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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2596/2024

ATA/1060/2024 du 04.09.2024 sur JTAPI/776/2024 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2596/2024-MC ATA/1060/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 4 septembre 2024

en section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Pascal STEINER, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 août 2024 (JTAPI/776/2024)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______1987, est originaire du Maroc. Il ne possède aucun document d'identité.

b. Par jugement du 21 novembre 2022, le Tribunal de police l'a reconnu coupable de brigandage (art. 140 ch. 1 al. 2 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 [CP - RS 311.0]), de violation de domicile (art. 186 CP), d'entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 [LEI - RS 142.20]) et de séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) et l’a condamné à une peine privative de liberté de 11 mois, sous déduction de 84 jours de détention avant jugement (art. 40 CP). Il a également ordonné son expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans, avec signalement dans le système d'information Schengen (SIS ; art. 20 de l'ordonnance N-SIS ; RS 362.0).

Après lui avoir donné la possibilité de s'exprimer à cet égard, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), par décision du 24 juillet 2023, a refusé de reporter l'exécution de cette expulsion. Il a par ailleurs imparti à A______ un délai au 30 juillet 2023 pour quitter le territoire helvétique afin de rejoindre un pays dont il possédait la nationalité ou tout autre pays où il serait légalement admissible.

c. Le 29 mars 2023, le Tribunal d'application des peines et des mesures a refusé d'ordonner sa libération conditionnelle, retenant notamment qu'il n'avait entrepris aucune démarche aux fins de se procurer des pièces de légitimation et refusait de collaborer avec les autorités chargées de l'exécution de son expulsion.

d. Le 3 août 2023, A______ a été arrêté par les services de police, à la rue de Berne, pour avoir menacé de mort une personne, en avoir agressé deux autres et avoir tenté de blesser les intervenants. Prévenu de rupture de ban (art. 291 CP), de lésions corporelles simples (art. 123 CP), de menaces (art. 180 CP), d'empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 CP) et d'infractions à la LEI, il a été placé en détention avant jugement jusqu'au 10 octobre 2023.

e. Il a à nouveau été arrêté le 8 décembre 2023, après avoir été observé en train de remettre un « caillou » de crack de 0.1 gramme à une toxicomane. Prévenu de rupture de ban (art. 291 CP), d'infractions à la LEI et d'infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (loi sur les stupéfiants, LStup ; RS 812.121), il a été placé en détention avant jugement jusqu'au 11 juin 2024.

f. Le 30 avril 2024, le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : le SEM) a informé les autorités genevoises que les autorités marocaines avaient identifié A______ comme l'un de leurs ressortissants et les a invitées à lui réserver une place sur un vol à destination de ce pays.

B. a. Le 11 juin 2024, le commissaire de police a ordonné la détention administrative de A______ pour une durée de trois mois.

b. Entendu le 13 juin 2024 par le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le TAPI), ce dernier a indiqué s'opposer à son renvoi au Maroc, souhaitant plutôt se rendre en Allemagne, où résidait selon lui son fils, bien qu'il ne bénéficiât d'aucun titre de séjour valable dans ce pays. Il logeait avant son arrestation dans un foyer de l'Armée du salut, dont il n'a pas été en mesure de donner l'adresse exacte. Il était resté en Suisse pour se rendre à ses rendez-vous médicaux.

Son conseil a conclu principalement à sa mise en liberté immédiate et, subsidiairement, à son assignation à résidence dans un foyer de l’Armée du Salut avec obligation de se présenter régulièrement devant la police ou l’OCPM.

La représentante du commissaire de police a expliqué qu'une demande d'évaluation médicale avait été faite afin de déterminer si A______ était apte à prendre l'avion, et si oui sous quelles conditions, un vol avec accompagnement médicalisé devant le cas échéant être organisé. Les démarches en vue de l'obtention d'un laissez-passer avaient déjà été entreprises auprès des autorités marocaines. Il fallait compter entre trois et six semaines pour obtenir un laissez-passer à compter de l'obtention d'une évaluation médicale.

Elle a conclu à la confirmation de l'ordre de mise en détention administrative du 11 juin 2024.

c. Par jugement du 14 juin 2024, le TAPI a confirmé l'ordre de mise en détention administrative du 11 juin 2024 pour une durée de trois mois, soit jusqu'au 10 septembre 2024.

La détention administrative était justifiée au regard notamment des art. 76 al. 1 let. b ch. 1 et 75 al. 1 let. g LEI et répondait à un intérêt public certain. Le principe de la proportionnalité était respecté dès lors qu'aucune autre mesure moins incisive ne permettait d'assurer la présence effective de l'intéressé lors de l'exécution du renvoi. Les autorités chargées de l'exécution du renvoi avaient entrepris les démarches nécessaires aussitôt que l'identité de ce dernier avait été connue, et la durée de la détention était proportionnée aux démarches en cours et à venir.

d. Aucun recours n'a été formé contre ce jugement.

C. a. Par requête du 26 juillet 2024, parvenue le 9 août 2024 au TAPI, A______ a requis sa mise en liberté. Il ne se sentait pas bien et souhaitait pouvoir être suivi par un psychiatre ainsi que traiter ses problèmes familiaux.

b. Entendu le 14 août 2024 par le TAPI, il a indiqué qu'il suivait un traitement psychiatrique depuis sa mise en détention. Il avait des idées noires. Lorsqu'il se sentait agité, il allait voir l'infirmière, qui était toujours là. S'il devait rentrer dans son pays, il ne disposerait ni des moyens pour s'y faire soigner ni d'une maison où loger. Si sa libération était ordonnée, il s'engageait à dormir tous les jours au foyer B______ et à se présenter quotidiennement à la police.

Son conseil a produit divers documents médicaux le concernant, soit un certificat médical des HUG du 18 décembre 2023 et plusieurs « notes de suite » des 3 mai, 15 mai, 16 mai, 24 mai et 10 juin 2024, une liste des médicaments prescrits (Valium, Temesta, Nozinan, Zyprexa, Sertraline et Stilnox) ainsi qu'une attestation établie le 12 août 2024 par la docteure C______, psychiatre-psychothérapeute FMH, selon laquelle, depuis son arrivée à l'établissement de détention administrative de Frambois le 11 juin 2024, il y bénéficiait d'un suivi psychiatrique régulier ainsi que d'un traitement médicamenteux ; selon la Dre C______, son état psychique était fluctuant, il présentait une grande anxiété et son traitement était régulièrement adapté en fonction de ses besoins.

La représentante du commissaire de police a pour sa part produit une évaluation médicale (« medical information form ») établie sur mandat du SEM par le docteur D______, dont il ressort qu'aucun élément ne fait obstacle à l'exécution du renvoi au Maroc de A______, pour autant qu'il soit accompagné par un infirmier pendant le vol et que des médicaments couvrant une période transitoire de 30 jours lui soient fournis. Elle a également remis au TAPI copie d'un échange de courriels avec le SEM, dont il résulte que le vol de retour initialement prévu pour le 4 juillet 2024 avait dû être annulé dès lors que les autorités marocaines ne délivraient à ce moment pas de laissez-passer pour les vols de retour avec accompagnement médical ; une réunion avec les autorités marocaines, prévue dans un premier temps en septembre 2024, avait été repoussée au mois d'octobre 2024. En relation avec ces pièces, elle a indiqué que le refus des autorités marocaines de délivrer un laissez-passer pour les cas médicaux était vraisemblablement dû à la crainte de maladies contagieuses, de telle sorte que les discussions avec ces autorités concernant A______, qui n'était a priori pas contagieux, aboutiraient vraisemblablement à la délivrance d'un laissez-passer en sa faveur. Elle a conclu au rejet de la demande de mise en liberté, faisant valoir l'absence d'éléments nouveaux et le risque que, s'il était libéré, il ne se présente pas pour l'exécution du renvoi. Sur question, elle a ajouté que depuis l'été 2024 les autorités marocaines n'avaient à sa connaissance délivré aucun laissez-passer pour des cas médicaux.

Le conseil de A______ a plaidé et conclu à la mise en liberté immédiate de celui-ci, accompagnée de mesures de substitution sous forme d'une obligation de présentation quotidienne auprès des autorités, subsidiairement d'un traitement psychiatrique. Au vu de son état psychologique et en l'absence de mesures d'accompagnement, il n'était pas apte à retourner au Maroc, pays où il ne pourrait être suivi de manière adéquate. Une fois remis en liberté, il serait plus à même de se prendre en charge et d'accomplir les démarches nécessaires pour pouvoir rejoindre son fils en Allemagne.

c. Par jugement du 14 août 2024, le TAPI a rejeté la demande de mise en liberté. La détention administrative demeurait justifiée au regard notamment de l'art. 76 al. 1 let. b LEI en relation avec l'art. 75 al. 1 let. g (recte : let. h) LEI. Elle continuait par ailleurs de répondre à un intérêt public consistant à assurer l'exécution du renvoi, et aucune autre mesure moins incisive ne permettait d'atteindre ce but. Au vu de l'évaluation médicale produite, le renvoi était raisonnablement exigible, l'intéressé pouvant obtenir les soins nécessaires au Maroc.

D. a. Le 26 août 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice contre le jugement du TAPI du 14 août 2024, concluant à son annulation puis, principalement, à sa mise en liberté immédiate ou, subsidiairement, à sa mise en liberté immédiate, assortie de toutes mesures de substitution utiles. L'exécution du renvoi était impossible dans un délai raisonnable, l'issue des discussions devant être conduites en octobre 2024 avec les autorités marocaines étant incertaine et la représentante du commissaire de police ayant elle‑même indiqué que lesdites autorités n'avaient plus délivré de laissez-passer pour des cas médicaux depuis l'été 2024. Elle ne pouvait par ailleurs être exigée au vu de l'état de santé du recourant, dès lors que l'absence de traitement adéquat ou son interruption conduirait à une dégradation rapide au point de conduire de manière certaine à la mise en danger concrète de sa vie, sous forme d'une tentative de suicide. Enfin, le principe de la proportionnalité commandait de renoncer à la détention administrative au profit de mesures de substitution moins incisives, telles une remise en liberté assortie d'une obligation de se présenter tous les jours aux autorités.

b. Dans sa réponse au recours du 29 août 2024, le commissaire de police a conclu à son rejet. Quand bien même elles faisaient état d' « idées noires » et évoquaient pour certaines un risque de suicide, les pièces produites par le recourant n'établissaient nullement qu'un renvoi dans son pays l'exposerait selon toute probabilité à une dégradation grave et rapide de son état de santé. L'évaluation médicale diligentée sur mandat du SEM démontrait au contraire que le renvoi était exigible moyennant un accompagnement infirmier pendant le vol et la remise de médicaments pour une période de transition de 30 jours. Il ne pouvait non plus être considéré que le renvoi serait impossible, puisqu'un rendez-vous devait avoir lieu avec les autorités marocaines en octobre 2024, au cours duquel la situation du recourant et la délivrance en sa faveur d'un laissez-passer seraient évoquées. Enfin, l'attitude du recourant, en particulier son refus constant et clair de regagner son pays d'origine, permettait de penser qu'il n'obtempérerait pas aux instructions des autorités relatives à l'exécution de son renvoi, d'où la nécessité d'assurer sa disponibilité par une détention administrative.

c. Le recourant n'a pas répliqué dans le délai qui lui a été imparti à cet effet.

d. Le 3 septembre 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 10 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Selon l’art. 10 al. 2 1ère phr. de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 27 août 2024 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

À teneur dudit art. 10 LaLEtr, elle est compétente pour apprécier l’opportunité des décisions portées devant elle en cette matière (al. 2 2ème phr.) ; elle peut confirmer, réformer ou annuler la décision attaquée ; le cas échéant, elle ordonne la mise en liberté de l’étranger (al. 3 1ère phr.).

3.             À juste titre, le recourant ne conteste pas en l'espèce que les conditions légales de la détention administrative soient réalisées. Il résulte en effet du dossier qu'il a été condamné pour un crime (art. 140 al. 1 cum 10 al. 2 CP) et fait l'objet d'une mesure d'expulsion en force dont l'exécution n'a pas été reportée, de telle sorte que, sans préjudice d'autres motifs de détention administrative, celui prévu par les art. 76 al. 1 let. b et 75 al. 1 let. h est réalisé.

L’assurance du départ effectif du recourant de Suisse répond par ailleurs à un intérêt public certain, au vu notamment de ses condamnations pour brigandage et violation de domicile et du fait qu'il fait l'objet de poursuites pénales pour lésions corporelles simples, menaces, empêchement d'accomplir un acte officiel et infractions à la LStup. Compte tenu de son refus de rentrer dans son pays d'origine et de sa volonté exprimée de quitter la Suisse pour un autre pays d'Europe, dans lequel il ne dispose d'aucun titre de séjour, seule une mise en détention administrative permettra le cas échéant d'assurer l'exécution de son renvoi. La durée de la détention prévue par l'ordre de mise en détention du 11 juin 2024, soit trois mois, demeure enfin proportionnée et reste dans la limite légale (art. 79 al. 1 et 2 LEI).

Il résulte pour le surplus du dossier que les autorités suisses ont agi avec célérité, la durée de la procédure de renvoi, critiquée par le recourant, devant être mise en relation avec sa situation de santé et l'attitude des autorités marocaines.

4.             Le recourant fait valoir que le renvoi serait matériellement impossible car ne pouvant être exécuté dans un délai raisonnable. La détention devrait donc être levée en application de l'art. 80 al. 6 let. a LEI.

4.1 La détention doit être levée notamment si l’exécution du renvoi ou de l’expulsion s’avère impossible pour des raisons juridiques ou matérielles (art. 80 al. 6 let. a LEI). Dans ce cas, la détention dans l’attente de l’expulsion ne peut en effet plus être justifiée par une procédure d’éloignement en cours; elle est, de plus, contraire à l’art. 5 par. 1 let. f CEDH (ATF 130 II 56 consid. 4.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_955/2020 du 10 décembre 2020 consid. 5.1). Les raisons juridiques ou matérielles empêchant l’exécution du renvoi ou l’expulsion doivent être importantes (« triftige Gründe »).

L’exécution du renvoi doit être qualifiée d’impossible lorsque le rapatriement est pratiquement exclu, même si l’identité et la nationalité de l’étranger sont connues et que les papiers requis peuvent être obtenus avec la collaboration de ce dernier (arrêt du Tribunal fédéral 2C_984/2020 du 7 janvier 2021 consid. 4.1 et les références). Tel est par exemple le cas lorsqu’un État refuse explicitement, ou du moins de manière clairement reconnaissable et cohérente, de reprendre certains de ses ressortissants (ATF 130 II 56 consid. 4.1.3 ; 125 II 217 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_768/2020 du 21 octobre 2020 consid. 5.1). Le facteur décisif est de savoir si l’exécution de la mesure d’éloignement semble possible dans un délai prévisible ou du moins raisonnable avec une probabilité suffisante (arrêts du Tribunal fédéral 2C_955/2020 précité consid. 5.1 ; 2C_597/2020 du 3 août 2020 consid. 4.1).

Le manque de coopération de la personne concernée ne constitue pas une impossibilité à l’exécution du renvoi au sens de la jurisprudence, laquelle n’admet une impossibilité au renvoi au sens de l’art. 80 al. 6 let. a LEI que lorsque celui-ci s’avère pratiquement exclu malgré la collaboration de la personne concernée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_370/2023 du 27 juillet 2023 consid. 4.2.2). Il serait d’ailleurs contradictoire qu’un défaut de collaboration pouvant constituer un autre motif de détention de l’intéressé (not. la détention pour insoumission de l’art. 78 al. 1 LEI), puisse conduire à une libération au sens de l’art. 80 al. 6 let. a LEI (arrêt du Tribunal fédéral 2C_898/2017 du 2 février 2018 consid. 4.1). Par définition, les mesures de contrainte en vue du renvoi sont destinées à s’appliquer aux personnes qui s’y opposent par tous les moyens (arrêt du Tribunal fédéral 2C_370/2023 précité consid. 4.2.2).

4.2 En l'espèce, il résulte du dossier que l'identité et la nationalité du recourant ont été dûment établies. Un laissez-passer, d'ores et déjà requis des autorités de son état d'origine, n'a pu à ce jour être délivré en raison, apparemment, du caractère médicalisé du renvoi. Des discussions, prévues dans un premier temps en septembre 2024 mais repoussées par la suite au mois d'octobre 2024, doivent avoir lieu entre le SEM et les autorités marocaines en vue de la délivrance dudit laissez-passer.

Contrairement à ce que soutient le recourant, rien ne permet de considérer aujourd'hui que ces discussions seraient d'emblée vouées à l'échec, et donc que la perspective d'obtention d'un laissez-passer d'ici à la fin du mois d'octobre ou dans le courant du mois de novembre serait illusoire. Dans la mesure où le premier laissez-passer sollicité a semble-t-il été refusé pour des raisons médicales, vraisemblablement par crainte d'une maladie potentiellement contagieuse, on peut au contraire penser que les autorités marocaines, rassurées sur l'absence de risque de contagion lié au rapatriement du recourant, entreront en matière sur la demande du SEM.

Il ne peut par ailleurs être retenu que l'état d'origine du recourant refuserait explicitement, ou du moins de manière clairement reconnaissable et cohérente, de reprendre ses ressortissants, et ce même si les démarches peuvent s'avérer – surtout, comme en l'espèce, en l'absence de collaboration de l'intéressé – longues et compliquées. Le fait que la représentante du commissaire de police n'ait eu connaissance d'aucun laissez-passer délivré depuis l'été 2024 pour des cas de renvoi médicalisé n'est à cet égard d'aucun secours au recourant, dès lors que l'on ignore combien de demandes de ce type ont été formées et, parmi celles-ci, combien concernaient des pathologies comparables à celle du recourant.

Il convient enfin de souligner que les difficultés de la procédure de renvoi sont en grande partie dues à l'absence de collaboration du recourant, qui refuse de rentrer dans son pays d'origine et, comme l'a relevé le Tribunal d'application des peines et des mesures dans sa décision du 29 mars 2023 (let. A.c ci-dessus), n'a entrepris aucune démarche pendant sa détention avant jugement pour se procurer des documents de légitimation.

L'argument doit donc être écarté.

5.             Le recourant soutient ensuite que son renvoi ne serait pas exigible.

5.1 L'exécution du renvoi n'est pas raisonnablement exigible si elle met concrètement en danger la personne étrangère, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEI).

L'art. 83 al. 4 LEI s'applique en premier lieu aux « réfugiés de la violence », soit aux étrangers qui ne remplissent pas les conditions de la qualité de réfugié parce qu'ils ne sont pas personnellement persécutés, mais qui fuient des situations de guerre ou de violence généralisée (Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. II : loi sur les étrangers, 2017, n. 40 ad art. 83 LEI). En revanche, les difficultés socio-économiques qui sont le lot habituel de la population locale, en particulier des pénuries de soins, de logement, d'emplois et de moyens de formation, ne suffisent pas en soi à réaliser une telle mise en danger (ATA/264/2023 précité consid. 5.4).

5.2 S'agissant plus spécifiquement de l'exécution du renvoi des personnes en traitement médical en Suisse, celle-ci ne devient inexigible que dans la mesure où ces dernières ne pourraient plus recevoir les soins essentiels garantissant des conditions minimales d'existence. Par soins essentiels, il faut entendre les soins de médecine générale et d'urgence absolument nécessaires à la garantie de la dignité humaine. L'art. 83 al. 4 LEI, disposition exceptionnelle, ne saurait en revanche être interprété comme impliquant un droit général d'accès en Suisse à des mesures médicales visant à recouvrer la santé ou à la maintenir, au simple motif que l'infrastructure hospitalière et le savoir-faire médical dans le pays d'origine ou de destination de l'intéressé n'atteignent pas le standard élevé qu'on trouve en Suisse (ATAF 2011/50 consid. 8.3). La gravité de l'état de santé, d'une part, et l'accès à des soins essentiels, d'autre part, sont déterminants. Ainsi, l'exécution du renvoi demeure raisonnablement exigible si les troubles physiologiques ou psychiques ne peuvent être qualifiés de graves, à savoir s'ils ne sont pas tels qu'en l'absence de possibilités de traitement adéquat, l'état de santé de l'intéressé se dégraderait très rapidement au point de conduire d'une manière certaine à la mise en danger concrète de sa vie ou à une atteinte sérieuse, durable, et notablement plus grave de son intégrité physique (arrêt du TAF F-1602/2020 du 14 février 2022 consid. 5.3.4).

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (ci‑après : CourEDH), l'exécution du renvoi ou de l'expulsion d'un malade physique ou mental est exceptionnellement susceptible de soulever une question sous l'angle de l'art. 3 CEDH si la maladie atteint un certain degré de gravité et qu'il est suffisamment établi que, en cas de renvoi vers l'État d'origine, la personne malade court un risque sérieux et concret d'être soumise à un traitement interdit par cette disposition (ACEDH N. c. Royaume-Uni du 27 mai 2008, req. n° 26565/05, § 29 ss ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_3/2021 du 14 avril 2021 consid. 4.2). C'est notamment le cas si sa vie est en danger et que l'État vers lequel elle doit être expulsée n'offre pas de soins médicaux suffisants et qu'aucun membre de sa famille ne peut subvenir à ses besoins vitaux les plus élémentaires (ACEDH N. c. Royaume-Uni précité § 42; ATF 137 II 305 consid. 4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_14/2018 du 13 août 2018 consid. 4.1; 2C_1130/2013 du 23 janvier 2015 consid. 3).

Le renvoi d'un étranger malade vers un pays où les moyens de traiter sa maladie sont inférieurs à ceux disponibles dans l'État contractant reste compatible avec l'art. 3 CEDH, sauf dans des cas très exceptionnels, en présence de considérations humanitaires impérieuses (ACEDH N. c. Royaume-Uni précité § 42 ; Emre c. Suisse du 22 mai 2008, req. n° 42034/04, § 89). Dans un arrêt du 13 décembre 2016 (ACEDH Paposhvili c. Belgique, req. n° 41738/10, § 173 ss, not. 183), la Grande Chambre de la CourEDH a clarifié son approche en rapport avec l'éloignement de personnes gravement malades et a précisé qu'à côté des situations de décès imminent, il fallait entendre par « autres cas très exceptionnels » pouvant soulever un problème au regard de l'art. 3 CEDH les cas d'éloignement d'une personne gravement malade dans lesquels il y a des motifs sérieux de croire que cette personne, bien que ne courant pas de risque imminent de mourir, ferait face, en raison de l'absence de traitements adéquats dans le pays de destination ou de défaut d'accès à ceux-ci, à un risque réel d'être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie ; ces cas correspondent à un seuil élevé pour l'application de l'art. 3 CEDH dans les affaires relatives à l'éloignement des étrangers gravement malades. La CourEDH a aussi fixé diverses obligations procédurales dans ce cadre (ACEDH Savran c. Danemark du 7 décembre 2021, req. n° 57467/15, § 130).

5.3 Il résulte en l'espèce du dossier, en particulier des pièces qu'il a produites et de ses déclarations, que le recourant, dont la personnalité a été qualifiée d' « émotionnellement labile de type impulsif » par les médecins l'ayant traité lors de sa détention avant jugement, souffre d'un trouble psychotique non organique. Il entend des « voix » et ressent parfois des « idées noires ». à une occasion, il a mentionné un projet de suicide par pendaison. Durant les périodes d'incarcération qu'il a subies en Suisse, il a bénéficié d'un suivi psychiatrique régulier ainsi que d'un traitement médicamenteux.

À juste titre, le recourant ne soutient pas que la poursuite d'un tel suivi psychiatrique serait impossible dans son pays d'origine, ni que les médicaments qui lui ont été prescrits ne pourraient y être obtenus. Il est certes possible que les infrastructures sanitaires marocaines ne correspondent pas à la qualité élevée de soins dont le recourant a pu bénéficier en Suisse mais, comme explicité ci-dessus, ce point n'est pas déterminant. Aucun élément ne permet pour le surplus de retenir que son renvoi de Suisse entraînerait pour lui un risque d'aggravation rapide et irréversible de son était de santé au point de l'exposer à des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie. Le simple fait d'être sujet à des « idées noires » et d'avoir verbalisé à une reprise des idées suicidaires, sans passage à l'acte, ne saurait en effet justifier concrètement de telles craintes.

À cela s'ajoute que l'aptitude médicale au renvoi du recourant a fait l'objet d'un examen spécifique par un médecin mandaté à cet effet par le SEM, lequel a abouti à la conclusion qu'il pouvait être renvoyé dans son pays à la double condition qu'une assistance infirmière soit mise à disposition pendant le vol et que des médicaments pour une période de 30 jours lui soient remis à son arrivée. En l'absence de toute autre opinion médicale sur la possibilité de procéder au renvoi, il convient de s'en tenir à cet avis.

L'argument doit donc lui aussi être rejeté.

6.             Le recourant fait enfin valoir que le but recherché par la mise en détention administrative, soit s'assurer de sa présence au moment de l'exécution du renvoi, pourrait être atteint par des mesures moins incisives telles que sa remise en liberté avec obligation de s'annoncer tous les jours auprès de l'autorité.

Il n'en est rien : dans la mesure où le recourant a plusieurs fois exprimé son refus de rentrer dans son pays d'origine et a démontré, par les infractions qu'il a commises, son manque de respect pour la loi et les autorités, il existe un risque important et concret qu'il ne défère pas volontairement, le moment venu, à une convocation en vue de l'exécution de son renvoi. Son maintien en détention administrative constitue donc bien la seule mesure susceptible d'assurer sa disponibilité effective au moment de l'exécution du renvoi.

Le jugement attaqué est ainsi conforme au droit. Mal fondé, le recours sera donc rejeté.

7.             La procédure étant gratuite, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA cum art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 août 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 août 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pascal STEINER, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, au secrétariat d'État aux migrations, ainsi qu'au centre Frambois LMC, pour information.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CARDINAUX

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :