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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1356/2024

ATA/962/2024 du 20.08.2024 ( PROC ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : ÉMOLUMENT DE JUSTICE;FRAIS JUDICIAIRES;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);INDEMNITÉ ÉQUITABLE;AVANCE DE FRAIS
Normes : Cst.29.al3; CDE.3.par1; CDE.22.par1; LPA.87.al2; RFPA.6
Résumé : Réclamation déposée devant la chambre administrative par un ressortissant tunisien mineur à la suite d’un arrêt dans lequel cette juridiction, dans un litige en matière de police des étrangers, lui avait alloué une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, montant qu’il juge trop faible. Outre qu’au vu de l’activité déployée par son avocate ce montant doit être porté à CHF 1'500.-, il apparaît que la chambre administrative avait exigé à tort le versement d’une avance de frais, ceci étant contraire à la jurisprudence du Tribunal fédéral s’agissant d’un mineur non accompagné (ATF 144 II 56).
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1356/2024-PROC ATA/962/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 août 2024

 

dans la cause

 

A______ réclamant
représenté par Me Milena PEEVA, avocate

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé



EN FAIT

A. a. Par arrêt ATA/386/2024 du 19 mars 2024, la chambre administrative de la Cour de justice a constaté que le recours formé par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) du 19 octobre 2022 était devenu sans objet, a rayé la cause du rôle, dit qu’il n’était pas perçu d’émolument et a alloué à A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.-.

b. Le litige portait sur le refus de l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) d’émettre un préavis positif en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour en faveur de A______, ressortissant tunisien né le ______ 2005, arrivé en Suisse à l’âge de 16 ans. Le TAPI avait rejeté le recours. En cours de procédure devant la chambre administrative, l’OCPM avait indiqué, le 28 juin 2023, qu’il était disposé à faire droit à la requête de A______.

La chambre administrative a considéré que le recourant avait succombé en première instance et que ce jugement n’était pas annulé au terme de la procédure en seconde instance. Les chances de succès du recours au fond n’étaient pas bonnes, le secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM) ayant d’ailleurs, par décision du 15 novembre 2023, refusé son approbation et un recours était pendant au Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF). L’intéressé n’aurait donc pas pu obtenir gain de cause devant le TAPI. Aucune indemnité de procédure ne lui était ainsi allouée pour la procédure de première instance.

L’activité déployée par son conseil devant la chambre administrative comportait des écritures, la confection de plusieurs chargés de pièces et la participation à une audience. Le litige n’était pas complexe. Nonobstant les longs développements du conseil du recourant, qui souhaitait se voir indemniser selon les critères de l’assistance juridique – refusée par décision du 3 avril 2023 pour manque de chances de succès –, l’indemnité de procédure ne constituait qu’une participation aux honoraires d’avocat. Elle était ainsi arrêtée à CHF 1'000.-.

B. a. Par acte du 22 avril 2024, A______ a formé réclamation, concluant à ce que l’indemnité de procédure pour la procédure devant la chambre administrative soit portée à CHF 5'000.-.

Il était mineur – non accompagné – et bénéficiait, à ce titre, de diverses normes de protection particulières. Ainsi, l’art. 11 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et l’art. 3 § 1 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 (CDE - RS 0.107) prévoyaient des garanties spéciales en faveur des mineurs. Les lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 17 novembre 2020 sur une justice adaptée aux enfants (ci-après : lignes directrices) prévoyaient expressément que les enfants devaient avoir accès à la justice et que les obstacles, tels que le coût de la procédure, devaient être supprimés.

L’arrêt dont était réclamation faisait fi de la situation personnelle et financière, de l’absence d’accès à un conseil juridique gratuit et de l’indigence de l’intéressé. L’indemnité de CHF 1'000.- correspondait à moins de trois heures d’activité. Les entretiens avec le client, la rédaction du recours devant la chambre administrative, la préparation du chargé, la réplique, la préparation et la durée de l’audience, la demande de reconsidération avaient nécessité 25 heures de travail.

La procédure de régularisation d’un mineur ne relevait pas de mécanismes faciles. Les enjeux pour le mineur étaient importants. L’indemnité de CHF 1'000.- laissait à sa charge un montant important, ce qui représentait une restriction de l’accès à la justice.

b. L’OCPM s’est référé à ses écritures des 27 novembre 2023 et 29 janvier 2024, par lesquelles il s’était rapporté à justice au sujet de l’indemnité de procédure, pour autant qu’elle se situe dans la fourchette habituelle de la chambre administrative, à savoir entre CHF 1'000.- et CHF 1'500.-.

c. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Formée en temps utile devant la juridiction compétente, la réclamation est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 87 al. 4 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le réclamant se plaint du montant de l’indemnité de procédure pour la procédure de recours devant la chambre administrative au regard des frais qu’il a dû exposer.

2.1 En vertu de l'art. 87 al. 2 LPA, la juridiction administrative – qui statue sur les frais de procédure, indemnités et émoluments dans les limites établies par règlement du Conseil d'État et conformément au principe de la proportionnalité (art. 87 al. 1 et 3 LPA ; ATA/1484/2017 du 14 novembre 2017 et les références citées) – peut, sur requête, allouer à la partie ayant entièrement ou partiellement gain de cause, une indemnité pour les frais indispensables causés par le recours.

2.2 À teneur de l'art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la juridiction peut allouer à une partie pour les frais indispensables occasionnés par la procédure, y compris les honoraires éventuels d'un mandataire, une indemnité de CHF 200.- à CHF 10'000.-.

2.3 De jurisprudence constante, la juridiction saisie dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans la quotité de l'indemnité allouée et celle-ci ne constitue qu'une participation aux honoraires d'avocat, ce qui résulte aussi, implicitement, de l'art. 6 RFPA dès lors que ce dernier plafonne l'indemnité à CHF 10'000.- (ATA/1272/2022 du 19 décembre 2022 consid. 2b ; ATA/46/2022 du 18 janvier 2022 consid. 1 ; ATA/1042/2021 du 5 octobre 2021). La garantie de la propriété (art. 26 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101) n'impose pas une pleine compensation du coût de la défense de la partie victorieuse (arrêt du Tribunal fédéral 2C_152/2010 du 24 août 2010 ; ATA/1361/2019 précité).

2.4 Pour déterminer le montant de l'indemnité, il convient de prendre en compte les différents actes d'instruction, le nombre d'échanges d'écritures et d'audiences. Le montant retenu doit intégrer la complexité de l'affaire et l'importance et la pertinence des écritures produites (ATA/1272/2022 précité consid. 2c ; ATA/1042/2021 précité ; ATA/1031/2018 du 2 octobre 2018 consid. 2b).

2.5 Aux termes de l’art. 29 al. 3 Cst., toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès, à l’assistance judiciaire gratuite. Elle a en outre droit à l’assistance gratuite d’un défenseur, dans la mesure où la sauvegarde de ses droits le requiert.

2.6 Dans l’ATF 144 II 56 consid. 5.3, le Tribunal fédéral, se penchant sur le fondement de l’avance de frais requise par le TAF dans la procédure d’asile engagée par un mineur non accompagné, a relevé que le droit interne prévoyait de nombreuses dispositions relatives à la procédure concernant les mineurs. Selon la CDE, l'enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuel, avait besoin d'une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d'une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance. L'art. 3 § 1 de la CDE précisait que dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant devait être une considération primordiale. L'art. 22 § 1 CDE prévoyait de manière plus spécifique encore que les États parties prenaient les mesures appropriées pour qu'un enfant qui cherchait à obtenir le statut de réfugié, qu'il soit seul ou accompagné de ses père et mère ou de toute autre personne, bénéficie de la protection et de l'assistance humanitaire voulues pour lui permettre de jouir des droits que lui reconnaissaient la CDE et les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme ou de caractère humanitaire auxquels lesdits États étaient parties.

La jurisprudence s'était montrée restrictive pour admettre un effet direct de la CDE. Toutefois, même si la CDE n’était pas d'application directe, l’on ne pouvait simplement ignorer son existence. Il en allait spécialement ainsi dans les matières relatives aux droits de l'homme, qui plus est dans un domaine où l'on avait affaire à des personnes en état de faiblesse, par exemple au regard de leur âge. Le § 38 des lignes directrices énonçait que les enfants devraient avoir accès à une aide judiciaire gratuite sous les mêmes conditions ou sous des conditions plus indulgentes que pour les adultes.

Dans le contexte d’une demande d’asile d’un mineur non accompagné en particulier, exiger une avance de frais en procédure de recours, se révélait une mesure restreignant de manière démesurée l'accès à la justice de personnes en situation de grande vulnérabilité. Il convenait dès lors à l'avenir de renoncer à percevoir une avance de frais dans de telles situations.

2.7 En l’espèce, il apparaît qu’à la suite de la décision refusant le bénéfice de l’assistance juridique, la chambre administrative a exigé du réclamant une avance de frais, dont celui-ci s’est acquitté. Toutefois, au vu de l’ATF 144 II 56, aucune avance de frais n’aurait dû être requise de l’intéressé. Cette erreur n’a cependant pas porté à conséquence. Au terme de la procédure, l’avance de frais a d’ailleurs été restituée au réclamant.

En ce qui concerne la quotité de l’indemnité de procédure, l’argumentation de l’avocate de l’intéressé se fonde essentiellement sur le droit des enfants mineurs d’accéder à un juge, plus particulièrement de bénéficier de la gratuité de la procédure et de la prise en charge par l’État des honoraires d’avocat dans une procédure de droit des étrangers. Ce faisant, elle fait valoir des arguments qu’il lui aurait appartenu de soutenir dans le cadre de la procédure d’assistance juridique. Or, par décision du 3 avril 2023, le bénéfice de celle-ci a été refusé à son client. Ce dernier n’a toutefois pas recouru contre cette décision. Contrairement à ce que semble souhaiter son conseil, la présente procédure de réclamation ne peut permettre de remettre en cause le refus d’octroi de l’assistance juridique. En effet, elle porte uniquement sur l’étendue de l’indemnité de procédure.

Celle-ci est régie par les principes sus-évoqués (consid. 2.2. à 2.4). L’activité déployée par le conseil du réclamant devant la chambre administrative comportait la rédaction du recours, d’une réplique, la confection de plusieurs chargés de pièces, la préparation et l’assistance à une audience, la détermination sur la question de la suspension de la procédure, la demande de reprise de la procédure, la rédaction d’une nouvelle écriture après la reprise de la procédure ainsi qu’une détermination sur une écriture spontanée de l’OCPM. Le litige qui se rapportait à l’existence d’un cas d’extrême gravité au sens de l’art. 30 al. 1 let. b LEI n’était pas complexe, mais revêtait une importance certaine pour l’intéressé.

Au vu de ces éléments et, notamment de l’ampleur de l’activité déployée par le conseil du réclamant, l’indemnité de procédure fixée à CHF 1'000.-, quand bien même elle ne constitue qu’une participation aux honoraires d’avocat, apparaît trop faible. Il convient ainsi d’admettre la réclamation et de la fixer à CHF 1'500.-.

3.             Vu l’issue du litige, il n’y a pas lieu de prélever un émolument et il se justifie d’allouer au réclamant une indemnité de CHF 350.- pour la présente procédure (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable la réclamation formée le 22 avril 2024 par A______ contre l’arrêt ATA/386/2024 de la Cour de justice du 19 mars 2024 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à A______ en lieu et place des CHF 1'000.- alloués dans l’ATA/386/2024 du 19 mars 2024, à la charge de l’État de Genève (office cantonal de la population et des migrations) ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 350.- à A______ pour la présente procédure de réclamation, à la charge de l’État de Genève (office cantonal de la population et des migrations) ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Milena PEEVA, avocate du réclamant, à l'office cantonal de la population et des migrations ainsi qu’au secrétariat d’État aux migrations.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Michèle PERNET, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.