds pour lesquels l’exonération est demandée doivent être clairement séparés du reste de la fortune et des revenus (circulaire n°12, ch. 5). Des comptes clairs et séparés des moyens consacrés à l’activité exonérée doivent alors être tenus (Nicolas URECH, op. cit., n. 56 et 69 à 71 ad art. 56 LIFD).
5.2.5 En janvier 2008, la Conférence suisse des impôts (ci-après : CSI) a émis une directive sur l’exonération fiscale des personnes morales qui poursuivent des buts de service public, d’utilité publique ou des buts cultuels (ci-après : directive CSI) afin de faciliter la prise de décision en pratique et de contribuer à une application uniforme en la matière par les cantons, en complément de la circulaire n° 12. Même si les informations contenues dans cette directive ne font pas partie du droit fédéral et ne lient pas le Tribunal fédéral, celui-ci en tient compte dans la mesure où elles permettent une application correcte des dispositions légales (ATF 146 II 359 consid. 5.3).
Son chapitre 5, seul pertinent in casu, concerne l’exonération des institutions d’utilité publique ou de service public actives à l’étranger. Il décrit deux cas de figure : activité étrangère d’organisations suisses et activité suisse de personnes morales qui agissent dans l’intérêt de collectivités étrangères (« fund raising »). À titre d’exemple, dans le premier cas, on trouve une fondation (ou association) suisse déployant son activité à l’étranger. Dans le deuxième cas, c’est une fondation (ou association) suisse qui soutient une fondation (ou association) étrangère dans son activité et les recettes sont utilisées exclusivement pour financer l’activité de la fondation étrangère. Dans les deux cas, il est exigé une transparence maximale de la part des personnes concernées et au sujet des relations entre la fondation suisse et la fondation étrangère bénéficiant des donations (directive CSI, ch. I).
Outre les organisations à caractère humanitaire, un auteur propose d’étendre l’exonération à trois autres types d’activités : aide au développement, activités à caractère culturel et à caractère écologique (directive CSI, ch. II).
La directive CSI aborde aussi le contrôle de l’activité effective à l’étranger. Elle énumère plusieurs critères pour assurer ledit contrôle, notamment la remise de comptes annuels détaillés et de rapports annuels complets sur l’activité déployée, la vérification que les activités sont réellement menées à leur terme, l’existence de contrôles financiers adéquats en matière de réalisation des programmes. Plus l’activité déployée à l’étranger est importante, plus détaillée doit être la documentation que la personne morale doit présenter à l’autorité fiscale (directive CSI, ch. V point A).
S’agissant de la personne morale avec siège à l’étranger, le contrôle est d’autant plus important que, d’une part, l’activité se situe principalement à l’étranger et que, d’autre part, la personne morale est domiciliée à l’étranger. Pour ces raisons, les exigences quant aux documents à remettre par une personne morale étrangère lors de sa demande d’exonération sont encore plus élevées que pour une personne morale établie en Suisse dont l’activité se déroule exclusivement à l’étranger. Les pièces soumises doivent être, entre autres, précises, probantes et apostillées et concerner l’organisation principale (et non l’établissement stable en Suisse). Dans l’hypothèse où l’exonération est accordée à une personne morale étrangère, il est important que celle-ci fournisse de manière régulière (chaque année) ses comptes ou autres documents nécessaires à la vérification des conditions de l’exonération, faute de quoi l’exonération devrait être retirée sans délai (directive CSI, ch. V point B).
6. En l’espèce, la recourante soutient essentiellement deux arguments susceptibles, selon elle, de justifier une exonération fiscale au sens des art. 56 let. g LIFD, 23 al. 1 let. f LHID et 9 al. 1 let. f LIPM, étant rappelé que sa conclusion principale visant à obtenir l’exonération inconditionnelle, à l’instar des communes suisses (art. 56 let. c LIFD, 23 al. 1 let. c LHID, 9 al. 1 let. c LIPM) a déjà été écartée.
6.1 Dans une première argumentation, elle invoque avoir agi comme une commune suisse en cédant gratuitement une partie de ses terrains à la commune de B______ pour qu’elle puisse y construire une école et y aménager un parc public, ainsi qu’en renonçant à pleinement exploiter le potentiel économique d’une partie de ses parcelles vendues à des tiers pour y construire des logements sociaux. À cet égard, la recourante ne sollicite plus, depuis sa réclamation en août 2021, une exonération fiscale s’agissant de la vente de ses terrains destinés à accueillir des logements en PPE et des bureaux.
Concernant la cession gratuite de ses terrains, la question de l’exonération fiscale ne se pose pas, faute de gain imposable résultant d’une telle opération, préalable nécessaire à l’examen d’un cas d’exonération.
Quant à la vente onéreuse précitée qui aurait été effectuée à des prix considérés comme avantageux, la recourante semble perdre de vue deux choses. D’une part, l’imposition en découlant y est proportionnée en ce sens qu’elle sera d’autant plus faible que le prix de vente est bas par rapport au potentiel économique allégué par la recourante. Ainsi, l’avantage financier qui aurait été octroyé par cette dernière est directement pris en compte et répercuté dans l’imposition correspondante en sa faveur dans la même mesure que la perte économique alléguée. D’autre part, la recourante semble confondre l’affectation de l’objet vendu et le produit en résultant en sa faveur. Seul ce dernier est imposable, et ce indépendamment du choix de la partie acquéreuse concernant l’affectation des terrains vendus, soumise au surplus au droit applicable notamment en matière d’aménagement du territoire. Ce qui compte, du point de vue de l’exonération fiscale, est l’utilisation du produit d’une telle vente par la recourante, et non l’affectation des immeubles vendus qui n’est, après la vente, plus de son ressort.
Enfin, sous réserve des exigences juridiques découlant du droit applicable en Suisse, la recourante était libre de disposer de ses terrains de la manière qui lui semblait la plus appropriée, étant précisé que le volet fiscal constitue un élément objectif susceptible d’être anticipé et d’avoir le cas échéant une influence sur la fixation du prix de vente.
Ces arguments ne sont ainsi pas pertinents pour l’issue du présent litige, limité à la question de l’exonération fiscale. Ils doivent donc être écartés.
6.2 Dans une deuxième argumentation, la recourante explique avoir investi le produit découlant de la vente de ses parcelles et de la constitution de droit de superficie sur d’autres, dans des projets de dimension transfrontalière.
Elle les répertorie dans un tableau, mentionné dans son écriture du 11 avril 2019, en les évaluant à un montant total de CHF ______.-. À l’appui de son recours, elle produit une délibération de son conseil municipal du 28 septembre 2023, accompagnée d’une annexe énumérant le coût de deux sortes d’investissements : ceux réalisés entre 2018 et 2023 (à hauteur de « ______ ») et ceux prévus entre 2023 et 2025 (à hauteur de « ______ ») pour une somme totale de « ______ », étant précisé qu’on ignore s’il s’agit de montants en euros ou en francs suisses, la monnaie n’étant pas indiquée.
Selon la recourante, lesdits projets auraient un « impact direct et immédiat » sur le développement du « Grand Genève », appelé à répondre à des « défis qui nécessitent une coopération, en particulier la mobilité, le logement et l’écologie » et étant « manifestement d’intérêt public » pour le canton de Genève. Se référant à divers documents relatifs à cette coopération transfrontalière disponibles sur le site internet du « Grand Genève » (https://www.grand-geneve.org/agglomeration-transfrontaliere/), la recourante énumère les projets précités, à savoir « notamment la réalisation du CEVA et l’aménagement des gares et espaces publics contigus, le prolongement des lignes de tramway au-delà de la frontière et la consolidation de la Voie Verte » (p. 11 de son recours).
Dans son courrier du 3 janvier 2022 et recours devant la chambre de céans (p. 9s), la recourante détaille la manière dont elle a investi la somme de CHF ______.-, obtenue des opérations immobilières précitées (CHF ______.- pour les droits de superficie et CHF ______.- pour les terrains destinés aux logements sociaux LUP et ZD LOC). Cette somme avait été essentiellement utilisée pour financer des projets « liés au Grand Genève » résumés dans un tableau distinguant trois types de financements (effectué / en cours / envisagé).
Parmi les projets déjà financés, on trouve les travaux connexes à l’extension du tramway avec Genève (rénovation des routes et espaces publics liés au tramway, mise en place d’un itinéraire cyclable), la participation au projet Voie Verte du Grand Genève (création d’espaces naturels et double piste réservée aux piétons et transports non-motorisés reliant A______ à B______, E______et d’autres communes genevoises), et la participation au projet CEVA (pôle d’échanges multimodal de la gare F______) pour un montant total de EUR ______.-. La réalisation de la programmation urbaine liée à la rue G______(axe H______ ; élargissement de l’avenue et aménagement d’espaces publics et de voies de routes et de transports publics, avec création d’une réserve foncière pour leur réalisation), dont la mise en œuvre devrait s’étendre jusqu’en 2035, est un projet avec un financement « envisagé » à EUR ______.-. Le reste des projets cités, pour un montant total de EUR ______.-, tombe dans la catégorie dite « financement en cours ». Il s’agit notamment de l’extension du tramway avec Genève, complémentaire au projet CEVA et cofinancé par la Confédération suisse (EUR ______.-), de la participation au projet D______ visant des logements, équipements scolaires et transports pour fluidifier le transit transfrontalier et répondre à l’engagement de construire des logements de part et d’autre de la frontière (EUR ______.-) ainsi que de la participation au projet D______ pour la réalisation d’un parking souterrain de 300 places (EUR ______.-).
6.2.1 Pour comprendre l’argumentation de la recourante, il convient d’abord de la contextualiser. Le « Grand Genève » est la dénomination choisie en 2012, à la suite d’un sondage, par les acteurs publics français, genevois et vaudois impliqués pour désigner la démarche transfrontalière concernant le projet d’agglomération franco‑valdo-genevois (Communiqué de presse de mai 2012, in : https://www.grand-geneve.org/ressources_type/espace-presse/). L’origine de cette démarche se trouve dans la politique des agglomérations lancée par la Confédération en 2001, qui permet, à certaines conditions, d’obtenir un cofinancement fédéral pour des mesures d’infrastructure améliorant le trafic d’agglomération (art. 17a de la loi fédérale concernant l’utilisation de l’impôt sur les huiles minérales à affectation obligatoire et des autres moyens affectés à la circulation routière et au trafic aérien du 22 mars 1985 - LUMin - RS 725.116.2), y compris pour financer les mesures correspondantes prises à l’étranger dans les régions frontalières (art. 17a al. 3 LUMin), à l’exclusion des contributions d’exploitation (art. 17a al. 4 LUMin).
L’art. 17c LUMin pose plusieurs conditions à l’octroi de cette contribution financière. Les « organismes responsables » doivent en particulier prouver « dans le projet d’agglomération » que les projets prévus s’inscrivent dans une planification globale des transports et sont harmonisés avec les réseaux de transport de hiérarchie supérieure et avec le développement de l’urbanisation tel qu’il est fixé par les plans directeurs cantonaux (let. a) et que le financement résiduel des investissements pour les projets prévus est dûment garanti et que les charges inhérentes à l’exploitation et à l’entretien sont supportables (let. c). La preuve que ces conditions sont remplies doit être apportée au moyen d’un projet d’agglomération (art. 18a al. 2 de l’ordonnance concernant l’utilisation de l’impôt sur les huiles minérales à affectation obligatoire et des autres moyens affectés à la circulation routière du 7 novembre 2007 - OUMin - RS 725.116.21). L’organisme responsable garantit le caractère obligatoire du projet d’agglomération et veille à ce qu’il soit réalisé de manière coordonnée (art. 23 al. 2 OUMin).
L’ordonnance du département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (ci-après : DETEC) concernant le programme en faveur du trafic d’agglomération du 20 décembre 2019 (OPTA - RS 725.116.214) pose les exigences requises pour les projets d’agglomération (art. 1b ss OPTA) et règle la mise en œuvre des projets d’agglomération (art. 18 ss OPTA). L’art. 4 al. 1 OPTA énumère les mesures devant être contenues dans le projet d’agglomération : des mesures d’infrastructure de transport pour lesquelles l’organisme responsable sollicite des contributions fédérales (let. a) ; des mesures de transport qui ne sont pas cofinancés par la Confédération (let. b) ; des mesures d’urbanisation (let. c). L’art. 7 let. a OPTA exige entre autres que le projet d’agglomération apporte la preuve de l’existence d’un « organisme responsable » au sens de l’art. 23 OUMin et de la consultation appropriée des collectivités territoriales participantes et de la population concernée. L’annexe de l’OPTA liste les communes ayant droit aux contributions fédérales (art. 1 OPTA). Pour Genève, figurent, d’un côté, les communes suisses, à savoir les communes genevoises et certaines communes vaudoises participant au « Grand Genève », et de l’autre côté, les communes françaises concernées par cette collaboration transfrontalière, dont la A______ (Annexe de l’OPTA).
Entre 2007 et 2021, les partenaires français et suisses ont déposé quatre projets d’agglomération franco-valdo-genevois auprès de la Confédération suisse et envisagent de poursuivre cette démarche en 2025 afin d’obtenir un cofinancement fédéral à leur démarche transfrontalière dénommée « Grand Genève ». Celle-ci se compose de deux volets répondant aux exigences fédérales susmentionnées. D’une part, les autorités publiques françaises, genevoises et vaudoises concernées sont, depuis 2007, parvenues à s’entendre sur un projet territorial commun comprenant entre autres des mesures liées au transport (notamment ferroviaire et mobilité douce) et des mesures d’urbanisation. D’autre part, elles ont, en 2013, institutionnalisé leur démarche par la création du Groupement local de coopération transfrontalière (ci-après : GLCT), dénommé à l’origine « Projet d’agglomération franco-valdo-genevois » et devenu « Grand Genève » (ci-après : GLCT-Agglo), à travers une convention transfrontalière instituant ledit GLCT pour assurer la gouvernance dudit projet et adoptée par tous les partenaires concernés (ci-après : CAgglo - A 1 13). Cette convention a été approuvée, du côté genevois, par la loi approuvant la création du GLCT « Projet d’agglomération franco-valdo-genevois » du 1er décembre 2011 (L-CAgglo - A 1 13.0). Ledit GLCT est une corporation de droit public, telle que définie par la loi genevoise relative aux organismes de coopération transfrontalière du 14 novembre 2008 (LOCT - A 1 12) et en conformité de l’art. 11 de l’accord de Karlsruhe sur la coopération transfrontalière entre les collectivités territoriales et organismes publics locaux du 23 janvier 1996 (AKCT - A 1 11), ayant son siège à Genève et dotée de la personnalité juridique (art. 1 al. 1 et 2 L-CAgglo ; art. 5, 7 al. 1 et 9 al. 1 CAgglo).
Ladite convention contient les statuts du GLCT-Agglo (art. 5 ss CAgglo). Sa mission est explicitée à l’art. 6 CAgglo. Le GLCT-Agglo réalise, organise et gère le lancement des études et démarches nécessaires à la réalisation du projet d’agglomération franco-valdo-genevois (al. 1) ; il coordonne, promeut et soutient toute démarche utile à l’élaboration, à la mise en œuvre et au suivi dudit projet (al. 2 phr. 2). En revanche, il n’assure pas de maîtrise d’ouvrage, de réalisation d’infrastructures ou d’exploitation directe (al. 2 phr. 3). Il peut confier à l’une de ses parties ou à des tiers la réalisation de telles études ou démarches (al. 2 phr. 1). Les parties peuvent également lui confier le suivi de ces études (al. 3). Ces missions permettent au GLCT-Agglo de répondre aux objectifs de la CAgglo (art. 1 CAgglo), à savoir renforcer la gouvernance du projet d’agglomération franco-valdo-genevois (ch. 2), dans l’intérêt des populations concernées et le respect de la souveraineté des États français et suisse (ch. 3). Cela étant et conformément au droit de la coopération transfrontalière, la mise en œuvre des décisions du GLCT-Agglo incombe aux parties, lesquelles prennent les mesures nécessaires conformément à l’art. 2 CAgglo, lorsque ces mesures relèvent de leur champ de compétence (art. 17 al. 3 CAgglo). Selon l’art. 2 al. 4 CAgglo, les parties œuvrent à faire transposer par leurs organes compétents, lorsque cela s’avère nécessaire pour qu’elles déploient leurs effets, les décisions prises dans le cadre du GLCT-Agglo (phr. 1). Elles agissent pour rassembler les financements et voter les dépenses nécessaires à l’exécution de ces décisions (phr. 2).
Le GLCT-Agglo est conçu comme un organe opérationnel, c’est-à-dire « l’outil de gouvernance d’un projet » ; il ne constitue pas « un organe décisionnel "de grande politique" » (Rapport n° PL 10848-A du 1er novembre 2011 de la commission des affaires communales, régionales et internationales du Grand Conseil sur le projet de loi approuvant la création du GLCT-Agglo, p. 6). Il offre un cadre de discussion aux parties afin de définir, en commun, le déroulement de la phase opérationnelle des différentes mesures prévues dans le projet d’agglomération franco-valdo-genevois, avant la réalisation effective des projets par chaque partie sur son propre territoire (Maria RODRIGUEZ ELLWANGER, Les instruments juridiques de la planification territoriale transfrontalière dans le bassin de vie franco-valdo-genevois, 2016, p. 321 n. 805). L’AKCT pose en effet des limitations importantes à l’action du GLCT (ibid., p. 140). La constitution d’un GLCT ne peut pas avoir pour conséquence de modifier le statut de ses membres, ni leurs compétences (art. 4 al. 4 AKCT). Les pouvoirs de réglementation ne peuvent pas être attribués à un GLCT (art. 4 al. 3 AKCT). Ainsi, l’obligation juridique découlant d’un accord transfrontalier pour les parties impliquées est celle de prendre les mesures visant à transposer en droit interne les décisions prises dans le cadre de l’accord de coopération transfrontalière. Cette obligation de transposition, prévue à l’art. 2 du Protocole additionnel à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales du 9 novembre 1995 à Strasbourg (ci-après : Protocole n° 1 - RS 0.131.11 - STE n° 159) et typique du droit de la coopération transfrontalière, ne ressort pas explicitement de l’AKCT mais peut se déduire de son but visant à faciliter et à promouvoir la coopération transfrontalière (préambule et art. 1 AKCT ; ibid., p. 33s et 139 ss).
6.2.2 Du point de vue fiscal, la recourante tente de démontrer le caractère d’intérêt public des projets précités qui bénéficierait, selon elle, nécessairement au canton de Genève.
À cet égard et comme exposé plus haut, qu’il s’agisse d’un but d’utilité publique ou de service public, question pouvant demeurer indécise in casu pour les raisons développées ci-après, le but de la personne morale ne doit pas être lié à d’autres intérêts de cette dernière ou de ses membres. En effet, l’exonération fiscale est refusée aux personnes poursuivant principalement un but d’assistance mutuelle, notion définie ci-dessus, qui est notamment donnée lorsque la personne morale a pour but la promotion des intérêts de ses membres, ce qui est par exemple le cas pour des clubs sportifs ou des associations d’étudiants. Par ailleurs, le fait que l’activité se déroule à l’étranger n’est en soi pas déterminant pour refuser l’exonération fiscale, comme l’indique l’autorité intimée et que cela ressort de la directive CSI, dans la mesure où elle présente un intérêt pour la Suisse. De par l’exonération, la collectivité publique renonce à la perception d’impôts mais est simultanément déchargée de certaines tâches. Enfin, parmi les conditions générales, cumulatives, susmentionnées, sont en particulier exigés le caractère exclusif de l’utilisation des fonds exonérés aux buts visés, que ceux-ci soient de service public ou d’utilité publique, et l’irrévocabilité de leur affectation auxdits buts, ce qui implique une affectation directe des gains exonérés d’impôts auxdits buts. Ces derniers doivent en outre être prévus dans les statuts de la personne morale concernée. Ils constituent l’activité qui doit être effectivement et principalement exercée par cette personne. Ainsi, l’activité principale effective de la personne morale, susceptible d’être exonérée, se confond avec les buts de service public respectivement d’utilité publique au sens des art. 56 let. g LIFD, 23 al. 1 let. f LHID et 9 al. 1 let. f LIPM. Pour prétendre à l’exonération fiscale au sens de ces dispositions, il faut donc que les gains exonérés d’impôts soient directement mis au bénéfice de l’activité (effective) principale de la personne morale, qui doit consister en la réalisation desdits buts.
Or, en l’espèce, la commune recourante A______ n’a pas pour mission principale de développer et financer les projets transfrontaliers profitables à la Suisse, et plus particulièrement au canton de Genève, dans le cadre du projet d’agglomération soumis au cofinancement fédéral susmentionné. Elle est l’une des partenaires de ce projet transfrontalier et y intervient en tant qu’autorité communale française représentant les intérêts de ses habitants, dans le respect des intérêts nationaux français. Le fait que certains de ces intérêts puissent se recouper avec ceux des autres partenaires français et suisses impliqués ne change pas sa mission originelle de collectivité territoriale française. Ainsi, la participation de la recourante au « Grand Genève » ne constitue pas pour elle un « sacrifice » au sens susmentionné du droit fiscal, mais relève d’un but d’assistance mutuelle comme défini plus haut par ce dernier dans la mesure où son action est en premier lieu orientée dans l’intérêt de ses propres habitants.
Par ailleurs, la condition de l’exclusivité de l’utilisation des fonds exonérés fait défaut, compte tenu de l’absence de lien direct contraignant entre le produit tiré des opérations immobilières précitées sur les terrains sis dans la commune de B______ et son affectation aux projets transfrontaliers cités, devant être exclusive et irrévocable au sens du droit fiscal topique précité. Comme le démontre la délibération du 28 septembre 2023 produite par la recourante, cette affectation est tributaire d’un choix politique devant être concrétisé par une délibération du conseil municipal et approuvé par le représentant de l’État central. Ainsi, au moment desdites opérations immobilières survenues en 2018, il n’y avait aucune garantie que le produit soumis aux impôts suisses soit effectivement et exclusivement investi par la A______ dans les projets transfrontaliers allégués. Il en va de même pour la condition de l’irrévocabilité de l’utilisation des fonds exonérés, même si a posteriori certains des projets envisagés se sont concrètement réalisés.
En outre, dans le cas du « Grand Genève », et sans qu’il ne soit in casu nécessaire de vérifier en détail si tous les projets allégués par la recourante figurent dans les mesures prévues par l’une des quatre versions du projet d’agglomération
franco-valdo-genevois soumis à la Confédération, seules les mesures d’infrastructure répondant aux critères fédéraux peuvent bénéficier du cofinancement fédéral. Le reste du financement des mesures incluses – et devant l’être en vertu de l’art. 4 al. 1 let. b et c OPTA – dans ledit projet territorial transfrontalier incombe à chacune des parties concernées, sous réserve – non démontrée en l’occurrence – d’un accord contraire entre elles.
Ainsi, par exemple, parmi les mesures de la quatrième version du projet d’agglomération franco-valdo-genevois de juin 2021, figurent la mesure n° 1______ relative aux C______ (B______) et la mesure n° 2______concernant « I______ » (cf. https://www. ______________________________________). Le maître d’ouvrage de la première est le canton de Genève, tandis que celui de la deuxième est « J______», une structure intercommunale française regroupant la A______ (cf. https://www.___________________________________________). Il s’agit de mesures d’urbanisation, dites structurantes en raison de leur impact à l’échelle du périmètre transfrontalier. Le financement des mesures est réglé selon des spécificités propres à chaque autorité concernée. Dans le Genevois français, les maîtres d’ouvrages s’appuient, en complément de leur autofinancement, sur des leviers de financements pluriels : contractualisations, appels à projets, accords territoriaux ad hoc, engageant l’État, la région Auvergne – Rhône-Alpes, l’Union européenne, les départements et les établissements publics de coopération intercommunale (cf. Rapport principal du PA4 de juin 2021, p. 259 et 160 in : https://www. ___________________________________________). À cet égard, l’art. 24 al. 3 CAgglo prévoit que le GLCT-Agglo peut recevoir des financements de sources tierces, comme par exemple la Confédération suisse, l’État français ou l’Union européenne (phr. 1). De telles contributions sont inscrites au budget du GLCT-Agglo (phr. 2).
Par conséquent, ni la CAgglo ni les décisions du GLCT-Agglo n’obligent la recourante à investir le produit tiré des opérations immobilières précitées dans le financement des projets transfrontaliers cités. L’obligation de transposition découlant de ces engagements transfrontaliers est une obligation juridique générale qui doit être concrétisée par un acte juridique de chaque partie conformément à son droit interne. Elle implique ainsi une action supplémentaire de la recourante pour que ledit produit soit investi dans lesdits projets. La condition de l’exclusivité de l’affectation du produit obtenu en 2018 dans lesdits projets n’est donc pas non plus réalisée, du fait de la coopération transfrontalière du « Grand Genève ».
6.2.3 Même si une collaboration transfrontalière sur des politiques publiques telles que la mobilité ou l’aménagement du territoire peut apparaître d’une utilité certaine pour les habitants du bassin de vie franco-valdo-genevois, il n’en demeure pas moins que l’exonération sollicitée par la commune française a pour conséquence de priver le canton de Genève d’une partie de ses impôts et, parallèlement, de faire bénéficier la recourante d’une prestation financière correspondante à charge du canton. Or, comme déjà évoqué plus haut, le fait de renoncer à la perception des impôts est censé décharger la collectivité suisse concernée de certaines des tâches lui incombant. Une exonération fiscale peut aussi être réservée lorsqu’un acte fondé sur le droit public charge une personne morale d’exécuter une tâche de service public ou lorsque la collectivité publique manifeste expressément son intérêt pour cette personne morale et exerce une certaine surveillance, comme évoqué plus haut.
En l’espèce, ni la CAgglo ni les décisions du GLCT-Agglo n’ont pour effet juridique de contraindre le canton de Genève à financer, ni à réaliser, les projets allégués par la recourante ou à en surveiller leur mise en œuvre par la A______. Ce rôle de supervision est assumé par le GLCT-Agglo, structure transfrontalière réunissant les différentes autorités politiques de cette démarche transfrontalière, dont le canton de Genève et la A______, intégrée à travers une structure intercommunale française (dite « J______») dans le Pôle métropolitain du Genevois français (cf. https://www.grand-geneve.org/les-communes-du-grand-geneve/ et https://www.genevoisfrancais.org/#). Il n’existe ainsi pas d’obligation spécifique en ces sens découlant de ces engagements transfrontaliers incombant au canton de Genève en faveur de la recourante ou des structures intercommunales françaises précitées dont elle fait partie. Par ailleurs, chaque partenaire du GLCT-Agglo est tenu de concrétiser les choix effectués ensemble à l’échelon transfrontalier sur le propre territoire conformément à leur droit interne respectif, ce qui est une règle générale du droit de la coopération transfrontalière (Maria RODRIGUEZ ELLWANGER, op. cit., p. 33s et p. 139 ss).
Il convient donc de bien distinguer le rôle du GLCT-Agglo, tenu de veiller à la gouvernance effective du Projet-Agglo franco-valdo-genevois et à la mise en œuvre de ses décisions, et celui du canton de Genève, qui n’en est qu’un membre (art. 12 CAgglo) également soumis à l’obligation de mettre en œuvre les mesures découlant du projet d’agglomération lui incombant sur son territoire, étant précisé que le nombre de voix des parties suisses et françaises au sein du GLCT-Agglo est égal (art. 12 al. 2 CAgglo). Le fait que le président du GLCT-Agglo doive être choisi parmi les représentants du canton de Genève qui sont membres de son Conseil d’État (art. 18 al. 3 CAgglo) et que l’une de ses missions soit d’assurer l’exécution des décisions de l’Assemblée du GLCT-Agglo (art. 19 al. 2 CAgglo) ne change rien au fait que le GLCT-Agglo a une personnalité juridique propre (art. 9 al. 1 CAgglo ; art. 1 al. 2 L-CAgglo) distincte de celle du canton de Genève et que chaque partenaire est tenu de transposer sur son territoire les accords pris au niveau transfrontalier, comme exposé plus haut.
Dès lors, c’est devant le GLCT-Agglo, et non à proprement parler devant le canton de Genève, que la recourante doit répondre du respect de ses engagements transfrontaliers concernant le « Grand Genève », c’est-à-dire de la réalisation effective des projets prévus sur son territoire. Il s’agit d’une obligation à laquelle sont tenus tous les partenaires de ce projet transfrontalier, y compris le canton de Genève. L’obligation de transposition des décisions du GLCT-Agglo s’adresse en effet à chacun de ses membres suivant son champ territorial de compétence (art. 17 al. 3 CAgglo), étant précisé qu’elle s’étend non seulement aux actes juridiques de mise en œuvre mais également à l’obtention des financements y relatifs nécessaires (art. 2 al. 4 CAgglo). Le fait que des contributions de sources tierces soient autorisées par la CAgglo (art. 17 al. 3 et 4) ne change rien à l’obligation de financement nécessaire à la réalisation des mesures convenues au niveau transfrontalier, en particulier dans le projet d’agglomération soumis à la Confédération comme élément de preuve de la réalisation des conditions au cofinancement fédéral (art. 17c let. c LUMin et art. 18a al. 2 et 23 al. 2 OUMin), incombant à chacune des parties participant au « Grand Genève ».
Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que le canton de Genève n’a mis, à travers la coopération transfrontalière du « Grand Genève », à la charge de la recourante aucune compétence lui incombant, notamment s’agissant de la réalisation des mesures d’infrastructure ou d’urbanisation prévues dans le projet d’agglomération (art. 17c let. c LUMin et 4 al. 1 let. b et c OPTA). De plus, la présente espèce oppose uniquement la A______ au canton de Genève, à l’exclusion du GLCT-Agglo. La recourante ne se trouve dès lors pas dans l’hypothèse évoquée plus haut d’une exonération fiscale en raison d’un acte fondé sur le droit public imposant notamment l’exécution d’une tâche de service public ou la surveillance d’une personne morale chargée d’une de ses tâches.
Enfin, le fait que les opérations immobilières susmentionnées sur les parcelles de la recourante sises sur la commune de B______ aient à la fois pu permettre à celle-ci de construire des logements, notamment sociaux, et à la recourante de financer les projets d’ordre transfrontalier sur son territoire, ne permet toutefois pas de conclure que l’activité principale de la recourante est le développement du « Grand Genève », ni que le produit obtenu de ces opérations ait été d’emblée exclusivement et irrévocablement destiné au financement des projets transfrontaliers allégués pour les raisons précitées.
Ainsi et pour les différents motifs qui viennent d’être évoqués, la recourante ne remplit pas les conditions d’exonération fiscale au sens des art. 56 let. g LIFD, 23 al. 1 let. f LHID et 9 al. 1 let. f LIPM. Elle ne peut donc pas être mise au bénéfice de l’exonération fiscale litigieuse.
7. La recourante se plaint également d’une violation de l’égalité de traitement, voire de l’interdiction de discrimination, en vertu de l’art. 26 CDI-FR, dont le pendant se trouve à l’art. 24 du Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune établi par l’OCDE (ci-après : MC OCDE), du fait qu’elle n’est pas mise au bénéfice du même traitement fiscal que les communes suisses.
7.1 Selon l’art. 26 § 1 CDI-FR, les nationaux d’un État contractant ne sont soumis dans l’autre État contractant à aucune imposition ou obligation y relative, qui est autre ou plus lourde que celle à laquelle sont ou pourront être assujettis les nationaux de cet autre État se trouvant dans la même situation. L’art. 26 § 2 CDI‑FR prévoit que le terme « nationaux » désigne pour chaque État contractant : a) toutes les personnes physiques qui possèdent la nationalité de cet État ; b) toutes les personnes morales, sociétés de personnes et associations constituées conformément à la législation dudit État.
S’agissant de l’imposition d’un établissement stable réglée à l’art. 26 § 2 CDI-FR, cette norme précise, à son al. 2, qu’elle ne peut être interprétée comme obligeant un État contractant à accorder aux résidents de l’autre État contractant les déductions personnelles, abattements et réductions d’impôt en fonction de la situation ou des charges de famille qu’il accorde à ses propres résidents.
7.2 Selon le commentaire du MC OCDE (version 2014), édité par Robert DANON/Daniel GUTMANN/Xavier OBERSON/Pasquale PISTONE (ci-après : Commentaire MC OCDE 2014), certains États accordent des avantages fiscaux spéciaux à leurs propres organismes publics. L’art. 24 § 1 MC OCDE n’exige pas qu’un État étende aux organismes publics étrangers les avantages qu’il accorde à ses propres organismes publics. Cette interprétation apparaît exacte puisqu’un tel organisme étranger, qui a typiquement comme objectif de promouvoir les intérêts de l’État étranger et non pas de l’État d’accueil, n’est pas en principe pleinement comparable à un organisme public de l’État d’accueil. Une position similaire est défendue par rapport aux établissements privés étrangers sans but lucratif dont les activités sont exercées au bénéfice de l’État étranger et de ses ressortissants, interprétation qui apparaît également exacte. Il en irait autrement si l’activité de l’institution étrangère s’exerçait au bénéfice de l’État d’accueil ou de ses ressortissants (Kees VAN RAAD/Carolina LANDIN, in Commentaire MC OCDE 2014, n. 62, 67 et 68 ad art. 24 MC OCDE).
7.3 En l’espèce, la recourante, commune française limitrophe du canton de Genève, revendique l’exonération fiscale inconditionnelle, à l’instar des communes genevoises, au sens des art. 56 let. c LIFD, 23 al. 1 let. c LHID et 9 al. 1 let. c LIPM, au motif que, dans le cadre des opérations immobilières susmentionnées, elle estime avoir agi comme l’aurait fait une commune genevoise, et ce dans l’intérêt du canton.
Or, l’application de l’art. 26 § 1 CDI-FR consacrant la non-discrimination entre des nationaux d’États contractants présuppose de se trouver « dans la même situation ». Tel n’est manifestement pas le cas entre une commune genevoise et une commune étrangère telle que la recourante. Celle-ci relève de la souveraineté d’un autre État et doit défendre les intérêts de sa population locale française, sans compromettre les intérêts nationaux français assurés par le représentant de l’État central présent dans chaque collectivité territoriale française (art. 72 al. 6 Cst-FR). Le fait que la réalisation des mesures convenues dans le cadre du « Grand Genève » profite à l’ensemble de ses membres, dont fait partie le canton de Genève, n’y change rien, étant au surplus rappelé que, comme exposé plus haut, chaque membre est tenu de respecter au sein de son propre territoire les engagements pris au niveau transfrontalier liés au « Grand Genève ». À cela s’ajoute que la réglementation fiscale précitée applicable en Suisse permet à la recourante de bénéficier d’une exonération fiscale à condition d’en remplir les conditions, notamment le caractère exclusif et irrévocable des fonds exonérés aux buts de service public ou utilité publique au sens des art. 56 let. g LIFD, 23 al. 1 let. f LHID et 9 al. 1 let. f LIPM, ce qui n’est pas le cas en l’espèce pour les raisons exposées plus haut. Par conséquent, le grief tiré de la violation du principe de non-discrimination ou de l’égalité de traitement doit être écarté, faute pour la recourante de se trouver dans une situation similaire aux communes genevoises.
Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.
8. Vu l’issue du recours, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante qui, agissant en tant que propriétaire de parcelles sises dans le canton de Genève, succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 6 octobre 2023 par la A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 septembre 2023 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de la A______ ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la demanderesse, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Andrio ORLER, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
J. PASTEUR
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| la présidente siégeant :
F. PAYOT ZEN-RUFFINEN |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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