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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/637/2022

ATA/860/2024 du 23.07.2024 sur JTAPI/1361/2022 ( ICCIFD ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/637/2022-ICCIFD ATA/860/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 juillet 2024

4ème section

 

dans la cause

 

A______ SA recourante
Représentée par Pricewaterhousecoopers SA

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 décembre 2022 (JTAPI/1361/2022)


EN FAIT

A. a. Le présent litige concerne les impôts cantonaux et communaux (ICC) et l’impôt fédéral direct (IFD) 2019 de A______ SA.

b. Dans sa déclaration fiscale 2019 signée le 24 septembre 2020, la contribuable a fait état d’un bénéfice net et d’un capital propre imposables dans le canton de CHF 1'952'215.-, respectivement CHF 14'019'029.-. Les états financiers 2019 joints à la déclaration retenaient des provisions liées au personnel de CHF 2'088'209.-, dont CHF 63'254,94 pour « congés payés », montant qui correspondait au coût du report des jours de vacances non pris par ses employés en lien avec l’exercice 2019.

c. Par bordereaux ICC/IFD du 21 octobre 2021, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a taxé la société, en refusant de retenir la provision pour « congés payés ».

d. Par décision sur réclamation du 21 janvier 2022, l’AFC-GE a confirmé son approche.

e. Le recours déposé contre cette décision a été rejeté par jugement du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) du 12 décembre 2022. Une provision pouvait être justifiée par l’usage commercial et ne pas être retenue sur le plan fiscal, faute de risque concret de survenance du risque. L’intéressée ne pouvait faire valoir une provision pour des congés non pris en 2019, alors qu’au moment de l’établissement des comptes, ils avaient été récupérés.

B. a. Par acte du 13 janvier 2023, A______ SA a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice contre ce jugement. Elle conclut à l’annulation de celui-ci, de la décision sur réclamation et de la taxation et à l’émission d’un nouveau bordereau de taxation prenant en compte la provision de CHF 63'255.-.

Cette somme ne devait pas être qualifiée de provision, mais de passif de régularisation. À ce titre, elle avait été déduite conformément au droit comptable. Elle ne pouvait ainsi pas être refusée, faute de base légale expresse le permettant. Subsidiairement, elle devait être fiscalement admise comme provision. La recourante admettait que le risque ne s’était toutefois pas concrétisé.

b. L’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

La recourante ne démontrait pas l’existence du risque qu’elle cherchait à provisionner. La provision n’était pas nécessaire sur le plan commercial. Elle ne l’était pas non plus sur le plan fiscal.

c. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile, au vu de la suspension des délais de fin d’année, devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 145 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             En vertu de l'art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b, al. 1). Les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

3.             Est litigieux le refus d’admettre la provision pour « congés payés ».

3.1 Selon l’art. 12 al. 1 let. e de la loi sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 – LIPM – D 3 15), sont considérés comme bénéfice net imposable les amortissements et les provisions qui ne sont pas justifiées par l’usage commercial.

3.2 Selon le droit fédéral, l'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net, tel qu'il découle du compte de pertes et profits établi selon les règles du droit commercial (art. 57, 58, al. 1 LIFD). Tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l'usage commercial sont toutefois ajoutés au bénéfice imposable (art. 58 al. 1 let. b LIFD), telle par exemple une provision non justifiée.

3.3 L’art. 58 al.1 let. a LIFD énonce également le principe de l’autorité du bilan commercial (ou principe de déterminance), selon lequel le bilan commercial est déterminant en droit fiscal. Les cantons doivent cependant imposer l'ensemble du bénéfice net dans lequel doivent notamment être inclus les charges non justifiées par l'usage commercial, portées au débit du compte de résultats, ainsi que les produits et les bénéfices en capital, de liquidation et de réévaluation qui n'ont pas été portés au crédit du compte de résultats (art. 24 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 - LHID - RS 642.14).

3.4 Selon l'art. 63 al. 1 LIFD, des provisions peuvent être constituées à la charge du compte de résultats pour les risques de pertes sur des actifs circulants (let. b) et les risques de pertes imminentes durant l'exercice (let. c). En ICC, les provisions justifiées par l'usage commercial sont également admises en déduction du bénéfice (art. 12 let. e LIPM). Le simple fait que des provisions soient retenues dans les comptes ne permet donc pas de les admettre.

La question étant traitée de manière semblable en droit fédéral et en droit cantonal, le présent arrêt traite simultanément des deux impôts, comme cela est admis par la jurisprudence (ATF 135 II 260 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_662/2014 du 25 avril 2015 consid. 1 et 2C_394/2013 du 24 octobre 2013 consid. 1.1).

3.5 La chambre administrative a déjà statué sur l’admissibilité de provisions pour les « congés payés » dans l’ATA/1101/2019 du 25 juin 2019. Elle a refusé de prendre en compte de telles provisions compte tenu du caractère aléatoire des facteurs susceptibles de générer le paiement de vacances et heures supplémentaires. Il ne pouvait en être déduit un risque de perte certain ou quasi-certain, ce qui excluait sa prise en compte au titre de provision.

3.6 En effet, pour être admise, la provision doit être justifiée par l'usage commercial et, conformément au principe de périodicité, porter sur des faits dont l'origine se déroule durant la période de calcul (ATF 137 II 353 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_392/2009 du 23 août 2010 consid. 2.1 ; ATA/532/2013 du 27 août 2013 consid. 3c et 3d). Est justifiée par l'usage commercial toute provision portée au passif du bilan qui exprime le fait que le résultat de l'exercice ne peut pas être tenu pour définitif ; cette correction prévient le risque que le résultat ne soit pas conforme à la réalité et qu'une perte apparaisse ultérieurement, qui existait déjà au moment du bouclement des comptes. Encore faut-il que ce risque de perte soit réel, concret et imminent (arrêts du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3.1 ; 2C_392/2009 précité consid. 2.3, in RDAF 2011 II 70).

3.7 Dans la mesure où une provision ne peut avoir pour objet que des pertes imminentes (art. 63 al. 1 let. c LIFD), les provisions pour des charges futures ainsi que pour risques ou investissements futurs ne sont pas admissibles (arrêts du Tribunal fédéral 2C_478/2011 du 10 novembre 2011 consid. 2.1 ; 2C_581/2010 précité consid. 3.1). Pour être acceptées, les provisions doivent prévenir des pertes imminentes ou parer à des risques menaçants découlant d'engagements ou de charges encourues et non pas couvrir des risques aléatoires (Division Études et supports/AFC, juin 2012, « L'imposition des personnes morales », in Informations fiscales éditées par la Conférence suisse des impôts CSI, ch. 411.3, p. 56).

3.8 Deux conditions doivent donc être réunies pour que les provisions soient admises : les faits qui sont la cause du risque de perte doivent s'être produits au cours de l'exercice clos pendant la période de calcul ; le risque de perte doit être certain ou quasi certain, mais non nécessairement définitif. Par ailleurs, l'appréciation du risque doit être faite en tenant compte de tous les faits connus à la date du bouclement des comptes et non de faits ultérieurs qui viendraient confirmer ou infirmer le montant de la provision (arrêts du Tribunal fédéral 2C_581/2010 précité consid. 3 ; 2C_392/2009 précité consid. 2.1 et les références citées ; ATA/174/2016 du 23 février 2016 et les références citées). Or, les provisions pour les congés payés sont trop aléatoires pour être justifiées sur le plan fiscal. Elles ne remplissent ainsi pas ces deux conditions et ne peuvent pas être retenues (ATA/1101/2019 du 25 juin 2019).

4.             La recourante conteste cette jurisprudence, en soulignant que les charges en question ne doivent pas être qualifiées de provision, mais de passif de régularisation.

Or, si la provision sert à prévenir des risques de perte, un passif de régularisation concerne une dépense certaine (cf. Conseil suisse de présentation des comptes publics, Distinction entre passifs de régularisation et provisions dans le compte des investissements, Lausanne, 17 décembre 2015).

En l’espèce, il est pourtant admis par la recourante que la déduction pour les congés payés ne concerne pas une dépense certaine, mais un simple risque. Celui-ci ne peut ainsi pas être qualifié de passif de régularisation, mais bien de provision, conformément à la définition du Conseil de présentation des comptes publics.

Au vu de son côté aléatoire – qui s’est concrétisé en l’espèce, car la recourante cherche à faire admettre à titre de provision un risque qu’elle sait ne pas s’être concrétisé au moment de l’établissement des comptes les jours de congé ayant été rattrapés – la solution retenue dans l’ATA/1101/2019 du 25 juin 2019 doit être confirmée.

5.             La recourante conteste encore l’absence du caractère certain de la survenance du risque monétaire.

Cet argument tombe à faux. La recourante admet, en effet, elle-même dans ses écritures qu’elle n’a dû payer aucun montant à ce titre, ce qui démontre que cette certitude n’existait pas et que la provision vise à couvrir un risque totalement aléatoire, ce qui n’est pas admissible

Mal fondé, le recours doit ainsi être rejeté.

6.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante, qui ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 al. 1 LPA).

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 janvier 2023 par A______ SA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 décembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ SA un émolument de CHF 1'500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Pricewaterhousecoopers SA, mandataire de A______ SA, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Claudio MASCOTTO, juge, Stéphane GRODECKI, juge-suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HUSLER-ENZ

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :