Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/930/2024 du 05.08.2024 ( EXPLOI ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1912/2024-EXPLOI ATA/930/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 5 août 2024 2ème section |
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dans la cause
A______ Sàrl recourante
représentée par Me Marco ROSSI, avocat
contre
SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimé
A. a. A______ Sàrl, constituée le 4 juin 2020 et dont le siège se trouve à Genève, a pour but l’exploitation d’une entreprise générale du second œuvre ainsi que la pose et la location d’échafaudages. B______ en est le directeur avec signature individuelle.
b. Par ordonnance du 23 mars 2022, le Ministère public (ci-après : MP) a condamné le précité, en sa qualité de directeur d’A______ Sàrl, pour violation de l’art. 117 al. 1 LEI pour avoir employé deux travailleurs étrangers, ressortissants du Kosovo, qui ne disposaient ni d’une autorisation de séjour ni d’une autorisation de travail. Le premier employé avait œuvré du 14 juin au 31 décembre 2021 et le second du 1er janvier au 31 juillet 2021.
Cette ordonnance se fonde sur les pièces remises par le PCTN et les auditions faites par la police.
c. Informée de l’intention de rendre une décision d’exclusion des marchés publics, A______ Sàrl a fait valoir que les infractions commises relevaient d’une mauvaise connaissance des dispositions légales et d’une erreur d’appréciation de quelques cas isolés. Elle s’était acquittée des charges sociales et respectait désormais les dispositions en question. Une exclusion des marchés publics mettrait sa survie en péril.
d. Par décision du 3 mai 2024, le PCTN a exclu A______ Sàrl des marchés publics communaux, cantonaux et fédéraux pour une durée de seize mois.
La condamnation était entrée en force, de sorte que les faits reprochés ne pouvaient être remis en cause. Le fait que les cotisations sociales aient été acquittées et qu’il s’agissait d’employés « au gris » ne changeait rien à la gravité des infractions.
B. a. Par acte expédié le 3 juin 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ Sàrl a recouru contre cette décision, dont elle a demandé l’annulation. Elle a requis, préalablement, la production de son dossier, l’audition de B______ et de C______
Les manquements commis n’étaient ni importants ni répétés. Elle avait collaboré avec l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) à qui elle avait fourni les pièces et éléments, que ce service avait transmis au MP et que ce dernier avait utilisés pour prononcer la sanction pénale. Il existait une certaine confusion, sur le plan administratif, en raison de l’« opération Papyrus » et de la valeur que beaucoup d’employeurs attribuaient à de telles procédures et aux attestations de domicile établies par l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM).
Le directeur n’avait pas formé opposition à l’ordonnance pénale, par gain de paix et reconnaissant qu’il aurait dû être plus vigilant. Il avait engagé C______ dès le 1er décembre 2023 afin de gérer l’administration et les ressources humaines (ci-après : RH) de la société. Il avait reçu la décision querellée deux ans après le prononcé de l’ordonnance pénale et un an et demi après ses observations. Les deux employés avaient travaillé pendant la même année. Il s’agissait d’un acte isolé, qui ne présentait pas une « gravité certaine ». La sanction n’était donc pas justifiée.
La sanction violait le principe de la proportionnalité. Tout au plus, une durée de trois mois de l’interdiction d’accéder aux marchés publics pouvait être adéquate. B______ avait déjà été sanctionné du fait qu’en raison de sa condamnation pénale, il n’avait pas obtenu d’autorisation d’établissement.
b. Le PCTN a conclu au rejet du recours.
c. La recourante n’a pas déposé de réplique dans le délai imparti à cet effet.
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. La recourante sollicite l’audition de son directeur et son responsable de l’administration et des ressources humaines.
2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).
2.2 En l’espèce, le directeur de la recourante a pu exposer son point de vue. Cette dernière agit manifestement par son truchement, comme cela ressort de l’argument selon lequel le refus de lui accorder une autorisation d’établissement constituait une sanction suffisante et ne justifiait pas celle présentement querellée. Le directeur a ainsi eu l’occasion de présenter ses arguments devant le PCTN et dans le recours La recourante n’explique pas quels éléments utiles autres que ceux déjà exposés l’audition du directeur permettrait d’apporter à la solution du litige. L’audition du témoin est invoquée pour prouver que la société a engagé un responsable administratif et RH, dans le souci de respecter les dispositions légales applicables dans ce domaine. Ce fait peut être retenu sans qu’il soit nécessaire d’entendre ledit responsable.
Pour le surplus, la chambre de céans dispose d’un dossier complet, lui permettant de statuer en connaissance de cause. Il ne sera donc pas fait droit à la demande d’actes d’instruction complémentaires.
3. La recourante conteste que les conditions permettant de l’exclure des marchés publics soient remplies.
3.1 Le 1er janvier 2008 est entrée en vigueur la loi fédérale concernant des mesures en matière de lutte contre le travail au noir du 17 juin 2005 (LTN - RS 822.41).
3.2 Dans son message, le Conseil fédéral a relevé que le travail au noir devait être combattu pour des raisons économiques, sociales, juridiques et éthiques ; la lutte contre ce phénomène passait par une politique de répression ; il existait déjà de nombreux instruments législatifs susceptibles de favoriser cette lutte, mais il fallait les compléter avec la loi sur le travail au noir. Le projet de loi prévoyait une série de mesures pour accroître la répression trop lacunaire (Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale contre le travail au noir du 16 janvier 2002, FF 2002 3371, p. 3372). L’emploi clandestin de travailleurs étrangers, en violation des dispositions du droit des étrangers, était une forme de travail au noir (FF 2002 3371, p. 3374).
Outre l’aggravation des sanctions pénales et administratives prévues par les diverses législations topiques, la LTN introduisait une nouvelle mesure répressive, tendant à l’exclusion des procédures d’adjudication des marchés publics (FF 2002 3371 p. 3403 et 3404).
3.3 Selon l’art. 13 al. 1 LTN, en cas de condamnation entrée en force d’un employeur pour cause de non-respect important ou répété des obligations en matière d’annonce et d’autorisation prévues dans la législation sur les assurances sociales ou les étrangers, l’autorité cantonale compétente exclut l’employeur concerné des futurs marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral pour cinq ans au plus ; elle peut par ailleurs diminuer de manière appropriée, pour cinq ans au plus, les aides financières qui sont accordées à l’employeur concerné.
Le message du Conseil fédéral relève à propos de cette disposition qu’il s’agit de pouvoir, en cas de violation grave des dispositions légales relatives au travail au noir, prononcer contre l’employeur une exclusion temporaire des procédures d’adjudication de marchés publics ; sont concernés les appels d’offres des collectivités publiques au sens strict, ainsi que ceux d’entreprises concessionnaires, telles que les CFF ou la Poste (FF 2002 3371, p. 3419). Il précise encore que la sanction porte exclusivement sur des adjudications à venir. Il ne serait pas possible (ni juridiquement ni pratiquement) de conférer un effet rétroactif à ce type de décision. Dès lors, tout marché attribué reste acquis à son adjudicataire (FF 2002 3371, p. 3420).
3.4 L’art. 13 al. 1 LTN prévoit trois conditions pour le prononcé d’une sanction d’exclusion des futurs marchés publics ou de diminution des aides financières : la condamnation entrée en force d’un employeur ; la cause de cette condamnation, qui doit se limiter au non-respect des obligations en matière d’annonce et d’autorisation prévues dans la législation sur les assurances sociales ou les étrangers ; et le caractère important ou répété du non-respect desdites obligations.
3.4.1 Le prononcé d’une condamnation pénale (y compris sous la forme d’une ordonnance pénale au sens des art. 352ss CPP) est la condition nécessaire de la sanction prévue par l’art. 13 al. 1 LTN. Les délits pénaux auxquels l’art. 13 LTN se réfère ne peuvent être que ceux qui visent spécifiquement les employeurs, notamment dans le cadre de la législation sur les étrangers (Guerric RIEDI, Les aspects sociaux des marchés publics, en particulier la protection des travailleurs, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STOECKLI, Droit des marchés publics, 2016, n. 86).
La LTN ne contient pas de définition de la notion d’employeur. Lorsque le travail au noir intervient au sein d’une personne morale, elle n’indique pas si la notion d’employeur vise la personne morale ou la personne physique qui détient ou contrôle la personne morale en question. Le message de la loi se référant aux « entreprises sous le coup de l’exclusion des marchés publics » et comme, dans le domaine des marchés publics, l’adjudicataire d’un marché public est en règle générale une entreprise, on doit admettre que le destinataire de la sanction d’exclusion prévue par l’art. 13 al. 1 LTN est en principe la personne morale. Cela explique qu’une exclusion des marchés publics prononcée à l’encontre d’une personne morale puisse reposer sur une condamnation pénale infligée au gérant de celle-ci. S’il suffisait d’écarter le gérant de la direction de la société, d’en créer une nouvelle identique dans ses buts et activités, d’en reprendre la clientèle, le carnet de commande et le personnel, pour échapper aux sanctions prévues par l’art. 13 al. 1 LTN, cette norme deviendrait inefficace et le but de la LTN serait détourné (Guerric RIEDI, op. cit., n. 88).
3.4.2 Il ressort des travaux parlementaires que le non-respect des obligations est important par exemple en raison du montant ou du nombre de travailleuses et travailleurs au noir engagés (« sie sind zum Beispiel aufgrund des Betrages oder der angestellten Anzahl Schwarzarbeitnehmerinnen oder Schwarzarbeitnehmer schwerwiegend » ; BO 2005 N p. 696, intervention de Remo GYSIN).
Dans l’interprétation de la notion de « non-respect important » de l’art. 13 al. 1 LTN, le Tribunal fédéral n’ayant pas encore eu à préciser cette notion, la chambre de céans se réfère notamment à la notion de « cas grave » au sens de l’art. 117 al. 1 LEI, lequel punit dans les cas graves, d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire, quiconque a, notamment, employé intentionnellement un étranger qui n’est pas autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse (ATA/194/2021 du 23 février 2021 consid. 6b ; ATA/213/2017 du 21 février 2017 consid. 9a ; ATA/758/2011 du 13 décembre 2011 consid. 6c ; Guerric RIEDLI, op. cit., n. 91 et 93).
Selon la doctrine, l’existence d’un cas grave au sens de l’art. 117 al. 1 LEI doit se juger à la lumière de l’ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas ; il peut y avoir cas grave lorsque l’auteur emploie un grand nombre d’étrangers sans autorisation, lorsqu’il impose des conditions de travail inacceptables ou lorsqu’il profite d’une situation de gêne ou de dépendance pour contraindre l’étranger à travailler (Luzia VETTERLI/Gabriella D’ADDARIO DI PAOLO, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela THURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer [AuG], Berne 2010, n. 11 ad art. 117 LEI ; ATA/194/2021 du 23 février 2021 consid. 6b).
3.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).
Le principe de la proportionnalité se compose ainsi des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).
3.6 Dans un premier arrêt de 2011, la chambre de céans a considéré que l’emploi au noir d’un seul travailleur pour une durée de moins de deux ans, sans autre transgression de la loi ou de la convention collective de travail, ne relevait pas d’un non-respect important des obligations au sens de l’art. 13 LTN (ATA/758/2011 du 13 décembre 2011).
Dans un second arrêt prononcé en 2017, la chambre administrative a jugé qu’en employant treize personnes sans autorisation de travail pour une durée cumulée de presque quatre ans, une entreprise avait violé de manière grave les obligations prévues par la législation sur les étrangers. Compte tenu du nombre de personnes employées et de la durée d’emploi, une exclusion des marchés publics pour une période de 18 mois n’était pas disproportionnée. Quand bien même l’ordonnance pénale ne retenait pas le cas grave de l’art. 117 al. 1 LEI, cela n’empêchait pas l’application de l’art. 13 LTN, car si la chambre administrative était liée par les faits retenus par l’ordonnance pénale, elle ne l’était pas pour les questions de droit (ATA/213/2017 du 21 février 2017 consid. 9e).
Dans une affaire jugée en 2021, la chambre de céans a constaté que la durée globale d’emploi de deux ressortissants étrangers s’élevait, pendant une période d’une année, à 17 mois et onze jours. Si cette durée rapprochait prima facie les agissements de la recourante de ceux examinés par l’ATA/758/2011, l’engagement successif de deux travailleurs ainsi que le temps écoulé entre les deux engagements réalisaient la condition de la répétition de l’art. 13 al. 1 LTN. La recourante, qui avait compris que le premier employé était dépourvu d’autorisation, avait mesuré le risque auquel son impéritie l’exposait et devait corriger sans attendre sa pratique. En ne le faisant pas et en embauchant un second travailleur sans autorisation, elle avait accru l’importance du non-respect de ses obligations au sens de l’art. 13 al. 1 LTN. Le département avait notamment exclu la société en cause des marchés publics communal, cantonal et fédéral ainsi que de toutes les aides financières cantonales et communales pour une durée de seize mois, sanction qui a été confirmée (ATA/142/2021 du 9 février 2021 du 9 février 2021).
Dans un autre arrêt de 2021 encore, la chambre administrative a retenu que les conditions du prononcé de sanctions au sens de l’art. 13 LTN n’étaient pas remplies et a annulé une décision excluant une société des marchés publics aux niveaux communal, cantonal et fédéral pour une durée de 24 mois. Malgré la gravité des infractions retenues dans l’ordonnance pénale à l’encontre de l’associé gérant, un seul cas de non-respect des obligations pouvait être retenu à l’encontre de la société et cette infraction portait sur une durée relativement courte, soit près de quatre mois jusqu’au dépôt d’une demande d’autorisation (ATA/194/2021 du 23 février 2021).
Plus récemment, la chambre de céans a confirmé la décision d’exclusion des marchés publics pour une durée de seize mois. Cette sanction ne paraissait pas disproportionnée eu égard à l’importance de la faute, soit l’engagement de trois travailleurs dépourvus d’autorisation, certes durant une période « d’à tout le moins » trois jours, selon les termes de l’ordonnance pénale, mais en présence d’antécédents judiciaires spécifiques : l’associé de la recourante n’avait pas hésité, moins d’un mois après une condamnation, à employer sur un chantier trois ressortissants démunis d’autorisation de séjour, en tout cas durant trois jours (ATA/812/2022 du 17 août 2022).
3.7 En l’espèce, la condamnation de B______ concerne des agissements perpétrés en sa qualité de directeur de la recourante. Sa condamnation pénale est entrée en force, de sorte que la première condition de l’art. 13 al. 1 LTN est remplie.
En outre, l’intéressé a été condamné pour une infraction à l’art. 117 al. 1 LEI, lequel réprime l’emploi d’un étranger qui n’est pas autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse. La cause de sa condamnation réside donc dans le non-respect d’une obligation en matière d’autorisation prévue dans la législation sur les étrangers. La deuxième condition de l’art. 13 al. 1 LTN est également remplie. Que la recourante se soit acquittée des charges sociales de ses employés n’est pas pertinent, étant rappelé que la simple occupation d’un travailleur étranger sans respecter les devoirs d’annonce et d’autorisation imposés par la législation sur les étrangers suffit à retenir la qualification de travail au noir.
La recourante a employé deux personnes dépourvues de permis, l’une dès le 1er janvier 2021 et l’autre dès le 14 juin 2021. L'engagement successif de deux travailleurs réalise la condition de la répétition de l'art. 13 al. 1 LTN.
La recourante expose qu’une certaine confusion existait au sujet de la valeur à accorder à l’« opération Papyrus » et que son directeur ne connaissait pas les règles applicables. Or, d’une part, il appartenait à ce dernier, précisément en sa qualité de directeur, de s’assurer que son activité, singulièrement celle relative à l’engagement des employés, respecte les règles applicables. D’autre part, si la recourante éprouvait un doute au sujet de la portée de l’« opération Papyrus », notamment concernant la possibilité d’employer une personne sans autorisation de séjour ou de travail, il lui incombait de se renseigner sur une telle possibilité. Rien ne lui permettait de conclure que la seule existence de l’opération précitée aurait dispensé les employeurs de respecter l’interdiction d’engager du personnel démuni des autorisations idoines. En s’abstenant de se renseigner, la recourante a mesuré le risque auquel elle s'exposait en embauchant un premier, puis un second travailleur dépourvu d'autorisation. Le premier est resté employé pendant 6,5 mois, le second pendant sept mois. La durée des emplois illicites ne peut plus être qualifiée de courte, contrairement à l’exemple cité ci-dessus. Cumulée, elle totalise 13,5 mois et doit ainsi être qualifiée d’importante.
Au vu de ces éléments, les conditions au prononcé d'une sanction selon l'art. 13 al. 1 LTN étaient réunies.
3.8 La nature de la sanction est propre à produire l’effet de prévention recherché par la loi, étant précisé que l’art. 13 al. 1 LTN ne prévoit pas de sanction alternative à l’exclusion des marchés publics, outre la diminution d’aides financières, hypothèse non applicable en l’espèce.
La durée de la sanction ne paraît pas disproportionnée eu égard à l’importance de la faute commise, à savoir l’engagement successif de deux travailleurs dépourvus d'autorisation, pendant une période de 6,5 mois, respectivement sept mois, l’absence d’antécédents et le paiement des charges sociales. La durée de la sanction reste, en outre, dans la partie inférieure de la durée maximale prévue par l’art. 13 al. 1 LTN qui est de cinq ans. La présente espèce se rapproche au demeurant de celle ayant fait l’objet de l’ATA/142/2021 précité concernant l’emploi de deux travailleurs sans autorisation pour une période de respectivement quatre mois et onze mois et onze jours, au sujet desquels les charges sociales avaient été acquittées. La durée de l’exclusion des marchés publics avait également été fixée à seize mois.
La recourante se prévaut de l’écoulement du temps depuis les faits, relevant qu’elle avait été informée en mai 2023 que l’autorité administrative envisageait de la sanctionner, s’était déterminée immédiatement en mai 2023, mais n’avait reçu la décision querellée qu’une année plus tard. S’il est regrettable que l’autorité intimée ait mis une année à rendre sa décision après avoir reçu les déterminations de la recourante, il ne peut être considéré que les faits reprochés seraient anciens au point d’influer sur la quotité de la sanction administrative. Compte tenu de la condition d’une condamnation pénale entrée en force, les sanctions fondées sur l’art. 13 LTN interviennent nécessairement un certain temps après les manquements fondant la condamnation. Si, comme cela vient d’être observé, le PCTN a accusé un certain retard dans le traitement du dossier, celui-ci reste cependant d’une importance insuffisante pour justifier la réduction de la sanction.
Enfin, en tant que le directeur de la recourante fait valoir qu’il avait déjà été sanctionné par le refus d’une autorisation d’établissement en raison de sa condamnation pénale, il est relevé que la présente sanction vise l’activité économique de la recourante et non le statut administratif de son directeur. Cet élément n’est ainsi pas de nature à réduire la durée de la sanction.
En conclusion, il apparaît que le PCTN n’a pas violé la loi ni commis un abus de son pouvoir d’appréciation en fixant à seize mois la sanction d’exclusion des marchés publics.
Mal fondé, le recours sera rejeté.
4. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 3 juin 2024 par A______ Sàrl contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 3 mai 2024 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de CHF 500.- à la charge d’A______ Sàrl ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Marco ROSSI, avocat de la recourante, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.
Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière :
N. DESCHAMPS
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| la présidente siégeant :
F. KRAUSKOPF |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière : |